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Houellebecq : La Carte et le territoire, un excellent roman

Lundi 27 septembre 2010

Le cinquième roman de Michel Houlleebecq est encore une fois l’évènement de cette rentrée littéraire. Déjà réimprimé trois fois par Flammarion, il aurait dépassé les 200 000 ventes depuis le début du mois. Il est égalemetn sur la liste de sélection du Goncourt. Moins polémique (il a fallu aller jusqu’à chercher du copié sur Wikipedia pour tenter d’en lancer une) et plus tendre que les précédents opus, “La Carte et le territoire” est une réflexion sur la création dans laquelle Houellebecq n’oublie jamais de glisser un soupçon d’humour.

Jed Martin est un artiste minutieux et consciencieux. Il s’attache à représenter les objets et les êtres dans leur banalité lisse et belle de notre ère industrielle. Après avoir fait les beaux arts, il a poursuivi son projet d’entrée dans cette institution plusieurs années : il s’agissait de photographier des objets industriels. Puis, un jour, sur une route, en allant rendre visite à son père, il découvre avec stupeur la beauté des cartes Michelin. Lors d’une exposition collective, un œuvre de cette nouvelle série touche une des responsables de la communication de Michelin. Celle-ci s’avère également russe, belle et puissante. Elle obtient une exposition personnelle pour Jede t un joli contrat avec le n° 1 des pneus. Mais bientôt, elle droit repartir à Moscou. Les jolis mois de couple prennent fin pour Jed, qui se lance dans une nouvelle phase de son travail : repassant à la peinture, ils ‘attache à peindre tous les métiers de son temps, sans jamais mettre en valeur l’humain qui exerce une fonction. La série prend nécessairement un tournant plus autobiographique quand Jed peint son père, architecte, et tente de représenter le pape du star system de l’art contemporain : Jeff Koons. Alors que sa cote est assez bonne, son galeriste demande à Jed d’essayer d’obtenir pour son catalogue … une préface de Michel Houellebecq. Après une discussion avec son père, Jed décide d’aller rencontrer l’écrivain dans son fief irlandais. Cette rencontre est peut-être l’une des plus inspirantes de sa vie et Jed se met dans la tête de laisser tomber Koons pour faire un portrait de Houellebcq : c’est bien le portrait de l’artiste qui doit clore sa série.

“La carte et le territoire” est comme d’habitude chez Houellebecq un roman extrêmement bien écrit et chirurgical quant à l’observation sociale et psychologique des personnages qu’il met en scène. La structure du roman fonctionne parfaitement – en tout cas dans les deux premiers tiers- et on ne le lâche pas. La réflexion que Houllebecq transmet sur la création à travers ce personnage asocial, mais élégant et obstiné qu’est Jed est juste et profonde. Tout en dépeçant à la fois le milieu de l’art contemporain et le ghotta parisien, Houellebecq en profite pour avancer une analyse percutante de la création en général. Après un tel travail de décentrement, le fait qu’il apparaisse en personnage secondaire est plutôt signe de bonne santé mentale et de volonté de conserver l’humour et l’ironie dans ces domaines un peu trop sérieux. Mais Houellebecq a changé. Ce n’est pas tellement qu’il n’y a pas de partouze ou d’injures racistes dans le texte. C’est plutôt comme si on pouvait y lire une sorte d’apaisement et de tendresse pour ses frères humains. A ce titre, les quelques relations que Jed entretient sont solides et fières : s’ils ne se disent pas tout avec son père, et s’ils se comprennent peu, Jed met un point d’honneur à le sortir dîner, chaque Noël, alors que ce père a été – comme lui- un artiste mais qu’il a du y renoncer : par manque de talent et aussi pour gagner sa vie. Ce père a bien sûr été un peu absent, préoccupé par son travail, mais il a toujours été là pour Jed, après le suicide de sa mère, et pour l’encourager, à sa manière hésitante à devenir artiste. De même, la rencontre du personnage principal avec l’écrivain est un moment tendre, où personne ne fait semblant et tous deux exposent leurs faiblesses pour s’entraider. Bien sûr, ils ne se comprennent pas, mais ce n’est pas tragique, puisqu’ils s’entre-inspirent et tentent malgré tout de s’aider. Même les femmes ont des rôles doux, baignés de cette nouvelle tendresse : il y a la première maîtresse artiste à laquelle Jed repense toujours avec gratitude, et cette carrier woman russe qui le fait “arriver”, comme au 19 ème siècle, mais par amour vrai, non démenti. Bien sûr, il y a des rendez-vous manqués, des piques violentes d’ironies sur le monde des médias, de la pub, et de la police. Mais finalement tous sont attachants et s’attachent, comme dans les tableaux de Jed à remplir au mieux leur fonction. Et ce n’est pas un hasard si Houlelebecq trouve soudainement Jean-Pierre Pernault très avant-gardiste : le culte de l’authentique est moqué mais non dénoncé, dans un roman où tous les personnages finissent par ré-emménager dans la maison de leur parents ou de leurs grands parents, quelque part où la carte marque à peine le territoire, dans la Creuse où ailleurs. Ce désir de retour aux origines semble être la matrice commune, qui permet enfin à l’empathie résignée de dépasser la lumière glauque de bureau avec laquelle Houellebecq nous rejouait, à chaque roman, toute l’école de Francfort.

Michel Houellebecq, “La Carte et le territoire”, Flammarion, 450 pages, 22 euros.

On peut toujours, lui avait dit Houellebecq lorsqu’il avait évoqué sa carrière romanesque, prendre des notes, essayer d’aligner les phrases; mais pour se lancer dans l’écriture d’un roman il faut attendre que tout cela devienne compact, irréfutable, il faut attendre l’apparition d’un authentique noyau de nécessité. On ne décide jamais soi-même de l’écriture d’un livre, avait-il ajouté; un livre, selon lui, c’était comme un bloc de béton qui se décide à prendre, et les possibilités d’action de l’auteur se limitaient au fait d’être là, et d’attendre, dans une inaction angoissante, que le processus démarre de lui-même.” p.254.

Martin Page déclare à nouveau sa flamme à Paris

Mercredi 20 janvier 2010

Dans son nouveau roman, l’auteur de « On s’habitue aux fins du monde » et « Peut-être une histoire d’amour » campe un fonctionnaire de la mairie de Paris se trouvant engagé dans une entreprise de destruction et de reconstruction d’un morceau de la Capitale, à la suite d’une bavure policière. A la fois naïf et profond, le livre « La disparition de Paris et sa renaissance en Afrique » contrecarre l’apocalypse à grand renforts de tendresse.

martin-pageA Barbès, un jeune policier commet une bavure : alors qu’elle refuse poliment de lui montrer ses papiers, il frappe à la tête la grande femme d’affaire malienne Fata Okumi. Parce qu’il a donné tous ses pantalons à repriser et qu’il arrive un peu tard au travail, l’ « homme de l’ombre » qui écrit les discours du porte-parole du maire, se retrouve ambassadeur de Paris auprès de Lady Okumi. Une mission qui transforme en quelques jours cet homme tranquille…

Dans un style simple, réaliste, et parfois à la limite du tableau naïf, Martin Page décrit la psychologie d’un homme simple comme un paysage urbain. Avec un amour infini de Paris, un humour très poétique, et sans oublier de constater qu’un monde où un jeune policier blanc frappe avec une matraque une personne parce qu’elle est femme ou noire ou âgée est un monde en perdition, l’auteur saisit avec lenteur le bouleversement que peut provoquer une rencontre. Avec talent, et sans jamais perdre l’attention de son lecteur, Martin Page fait vivre tout le petit monde de son personnage principal pour le confronter à l’esquisse du grand monde de la famille Okumi. Et le choc des cultures n’a pas lieu ; la surprise d’un dialogue en pointillé laisse toute la place à une profonde compréhension. Dans la loi du Talion revue par Page, œil pour œil est la règle ; mais pas sans qu’apparaisse ailleurs, à Paris ou en Afrique, un autre regard prometteur.

Martin Page, « La disparition de Paris et sa renaissance en Afrique », L’Olivier, 16,50 euros.

« Personne aujourd’hui ne croit plus que les hommes politiques écrivent eux-mêmes leurs discours. Ils ont mieux à faire. Des gens comme moi jouent les Cyrano de Bergerac, écrivant les mots qui permettront à des hommes populaires de conquérir les cœurs. Et nous restons sans amour. Mais avec la conviction que nous participons à la naissance de choses qui en valent la peine. »p. 43

Rentrée littéraire : Terreur blanche

Mardi 11 août 2009

Comme chaque année, la fin du mois d’août amène dans les valises du retour des vacances le nouvel Amélie Nothomb. Une cuvée 2009 brève et sans grande inspiration.

nothomb

Le héros du nouveau roman d’Amélie Nothomb tente de se remettre d’un chagrin d’amour en se rendant intéressant. Au simple suicide du romantique, il préfère, l’éclat postmoderne du terroriste au bord d’un avion. Une formule somme toute banale pour avoir son quart d’heure syndical de gloire.

Pas la moindre trace de jalousie shakespearienne, ni de deuil pèlerin schubertien dans ce voyage d’hiver contemporain. Juste un employé moyen qui sans conviction s’apprête à faire sauter un avion pour se rendre intéressant. Son désespoir est bien amoureux et sa belle frissonne dans un appartement mal chauffé aux côtés d’une auteure au physique ingrat. Mais le romantisme d’arrête là et tout le reste n’est que terrible vide. On reconnaît la patte de Nothomb dans la velléité de faire la psychologie sans drame du terroriste peu inspiré, dans de jolis prénoms à coucher dehors (Astrolabe et Zoïle), et aussi dans le couple décalé que forment la dulcinée et l’auteure peu attirante qu’elle a pris sous son elle. Avec son étalage navrant d’aphorismes faciles, l’opus 2009 manque sévèrement d’inspiration. Point positif : le roman ne fait que 133 pages écrites en très gros caractères. Cela vous prendra donc environ une heure et demie de temps pour pouvoir en parler en connaissance de cause lors de vos dîners de septembre.

Amélie Nothomb, “Le voyage d’hiver”, Albin Michel, 15 euros.

« Ca me rappelle ma nièce Alicia, quatorze ans. Cette gosse est installée devant MTV depuis sa naissance. Je lui ai dit que si elle mourrait, elle verrait défiler un vidéo clip qui commencerait par Take That et se terminerait par Coldplay. Elle a souri » p. 12

Rentrée littéraire : Entre les tours

Jeudi 9 juillet 2009

Après le succès de son film, J’ai toujours rêvé d’être un gangster, Samuel Benchetrit reprend du stylo et livre pour la rentrée une journée bien particulière : celle d’un collégien de cité dont la maman a été arrêtée par la police au matin. Sortie le 18 août.

Charly est un jeune collégien. Il est né en France mais sa mère et son frère ont émigré du Mali. Le père a abandonné les siens, qui vivent tant bien que mal dans une cité ordinaire aux alentours de Paris. Le roman raconte une journée particulière dans la vie de Charly : celle où sa mère a été arrêtée par la police et où lui s’est caché pour ne pas être pris. Pas d’école, donc pour le pré-adolescent, mais une longue marche dans les dédales de la cité dont tous les bâtiments ont le noms d’artistes des XIXe et XXe siècle à la recherche de son frère, Henry, très intelligent, et très drogué, qui va peut-être pouvoir expliquer à Charly ce que les autorités reprochent à leur mère. Charly parle, parle, parle, dans une logorrhée réaliste d’enfant de dix ans bon en rédaction française. La vie qu’il décrit n’est pas affreuse: il y a l’amour que lui porte sa mère, et celui qu’il voue à Mélanie. Il y a de temps en temps un film, si possible de Charlie Chaplin, et ses bonnes notes à l’école.

Le Charly inventé par Samuel Benchetrit a l’élégance du polisson. Sympathique et affable, il décrit tout de son univers : des écharpes de Mélanie, aux dîners avec sa mère, en passant par ses trucs et astuces pour obtenir ce qu’il veut d’elle et les piles de livres de la bibliothèque municipale. Riche en détails, et lourdement « réaliste », la lecture déborde d’une « vie » un peu artificielle qui épuise le lecteur. A force de vouloir faire « vraisemblable », Benchetrit dégoûte le lecteur de vouloir connaître l’histoire de Charly. Arriver au bout des 297 pages est plus pénible que jouer quatre heures avec un véritable enfant de dix ans. Du coup l’on en oublie presque les conditions terribles dans lesquelles l’enfant babille : sa mère a disparu, il est à la rue, n’a pas un sou en poche et rien à manger. Quant à savoir si les voisins seront compatissants et serviables tous les jours, rien n’est moins sûr…

    Samuel Benchetritt, “Le coeur en dehors”, Grasset, 297p., 18 euros.

    « Au milieu du parc, il y a un manège pour les petits gamins. C’est souvent là qu’on se retrouve avec la bande. On s’assoit sur un banc, autour, et on regarde les mômes d’éclater à tourner dans leurs petites voitures. Oh je les adore les petits gamins. Quand j’en vois u qui se marre, je peux le regarder des heures. Et si j’en vois un qui pleure, ça me retourne le coeur, et je voudrais lui donner n’importe quoi pour qu’il arrête. Nous on n’a pas le droit de monter sur le manège. Rapport on est trop vieux et tout. Mais on en a pas envie de toute façon. Et puis le type qui s’en occupe est un sacré con .» p. 151