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Rentrée littéraire : les moires tissaient des cubes

Mardi 11 août 2009

Premier roman géométrique, « Cube » retrace le destin d’un jeune homme sans qualités à l’ombre ensorcelée de grands cubes de verres érigés par un milliardaire en son jardin. Quand l’amitié, l’amour et la carrière tiennent dans des boîtes translucides, la tragédie de la mise en bière n’est pas loin…

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Le narrateur a huit ans quand il fait intrusion avec son meilleur ami, Alexis dans le jardin bien gardé d’un milliardaire local, le Duke, pour percer le mystère des grands cubes translucides qui viennent décorer son jardin. Il se font prendre, vertement tancer par leurs parents, et la série des malheurs commence : la mère d’Alexis meurt peu après d’un cancer fulgurant, celui-ci déménage avec son père, et le narrateur se retrouve très seul. Mais les cubes magiques du Duke n’ont pas fini de le poursuivre… Aussi bien à vingt ans, alors qu’il rate deux fois médecine, qu’à quarante, quand il est devenu un financier à succès heureusement marié, les cubes continuent le lui dicter sa vie.

Un fantastique de province à la Alain Fournier vient épicer l’histoire d’un petit garçon aventurier devenu un homme bien banal. Artefacts de forme très humaine, oeuvres d’art, vivarium à serpents ou encore boules magique où l’on tourne en carré, les cubes de Yann Suty interpellent : plus l’on s’approche d’eux et du Duke, plus leur mystère échappe. Anti- peau de chagrin, ils s’étalent dans l’espace et dans la vie du narrateur qui frôle une folie toute géométrique et tombe dans l’indifférence des pires catastrophes de sa vie quotidienne.

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Yann Suty, Cubes, Stock, 18,50 euros.

« A vingt ans, je me présentais en effet sous la forme d’un grand tout mou dégingandé menaçant de s’envoler au premier coup de vent. Je ne savais que faire de mes mains. Les laisser pendre au bout de mes bras me paraissait tout sauf naturel. Aussi je les dissimulais dans les poches de mes pantalons ou mes manteaux. Tous mes vêtements s’en trouvaient du coup déformés. Sur le nez, j’avais chaussé des lunettes à lourde armature noire. La longue mèche graisseuse qui me couvrait le front donnait à croire que je portais un casque en permanence ; elle me faisait également ressembler à un Playmobil ; elle avait cependant le mérite de masquer une acné que les traitements les plus féroces ne parvenaient pas à éradiquer » p. 28

Rentrée littéraire : Factory Parano

Vendredi 7 août 2009

La plume vive et suédoise de Sara Stridsberg s’empare de Valerie Solanas, auteure féministe du SCUM Manifesto, et connue pour avoir tiré sur Andy Warhol en 1968. Mieux, Stridsberg saisit au vol Valerie Solanas et en fait ce qu’elle veut, c’est-à-dire un personnage de roman. Malheureusement la fascination tourne vite à l’ennui. Sortie le 26 août.

Dès le début du roman, Sara Stridsberg est catégorique : “La faculté des rêves n’est pas une biographie mais une fantaisie littéraire“. De manière volontairement décousue, l’auteure va éclairer certains aspects de son personnage, la mettant en scène dans son dernier lit d’hôtel, à la Factory, auprès de sa mère, Dorothy, dans son enfance, et à l’hôpital psychiatrique après avoir flingué le maître. Elle imagine aussi des dialogues entre elle-même et son personnage et les listes alphabétiques qui peuvent trotter dans la tête de la féministe violée dans son enfance et vendant son corps pour subsister malgré de brillantes études de psychologie et un certain succès d’estime pour le SCUM manifesto.

L’idée est intéressante. Sara Stridsberg pourrait par exemple nous prouver que le caractère hypnotisant de la psychose de Valerie Solanas avait complètement échappé aux annales de l’histoire. Elle pourrait aussi la laisser mystérieuse, à “trou”, un peu mystique et inabordable… Une femme vraiment fatale, en fait. Mais non. Dans un débit de texte qui semble ne jamais finir, Stridsberg est méticuleuse. De manière compacte, elle replace les évènements dans leur gangue historique, et sans fin elle fait répéter les mêmes convictions à un personnage qui se livre tellement qu’il n’y a plus de mystère. Juste beaucoup d’ennui. Car sans ellipse et sans queue, mais surtout sans tête, le délire sans désirs de la psychotique auteure de “Up your ass” est juste repoussant… sauf peut-être pour  deux personnages du livre : sa psy et l’auteure. Dommage qu’un des romans es plus ambitieux de cette rentrée littéraire, et dont l’écriture est la plus originale,  tombe finalement lourd comme plâtre…

Sara Stridsberg, “La faculté des rêves”, Stock, Trad. Jean-Baptiste Coursaud, 411 p.

En Bonus, un extrait du film d’Andy Warhol avec Valerie Solanas à l’écran : IA Man

“LA NARRATRICE : Je peux te tenir la main?

VALERIE : Non

LA NARRATRICE : Je peux m’asseoir à côté de toi quand tu dors?

VALERIE : Souviens-toi que je suis malade et que je vais mourir. Souviens-toi que je suis la seule femme ici qui ne soit pas folle.

LA NARRATRICE :I love you.

VALERIE :Fuck you” p. 83

Rentrée littéraire : Credit Crash

Lundi 27 juillet 2009

Avec « Pour une vie plus douce » (Stock), l’auteur Philippe Routier nous fait entrer dans le quotidien catastrophe d’un travailleur de la poste trop endetté et de son fils. A quel prix s’endette-t-on pour vivre le rêve Français d’être propriétaire de son petit pavillon de banlieue, avec barbecue, fausse cheminée, et télévision ? Sortie le 19 Août.

douceLui travaille sur une Plate-forme colis de la Poste, elle est ouvrière spécialisée dans une usine de tuyaux, leur premier dîner dans une pizzeria lambda et leur première partie de bowling révèle l’évidence : ils sont faits pour vivre ensemble. Et pas n’importe où, puisque à crédit ils peuvent s’offrir le pavillon de leurs rêves à Sartrouville. Mais l’ascension dans la hiérarchie bloquée de leurs entreprises est impossible et l’une après l’autre, les dettes s’accumulent, jusqu’à la catastrophe : elle divorce pour fuir la faillite, et lui garde l’enfant qu’il nourrit de moins en moins bien. A quel prix ces petites gens étaient-ils censés vivre le rêve capitaliste de consommation ?

Du point de vue de l’enfant à la fois ethnologue et aimant, Philippe Routier déroule le long fil narratif d’une catastrophe d’endettement annoncée. Dans un style aussi fluide que poétique, il décrit la petite vie non dénuée d’espoirs, d’amours et d’amitiés, de gens modestes mais vivant au-dessus de leurs moyens dans la banlieue parisienne. Cette humanité à l’horizon bloqué, et vivant dans l’angoisse des intérêts à payer, après une période d’endettement insouciant présentée comme un âge d’or rejoint celle que décrivait Emile Zola dans « L’Assommoir », il y a près de 150 ans. Du banquet de mariage aux actes monstrueux commis par la bête humaine acculée, c’est du même déterminisme (ici social et non biologique) qu’il s’agit. Dans quelle mesure la société de consommation est-elle responsable des actes tragiques des personnages? Philippe Routier pose la question avec beaucoup de subtilité, déroulant sa petite histoire sur un temps assez long (des années 1970 à une projection dans le futur proche) pour montrer que quelle que soit la société : industrielle, post-industrielle, ou post-post-industrielle, les rouage du capitalisme demeurent inchangés. Certains esprits modestes et naïfs peuvent se laisser entraîner par des envies matérielles jusqu’à se perdre eux-mêmes. Le fils réalise le rêve de ses parents, en devenant le propriétaire d’un petit café de Sartrouville, qui marche assez bien. Mais même arrivé à ce sommet, il végète, et seul, vivant jeune encore dans le deuil des meilleures années de sa vie. A l’image de sa mère, demeurée quarante ans au même poste d’ouvrière spécialisée dans une usine, et faisant partie des meubles que personne ne songe à remercier ou à féliciter, il est condamné à l’immobilité. Comment vivent les rouages de la base de nos sociétés, et les rêves d’ascension sociale ne sont-ils que des leurres les poussant à mieux accepter cette condition moderne d’esclavage ? Ou ont-ils fait de leur propre volonté les mauvais choix ? Une belle réflexion sociale, sans dénonciations outrées et surtout livrée sans ressentiment dans un écrin de langue immaculée.

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Philippe Routier, « Pour une vie plus douce », Stock, 167 p., 15,50 euros.
« Il avaient compris qu’avec les trois premières banques, ils seraient quittes de leur dette à quarante-six ans tandis que, avec la quatrième, ils devraient encore de l’argent jusqu’à cinquante. Cependant, que les quasi-quinquagénaires qu’ils deviendraient peut-être, ces inconnus sans doute ventripotents pour lesquels ils n’éprouvaient aucune sympathie, dussent vingt-cinq ans plus tard débourser de l’argent pour les jeunes gens radieux qu’ils étaient alors n’était franchement pas de nature à les embarrasser » p. 24