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Un inédit de Stefan Zweig sur la vie rêvée des chiens

Jeudi 22 octobre 2009

Grasset vient de publier un inédit de l’écrivain autrichien Stefan Zweig. En exil dans la région de Bath, en Angleterre, l’auteur d’ « Amok » et de « Marie-Antoinette » a imaginé la vie d’un couple jovial de province bouleversé par son chien.

Un couple d’un certain âge déménage en Province anglaise, dans la région de Bath. Le mari et la femme se lient d’amitié avec leurs voisins, des gens gens charmants et un peu plus jeunes qu’eux. Cependant l’enthousiasme indéfini et la bienveillance trop active du mari sont parfois très fatigants. Ce couple de voisins acquiert un chien, Ponto. Avec la passion qu’il met dans toute chose, le voisin s’occupe de Ponto avec plus d’adulation que de raison. Au point de transformer la bête en tyran fier, sûr de tous ses droits, et prenant un malin plaisir à torturer ses maîtres. Mais quand la femme du voisin tombe enceinte, la passion de ce dernier pour Ponto se dissipe et il ne s’occupe que de la venue du bébé. Blessé, humilié, Ponto hait viscéralement la petite fille dès qu’il comprend que c’est elle qui est à l’origine de sa destitution. Au point d’attaquer la nouvelle née de toutes ses forces brutales lorsqu’on la lui présente. Il est écarté et placé chez un boucher des environs, mais rôde encore autour de son ancienne maison. Lorsque, quelques mois plus tard, le berceau de la petite dévale jusqu’à la rivière, et qu’on ne peut la sauver de la noyade, la voisine soupçonne fortement l’animal d’avoir provoqué l’accident.

La nouvelle de Zweig, enfin traduite en Français par Baptiste Touverey, a la finesse psychologique de ses plus grands livres. Le maître Zweig sait même percer à jour la psychologie des chiens. Son rapport sur l’orgueil blessé et l’instinct de vengeance du chien est doublement concluant : à la fois vraisemblable et loin des clichés monotones sur le chiens meilleur-ami-de-l’-homme, tellement plus fidèle et moins pervers qu’un être doué de parole. La petite histoire est livrée du point de vue externe et donc quasi-objectif d’une voisine dont on sait peu de choses. Le texte allemand est placé après le texte en Français, ce qui permet aux germanophones de vérifier la précision de la traduction.

« Un soupçon légitime », de Stefan Zwieg, trad. Baptiste Touverey, Grasset, 10 euros.

« Parce que son cœur chaleureux, qui débordait, et donnait l’impression d’exploser sans cesse de sentiment, le rendait altruiste, il s’imaginait que pour tout le monde, l’altruisme allait de soi, et il fallait des trésors de ruse pour se soustraire à son oppressante bonhomie. Il ne respectait ni le repos ni le sommeil de qui que ce soit, parce que, dans son trop-plein d’énergie, il était incapable d’imaginer qu’un autre pût être fatigué ou de mauvaise humeur, et on aurait secrètement souhaité assoupir, au moyen d’une injection quotidienne de bromure, cette vitalité magnifique, mais guère supportable, afin de la faire revenir à un niveau normal » p. 19-20

Does sex translate? / On ne badine pas avec le sexe

Mercredi 15 avril 2009

Billet frais pour ce soir, que j’ai en tête depuis un bout de temps mais que je trouvais un peu racoleur. Pourtant l’inquiétante étrangeté des mots intimes en anglais m’interpelle. Il est temps de faire un petit point. Bien sûr largement inspiré d’un travail théorique d’enquête : cosmopolitan, glamour et discussions avec des amis. Toute remarque qui semblerait puiser dans ma vie sentimentale n’est qu’une coïncidence fâcheusement trompeuse. Comme toujours dans ce blog.

Je n’ai pas cité des sources aussi pures que Cosmopolitan ou Glamour à la légère. Ici, les magazines féminins donnent le ton. Leurs rubriques “sexe” foisonnantes et répétitives font assez peur. Toute la joyeuse saisie des corps est expliquée pas à pas, un peu comme dans un manuel de machine à laver. Avec en sus (si je puis me permettre) l’idée très progressive qu’il faut faire plaisir à son homme et qu’un mâle bien baisé et bien nourri est affectueux comme un animal domestique. Je passe sur la page des confessions coquines- qui n’est pas mieux en VF- ou une série de clichés monstrueux et terriblement mal écrits sont précipités, souvent sur le mode de “je me suis tapé l’affiche”, histoire que les lectrices n’aient pas honte de s’être elles aussi faites prendre entrain de faire l’amour avec leur petit copain par les parents du dit fiancé.

Je tiens aussi à signaler que ne comprenant rien au rituel du date (baiser au premier rendez-vous, sexe au troisième et pas de sexe oral le premier soir m’a-t-on assuré, + droit de voir d’autres dates pendant les trois premiers rendez-vous), je ne suis peut-être pas bien placée pour faire une analyse sociologique des relations intimes à l’américaine.

Question ambiance générale, je ne sais pas si ce que vais décrire est lié au puritanisme – et plus ingénue libertine que fille spirituelle de max weber pour ce soir,  je m’en fous. Il semble qu’en parallèle, la tension du coeur balance entre le “nous ne nous devons rien” et l’engagement dur comme fer tandis que la tension sexuelle oscille entre le cru clinique et le non-dit. Il y a une étiquette supposée pour toute sortes de relations. Quand je dis en Français, “c’est mon amant”, en anglais, il faut que je précise : it is a one night stand, it is my bootie call (ie pas souvent et par texto,  si possible), we are fuckbuddies (on se voit sporadiquement juste pour “ça”), “friends plus bonuses” (j’adore celle-là: des vrais amis qui occasionnellement et quand ils sont tous deux libres couchent ensemble), ou he is “my date”,”my boyfriend”, “my fiancé”, “my husband” (par ordre d’apparition au générique).  Bref, autant dire qu’il n’y a aucune place pour l’ambiguité, et d’ailleurs on n’en parle pas, on fait. Pas de longues négociations à la Crébillon; finalement peu de libertinage, et donc zéro place pour l’érotisme tel qu’on le conçoit en France; dois-je avouer que c’est un peu frustrant? En revanche, le contrat qu’il soit d’une nuit ou d’une vie (supposément) est clair (enfin pour ceux et celles qui maîtrisent les codes mieux que moi). Socialement, on est censé savoir à quoi s’attendre (il va rappeler ou pas).  Et à l’horizontale, il va de soi que chacun a  droit au moins un à orgasme. C’est toujours ça de pris, me direz-vous. Et l’on se prive aisément des fantasmes les plus fous quand on tient bien droit dans ses griffes celui de la maîtrise : l’on sait ce que l’autre veut (jouir, nécessairement; comment, on ne pose la question que pour aller plus directement au but), on demande à sa douce moitié comment atteindre cet objectif et l’on y parvient.

Passons au  vocabulaire. Il semble que les mots du sexe soient cantonnés au lit. On parle rarement “cul” (tiens encore une étoile manquante) entre potes, comme on peut le faire au delaville café de Paris en intégrant la serveuse à notre passionnant débat. On peut peut-être évoquer certaines choses en tête à tête, pudiquement avec une copine, et de manière plus graphique (ah voilà ce qui manque en français, l’adjectif graphic, même si on “fait des dessins”) avec un ami gay. Mais on ne badine pas avec le sexe, pas de grands dialogues philosophico-sexo- loufoques à la desplechins.

Au lit, en revanche, à deux, on aborde toutes les questions ouvertement. Le phrasé d’avant le coït est souvent hygiénique et utile. Comme on parle ouvertement d’argent à l’extérieur, on parle ouvertement de son état de santé à l’intérieur. (“Are you clean down there?” étant pour l’instant la façon la plus directe et non-sexy dont on m’a dit que la question a pu être posée). Bref, il y a quelque chose de très frais à appeler un chat un chat mais le courant d’air peu vite glacer.

Dans les mots charnels, notre bon vieux “baiser”, à la fois vulgaire et adorable, complice et cru me manque beaucoup. “To have sex” est encore et toujours clinique. “To fuck”, excitant, mais à la manière trop franche d’une virile saillie. A moins de le traduire en simultané par “foutre”, ce qui aide un peu en faisant rêver au XVIII e siècle littéraire. Et je passe vite – mais très vite!- sur “To get laid”,  qui hésite très peu langoureusement entre le trash, le besoin animal de s’envoyer en l’air (encore une expression mi-mignonne, mi-ironique, qui manque cruellement à l’expatrié(e))  et le régressif mimi-cracra des teen movies. Quant à “faire l’amour” il se traduit mot à mot, mais qui dit encore ça en Français? et en Anglais on passe la barrière de chamallow de l’ultra-romantique.

Les Américains  un peu globe-trotters se plaignent souvent que l’expression “joie de vivre” n’existe pas chez eux. “Be happy” est plutôt un impératif ici; il m’est d’ailleurs sympathique et me va bien. En revanche que le verbe “jouir” n’existe pas me désole. Je placerais “To come” entre le descriptif quasi-scientifique et la venue du messie. Encore une fois, le manuel de la machine à laver ou l’épiphanie, et zéro entre-deux. En revanche, “To take” semble familier et traduit directement l’idée française.  A l’impératif, il passe plutôt bien, et on peu faire révérence (take a bow) devant son honnêteté. Je dois aussi dire que “To sleep”  rend bien la neutralité plan plan de notre “coucher”

Sans entrer trop dans les détails (Je nous épargnerai les positions une à une), je suis peut-être partiale, mais notre “pipe” des grands-pères me semble plus bon enfant que le “blow job” (argh ces sonorités) local. “To get down (on a woman)” pourrait passer pour évasif est plutôt tendre, mais ses vertus ne pâlissent-elles pas devant notre écumant “lécher”?

Je continue à être partiale, mais désigner des endroits du corps en anglais est compliqué. Le claquant “cul” deviant le fadasse “ass”. “Behind”, comme “derrière” fait un peu précieux, mais c’est pas mal. Pussy serait proche de “chatte”, mais très dévalorisé par le R’n’B. Pour le sexe masculin, les sonorités agressives sont assez explicites : dick, cock etc… “Boobs” ou “Breast”, est très enfantin n’a pas le caractère transgressif de “sein”/ saint. “Tighs” est bien plus fin que “Cuisses” mais trop peu usité.

Tout ça pour dire qu’il n’est pas si facile de changer de langue pour baiser. Peut-être est-ce le côté transgressif de faire ça dans la langue maternelle, peut-être est-ce une question d’habitude, ou peut-être lié à la terra incognita de nouveaux codes sociaux, mais s’étreindre dans des mots étrangers -surtout quand ils n’arrivent pas  avant qu’on soit déjà déshabillé(e)- brise l’immédiateté et bien souvent l’élan en entier.