Articles taggés avec ‘Oscar’

Dans ses yeux, un Oscar plus que mérité

Lundi 7 juin 2010

Oscar du meilleur film étranger cette année, le film argentin de Juan  José Campanella mélange comédie romantique et polar en flash back. Un film où la tendresse, l’amour et le sens de la justice coexistent avec la folie, la patience et le joyeux bordel de l’administration argentine. Zéro faute dans cette grande oeuvre pour le réalisateur de “Fils de la mariée” et des “Neuf  reines” qui retrouve une fois encore son merveilleux acteur fétiche : Ricardo Darin.

Adapté du roman d’Eduardo Sacheri, “la Pregunta de sus ojos”, “Dans tes yeux” met en scène Benjamin Esposito (irrésistible Ricardo Darin), un clerc que sa retraite encourage à revenir sur le cas qui l’a le plus marqué, dans une ébauche de roman. En 1974, il a été amené à enquêter sur le viol et le meurtre violent d’une jeune femme de 23 ans. Coiffant au poteau l’officier de police chargé de l’enquête, Esposito découvre l’identité de l’assassin en feuilletant les vieilles photos de familles. la lueur d’avidité dans les yeux d’un ami d’enfance de la morte le met sur la bonne piste. Mais le meurtrier n’est pas facile à coincer… surtout si ses supérieurs de la justice argentine lui mettent des bâtons dans les roues. C’est avec l’aide de son collègue ivrogne (fantastique personnage incarné par Guillermo Francella) et de sa jeune, jolie, et bourgeoisie supérieure directe, Irène (Soledad Villamil, meilleur espoir féminin aux Goyas), cette année) qu’Esposito se lance à la poursuite de cet homme… 25 ans après cette enquête continue de hanter Esposito, mais aussi ses collègues et le veuf de la jeune femme assassinée. Rouvrir les zones d’ombres du passé semble bien avoir des conséquences sur le présent pourtant désespérément rangé de tous ces personnages.

Humain, drôle, parfaitement construit et très poétiquement filmé, “Dans ses yeux” ménage son suspense à grands renforts de sentiments et de retour de souvenirs. Le romantisme est là, les archétypes aussi, et on se glisse dans les Buenos Aires des années 1970 comme dans une  seconde peau. Fidèle à son quartier natal d’Avallaneda et à sa ville d’adoption, Buenos Aires, dans “Dans ses yeux”, Juan José Campanella creuse la même matière comique et émouvante qui portait le bouleversant “Fils de la mariée” et il le mélange au suspense drôle qui avait fait le succès international des “neuf reines”. Du point de vue des idées et des adhésions, le film est tout aussi riche et généreux : dans des dialogues étincelants, les réflexions sur la peine de mort ou sur les carences de la justice prennent une dimension à la fois simple, directe, et juste. Porté par des comédiens de génie, “Dans tes yeux” est certainement le film le plus accompli et le plus riche actuellement sur nos écrans.

“Dans ses yeux”, de Juan José Campanella, avec Ricardo Darin, Guillermo Francella, Soledad Villamil), Agentine, 2009, 127 min.

Lecture érotique, lecture historique

Dimanche 12 juillet 2009

Kate Winslet a reçu l’Oscar cette année pour son rôle dans « Le Liseur », tiré du best-seller de Bernhard Schlink. Une récompense bien méritée… Sortie le 15 juillet.

Dans l’Allemagne de l’Ouest des années 1950, une jeune homme de quinze ans connaît ses premiers émois sexuels avec une femme qui a le double de son âge, de milieu plus modeste et surtout pas très bavarde. La romance entrecoupées de lectures à voix haute des ouvrages au programme du collège dure un été, après lequel la maîtresse disparaît…Pour refaire surface dans la vie du jeune étudiant en droit dans le box des accusés au procès de Nuremberg. Par fidélité pour cette femme qui l’a tant marqué et condamnée à la prison à vie, le jeune adulte lui envoie des cassettes où il a enregistré de grands classiques de la littérature mondiale.

“The reader” arrive tard en France et entouré d’un halo discret de controverse attendue (voir l’article de Ron Rosenbaum publié dans Slate). Il est simplement respectueux du roman de Bernhard Schlink qui avait déjà choqué certains. Il est vrai que mélanger le « Blé en herbe » et « Eichmann à Jérusalem » est un pari risqué, le risque étant de tomber dans le lit sordide de ce que Susan Sontag avait condamné sous le terme « fascinant fascisme ». Il y eut en effet dans les années 1970 toute une vague sous-culturelle qui érigeait le nazisme en fétiche sexuel. Et un film, bien plus qu’un texte, risque de produire cet effet dérangeant en mêlant Histoire et images de corps nus. Or, « The reader » évite cet écueil grâce à la performance de Kate Winslet, époustouflante en bourreau ordinaire. Yeux butés, ne parlant qu’avec le corps, forçant à peine sur l’accent allemand, elle conserve toutes les zones d’ombre de son personnage, dans une espèce de don intègre et animal. En face, le jeune David Kross a le diable au corps très frais, l’innocence le vide dans la tête, et les cassettes de son étudiant dans les oreilles. Seul Ralph Fiennes jouant le personnage adulte ne sert absolument à rien, égal à lui même dans son éternel rôle du type dont les grands yeux gris et vides cherchent à se débarrasser du poids du monde. Toujours féru de belle images depuis Billy Elliot et The Hours, Stephen Daldry continue dans cette lancée réaliste, pour notre plus grand plaisir. La partie finale du film, sur la mémoire entre New-York et un cimetière, vient un peu plomber le fil de l’histoire pour la faire tomber dans le mélo. Mais les trois premiers quarts sont si poignants que l’on pardonne volontiers cette erreur attendue de fin de parcours.

« The Reader », de Stephen Daldry, avec Kate Winslet, David Kross, Ralph Fiennes, 2h04 min.

Voir aussi notre article sur le livre de Bernhard Schlink.