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Jan Karski, un héros en pôle position pour les prix littéraires

Jeudi 1 octobre 2009

En lice pour les prix Goncourt, Interallié et Femina, le « Jan Karski » de Yannick Haenel est un des grands romans de cette rentrée littéraire. Retraçant la vie passionnante du héros de la Résistance polonaise, le livre ne se lâche pas. Mais le message violent du livre et les inhibitions stylistiques que ce sujet inspire à Haenel posent problème. Peut-on vraiment parler de “Roman”?

Le héros polonais Jan Karski est à l’honneur en cette rentrée littéraire 2009, puisqu’il est un des personnages principaux du roman de Bruno Tessarech, « Les sentinelles » (Grasset), sélectionné pour le prix Médicis, et que Yannick Haenel lui a consacré un roman.

Émissaire entre la Résistance en Pologne et le gouvernement de Władysław Sikorski à Londres, Jan Karski a passé plusieurs fois la frontière de la Hongrie pour transmettre des informations vers Paris et Londres. Arrêté et torturé par les nazis, il n’a pas parlé et a réussi à s’enfuir. Karski a écrit lui-même ses mémoires en 1944, « Story of a secret state », qui a été un bestseller aux États-Unis, dès sa sortie.

En 2009, ce qui intéresse les  deux auteurs français chez Karski n’est, ni son activité d’espion, ni pourquoi il est resté aux États-Unis au début de l’année 1944 et y est demeuré, 40 ans, en tant que professeur d’ « Affaires est-européennes », à l’université de Georgetown.Ce qui fascine, c’est plutôt son rôle de témoin, au ghetto de Varsovie et dans un camp, qu’il a pris pour le camp d’extermination de Belzec. Pourquoi personne n’a-t-il entendu le témoignage de Jan Karski?  Le roman de Haenel se concentre sur cette question. Parce qu’elles ne l’ont pas cru, ou n’ont pas voulu savoir, les démocraties occidentales ont laissé faire la Shoah sans agir.

Au-delà d’une empathie pour les sentiments d’impuissance et de culpabilité de Jan Karski, c’est le procès de nos démocraties que fait Yannick Haenel, reprenant la bonne vieille thèse des années 1970, encore portée aujourd’hui par certains auteurs comme Giorgio Agamben, qu’il n’y a, au fond, pas de différence entre totalitarisme et démocratie.

Et Haenel va très loin quand il fait dire à son héros sortant d’un entretien infructueux avec Roosevelt :

« J’avais affronté la violence nazie, j’avais subi la violence des soviétiques, et voici, que de manière inattendue, je faisais connaissance avec l’insidieuse violence américaine. Une violence moelleuse, faite de canapés, de soupières, de bâillements, une violence qui nos exclut par la surdité, par l’organisation d’une surdité qui empêche tout affrontement.[…] Chaque fois, dans les pires conditions, j’avais réussi à m’échapper. Mais comment s’évade-t-on d’un canapé ? » (p. 128).

S’interroger sur la responsabilité de toute l’humanité, comme le faisait Hannah Arendt est une chose. Mais soutenir que l’Amérique de Roosevelt et l’Allemagne de Hitler, c’est finalement la même chose, est un amalgame facile et dangereux. Cela permet de jeter toute politique dans le même bain de sang, sans réfléchir à la manière dont il faut agir, selon l’impératif catégorique défini par Theodor Adorno, de manière à ce « qu’Auschwitz ne se reproduise pas ».

A côté de cette question de fond – et nous n’allons pas ici ressusciter la querelle des Bienveillantes, puisque nous sommes en démocratie, nos mollesses de canapé, permettent à Haenel d’écrire ce qu’il veut- la forme elle-même du livre interpelle. Yannick Haenel est bien loin de la divine surprise qu’avait provoquée « Cercle », dans ce « Jan Karski » qu’il appelle « roman ». Tout se passe comme si l’envergure historique de son sujet avait inhibé la plume de l’auteur.

La première partie est une description hachée, à la Marguerite Duras,et  image par image, du témoignage de Karski dans « Shoah », de Lanzmann.

La deuxième partie est tout simplement un pastiche à la troisième personne des mémoires de Karski.

La troisième partie est donc la seule à être « romancée », et c’est d’ailleurs là que Haenel fait dire à son héros tout le mal qu’il pense de la démocratie américaine. Il le fait dans un style certes clair, mais sans innovations, et attribue à Jan Karski des pensées qui semblent paradoxales, puisque ce dernier a bien passé les 40 dernières années de sa vie dans la ville-clé de la politique américaine :  Washington.

Notons finalement qu’il serait intéressant de se tourner vers les vraies mémoires du héros, publiées aux éditions Point de mire, en 2004.

Yannick Haenel, Jan Karski, Gallimard, 16,50 euros.

Voici le témoignage de Karki, en 1995, pour le USC Shoah Foundation Institute

Rentrée littéraire : Voir Saint-Pierre et Miquelon, écrire à Ava, et mourir

Dimanche 6 septembre 2009

Auteur jeunesse reconnu, notamment pour les Secrets de Faith Green (Castermann, 1998), Jean-François Chabas quitte l’enfance pour s’intéresser à l’autre bout de la vie. Son deuxième roman “pour les grands” , Les ivresses (Calmann-Lévy), rassemble les  lettres d’un homme de 36 ans condamné par un cancer.

On aime qui on peut, pas qui on devrait aimer” p. 190

ivresses-livreJonas a 36 ans lorsqu’il apprend qu’il est condamné par un cancer. Il en a pour un an, qu’il décide de passer dans une maison isolée de Saint-Pierre-et-Miquelon. Affaibli et un peu misanthrope, il essaie de continuer son art : le dessin, d’être le moins désagréable possible avec le jeune couple de voisins qui lui apporte à manger, et il décide de se confier à une jeune femme au nom de star et au caractère de lionne qui l’avait agressé à Paris : Ava. Manque de chance pour Ava, après la mort de ses parents naturels, et après avoir été maltraité par une tante, Jonas a grandi avec des parents adoptifs qui tenaient une salle de boxe… Il a donc su désarmer la jeune-femme de 18 ans. La narration avance au fil des souvenirs, des anecdotes d’une vie réduite par la maladie dans une île qui est loin d’être ensoleillée toute l’année, et des interrogations sur l’égoïsme de l’écriture, ou sur la possibilité de transmettre quoi que ce soit à une jeune-femme à peine sortie de l’adolescence. Riches d’aventures, et aussi de réflexion, les 36 petites années du jeune condamné contiennent assez de péripéties, de sentiments et de déceptions pour tisser la trame d’une vie achevée et bien remplie. Et c’est comme si l’écriture venait parachever cet accomplissement.

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Dans un texte simple et lumineux, Jean-François Chabas ramasse les années d’une vie courte, mais trépidante. Et le lecteur reçoit en même temps – ou à la place?- du personnage d’Ava des petites pépites de sagesse qui ont le goût vif et amer des fruits prématurés. Sans trop s’attacher au narrateur, on apprend beaucoup de lui, et on suit sa trajectoire avec une distance d’esthète, sachant qu’il s’agit d’un compagnon condamné. La forme des lettres permet à l’auteur d’être aussi direct que possible, dans ses informations et dans ses questions. L’impression qui se dégage du roman est présente dès la couverture, où l’on voit une esquisse de Rodin : l’achèvement du mouvement malgré le brouillon du trait, la force de la couleur bleue des îles, et le mystère d’un visage à jamais effacé.

Jean-François Chabas, Les Ivresses, Calmann-Lévy, 14,50 euros.

Petits bobos de vacances

Jeudi 20 août 2009

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L’auteur de « Rade Terminus » et de « Beau Rôle » (P.O.L.) rapatrie avec un sourire grimaçant ses personnages de Français bobos vers le continent. Après le jeune cabotin parisien Antoine Mac Pola, c’est au tour du demi-américain d’âge mur et normand pas tout à fait local, John Bennett d’être le faux mec détendu de l’histoire. Avec « Le Roman de l’été », Nicolas Fargues perfectionne son art de la satire « cool », et nous fait sourire d’un très beau jaune.

Fils d’un artiste local d’origine américaine, divorcé et père un peu léger, John Bennett décide de s’installer dans sa résidence secondaire de Normandie, à Vatenville, pour se mettre à écrire. Mais entre les voisins du cru qui souhaitent le convaincre de percer un mur de son jardin pour avoir vue sur la mer, sa fille Mary qui débarque avec son faux rocker de petit copain et une amie italienne diablement sensuelle, et les évènements politiques de Vatenville qui accueille, le temps d’une signature par un reporter un peu bidon, le Président le plus bling bling d’Histoire de France, il est bien difficile de commencer sa propre recherche du temps tué.

Au fil des romans, Nicolas Fargues progresse dans la satire du bobo sous toutes ses formes. Les caricatures se suivent sans se ressembler et sans épargner personne : le beauf local et sa femme, le faux rocker fils à papa, la jeune fille curieuse enfermée dans le rôle de belle plante sympathique (ça c’est un classique chez Fargues), le type des médias qui fait écrire ses livres par d’autres et ampoule les phrases pour marquer le vide de sa pensée, et enfin, le président Sarkozy lui-même, que Fargues n’épargne pas. La grande force de Fargues est que derrière la vacherie facile de la satire, ces archétypes de Français sont aussi émouvants. Les anti-héros sont sympathiques et l’on peut s’identifier à leurs doutes, à leurs affirmations-boucliers, et à leur manière médiocre mais si proche de la notre de vivre. Derrière la frange de cheveux blonds et les lunettes de soleil, Nicolas Fargues sait faire preuve d’une certaine empathie, qui rend ses références incessantes à notre pop-culture, et son sacre de l’instant social, un peu plus durable qu’il n’y paraît. De là à dire que l’écrivain est entrain de produire, volume après volume, la comédie humaine de ce début du XX e siècle, il n’y a qu’un pari à assumer… En tous les cas pris isolément, « le Roman de l’été » coule, fait grimacer délicieusement, et peut aussi se lire aussi légèrement que nécessaire.

Nicolas Fargues, Le roman de l’été, P.O.L., 19,50 euros.

Pour lire les premières pages du roman, cliquez ici.


“Hubert: son mètre quatre-vingt douze, son beau prénom idéalement suranné, sa voix grave, ses longues mains, ses cheveux, sa permanente barbe d’une semaine, son jean slim et ses converses pâles sales. Hubert le beau ténébreux aux poses hautaines éthérées, se rêvant Kurt Cobain, Pete Doherty ou Julien Casablancas […] Hubert qui pour le bus sussurait présent d’un air pénétré de mâle meurtri : “They all let me down/ In this town/ And now/ I know/ i’m alone/ On my own/ With that bone/ I’m alone/ On my own/ my own hound/ grown/ From the underground” p. 44

Rentrée littéraire : Lignes de femmes

Mardi 11 août 2009

Le nouveau roman de Véronique Ovaldé enchante et surprend. Jusqu’à toucher la corde sensible et délicate du mythe. Quatre générations de femmes indépendantes s’y succèdent, dans une Amérique latine imaginée. Sans conteste le plus beau livre de cette rentrée littéraire.

vera-candidaA quarante ans, après avoir longtemps vécu de ses charmes, Rose Bustamente se recycle dans la pêche et s’installe seule dans une petite maison au bord de la mer, à Vatapuna. Pauvre mais fière et heureuse, elle jouit d’une grande quiétude, jusqu’au jour où le milliardaire Jeronimo vient faire construire un palais dans le village et décrète que la maison de Rose lui bloque la vue. Avec infiniment de patience et malgré les rebuffades de Rose, il finit par la faire venir chez lui et l’enlève, comme dans un conte. Sauf que Jeronimo est loin d’être un prince : petit, mal foutu et mauvais amant, il se lasse petit à petit de Rose sans même avoir percé son mystère. Alors, elle rassemble les quelques robes qu’il lui a offertes, et retourne vivre dans sa cabane. Mais elle qui croyait être infertile se retrouve enceinte. Elle vit seule  avec sa fille, Violette, aussi jolie que sa mère mais très simple d’esprit, et qui couche très vite avec tout le village et se retrouve enceinte à l’adolescence. Malgré son amour, Violette est incapable de s’occuper de sa fille, Vera Candida, et Rose la matriarche vient chercher la petite et l’élève. Violette meurt très jeune, et Vera Candida apprend beaucoup de sa grand-mère. Lorsqu’elle aussi se retrouve enceinte à quinze ans, après avoir été violé, pour ne pas faire de peine à sa grand-mère, elle décide de quitter Vatapuna. Elle prend le bus pour la ville de Lhomeria, où elle survit comme ouvrière et culpabilise souvent de ne pas donner de nouvelles à Rose. Très bonne mère, elle vit presque en autarcie avec sa fille, Monica Rose, et se laisse très doucement séduire par un journaliste, Itxaga, qui prend la mère et la fille sous sa protection, après de longues années de patience. Mais il était écrit que c’est à Vatapuna que Vera Candida devait s’éteindre…

Fable enchanteresse évoluant autour de quatre figures de femmes fortes et mystérieuses, « Ce que je sais de Vera Candida » est un roman poétique, où Olvaldé invente tout un monde lointain. Les fidèles de Véronique Ovaldé retrouveront ses majuscules folles, et ces foules de détails si juste qui vont et viennent en ressac autour de ce mystère si troublant qu’est l’âme d’une femme. Contrairement à la défunte Irina de « Et mon cœur transparent » (L’olivier, 2008) les femmes sont bien présentes dans « Ce que je sais de Vera Candida », mais mues par un instinct de survie, elle agissent sans se révéler. Parfois elles se laissent envoûter par un homme, comme l’héroïne de « Les hommes en général me plaisent beaucoup » (Actes Sud 2003), mais quel que soit le degré de charme ou d’amour que les hommes peuvent leur procurer, elles se retrouvent toujours seules pour accomplir leur destin, en se recroquevillant sur une origine mythique. Le mythe est présent à chaque ligne, et sans qu’on puisse bien le saisir, on comprend comment à travers les forces et les faiblesses de quatre générations il participe à l’élaboration d’un monde éternel. Il y a du Garcia Marquez dans ce roman, et aussi du Duras, quand elle lit sa destinée à la lumière des origines indochinoises mythifiées. Son mythe, Ovaldé l’invente de A à Z. Il n’y a pas de comparaison possible, pas de piste biographique ou de référence érudite à saisir. Il suffit juste de se laisser porter par les légendes de Vatapuna pour retrouver ce qu’un roman réussi doit réaliser : nous parler par métaphores, le plus loin possible de nos nombrils.

Véronique Ovaldé, “Ce que je sais de Vera Candida”, L’Olivier, 2009, 19 euros.

« Vera Candida, un peu secouée de voir sa grand-mère se laisser aller à un apitoiement pâteux dont elle était si peu coutumière (mais comment Vera Candida aurait-elle pu deviner ce que ressentait une vieille femme qui perdait sa fille une nouvelle fois ?), obéit à celle-ci et grimpa la colline jusqu’à la Villa de ce grand père qu’elle n’avait jamais encore rencontré. Il vivait toujours dans sa maison en ruine et n’en sortait plus. Vera Candida portait une robe de coton rouge à bretelles, un châle crocheté noir et des tongs jaunes dont l’épaisseur de la semelle mesurait à peine plus de deux millimètres, ce qui lui permettait de sentir tous les infimes cailloux du chemin. Elle avait les cheveux nattés et arborait le même regard furieux que sa grand-mère. Avec le heurtoir, elle frappa à la porte au sommet des cent trente-deux marches (certaines manquaient, d’autres étaient recouvertes de lianes et dévorées par les intempéries, elle était tremblante mais tout de même un brin faraude, elle frappa une seconde fois la petite main de métal sur le support et entendit des loquets se décadenasser et des bobinettes choir. La vieille muette avait dû mourir depuis longtemps puisque ce fut Jeronimo en personne qui ouvrit, il avait les cheveux blancs et toujours les mêmes yeux verts d’iguane, il la vit et ne parut pas comprendre qui elle était » p. 79-80

Rentrée littéraire : les moires tissaient des cubes

Mardi 11 août 2009

Premier roman géométrique, « Cube » retrace le destin d’un jeune homme sans qualités à l’ombre ensorcelée de grands cubes de verres érigés par un milliardaire en son jardin. Quand l’amitié, l’amour et la carrière tiennent dans des boîtes translucides, la tragédie de la mise en bière n’est pas loin…

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Le narrateur a huit ans quand il fait intrusion avec son meilleur ami, Alexis dans le jardin bien gardé d’un milliardaire local, le Duke, pour percer le mystère des grands cubes translucides qui viennent décorer son jardin. Il se font prendre, vertement tancer par leurs parents, et la série des malheurs commence : la mère d’Alexis meurt peu après d’un cancer fulgurant, celui-ci déménage avec son père, et le narrateur se retrouve très seul. Mais les cubes magiques du Duke n’ont pas fini de le poursuivre… Aussi bien à vingt ans, alors qu’il rate deux fois médecine, qu’à quarante, quand il est devenu un financier à succès heureusement marié, les cubes continuent le lui dicter sa vie.

Un fantastique de province à la Alain Fournier vient épicer l’histoire d’un petit garçon aventurier devenu un homme bien banal. Artefacts de forme très humaine, oeuvres d’art, vivarium à serpents ou encore boules magique où l’on tourne en carré, les cubes de Yann Suty interpellent : plus l’on s’approche d’eux et du Duke, plus leur mystère échappe. Anti- peau de chagrin, ils s’étalent dans l’espace et dans la vie du narrateur qui frôle une folie toute géométrique et tombe dans l’indifférence des pires catastrophes de sa vie quotidienne.

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Yann Suty, Cubes, Stock, 18,50 euros.

« A vingt ans, je me présentais en effet sous la forme d’un grand tout mou dégingandé menaçant de s’envoler au premier coup de vent. Je ne savais que faire de mes mains. Les laisser pendre au bout de mes bras me paraissait tout sauf naturel. Aussi je les dissimulais dans les poches de mes pantalons ou mes manteaux. Tous mes vêtements s’en trouvaient du coup déformés. Sur le nez, j’avais chaussé des lunettes à lourde armature noire. La longue mèche graisseuse qui me couvrait le front donnait à croire que je portais un casque en permanence ; elle me faisait également ressembler à un Playmobil ; elle avait cependant le mérite de masquer une acné que les traitements les plus féroces ne parvenaient pas à éradiquer » p. 28

Rentrée littéraire : Factory Parano

Vendredi 7 août 2009

La plume vive et suédoise de Sara Stridsberg s’empare de Valerie Solanas, auteure féministe du SCUM Manifesto, et connue pour avoir tiré sur Andy Warhol en 1968. Mieux, Stridsberg saisit au vol Valerie Solanas et en fait ce qu’elle veut, c’est-à-dire un personnage de roman. Malheureusement la fascination tourne vite à l’ennui. Sortie le 26 août.

Dès le début du roman, Sara Stridsberg est catégorique : “La faculté des rêves n’est pas une biographie mais une fantaisie littéraire“. De manière volontairement décousue, l’auteure va éclairer certains aspects de son personnage, la mettant en scène dans son dernier lit d’hôtel, à la Factory, auprès de sa mère, Dorothy, dans son enfance, et à l’hôpital psychiatrique après avoir flingué le maître. Elle imagine aussi des dialogues entre elle-même et son personnage et les listes alphabétiques qui peuvent trotter dans la tête de la féministe violée dans son enfance et vendant son corps pour subsister malgré de brillantes études de psychologie et un certain succès d’estime pour le SCUM manifesto.

L’idée est intéressante. Sara Stridsberg pourrait par exemple nous prouver que le caractère hypnotisant de la psychose de Valerie Solanas avait complètement échappé aux annales de l’histoire. Elle pourrait aussi la laisser mystérieuse, à “trou”, un peu mystique et inabordable… Une femme vraiment fatale, en fait. Mais non. Dans un débit de texte qui semble ne jamais finir, Stridsberg est méticuleuse. De manière compacte, elle replace les évènements dans leur gangue historique, et sans fin elle fait répéter les mêmes convictions à un personnage qui se livre tellement qu’il n’y a plus de mystère. Juste beaucoup d’ennui. Car sans ellipse et sans queue, mais surtout sans tête, le délire sans désirs de la psychotique auteure de “Up your ass” est juste repoussant… sauf peut-être pour  deux personnages du livre : sa psy et l’auteure. Dommage qu’un des romans es plus ambitieux de cette rentrée littéraire, et dont l’écriture est la plus originale,  tombe finalement lourd comme plâtre…

Sara Stridsberg, “La faculté des rêves”, Stock, Trad. Jean-Baptiste Coursaud, 411 p.

En Bonus, un extrait du film d’Andy Warhol avec Valerie Solanas à l’écran : IA Man

“LA NARRATRICE : Je peux te tenir la main?

VALERIE : Non

LA NARRATRICE : Je peux m’asseoir à côté de toi quand tu dors?

VALERIE : Souviens-toi que je suis malade et que je vais mourir. Souviens-toi que je suis la seule femme ici qui ne soit pas folle.

LA NARRATRICE :I love you.

VALERIE :Fuck you” p. 83

Rentrée littéraire : Credit Crash

Lundi 27 juillet 2009

Avec « Pour une vie plus douce » (Stock), l’auteur Philippe Routier nous fait entrer dans le quotidien catastrophe d’un travailleur de la poste trop endetté et de son fils. A quel prix s’endette-t-on pour vivre le rêve Français d’être propriétaire de son petit pavillon de banlieue, avec barbecue, fausse cheminée, et télévision ? Sortie le 19 Août.

douceLui travaille sur une Plate-forme colis de la Poste, elle est ouvrière spécialisée dans une usine de tuyaux, leur premier dîner dans une pizzeria lambda et leur première partie de bowling révèle l’évidence : ils sont faits pour vivre ensemble. Et pas n’importe où, puisque à crédit ils peuvent s’offrir le pavillon de leurs rêves à Sartrouville. Mais l’ascension dans la hiérarchie bloquée de leurs entreprises est impossible et l’une après l’autre, les dettes s’accumulent, jusqu’à la catastrophe : elle divorce pour fuir la faillite, et lui garde l’enfant qu’il nourrit de moins en moins bien. A quel prix ces petites gens étaient-ils censés vivre le rêve capitaliste de consommation ?

Du point de vue de l’enfant à la fois ethnologue et aimant, Philippe Routier déroule le long fil narratif d’une catastrophe d’endettement annoncée. Dans un style aussi fluide que poétique, il décrit la petite vie non dénuée d’espoirs, d’amours et d’amitiés, de gens modestes mais vivant au-dessus de leurs moyens dans la banlieue parisienne. Cette humanité à l’horizon bloqué, et vivant dans l’angoisse des intérêts à payer, après une période d’endettement insouciant présentée comme un âge d’or rejoint celle que décrivait Emile Zola dans « L’Assommoir », il y a près de 150 ans. Du banquet de mariage aux actes monstrueux commis par la bête humaine acculée, c’est du même déterminisme (ici social et non biologique) qu’il s’agit. Dans quelle mesure la société de consommation est-elle responsable des actes tragiques des personnages? Philippe Routier pose la question avec beaucoup de subtilité, déroulant sa petite histoire sur un temps assez long (des années 1970 à une projection dans le futur proche) pour montrer que quelle que soit la société : industrielle, post-industrielle, ou post-post-industrielle, les rouage du capitalisme demeurent inchangés. Certains esprits modestes et naïfs peuvent se laisser entraîner par des envies matérielles jusqu’à se perdre eux-mêmes. Le fils réalise le rêve de ses parents, en devenant le propriétaire d’un petit café de Sartrouville, qui marche assez bien. Mais même arrivé à ce sommet, il végète, et seul, vivant jeune encore dans le deuil des meilleures années de sa vie. A l’image de sa mère, demeurée quarante ans au même poste d’ouvrière spécialisée dans une usine, et faisant partie des meubles que personne ne songe à remercier ou à féliciter, il est condamné à l’immobilité. Comment vivent les rouages de la base de nos sociétés, et les rêves d’ascension sociale ne sont-ils que des leurres les poussant à mieux accepter cette condition moderne d’esclavage ? Ou ont-ils fait de leur propre volonté les mauvais choix ? Une belle réflexion sociale, sans dénonciations outrées et surtout livrée sans ressentiment dans un écrin de langue immaculée.

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Philippe Routier, « Pour une vie plus douce », Stock, 167 p., 15,50 euros.
« Il avaient compris qu’avec les trois premières banques, ils seraient quittes de leur dette à quarante-six ans tandis que, avec la quatrième, ils devraient encore de l’argent jusqu’à cinquante. Cependant, que les quasi-quinquagénaires qu’ils deviendraient peut-être, ces inconnus sans doute ventripotents pour lesquels ils n’éprouvaient aucune sympathie, dussent vingt-cinq ans plus tard débourser de l’argent pour les jeunes gens radieux qu’ils étaient alors n’était franchement pas de nature à les embarrasser » p. 24

La course à l’enfant

Mercredi 15 juillet 2009

Un couple néerlandais de professeurs vit heureux et de manière classique, jusqu’au jour où la femme, Julia ,réalise qu’elle veut un enfant.

eho_meer3cCe désir de maternité arrive soudainement, à la vue d’une chaise d’enfant sur une bicyclette. Mais la barre de la quarantaine est proche et Julia et son mari Max n’arrivent pas à procréer. C’est donc sur les sentiers escarpés de l’adoption que le couple s’élance, Julia en tête, et Max à contre-coeur. Le chemin les mène par des voies peu légales dans un Pérou que Julia veut immortaliser pour raconter à son enfant d’où il vient. Après mille péripéties, Julia rejoint son mari aux Pays-Bas avec un être humain à charge, mais ce n’est pas forcément le nourrisson de leurs rêves.

Simple et juste sur les affres des ceux et celles qui veulent un enfant sans y parvenir, « Le voyage de l’enfant » ne s’appesantit pas lourdement sur les diverses méthodes médicales et légales de parvenir à ce but quand la grossesse ne se fait pas naturellement. On suit le personnage de Julia dans sa quête obstinée, qui la mène à apprendre l’espagnol, à espérer malgré tout, et à revoir ses attentes, en reformulant à chaque étape le sens de son puissant instinct maternel. La fin surprend, et apporte une touche de surréalisme presque bunuelien au roman.

Depuis la « Maison dans les dunes » (Eho) alias « Les invités de l’île », Vonne van der Meer nous a habitué à chercher en douceur les traces vivante du temps qui passe dans la tension que son écriture tisse entre ses descriptions et ses ellipses. Elle recommence avec succès dans son odyssée de la maternité où l’île n’est qu’un point de départ pour un bien long périple.

Vous pouvez lire le point de vue du traducteur en Français de Vonne van der Meer, Daniel Cunin, sur le blog des éditions Héloïse d’Ormesson.

Vonne van der Meer, « Le Voyage vers l’enfant », trad. Daniel Cunin, Eho, 176 p., 17 euros

« Descendre un chemin entre les dunes, sentir la mer avant même de la voir -rien n’est comparable à cette sensation. Voilà pourquoi elle venait ici ou sur l’une des autres îles de wadden au moins deux fois par an. Mais en ce jour, la seule odeur qu’elle sentait, c’était celle du cadeau d’anniversaire de mariage. Elle l’avait dans les narines, emballée, avec une faveur. » p. 13

Rentrée littéraire : Des diplomates de papier

Jeudi 9 juillet 2009

Auteur de plusieurs romans, historien et philosophe, Bruno Tessarech livre avec « Les sentinelles »(Grasset) une belle analyse de l’inaction des « alliés » face aux camps d’exterminations. Écriture classique, thème sensible, beaux personnages ayant pour la plupart réellement existé, le roman est certainement l’un des livres les plus marquants de cette rentrée 2009. Sortie le 1ier septembre.

Note: J’ai quand même raté ma station de métro à cause du bouquin, première bonne surprise de juillet.

Par ailleurs je n’ai pu m’empêcher de mettre une petite chanson satirique sur Wernher von Braun en illustration.

sentinellesTout commence à Evian, aux accords d’Evian, en 1938 où les nations plus très unies se renvoient de l’une à l’autre le problème de donner un sol aux réfugiés juifs allemands. Le seul personnage fictif du roman, Patrice, est un jeune diplômé de Sciences-po assistant avec une rage polie un vieux sénateur français du Quai d’Orsay si diplomate que les pourparlers ne mènent à rien. Un rien noyé dans les jolis principes des droits de l’Homme et des Lumières. Même le ministre des colonies -pourtant juif- George Mandel, refuse d’ouvrir les frontières de Madagascar. Suivent plusieurs anecdotes, à Paris, Berlin, Londres, Prague, ou La Havane, de témoins directs ou indirects de la destruction des juifs d’Europe. Pendant la guerre, à Londres, où Patrice a rejoint De Gaulle dès la première heures, les échos qui filtrent sur les camps de la mort, à partir de 1942, sont tellement soupesés, soupçonnés d’être de la contre-information ou simplement incroyables qu’aucune mesure n’est prise si ce n’est une vague déclaration des alliés contre les exactions nazies commises sur les populations civiles en général. Patrice se lie d’amitié avec Jan Karski, l’un des grands résistants d’un pays vraiment fantôme : la Pologne . Karski a tout vu à Vasrovie : le ghetto, les trains, les corps entassés, la chaux. Mais on ne veut le croire ni à Londres, ni à New-York. A Berlin, Kurt Gerstein devient fou dans sa tâche de responsable l’Institut d’hygiène de la Waffen SS, mais l’ambassadeur de Suède refuse de le croire quand il lui livre la vérité sur la nature de la Solution finale. Jugé à Paris en 1945, Gerstein de suicide, tandis-que son concitoyen, le célèbre ingénieur Wernher von Braun parvient à travailler sur ses fusées v2 dans le camp de Dora sans se douter de rien, et est accueilli à bras ouverts par les américains, pour qui il met au point des missiles balistiques. Le roman se prolonge jusqu’à la mort de Jan Karski, qui laisse derrière lui assez d’archives pour qu’après une carrière diplomatique aussi honorable qu’inutile, Patrice puisse témoigner qu’ils savaient et qu’ils ont laissé faire.

Jan Karski (1914-2000)

Se prolongeant dans le temps aussi loin que les « Lignes de failles » de Nancy Houston, le roman de Bruno Tessarech ne se tessarechgdpréoccupe pas de mémoire mais seulement de faits, d’Histoire, donc. « Les sentinelles » est en effet un concentré d’Histoire, sans autre concessions que celle du beau fil narratif de la langue. A travers diverses anecdotes pas toujours reliées entre elles, dont les personnages sont tous « historiques » (sauf Patrice), l’auteur montre dans un Français légèrement surannée, mais joliment saturée d’images que le monde savait et qu’il n’a rien fait. Si le texte de Tessarech se fait parfois moralisateur, c’est avec l’élégance d’un  discours d’Arsitide Briand à la SDN. Et il n’oublie pas de rappeler encore et toujours, notamment par la bouche de Roosevelt lui-même, cette question morale qui hantait les grands hommes de la Deucième Guerre mondiale: si une guerre est toujours « sale », à partir de quel moment doit-on tirer la sonnette d’alarme quand la violence semble dépasser toutes les limites de l’imaginable?

Un beau roman, fort, et qui se lit d’une seule traite.

Bruno Tessarech, « Les sentinelles », Grasset, 381 p., 19 euros.

« Patrice rédigea une note, qui partir aussitôt chez le général. Lequel convoqua deux jours plus tard son auteur pour lui tenir les propos suivants:

‘Il faudrait comprendre, monsieur Orvieto, que nul n’a encore inventé la guerre propre. Je vais vous choquer et je m’en excuse. Mais qu’après trois années de conflit nous comptions déjà les morts par millions, des soldats, des résistants, des Polonais, des Français des Juifs, eh bien moi, voyez-vous, ça ne me surprend pas trop. Sas doute parce que j’ai été moi-même sur le front, une expérience que peu d’entre vous connaissent. Ma réponse à votre note, elle tient en une phrase, que voici : commençons par gagner cette guerre, nous pleurerons nos morts ensuite’» p. 249-250.

“Once the rockets are up, who cares where they come down

That’s not my department,” says Wernher von Braun

Rentrée littéraire : Entre les tours

Jeudi 9 juillet 2009

Après le succès de son film, J’ai toujours rêvé d’être un gangster, Samuel Benchetrit reprend du stylo et livre pour la rentrée une journée bien particulière : celle d’un collégien de cité dont la maman a été arrêtée par la police au matin. Sortie le 18 août.

Charly est un jeune collégien. Il est né en France mais sa mère et son frère ont émigré du Mali. Le père a abandonné les siens, qui vivent tant bien que mal dans une cité ordinaire aux alentours de Paris. Le roman raconte une journée particulière dans la vie de Charly : celle où sa mère a été arrêtée par la police et où lui s’est caché pour ne pas être pris. Pas d’école, donc pour le pré-adolescent, mais une longue marche dans les dédales de la cité dont tous les bâtiments ont le noms d’artistes des XIXe et XXe siècle à la recherche de son frère, Henry, très intelligent, et très drogué, qui va peut-être pouvoir expliquer à Charly ce que les autorités reprochent à leur mère. Charly parle, parle, parle, dans une logorrhée réaliste d’enfant de dix ans bon en rédaction française. La vie qu’il décrit n’est pas affreuse: il y a l’amour que lui porte sa mère, et celui qu’il voue à Mélanie. Il y a de temps en temps un film, si possible de Charlie Chaplin, et ses bonnes notes à l’école.

Le Charly inventé par Samuel Benchetrit a l’élégance du polisson. Sympathique et affable, il décrit tout de son univers : des écharpes de Mélanie, aux dîners avec sa mère, en passant par ses trucs et astuces pour obtenir ce qu’il veut d’elle et les piles de livres de la bibliothèque municipale. Riche en détails, et lourdement « réaliste », la lecture déborde d’une « vie » un peu artificielle qui épuise le lecteur. A force de vouloir faire « vraisemblable », Benchetrit dégoûte le lecteur de vouloir connaître l’histoire de Charly. Arriver au bout des 297 pages est plus pénible que jouer quatre heures avec un véritable enfant de dix ans. Du coup l’on en oublie presque les conditions terribles dans lesquelles l’enfant babille : sa mère a disparu, il est à la rue, n’a pas un sou en poche et rien à manger. Quant à savoir si les voisins seront compatissants et serviables tous les jours, rien n’est moins sûr…

    Samuel Benchetritt, “Le coeur en dehors”, Grasset, 297p., 18 euros.

    « Au milieu du parc, il y a un manège pour les petits gamins. C’est souvent là qu’on se retrouve avec la bande. On s’assoit sur un banc, autour, et on regarde les mômes d’éclater à tourner dans leurs petites voitures. Oh je les adore les petits gamins. Quand j’en vois u qui se marre, je peux le regarder des heures. Et si j’en vois un qui pleure, ça me retourne le coeur, et je voudrais lui donner n’importe quoi pour qu’il arrête. Nous on n’a pas le droit de monter sur le manège. Rapport on est trop vieux et tout. Mais on en a pas envie de toute façon. Et puis le type qui s’en occupe est un sacré con .» p. 151