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Music for a while

Jeudi 27 juin 2013

Pas très motivée et en mode “mes yeux se ferment devant un thriller suédois”, je prends le clavier pour évoquer le moment fort de ce soir au châtelet, main dans la main avec ma grand-mère pour écouter la soprano coréenne Sumi Jo. Techniquement impeccable, et répertoire étrange, dont un début baroque qui nous a surprises, avec un moment assez intense sur l’air de Purcell “Music for a wile”. Combien de fois l’avons-nous entendu ensemble, avec ma mélomane de grand-mère, quand on parcourait l’Europe à la poursuite de récitals de contreténors, il y a de cela une quinzaine d’année. La beauté du texte, les serpents qui “drop drop drop” comme des larmes, le fantôme de la voix de James Bowman sur le disque, et c’était une émotion parfaitement apaisante de pouvoir, 15 ans après, écouter avec autant de plaisir et d’apaisement ce morceau ensemble. La suite du concert nous à moins touchés, mais nous étions sur la même longueur d’onde, pas d’impatience, un joli dîner au Zimmer dans la demi-douceur d’un soir de juin qui semblait élastique.

Mon rapport compliqué avec la Flute enchantée

Samedi 17 décembre 2011

J’ai commencé à entendre les plus grandes voix dans les jupes de ma grand-mère à l’âge de 14 ans. Incapable de lire une note, je réalisais quand même quelle était ma chance, et suis probablement devenue très exigeante. Or soir, il était donc bien normal que j’aille avec ma complice lyrique de toujours voir la version ultra-attendue de La Flute enchantée de Mozart par l’artiste surdoué William Kentridge  et l’ensemble Matheus dirigé par JC Spinosi. J’ai découvert Kentridge très tard, il y a deux ans lors de la rétrospective du jeu de Paume. Mais j’y vite mis bouchées doubles : je suis allée voir trois fois, tellement son œuvre à la fois naïve et finen politique et purement esthétique, ancrée dans l’histoire de l’Afrique du Sud mais prête à poser toutes les questions qui fâchent, m’avait happée. Je me suis donc dit que Kentridge était le seul à pouvoir me rendre la Flute Enchantée enfin à nouveau digeste.

Je crois que je n’ai vu qu’une seule fois la Flute sur scène, avant ce soir. Tout simplement à Bastille, et dans la mise en scène de Bob Wilson (qui m’horripile), avec la voix inimitable de Nathalie Dessay dans le rôle de la Reine de la Nuit. C’était il y a  dix ans. Déjà, j’avais mon opinion bien tranchée ( ce qui est toujours mauvais signe): dans Mithridate, Les Noces, l’Enlèvement ou Don Juan, je buvais du petit lait de l’ouverture au final. Dans Cosi, Idoménée et surtout la Flute, je rongeais mon frein devant la bêtise finie de l’intrigue en attendant les arias qui me faisaient planer.

Après, après, j’ai vu le Don Juan de Losey, une fois, puis deux, puis dix, et j’ai décidé que je ne supporterais aucune autre vision de l’opéra et aucun autre tombeur de Raimundi. Exueunt donc les masques de souris  inventifs de Hanneke, très peu pour moi merci. Pour la Flute cela a été encore différent. Les méandres pseudo spirituels de Tamino m’ont toujours stressée…  Après avoir vu le Portier de Nuit de Liliana Cavani, ils sont carrément devenus traumatiques. Pour faire simple : dans le film une jeune femme et son bourreau dans les camps reprennent leur liaisons dix ans après la guerre à Vienne. Elle, c’est Charlotte Rampling, femme d’un célèbre chef d’orchestre américain, lui c’est Dirk Bogarde, portier de l’hôtel où elle est descendue. Ils se jaugent pour la première fois à l’opéra alors que le mari conduit, devinez quoi? La Flûte enchantée! Et Cavani insère des flash-backs dans les camps, à ces jeux de regards inquisiteurs sur fond mièvre et débile des Pamina et toute la clique luttant contre les forces “du mal” (ie : une reine un brin ridicule et très acariâtre)…

Après ça, Allergie: Même les premières images du film de Bergman m’ont donné plus la nausée que 47 paquets d’ours en gélatine Haribo. J’ai donc consciencieusement évité la Flute et même en envoyant Amadeus, je pressais “fast forward”au moment biographique où… Et puis il y a eu Kentridge, et l’évidence: il faut y aller… non sans appréhension. En un sens j’avais raison d’aller secouer mes ornières: l’artiste dénonce impeccablement les travers nunuches, simplificateurs et politiquement dangereux, de l’opéra. Ca, plus la beauté de son coup de crayon et de ses jeux avec “Les Lumières” m’ont en quelques sortes réconciliée idéologiquement avec l’œuvre : si elle est à ce point criticable, si elle donne ainsi prise, elle n’est plus à prohiber de mon petit panthéon et je peux à nouveau sourire en écoutant papageno et papagena se faire la cour dans la langue que je préfère au monde. Mais d’un autre côté avouons le, malgré les beautés de Kentridge et les trésors d’énergie déployés par le chef d’orchestre, je me suis fermement ennuyée (et ai même violemment piqué du nez, fois-je avouer). Ça m’a semblé tout simplement interminable. Beau et interminable. C’était certainement dû à la qualité moyenne-haute des voix, à part Piaud et le baryton qui interprétait Papageno, et évidemment à l’heure et demie d’errement du premier acte, que la voix de poussin de cette reine de la nuit sans couleur, ni odeur, ni saveur n’a pas su couper comme du mauvais vin.

Conclusion : d’un rapport moral compliqué, je suis passée à une vision de pimbêche blasée sur le dernier opéra de Mozart, bravo pour le progrès!

Pour l’article du Kentridge de ce soir, c’est  déjà ici (ça se passe comme ça chez toutelaculture.com).

Opéra : Dans la colonie pénitentiaire de Philip Glass à l’Athénée

Jeudi 8 avril 2010

Après “The Rake’s progress” d’Igor Stravinsky en novembre dernier, le théâtre de l’Athénée propose un autre opéra au livret littéraire : “Dans la colonie pénitentiaire” est une nouvelle de Franz Kafka, mise en musique par le grand Philip Glass et interprété par leQuintette à cordes de l’Opéra national de Lyon. Le résultat est un vrai spectacle total, d’une grande qualité musicale, avec danse, jeu, et une mise en scène convaincante signée Richard Brunel.

Réfléchir sur discipline est à la mode. Hier soir la machine de torture de la colonie pénitentiaire  imaginée par Franz Kafka en 1914 s’est déplacée du musée d’Orsay où elle trône dans l’exposition “Crime et Châtiment”, pour se mettre en mouvement au son des vents polyphoniques de Philip Glass. Et Robert Badinter, à l’origine de l’exposition à Orsay était dans la salle du théâtre Louis Jouvet pour assister à  la première de cette métamorphose. Gommant le fantatsique de l’inquiétante et étrange nouvelle de Kafka pour en donner une lecture proprement politique Glass, Brunel et le librettiste Rudolph Wurlitzer ont mis l’accent sur la neutralité coupable du visiteur de la colonie pénitentiaire. Respectant le tragique “en temps réel” de la nouvelle, l’opéra de chambre recentre la tension sur la cauchemardesque machine de punition inscrivant à la herse et dans le dos de condamnés qui ne savent pas qu’ils ont été jugés ni pourquoi le motif de leur punition. Faisant le lien entre le système de surveillance (les fameuses “sangles” qui tiennent les membres des suppliciés pendant les heures) et le système de biopouvoir totalisant (qui a prise directement sur les corps), cette machine donne à l’injustice l’idéologie (selon Hannah Arendt étymologiquement : la logique d’une idée) qui convient pour que tous l’acceptent même si plus personne ne festoie au spectacle de la machine en marche, comme cela a pu être le cas dans des temps barbares et passés.

En marche la machine de l’opéra l’est tout au long des 16 tableaux composés par Glass: l’orchestre d’instruments à vents se déplace et la machine se construit peu à peu dans une tension presque intenable et envahit toute la scène. Des lambeaux de peau viennent à peine s’interposer entre la torture et le spectateur pour mieux le laisser imaginer la cruauté. Et pourtant, que la cruauté est belle dans ce mouvement inexorable! la musique tonale de Glass, les scènes de danse entre les victimes et les bourreaux, les tours et détours mesurés de la machine, l’anglais si propre des colonisateurs et du visiteur et même le sang final se répandant en volutes viennent envoûter et fasciner le spectateur. Seuls quelques cris et des bruits de radio viennent le déloger de cette douce torpeur au cœur des ténèbres. Les deux voix d’hommes qui se répondent, celle chaude et grave de l’officier et son souci de préservation de la “tradition” (Stephen Owen) et celle plus haute et étonnée du visiteur immaculé qui prend calmement ses notes (Michael Smallwood) participent de cette inquiétante étrangeté du beau là où l’on attend le bruit et la fureur.

On ne peut que saluer bien bas toute l’équipe de cette colonie pénitentiaire pour la qualité exceptionnelle du spectacle, et la gêne qu’elle parvient à créer. Une gêne qui pousse celui qui ne peut pas fuir à longuement réfléchir.

“Dans la Colonie pénitentiaire”, de Philip Glass, livret de Rudolph Wurlitzer d’après la nouvelle de Franz Kafka, mise en scène Richard Brunel, direction du Quintette à cordes de l’Opéra national de Lyon : Philippe Forget, scénographie Anouk Dell’Aiera, avec Stephen Owen, Michael Smallwood, Nicolas Henault, Mathieu Morin-Lebot, Gérald Robert-Tissot, jusqu’au 17 avril, mercredi, jeudi, samedi, 20h, mardi 13 avril, 19h, dimanche 11 avril, 16h, Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, 7 rue Boudreau, Paris 9e, m° Opéra, 40 € à 18 € (TR dont moins de 30 ans, 31 € à 14 € e le jour même, de 20 € à 9 €).

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.

Salomé de Strauss à l’opéra Bastille

Jeudi 5 novembre 2009

A partir du 7 novembre, la soprano finnoise Camilla Nylund incarne sur la scène de l’opéra Bastille l’héroïne de Wilde et Strauss. Un spectacle fort, porté par des voix tout aussi puissantes.

“Une femme demande-elle jamais la tête
D’un homme qu’elle n’aime pas ?”
Heinrich Heine, “Atta Troll”, 1848.

Il était une fois une jeune fille de douze ans qui danse pour son beau-père lubrique. En cadeau, elle demande, sur un plateau d’argent, la tête du prophète Jean-Baptiste après qu’il l’a repoussée. Lorsque Salomé embrasse la tête coupée et saignante de Jean-Baptiste, la perversion est  à son comble…

Gustave Moreau, L'Apparition

Inspiré de l’histoire biblique et transposant intégralement la pièce écrite par Wilde en Français, “Salomé” est probablement le plus bel opéra de Strauss. La fameuse danse des sept voiles est une orientalisation géniale, et le silence trouble de l’exécution du prophète laisse sans souffle.Tenir le rôle-titre est une gageure, car il faut à la fois, la voix, les formes et la grâce d’incarner la princesse de Judée. Alors que Karita Mattila est LA Salomé des années 2000, le défi était difficile à relever pour Camilla Nylund. Lors de la générale de Salomé à Bastille mercredi, malgré une petite chute dans les escaliers pendant la danse, on peut dire que la soprano finnoise est une très belle Salomé, notamment grâce à l’énergie du chef d’orchestre Alan Antinoglu,et à la beauté des deuxièmes voix : Thomas Moser, fantastique Hérode, et surtout,la puissante mezzo-soprano suisse Julia Juon, Dans le rôle de Jochanaan, le très attendu Vincent Le Texier était un peu plus faible.

Franz von Stuck, Salomé

Classique, la mise en scène (reprise) de Lev Dodin est allée chercher du côté du symbolisme allemand et notamment de Franz von Stuck, pour donner une certaine obscurité aux flamboyantes orientalistes de la musique. Afin de prévenir les frustrations, annonçons tout de go que Salomé ne finit pas nues après la danse des sept voiles… et ce n’est pas plus mal. Le conciliabule des rabbins qui marmonnent dans un allemand teinté de yiddish est très coloré, et le côté patio de palais du décor fixe donne beaucoup d’espaces aux chanteurs.

Une belle production, reprise avec succès, à voir avant le 1ier décembre.
Voici la danse des 7 voiles dans les décors de Lev Dodin, par Karita Mattila :

“Salomé” de Richard Strauss, avec Camilla Nylund, Thomas Moser, Julia Juon, et Xavier Mas, mise en scène : Lev Dodin, direction : Alan Antinoglu, Opéra Bastille, 20 rue de Lyon, Paris 12e, m° Bastille, les 7, 10, 13, 16, 19, 22, 25 novembre et 1ier décembre, 1h40 sans entracte, 5 à 138 euros.

Opéra : Angelika Kischlager dans Kurt Weill au TCE

Dimanche 13 septembre 2009

La première a eu lieu hier, et la dernière se passe lundi. L’immense mezzo-soprano Angelika Kirschlager interprète à la suite le Mahagonny Songspiel et les Sept pêchés capitaux du tandem Brecht/Weill. Une version de grande qualité d’un classique trop peu connu en 60 min top chrono.

Un rideau moiré s’ouvre sur une joyeuse troupe sortie des années 1930 s’activant au milieu de valises de tailles diverses. Le public est directement placé dans une ambiance d’exil sublimé en conquête d’une ville utopique. Expérimental, le Mahagonny Songspiel ou « Petit Mahagony » est une cantate qui prépare le grand opéra de Kurt Weill, Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny. Mais il contient le principal : le fameux « Alabama song » popularisé par les Doors dans les années 1960 et que les délicieuses Angelika Kirschlager et Catherine Hunold entonnent avec moins de sex-appeal mais bien plus de justesse que Lotte Lenya.

sept-peches-capitauxPlus classiques, mais toujours dans l’ombre du trench brillant de Kirschlager suivent les Sept pêchés capitaux, qui font un come-back remarqué, sous les auspices du chiffre diabolique 66 puisque le ballet chanté a été créé en 1933 au TCE même. Mettant de côté la danse pour laisser tituber Kirschlager sur les tables, la talentueuse metteuse en scène Juliette Deschamps a su moderniser l’oeuvre avec une jolie projection vidéo, dont l’inspiration oscille entre Pabst et Viola ,pour un cri expressionniste plus proche de nous. Avec peu de moyens et peu de personnages, la mise en scène sait ménager le chou, la chèvre et les dents de la biquette: c’est avec légèreté que les messages distanciés et politique de Brecht sont convoyés, l’ironie populaire injectée et l’aspect religieux est fort bien rendu.

L’histoire est celle de deux sœurs, Anna et Anna qui quittent leur Louisiane natale pour réussir aux Etats-Unis et revenir au pays avec assez d’argent pour se bâtir une maison ; elles passent par 7 grandes villes américaines où elles sont confrontés aux 7 pêchés capitaux, danser nues et vendre leur seul outil de travail : leur corps, ne faisant pas partie des pêchés.

La voix échauffée, Angelika Kirschlager est tout simplement sublime, et se transforme en flapper éméchée au rythme de l’Ensemble Modern conduit par Jérémie Rhorer. Mention spéciale pour la géniale costumière Macha Makeïeff qui parvient à affubler les personnages de motifs fleuris et de combinaisons rose framboise pour nous égayer sans les rendre vulgaires.

Deux perles rares à découvrir très vite lundi soir !

Lundi 14 septembre, 19h30, Théâtre des Champs Elysées, 15 avenue Montaigne, Paris 8e, M° Alma-Marceau, 5-135 euros.

Anselm Kiefer : Requiem pour un vieil artiste

Jeudi 9 juillet 2009

Pour fêter son départ et les 20 ans de l’opéra Bastille, Gérard Mortier a donné carte blanche à l’immense plasticien Anselm Kiefer. Celui-ci a donc engagé le compositeur Jörg Widman et planté le décor d’une fable germano-biblique : “Au commencement” (Am Anfang).

kiefer2Si pour son couronnement au Grand Palais lors de “Monumenta” en 2007, l’artiste allemand, avait montré toutes les gammes de son savoir-faire, ce “Commencement” musical est à la limite de l’irrespect pour un public qui a du mal à remplir la salle et encore plus de mal à ne pas en partir avant la fin des litanies.

Dès le début, la pièce tombe à plat sur une grande toile en premier plan qui ressemble à une parodie d’Anselm Kiefer et représentant une mappemonde jaune affligée d’un croissant fertile dessiné maladroitement.  Par dessus, la voix d’un Denis Podalydès – pour une fois pas convaincu du tout- lit un texte plus que médiocre (le seul non tiré de la Bible) sur Ninive, Babylone, …. Berlin!

Pour le décor, Kiefer n’a rien crée, reprenant ses grandes tours mi-Babel mi-Auschwitz  et les posant sur une scène qui ressemble à ses tableaux de constellations. La scène est vide, sauf quelques “Trümerfrauen”  aux allures de déportées (ces femmes qui reconstruisaient Berlin avec les main en 1945) faisant cliqueter inlassablement une heure et demie durant des pierres. Une pauvre comédienne  Geneviève Boivin (Dominique blanc s’est décommandée) est sensée représenter la Chekhina d’une voix d’autant plus grandiloquente qu’elle ne comprend pas trop le texte de l’Ancien Testament qu’elle énonce.  Absolument rien à signaler du côté de la musique post-Deuxième Guerre de Jörg Widman, sensée être dérangeante. On attendait du Zimmerman, on attendait du Zorn, et on écoute une vague soupe en déséquilibre.

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Le texte même d’explication du projet d'”Am Anfang” ne tient pas la route. Kiefer a transformée la Chekhina, qui dans la tradition mystique juive, est la présence de Dieu dans le monde, en incarnation “du peuple juif élu et banni“, c’est-à-dire aussi en celle du peuple allemand maudit et condamné à entrechoquer des pierres.

“Au commencement dit l’accablement d’un monde, affairé à dénouer les drames pour mieux recréer un espace vide. Un espace constitué d’atomes, qui nous permet de juger avec sérénité de ce qui adviendra, de discerner l’horizon où nous réfugier, d’anticiper l’adieu”

Nous savons tous que c’est le choc de l’Allemagne détruite où il est né  et la conscience de ce qui s’est passé sous le Troisième Reich qui ont forcé Anselm Kiefer à créer. Mais dès le début, avec ses happenings où il faisait le salut hitlérien, Kiefer a toujours été ambigu. L’adhésion à une théologie négative lui a permis de conserver la force d’une transcendance, mais d’égaliser et donc d’anihiler tout ce qui existe.  Ainsi le texte n’est-il constitué que d’oxymore; l’espace scénique doit “être vide” parce qu’il est “constitué d’atomes”. On est d’autant mieux protégé qu’on est accablé etc… Cette manière de renvoyer le rien au tout, le tout au rien, et finalement les deux à un néant qui en vient à mystiquement nier Dieu n’a été que renforcée quand Kiefer  s’est tourné vers la kabbale. Il ne donne pas vraiment l’impression de vouloir étudier les textes de cette kabbale : il préfère se laisser envoûter par les mots et nous faire partager son envoûtement.

Esthétiquement, cette position est une impasse. Quand tout est dans tout et le rien aussi, rien ne se créée vraiment et probablement, Kiefer n’a vraiment rien créé depuis la fin des années 1990. Monumenta a peut-être été la dernière somme de ses inventions. Un peu dommage pour un artiste de 64 ans! Et éthiquement, ce qu’il nous montre est simplement inacceptable, si tout se vaut, le malheur comme le bonheur, le tout comme le rien et le mal, comme le bien alors à quoi bon se rappeler les Trümmerfrauen? On peut aussi bien continuer de crier “Ninive” dans le désert pour le restant de ses jours. Ce qui n’est pas la voie la plus sûre pour tenter d’agir de manière à ce que ni Auschwitz ni Dresde ne se reproduisent.

“Am Anfang” peut laisser l’impression que Kiefer se moque de son public, mais en réalité le fisco est bien plus profond : l’artiste est enfoncé trop loin dans sa mystique pour en rapporter aucun message à  ses contemporains.

Am Anfang“, jusqu’au 14 juillet, vendredi, samedi, lundi, 20h, mardi, 19h, Opéra Batille, 120 rue de Lyon, Paris 12e, m° Bastille, 5, 20 et 30 euros.

Routine d’une jeune femme gâtée

Lundi 23 mars 2009

Rien de notable dans les derniers jours, je retourne dans des bars que je connais et apprécie (le carlyle, le 10X44), j’ai vraiment laissé une valise au Met, mais Rusalka était décevante samedi, alors que j’avais déjà entendu Fleming dans le rôle à Paris et que c’était époustouflant. Mes convertis me tiennent compagnie et leur conversation est passionnante. Je me suis mise à les lire à Saint John the Divine pendant la messe, c’est peut-être un peu impie mais ça donne tout de suite le “la”.

Au rayon des amitiés, brunch ensoleillé hier, avant le yoga, puis café sympathique avec mon hollandais de Bagdad à qui j’ai promis de faire un grand ménage avant Pessah (techouvah est proche), et j’ai été pourrie gâtée par mes parents adoptifs qui m’ont offert un châle Hermes pour mon anniversaire.Par ailleurs, nous avons de longues conversations avec D. sur la crinière de Louis Garrel, que nous décrivons comme ébouriffée et légèrement ondulée. D pense que si on lui coupait les cheveux, notre jeune premier neo-nouvelle vague verrait sa carrière se finir. J’en suis moins sûre, la coupe n’étant qu’un des attributs de sa nonchalance. Afin d’arrêter d’écrire de très mauvais vers et de buter encore sur mes redondances solitaires arrosées de musique baroque et de choux de bruxelles, je vais me coucher avec “Dieu et la NRF”. Je sais ça fait beaucoup de monde dans le lit, mais bon c’est enfin le printemps!

Un nouveau baptême d’opéra

Mardi 24 février 2009

Un de mes sports préférés dans cette grande ville froide est d’initier certains amis à l’opéra. Non que le Met me semble déjà mon territoire, mais juste, je m’y sens bien, et le caractère classique voire conservateur des spectacles donne un bon aperçu – quoiqu’un peu amidonné- de mon art préféré.
Ce soir j’ai donc emmené un ami d’ami découvrir la Rondine de Puccini (que soit dit en passant je découvrais avec lui). Il est arrivé très élégant, sourire au lèvres et n’a pas eu trop l’air de s’ennuyer malgré un petit malaise claustrophobique. Gheorghiu était parfaite, même de loin, et certains arias valaient vraiment le déplacement malgré le caractère engoncé du décor art déco. L’opéra me calme, je me sens chez moi dans ce flot un peu futile de chants XIX e (car ne nous leurrrons pas, Puccini s’est souvent attardé au XIX e siècle). Au Met’, cependant, il est difficile de prouver que l’opéra n’est pas qu’un art très bourgeois. Je m’en fous un peu, cela fait partie de moi, comme mes vacances à St Moritz, mon goût pour les bars des grands hôtels, et le plaisir de faire partager tout cela avec des hommes bien élevés qui savent galamment me raccompagner en bas de chez moi. Et tant pis si mon image de féministe libérée en prend un coup dans l’aile; j’ai passé une excellente soirée. Légèrement épicée par une sortie par une voie de service du grand bâtiment qui nous a amenés vers une reception trallala où j’ai gagné en passant un joli parapluie burburry avec un manche en cuir…
Luxe, musique, et volupté…

Eh ouais, elle est belle quand même la Gluglu, et sa voix n’est pas mal non plus.

Thaïs de Massenet au Met, l’orientalisme grandiose

Jeudi 11 décembre 2008

Lundi a eu lieu la première de l’Opéra de Massenet avec la soprano Renée Fleming habillée en Lacroix dans le rôle titre. Une production impeccablement sensuelle.

Thais Lundi soir, le bâtiment années 1970 du Metropolitan Opéra de New-York était plein comme un œuf. Très habillés, les mélomanes, étudiants en goguettes et stars venues pour se montrer intouchées par le temps qui passe (Sigourney Weaver entres autres) défilaient, en smokings et robes noires. Ils venaient tous acclamer LA star qui tient le haut de toutes les affiches d’opéra pour la 150 e saison du met : la soprano Renée Fleming. Habillée par Jean-Paul Gautier, elle est apparue dans toute sa beauté physique et lyrique au milieu du désert aménagé par le britannique John Cox dans une mise en scène digne des mille et unes nuits.

Thaïs est à l’origine un roman d’Anatole France mis en musique par Jules Massenet. La première a eu lieu à l’Opéra de Paris en 1894. L’opéra se développe en 3 actes structurés en 6 scènes qui fonctionnent comme de très beau tableaux orientalistes de Delacroix. Au IVe siècle, en Egypte, Athanaël, retiré parmi un groupe de moines dans le désert a une vision : il doit sauver l’âme de la belle courtisane Thaïs, prêtresse de Venus et la ramener à Dieu. Mais se mêler au monde est dangereux pour Athanaël qui a été l’un des plus riches hommes d’Alexandrie. Et Vénus est peut-être plus puissante que le Christ…

De Thaïs, on ne retient normalement que l’air du miroir probablement pour ses similarités avec celui que chante Marguerite dans le Faust de Gounod. Mais l’opéra entier est vraiment à écouter : d’abord parce que cela « chante tout le temps » et ensuite, à partir du deuxième acte, il y a trois à quatre magnifiques arias par tableau, dont, devant le monastère où Athanaël dépose Thaïs le duo « Baigne mes mains et mes lèvres ». Et les intermèdes musicaux orientalisants sont de toute beauté. Renée Fleming est parfaite et parfaitement sensuelle en rose et or Lacroix, et même encore un peu plus en robe de pèlerine déchirée. Quant au merveilleux baryton Thomas Hampson, sa diction parfaite du Français et son charisme donnent une force croissante au personnage d’Athanaël. A leurs côtés, le ténor suisse Michael Schade a aussi une belle présence scénique et une voix frappante.

Et comme c’est de l’opéra, même au pays où l’orientalisme fustigé par Edward Said n’a pas la côte, le public se permet d’apprécier les tonalités blanches et or et la voix haute perchée de la femme qui souffre. Et même les ornements baroques de la mission catholique.

Un beau spectacle à ne ratez sous aucun prétexte si vous passez par New-York avant le 11 janvier. Voici en cadeau l’air du miroir par Renée Fleming. Et pour les fans de Massenet, l’opéra de Paris produit Werther avec Villazon en février. Enfin, une version audio fe l’opéra avec Flemming et Hampson existe en CD chez Decca.

Thaïs mon amour

Mardi 9 décembre 2008

A neuf heures du matin, ça m’a pris comme une violente envide de femme enceinte : je voulais de l’opéra français, je voulais Thaïs, je voulais Massenet et je voulais Renée Flemming et Thomas Hampson. Comment faire quand la première est le soir même et pleine à craquer y compris les places à 400 dollars? Réponse : à 9h10 du matin les standing seats étaient en vente à 20 dollars plus taxes (= 30 dollars, oui je sais j’ai fait un bac S et parfois les chiffres me reviennent). C’est le sourire victorieux au lèvres que j’ai traversé la journée, assisté à deux cours, corrigé 40 copies, mis des articles dans l’admin d’en3mots, déjeuné avec un ami et ne suis pas allée à la gym (c’est mal ) avant de rejoindre un ami suédois au métro et retrouver sur place Caro et Chester. On voit très bien des places debout et sur 3h30 c’est tout à fait tenable. Renée était voluptueusement Lacroix, Thomas est mon chouchou depuis que j’ai entendu mon premier Winterreise par lui, et l’histoire de double conversion orientalisante est tout à fait mon terrain. Bref, du caviar, surtout le deuxième acte. Article à venir demain, mais Levine m’impressionne de plus en plus. On a fini dans un bar chic à boire des cocktails japonais, parler de Bergman et d’Assia Djébar, aussi un peu de Arrested development, et j’ai eu mon premier cours de suédois dans le métro du retour. A force de me laisser apprendre toutes ces langues nordiques, je les mélange et reviens toujours à mon Allemand. Ganz gut. Dernière bonne nouvelle : mon amie argentine Julia m’a passé un radiateur de la taille d’une boîte à chaussures et qui marche, je vais dormir avec ca sur le ventre, ce sera moins lourd et plus chaud que mon manteau.