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Roman : Les silences, de Rose Tremain

Lundi 31 mai 2010

L’auteure britannique du “Royaume interdit” (James Tait Black Memorial Prize, Prix Femina étranger 1994) implante son dernier roman dans les Cévennes, telles que les rêvent la bonne société londonienne. Fidèle à elle-même et au genre du réalisme poétique, Rose Tremain donne à ces « Silences » des accents délicieusement ironiques. Disponible chez Lattès à partir du 2 juin 2010.

Un grand antiquaire londonien, Anthony Verey, sent la fin de sa vie arriver. Il décide d’entreprendre une dernière grande chose : acheter un mas dans le Sud de la France et l’aménager pour atteindre la perfection. C’est sa sœur Véronica, le seul être qu’il chérit vraiment, qui l’a inspiré dans cette démarche. Spécialiste des jardins, celle-ci tente d’en cultiver un sans eau dans le Sud de la France et d’enfaire un livre. Mais la compagne de Veronica, Kittty, aquarelliste ratée, ne voit pas l’arrivée du frère d’un bon œil : jalouse de lui et de l’attention que Veronica lui porte, elle souhaite même sa mort. Anthony s’installe pourtant longuement chez sa sœur et se met à visiter plusieurs maisons. Son choix tombe sur le Mas Lunel, une maison de famille appartenant au vieil et ivrogne Aramon, qui en chassé sa sœur, Audrun. Du coup, cette dernière s’est construite une petite baraque en bord de terrain, qui bouche la vie et risque bien de décourager le pimpant acheteur britannique…

Si vous aimez les vrais et gros romans psychologiques, vous ne serez jamais déçus par Rose Tremain. Ses personnages aussi bien français qu’anglais sont touffus, socialement et moralement marqués par la vie. L’action commence comme un roman policier, à partir des sentiments de nostalgie d’une petite parisienne limogée dans les Cévennes et découvrant lors d’un voyage de classe qui la rend plus mélancolique encore que d’habitude un corps. Les multiples flash-backs éclairent avec subtilité les chemins qui ont mené chacun des personnages là où il se trouve : pour chacun, un carrefour différent de la vie. Rien n’est donc laissé au hasard, ni dans l’ombre, et Tremain crée puis étanche avec habileté la soif de son lecteur. Certaines scènes champêtres tirent également du côté de la poésie, notamment dans les réflexions intimes de ses personnages féminins : elles s’accordent si bien avec les couleurs et les bruissements de la nature. A ces ingrédients classiques, l’auteure ajoute également une touche acidulée d’ironie à la Iris Murdoch. Et la satire de la bonne société anglaise un peu dégénérée entre sa pluie, ses jardins, et ses enfants trop raffinés pour savoir se défendre rejoint étrangement celle de paysans français incestueux et alcooliques congénitaux.

Rose Tremain, « Les silences », trad. Claude et Jean demanuelli, J.C. Lattès, 402 p., 20.50 euros, sortie le 2 juin 2010.

Pour les anglophones, ne manquez pas les 10 commandements de l’écrivain, d’après Rose Tremain, sur le site du Guardian (ici). Un bel antidote au nombrilisme autofictionnel frenchy.

Romance à trois sur la plage de Dinard

Mardi 18 mai 2010

Il se trouve que je lisais ce roman, avant de partir en week-end pour Dinard… cheesy mais très sympathique.

L’auteure britannique Mary Wlesley n’est plus, mais Eho continue de nous livrer ses romans délicieusement irrévérencieux en version française. Après  “La pelouse de camomille” (2008) et “Rose Sainte-Nitouche” (2009), “Les raisons du coeur” sera disponible dès le 3 juin dans la traduction de Michèle Albaret. Un gros livre psychologique et truffé de personnages attachants, dans lequel on se plonge comme dans un bain chaud.

“Les raisons du coeur” commence après la Première Guerre mondiale sur la plage de Dinard où de nombreux Anglais et Hollandais viennent en villégiature. Un des couples britanniques est bien trop amoureux pour vraiment s’occuper de leur fille de dix ans, Flora. Celle-ci passe son temps à apprendre le russe auprès de la couturière du village et promène des chiens. Elle attire l’attention de trois hommes dont elle tombe amoureuse : deux garçons de 15 ans : Cosmo, le fils de grands industriels londoniens et Hubert, alias “Blanco”, meilleur ami de ce dernier et dont le père est tombé au front. Et elle n’est pas insensible au charme du joli coeur de la station, Félix, un peu plus âgé et pour lequel toutes ces dames se pâment. Après cet été de grâce où le temps semble s’être figé, Flora passe toute son adolescence en pension, vacances comprises, pendant que ses parents se suffisent l’un à l’autre aux Indes. Cinq ans plus tard, la mère de Cosmo vient offrir une nouvelle parenthèse de bonheur à Flora en l’invitant à passer une partie de l’été avec cette jeunesse dorée. Mais Flora a désormais quinze ans, un corps et des désirs de femme, et les sentiments nés à Dinard commencent à s’exprimer plus ouvertement…

Dans la tradition psychologique d’une George Elliott, Mary Wesley met toute l’élégance de sa plume britannique à décrire un monde en mouvement autour de sentiments qui ne passent pas. Si l’intrigue est un peu plus complexe et un peu moins olé olé que l’histoire de ménage à trois de “Jules et Jim”. Les triangles amoureux sont bien présents dans “Les raisons du coeur”. Les désirs bruissent, bien vivants sous le poids des habitudes et des conventions. Et le lecteur se laisse séduire par la timide et indépendante Flora, par le généreux Cosmo, ainsi que par le pragmatisme parfois fantasque de l’ironique Hubert. Un vrai roman, à emmener en week-end et à dévorer d’une traite.

Mary Wesley, “Les raisons du coeur, trad. Michèle Albaret, Eho, 526 p., 23 euros, sortie le 3 juin 2010.

Portrait de Mary Wesley © DR

Un musicien dans les sous-sols de Berlin

Jeudi 8 avril 2010

Spécialiste des destins emblêmatiques, l’écrivaine alemande Marie-Luise Scherer brosse le portrait d’un accordéoniste que la chute du mur pousse sur les routes d’Europe entre deux points fixes : Essentouki et Berlin. Une belle aventure humaine publiée en Français par Actes Sud.

A la fin de l’ère soviétique, l’irruption de l’économie de marché en Georgie met l’accordéoniste Kolenko au chômage : plus personne n’a le temps de payer un peu de musique. Il quitte sond sa jolie femme pour tenter sa chance à Berlin. De quais de métro en cimetières, il parvient à conquérir un certain public, ses accents russes et son nom de scène “Karpov” parlant à un public dont l'”ostalgie” croît à mesure que les années 1990 avancent. Mais  trouver un toît est souvent difficile et si départager l’artiste du mendiant n’est pas toujours évident pour le public berlinois. Qui plus est, les visas s’épuisent vite et Kolenko retourne souvent au pays, y apportant des tonnes de vêtements généreusement donnés et pas mal d’argent. A chaque fois, il lui fait retrouver un “tuteur” qui l’invite à nouveau à Berlin pour revenir y gagner sa vie, et traverser toute l’europe de l’est dans des trains interminables où il rencontre une foule de personnages déchus ou avides, tous plus colorés les uns que les autres. La course se termine sur le mariage de son fils et la relève des générations futures. Marie-Luise Scherer livre un roman très humain (écrit en 2003), aux qualités documentaires incontestables et que tous les amoureux de l’est liront avec délectation.

Marie-Luise Scherer, “L’Acordéoniste”, trad. Anne Weber, Actes Sud, 155 p. , 18 euros.

A peine la musique l’avait-elle attirée dans le tunnel que son besoin d’agir thérapeutique s’intensifia au point qu’elle se sentit pousser des ailes. Tombant sur cet homme qui avait l’air complétement ailleurs, elle dit : ‘C’est chouette, ta façon de jouer’. En effet, Kolenko jouait sans aucune de ces mimiques accrocheuses qui, dans son métier, attirent le public. Il souriait sans regarder personne, même lorsqu’une pièce tombait. Mme Machate saisit d’emblée, en lisant la pancarte en carton, ce qui le poussait à une telle retenue en faisant de la musique. Il voulait éviter par là qu’on amalgame son art et sa recherche d’un logement, qui ressemblait à celle d’un mendiant.” p. 21.

Les voix des traders en rade

Mardi 6 avril 2010

Mathieu Larnaudie, l’auteur de “Strangulation” (Gallimard, 2008) sort chez Actes Sud un roman qui se veut la caisse de résonnance des longs sanglots des “acteurs” principaux de la grande crise banquière et financière de l’automne 2008. Un roman exigeant, dont le style quasi-précieux coupe souvent tout souffle, à propos, et parvient à rendre compte de manière neutre et pourtant interne des longs sanglots des “effondrés” : ceux ont vu à un âge avancé leur monde de chiffres de de bling bling plus ou moins racés prendre fin.

En 24 chapitres, Mathieu Larnaudie attribue une parole intime sur la crise à quelques uns des principaux décideurs politiques et financiers qui ont vécu de l’intérieur la crise de l’automne 2008. Le lecteur reconnaîtra (ou non) madoff, Sarkozy, Merkel, Greenspan, le patron de Lehman’s Brothers la sacrifiée, ainsi que le PDG très classe d’UBS, et deux hommes d’influence qui se sont suicidés à cause de la crise. Il y a aussi un mystérieux milliardaire suisse, qui dans son anonymat conservé fait figure de “vrai témoin”.

Ayant vécu à New-York, Mathieur Larnaudie rend parfaitement compte du climat d’octobre 2008 à Wall Street. Il estime que son “texte fonctionne comme une cupe, au sens géologique du terme, une sorte de traversée, de long glissement en spirale  [dans les profondeurs] de ceux ] qui sont devenus les véritables figures de la représentation de la crise dans l’imaginaire collectif”. Beau et froid comme du granit, ce texte fige, entre deux strates d’intimité, le témoignage de ceux qui ont vu leur monde s’autodétruire avec un détachement cruel. Ceux qui adhérent aux phrases d’une page de l’auteur, entrecoupées de plusiuers parenthèses, et suffocant physiquement le lecteur, adoreront “Les effondrés”. Pour sa précision autant que pour sa concision. En revanche certains se trouveront pris d’une profonde crise de claustrophobie dans ce texte serré comme un noeud coulant autour du cou d’un condamné, et qui ne laisse aucune place à l’anecdote gratuite ou à l’humour. Précieux et pédant, Larnaudie peut se permettre de l’être car il a indéniablement un style. Et un sujet très fort. Qu’il parvient – et c’est encore plus fort- à traiter avec les sens mais sans aucune sensiblerie – voire aucune sensibilité.

Mathieu Larnaudie, “Les effondrés”, Actes Sud, 179 p. 18 euros, sortie le 7 avril 2010.

“… l’on avait pu prétendre que, maintenant que l’on avait su dire adieu au vieux fantôme  historial, le temps universel devrait, indéfiniment, se régler sur celui de l’échange, de la seule administration du mouvement des capitaux et de la marchandise, c’est-à-dire où l’on pensait qu’il était bon que le terme “Histoire” n’eût plus cours autrement que pour désigner les menues inflexions qui orientaient les humeurs du marché, les fluctuations de l’économie mondiale, lesquelles avaient, précisément, pour principe de permettre que des monstres comme celle-ci devinssent la propriété d’une caste d’individus remarquables – ceux, probablement, ainsi que l’on put l’entendre prononcer un jour  à un célèbre publicitaire se flattant de compter parmi eux, qui avaient “réussi leur vie”- et de garantir qu’elles le fussent; mais bien plutôt une représentation stylisée de l’instant soudain où (de l’heure à laquelle) s’était constituée cette scène globale, nébuleuse et simultanée, cet accident planétaire dont le mot “crise” était le nom…”p. 73

La douce mélancolie de l’illusionniste

Mardi 6 avril 2010

Après avoir vendu plus d’un million de copies des “Arpenteurs du monde” traduit en 40 langue, le Wunderkind des lettres allemandes, Daniel Kehlmann est de retour chez Actes Sud avec la réédition de son roman d’apprentissage  “La nuit de l’illusioniste” et la sortie en poches de “Gloire”, dont l’intrigue se compose de 9 histoires. Petite plongée dans la prose douce-amère de Kehlman à travers le premier de ces deux opus qui paraît le 7 avril 2010.

Lorsque sa mère adoptive meurt frappée par la foudre, Arthur Beerholm prend soudain conscience de l’absurde de la vie et de l’absurdité de la mémoire. Resté seul face à face avec son père adoptif à qui il n’a rien à dire, surtout après que celui-ci a épousé sa ravissante et méchante jeune nounou, Arthur part en pensionnat puis décide de faire des études de théologie, qu’il finit par interrompre après un séjour traumatisant dans une retraite où les moines font voeu de silence. Entretemps, l’ancien élève très doué en mathématiques a rencontré les cartes et leur magie. Il décide de pousser l’art de l’illusion jusqu’à un niveai métaphysique qui lui était resté inaccessible par la voie de Dieu. Avec l’aide d’un très grand magicien, il se lance dans une course à l’excellence qui lui amène la gloire, mais pas vraiment de réponse à ses questions…

Amer, désenchanté et néanmoins profondément poétique dans la capture de l’instant, “La nuit de l’illusionniste” se dévore comme un fruit qui doit se manger encore vert. Daniel Kehlmann renouvelle le roman d’apprentissage désenchanté en alliant le manque de repères et un style légèrement surrané qui accroche le temps et le souvenir. Il parvient à rendre un héros dont le malheur n’est pas vraiment sympathique très fascinant, tout en ménageant une grand marge de détachement au lecteur. Un très beau roman.

Daniel Kehlmann, “La nuit de l’Illusionniste”, trad. Juliette Aubert, Actes Sud, 175 p., 17,80 euros.

C’était l’un des derniers jours d’août, et même ce jour précis où l’on sent à une subtile pesanteur magnétique que quelque chose va bientôt finir. Tout est encore en fleurs, les guêpes et les coccinelles s’agitent, mais à tout cela se mêle un indéfinissable malaise. Chaque année tient cette journée en réserve, et soudain elle est là et on ne sait pas ni d’où elle vient ni pourquoi elle tombe justement aujourd’hui. Voilà sans doute une des raisons pour lesquelles j’étais si pressé de partir et m’en allai sans me retourner et sans tenter de dire à Beerholm ce que j’aurais du lui dire. Si j’avais su que je ne devais jamais plus le revoir, que c’était la dernière occasion, est-ce que j’aurais essayé? Qu’est-ce que j’en sais! S’il y a une chose qui peut conduire l’homme au bord de la folie, c’est bien l’idée que certains évènements ne se rattrappent jamais, que des occasions passent et ne reviennent plus, jusqu’au moment où ce grand cosmos pétri d’étoiles se résoudra en lumière. Si au moins je m’étais retourné…! Je sais très bien que ma mémoire aurait conservé cette dernière image de Beerholm, debout dans l’embrasure de la porte (a-t-il fait un geste de la main? non, pas Beerholm). j’ai bien sûr beaucoup d’images de lui, mais c’est justement celle-ci, la plus importante, qui me manque. ma collection est icomplète et elle le restera.” p. 45

Une ballade dans le panthéon littéraire de François Bott

Vendredi 26 mars 2010

Ancien directeur du Monde des Livres, auteur d’une trentaine de livres et Membre du jury du prix Roger Vailland, François Bott propose avec “Ecrivains en robe de chambre” (La Table Ronde, “collection la petite vermillon”) une promenade littéraire dans son panthéon d’auteurs du XXe siècle. Une invitation à lire et à relire des auteurs connus ou oubliés, français, italiens ou américains du siècle dernier…

Certains sont immortels (André Breton, Blaise Cendrars, Jean Cocteau, Albert Cohen, E.M. Cioran, Léon-Paul Fargue, Jean Genet, Jean Giono, Jean Giraudoux, Jospeh Kessel, Valery Larbaud, Michel Leiris, Jacques Prevert, Paul Valéry, Boris Vian). D’autres sont des auteurs français catholiques (François Mauriac, Jean Pauhlan), hussards (Jacques Laurent, Roger Nimier), mythiques en leur temps et un peu moins lus récemment (Marcel Aymé, Emmanuel Berl, André Beucler, Antoine Blondin, Henri Calet, Michel Déon, Jean Dutourd, Elie Faure, Jean Follain, Simon Leys, Paul Morand, Raymond Radiguet, Raymond Roussel, Claude Roy, André Suarès, Léon Werth). D’autres enfin sont étrangers et eux-aussi souvent trop oubliés par les lecteurs français : Raymond Chander, Flannery O’Connor (seule femme de ce panthéon) et Umberto Saba.

Chaque petite histoire littéraire de François Bott fait quelques pages, dans lesquelles l’auteur est abordé par une anecdote : par une donnée biographique, le témoignage d’un ami ou un extrait de correspondance. Le lecteur est donc amené par ce détour de flâneur à entamer l’ascension d’un monument littéraire. Sur un ton intimiste qui oscille entre le cours de littérature tel qu’il était enseigné sous la 4 e République et la confidence sur des plaisirs secrets. Parfois d’un chapitre à l’autre ces écrivains en robes de chambre se croisent et se font signe dans de grandes amitiés littéraires dans lesquelles le lecteur se sent presque inclus. On sort de ce précieux livre de poche avec l’envie d’aller redécouvrir le XXe siècle littéraire. Et coup de chance : la plupart des auteurs cités sont encore imprimés, volontiers dans la collection “L’imaginaire” chez Gallimard… Bonnes lectures!

François Bott, “Ecrivains en robe de chambre, Histoires littéraires”, La Table Ronde, collection “la petite vermillon”, 8.50 euros.

Et voici un élégant auteur en robe de chambre :

Daniel Glattauer écrit une romance électronique

Vendredi 26 mars 2010

Journaliste pour der Standard, Daniel Glattauer est devenu le chouchou de la critique et du public allemands et autrichiens avec son livre “Quand souffle le vent du nord” (750 0000 exemplaires vendus). Un roman épistolaire et romantique où les deux protagonistes se rencontrent au hasard des erreurs d’Internet et se disent les choses les plus intimes de derrière leur écran. Enfin disponible, 5 ans après sa sortie viennoise, “Quand souffle le vent du Nord” paraît chez Grasset le 1er avril.

Emma alias “Emmi” envoie par hasard un e-mail à un certain monsieur “Leike” en voulant résilier son abonnement au magazine “Like”. L’erreur se serait soldée par une simple réponse “ce n’est pas moi que vous cherchez à joindre”, si, le soir de Noël, Emmi n’avait pas inclus l’adresse mail de Leo Leike dans les destinataires de ses voeux. Les deux étrangers commencent alors un dialogue qui passe rapidement du jeu de devinettes à des discussions très intimes. Celles-ci n’empêchent pas les deux interlocuteurs touchés par Cupidon de laisser quelques zones d’ombres très étudiées. Or, Emmi est mariée et heureuse avec son homme et leurs deux enfants; elle se demande ce qu’elle cherche dans ces conversations essentielles avec Leo. De son côté Leo sort d’une histoire physique et impossible avec la froide Marlene, et comme c’est un type plutôt moral et plutôt sûr de ce qu’il vaut, l’idée de jouer le rôle de l’amant lui est simplement insupportable. Emmi sait être cynique et inconstante, Leo peut être dur et silencieux, mais tous deux savent se montrer extrêmement tendres. Pendant 348 pages, le lecteur se ballade au coeur de leur correspondance éléctronique. Et il y trouve le plaisir du voyeur non omniscient, puisqu’il n’en sait pas plus que ce que chaque amoureux veut bien dire à l’autre.”Quand souffle le vent du nord” est plus qu’une badinerie, mais reste léger comme du whiskey.

Daniel Glattauer, “Quand souffle le vent du nord”, Grasset, trad. Anne-Sophie Anglaret, 348 p., 18 euros, sortie le 1ier avril.

Non Leo, j’ai tout simplement le béguin pour vous. Vous me plaisez. Beaucoup, même! Beaucoup, beaucoup, beaucoup! Et je ne peux pas croire que vous ne vouliez pas me voir. Cela ne veut pas dire que nous devrions nous voir. Bien sûr que non! Mais par exemple, j’aimerais savoir à quoi vous ressemblez. cela expliquerait beaucoup. Je veux dire, cela expliquerait pourquoi vous écrivez comme vous le faites. parce que vous auriez exactement l’apparence de quelqu’un qui écrit comme vous. Et que j’aimerais bien savoir à quoi peut ressembler quelqu’un qui écrit comme vous. Ceci expliquerait cela.” p. 47


Daniel Glattauer – Quand souffle le vent du nord (Trailer)
envoyé par hachette-livre. – Découvrez plus de vidéos créatives.

Le Voisin insupportable et libérateur de Tatiana de Rosnay

Vendredi 26 mars 2010

L’auteure d’ “Elle s’appelait Sarah”, “La mémoire des murs” et de “boomerang” ressort chez Héloïse d’Ormesson un livre épuisé depuis 2000. Ccomme d’habitude thriller et fine psychologie sont au rendez-vous. Tatiana de Rosnay n’a donc pas besoin de la moto d’Angèle Rouvatier pour séduire ses lecteurs.

Colombe Barou ne s’habille pas en cuir, ne fait pas de moto et elle ne se préoccupe pas des cadavres, mais de la bonne tenue de sa petite famille : ses deux fils et son mari, bien trop souvent en voyage. Quand les enfants sont à l’école, elle fait un mi-temps comme nègre dans sa petite ville de province. En vrai, Colombe est une grande femme sensuelle et qui se rêve écrivaine; par habitude elle se tient voûtée,  se cache dans l’ombre de sa pétillante sœur Claire, et des auteurs dont elle écrit les livres. Mais un déménagement et un nouveau voisin qui la réveille en pleine nuit à grands renforts de Mick Jagger va pousser “bobonne” à se rebiffer. Si la nouvelle Colombe en pleine crise d’insomnie n’ose pas encore frapper à la porte du voisin pour lui dire combien il la dérange, elle s’offre des guêpières pour séduire à nouveau son mari et se faufile dans l’appartement du gêneur…

On retrouve dans “Le Voisin” la patte de Tatiana de Rosnay : suspense, fantômes, et intrusion fine dans la psychologie d’une jeune femme de bonne famille. De quoi nous tenir en haleine et nous donner à nous aussi l’envie de se révolter contre la tyrannie de l’aspirateur et de l’anonymat. Entièrement concentré sur la figure de Colombe, “Le Voisin” est peut-être moins subtil que d’habitude sur les motivations de ceux qui l’entourent : les enfants sont quasi inexistants et interchangeables sauf pour remarquer les transformations de leur maman, le mari est un boulet infidèle, la sœur une apparition un peu énervante, et même le voisin est bien pâle face à la force de caractère en plein chamboulement de Colombe. Colombe et c’est tout, mais cela suffit pour remplir un cahier des charges volumineux sur le travail harassant, silencieux et méconnu de toutes les discrètes mères de famille de France.

Tatiana de Rosnay, “Le Voisin”, Editions Héloïse d’Ormesson, 236p., 18 euros.

Vers deux heures du matin, Stéphane se met à ronfler. Colombe subit. La gamme complète est à sa disposition; elle reconnaît les longs, anticipe les courts, ceux ponctués d’un grognement, d’autres d’un râle. Comment a-t-elle pu passer plus d’une décennie auprès d’un homme qui ronfle autant? Il n’y a rien de pire que vouloir dormir à côté de quelqu’un qui, lui, dort profondément et le montre” p. 90.

Livre : Si la cour du mouton est sale, ce n’est pas au porc de le dire, de Florent Couao-Zotti

Vendredi 12 mars 2010

Après Le Cantique des cannibales (2004), Florent Couao-Zotti est de retour au Serpent à Plumes avec un roman inspiré par les ratés masculins et féminins de policiers, de prostituées et de gagnsters évoluant dans la région de Cotonou. Variations d’une cruauté vivante autour d’une petite malette de poudre blanche…

Au coeur du nouveau roman de Florent Couao-Zotti, il y a tout d’abord trois femmes : Saadath, l’ancienne reine de beauté déchue après la mort de son vieux caïd de mari, Sylvana l’aventurière féline et Rockyana, la femme “Fanta-Coca” (ie qui se déclore le visage, lui donnant une couleur orangée de Fanta, tout en conservant un corps couleur Coca). Leur point commun : elles vendent leur corps pour vivre. Mais monnaient leurs services fort cher, et n’hésitent pas à écraser la concurrence. Le sproblèmes arrivent après le meurtre de Saadath, qui a traffiqué de la drogue dans le sillage des anciens amis de son gangster de mari. Sylvana vole la malette de cocaïne que Saadath avait confiée à Rockyana pour tenter de la revendre aux anciens boss de Saadath. A la tête de cette pyramide de fabricants : Smaïn, alias “L’Arabe” qui après avoir perdu u bras par amour a décidé de devenir vraiment dur à cuir…

Révélant l’intriguepar fragments à la manière d’un tableau cubiste, Florent Couao-Zotti donne à chaque chapitre de son roman un titre en forme de proverbe béninois. Et tous sont aussi savoureux que le titre. Un glossaire en fin de texte vient renseigner le lecteur sur l’usage de mots locaux : l’on aporend avec intêrét qu’à Cotonou, le Gaou est le dindon de la farce, la Go une petite copine, et que tous les blans sont par extension “Lissa”, c’est-à-dire Albinos; sur fond de Magic System survolté, l’auteur nous traine dans un éboulement de métaphores dans des taxis défoncés, des bars mal famés, et des piaules de gangsters; il nous entraîen dans un monde où tous les coeurs sont frelatés, et où il n’y a pas vraiment de victime. Juste des gagnants et des perdants, des personnages nés beaux et dotés ou mal servis par la vie. Mais tous dégagent une folel énergie, cherchant sans scrupules à améliorer un quotidien frénétique. Une belle dose d’énergie pas très morale…

Florent Couao-Zotti, “Si la cour du mouton est sale, ce n’est pas au porc de le dire”, Le Serpent à Plumes, 208 p., 14 euros.

Elle ne regrettait nulelment d’avoir allongé le couteau dans le ventre de Mouf. Lui voulait se faire vent, épouser la courbe de l’horizon, cette nuit même, alors qu’elle souhaitait se faire éclater le corps des heures durant, toute la nuit, comme s’il ne restait que ec dernire festin à s’offrir. Oui, elle avait bien besoin des e donner de la jouissance, après l’exploit réalisé, en attendant de voir comment se lèverait le soleil. De toutes façons, le sort du jeune-homme était déjà scellé. Elle voulait l’utiliser juste pour l’opération, en soutirer du plaisir jusqu’à plus rassis, puis après, le jeter sur les décharges. “ p. 115

Livre : Beauté volées de Mara Lee, un thriller féminin dans le monde de l’art

Dimanche 7 mars 2010

Le premier roman de la poétesse Mara Lee a été salué par la critique suédoise. A raison. Cette histoire fascinante de vengeance entre femmes modèles, galeristes, poétesses et photographes entre Paris et Stockholm est désormais disponible chez Albin Michel.

La superbe trentenaire Léa dirige une galerie d’art à Stockholm. Elle partage avec sa meilleure amie, Mia le goût des hommes jeunes. La prochaine exposition de Léa doit être son coup de maître : la jeune-femme veut tendre un piège à une grande photographe qui l’a piégée et trahie. Or cette photographe voleuse de beauté, Siri alias Iris C., est aussi à l’origine de la paralysie de la meilleure amie de Mia, et de la décrépitude d’une poétesse misanthrope et vieillie avant l’âge : Laura. Pourquoi toutes ces jolies femmes tombent elles sous le charme de la fatale Siri ? Le goût de cette dernière pour la beauté justifie-t-il la manière dont elle manipule ses modèles –jusqu’à emporter leurs âmes.

Beauté volées est un portrait de Dorian Grey sans dandy, avec plusieurs clichés, beaucoup de femmes, et une structure temporelle magistralement complexe. En flash backs divers, l’auteure retrace les divers épisodes des trahisons de Siri pour les faire converger sur le vernissage de l’exposition organisée par Léa. Très juste sur le rapport réifiant des femmes à la beauté, le roman créé un parfum étouffant de rivalités féminines érotisées. Les hommes servent de sous-fifres ou d’étalons tandis-que les femmes se livrent des batailles sans merci- sauf lorsqu’elles se laissent hypnotiser par Siri. Les amours singulières sont aussi les plus cruelles, surtout s’il faut les subir en talons hauts dans une galerie ou devêtue face à l’objectif impitoyable de Siri…

Mara Lee, « Beautés Volées », trad. du suédois par Rémi Cassaigne, Albin Michel, 491 p., 21 euros, sortie le 8 avril 2010.

« Siri avait toujours son appareil photo sur elle. De temps en temps, elle le sortait et el braquait sur le visage gêné de Caro. Elle souriait parfois à contrecœur devant l’objectif, mais d’autres fois levait les mains en disant : « arrête ça !», et Siri cessait alors aussitôt. Mais lorsqu’elle montrait à Caro les tirages, Siri devinait dans ses yeux cette lueur, ce regard séduit qui avalait pour ainsi dire l’image, et elle savait qu’il suffisait de continuer. Il ne fallut pas longtemps pour que Caro ait envie de le faire – c’est elle-même qui finit par proposer une vraie séance de pose sérieuse, avec changement de vêtements, comme un vrai mannequin. Si possible quelque part où elles risqueraient d’être vues, c’était plus excitant » p. 250.