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Christian Boltanski : Mausolée de chiffon et de feraille à Monumenta

Mercredi 13 janvier 2010

Scène étrange ce mardi matin au vernissage presse de Monumenta. Comme vous l’avez peut-être compris je me faisais une joie, mais journée très chargée, trop. Malade le lendemain. Je suis arrivée un peu trard au vernissage. Ai marché parmi les chiffons pour voir les trois installations. CB ne s’était pas trop foulé,; minimum syndical attendu. Mais je me sentais bien dans son univers. J’ai donc décidé de m’asseoir sur un banc, tranquille entre deux barbelé pour lire le dossier de presse, avant de filer écrire l’article au bureau pour enchaîner sur le reste de mes activités. D’après l’atriste on devait se sentir en enfer, oppressé, pressé de revenir à la vie dans ce décor. Et moi je m’y posais pour lire, presque chez moi… Troublant….

Du 13 au 21 février, Christian Boltanski prend la suite de Anselm Kiefer et Richard Serrat en organisant l’espace de la nef du Grand Palais pour Monumenta 2010. Installation spécialement réalisée pour l’occasion, “Personnes”  est une vanité contemporaine.  Sculptée à grands renforts de métal, de chiffons et de battements de cœur, la symphonie architecturale que propose Boltanski se veut oppressante pour mieux rendre le visiteur à la vie.

“Quand je travaille au Grand Palais, j’ai la sensation de réaliser un opéra, avec cette différence près que l’architecture remplace la musique. L’œuvre est une scénographie”. C.B.

monumenta Boltanski

A l’entrée de Monumenta, Christian Boltanski a mis un mur. Le visiteur tombe directement sur de longs casiers de métal rouillés portant des numéros et surmontés des fameuses lampes de bibliothèque que Boltanski utilise depuis si longtemps dans ses œuvres. Il faut donc contourner ce massif écrin d’archives pour entrer dans le vif de “Personnes”.

monumenta christian boltanski

Derrière, sur trois rangées et s’étalant sous toute la nef du grand Palais, des vêtements sont étalés, proprement rangés en 25 carrées délimités par des poteaux de fer livrant la mélodie mécanique des battements de cœur humains du monde entier. Ceux-ci font partie d’un ancien projet du plasticien : “Les archives du cœur”. Chacun des carrés de fripes est surmonté d’un néon tenu à à peine un mètre du sol par des barbelés. Ce vaste champ de tissus et de fer est très ambivalent puisqu’il peut dégager une sérénité de jardin japonais, mais aussi faire grincer les oreilles et les nerfs sans aucune transcendance possible, comme un spectacle de Buto.

monumenta christian Boltanski

Enfin, derrière ce champ impossible, Boltanski a placé une montagne de vêtements usagés, brassés par une grue qui descend sa pince pour en hisser une partie jusque sous la voute, laissant quelques pulls tomber en route, avant relâcher brusquement sa proie molle qui revient s’éparpiller au sommet de la montagne.

boltanski Monumenta

L’ensemble de ces trois installations constituant “Personnes” sent la mort. L’artiste évoque d’ailleurs l’entrée DANS son œuvre comme une marche dans les cercles de l’enfer. Aucun nom, aucun visage ne vient parler humainement aux visiteurs qui gravitent entre le mur, la montagne et les champs, comme une horde de fourmis sans mémoire. Il n’y a plus vraiment dans ce travail de Boltanski la vieille volonté de lier nombre et individus. Et il n’y a plus non plus de célébration des morts. Juste un bal de morts-vivants. Perdu dans la masse et donc dans le nombre, le promeneur est ramené à sa mort qui vient, et rejoint Christian Boltanski à ce point où “on a le sentiment de traverser en permanence un champ de mines, on voit les autres mourir autour de soi, alors que, sans raison, on reste, jusqu’au moment où l’on sautera à son tour”.

L’absurde sentiment de sursis n’empêche pas Boltanski de continuer son œuvre au sein même de Monumenta puisque, en coulisses, vous pouvez aller faire enregistrer les battements de votre cœur, à ce qui semble être l’infirmerie de l’exposition. Et laisser l’emprunte de votre vie parmi les milliers d’autres recueillies depuis 2005 par le plasticien et archivées sur l’île japonaise de Tashima. Le processus est bureaucratique, clinique : vous prenez un ticket, vous vous asseyez en lisant un magazine sur Boktanski ou vous retournez faire un tour dans le mausolée. Puis lorsque votre tour vient, vous pouvez récupérer une copie de votre battement de coeur.

Mais, si ni les vivants  ni les morts ne comptent plus, et si Boktanski sculpte son public même dans “Personnes” jusqu’à le rendre sans visage, survivant, on peut se demander à quoi sert   tout cet édifice de mémoire de souvenir et de lutte contre le temps et l’oubli.

Une autre scénographie de Boltanski, “Après”, est à voir à partir du 14 janvierb  au MAC/VAL, en parallèle de Monumenta. Plus d’informations ici.

Par ailleurs de nombreuses conférences et tables rondes sont organisées pendant toute la durée de Monumenta 2010. Mercredi 13 janvier, la commissaire de l’exposition Catherine Grenier participera à la table-ronde “Christian Boltanski vu par…”, et le 6 février, le compositeur Franck Krawczyk propose une création réalisée pour “Personnes”, “Polvere”. Cliquez-ici pour voir toute la programmation autour de Monumenta.

Enfin, Arte Video a sorti un documentaire,“Les vies possibles de Christian Boltanski”,qui passe le 18 janvier sur arte.

Pour en savoir plus sur Christian Boltanski, lire notre article.

Monumenta 2010, Christian Boltanski : Personnes”, du 13 janvier au 21  février, Nef du Grand Palais, Porte principale, Avenue Winston Churchill, Paris 8e, m° Champs-Elysées Clemenceau, tljs sauf mardi, lun, mer, 10h-19h, jeu, ven, sam, dim, 10h-22h, 4 euros (TR : 2 euros).

Christian Boltanski : le DVD pour préparer Monumenta

Vendredi 8 janvier 2010

Note préliminaire : Longtemps, je n’ai pas su quoi penser de Boltanski. Ses oeuvres me parlaient, forcément, je restai pâmée benoîtement devant. Mais le jeu de caméléon et la réinvention de mythes concernant la Shoah chooquaient la petite vestale; Pouvait-on vraiment au nom de l’art faire passer les vessies pour des lanternes, et intervertir des suisses morts dans leur stübli à l’âge de 75 ans et des enfants gazés? Puis il y a eu la période où j’ai lu et écouté Boltanski. Sa pédanterie, sa philosophie à trois franc six sous. Ça m’a énervée forcément. Puis j’ai entendu parler le maître, le plasticien que je vénère encore plus que Christian et qui illustre le fronton de ce blog : il disait vraiment n’importe quoi. Alors, après une maturation encore plus lente j’ai fini par penser qu’il ne fallait pas écouter les artistes, peut-être encore moins que les comédiens. Et juste suivre de biais leur démarche et leur évolution. Or, la démarche de Boltanski est tellement austère qu’elle ne peut qu’être cachère (catholique aussi car la démesure), et puis son mouvement des morts vers les vivants et l’humanisme de son hommage à tout péquenaud ont fini de me convaincre. Je l’aime. D’un amour qui n’a plus besoin d’être conditionnel. Ouf, dix ans de réflexion obsessionnelle enfin apaisés…

En 2010 le plasticien Christian Boltanski est à l’honneur. Après Kiefer et Serrat, la nef du Grand Palais lui est réservée du 13 janvier au 21 février dans “Monumenta”. L’installation prévue pour l’évènement s’intitule comme Ulysse face au cyclope “Personne”. Et l’artiste y a composé un “hommage à la mémoire des personnes devenues anonymes, aux disparus sans nom, aux vivants non identifiés”. A cette occasion, Arte a pensé à un petit documentaire pour vous préparer au choc esthétique. “Les vies possibles de Christian Boltanski” passera sur la chaîne le 18 janvier. Le Dvd sera disponible le 6 février.


ITV Christian Boltanski
envoyé par monumenta. – Découvrez plus de vidéos créatives.

Pluralisant le titre de la série d’entretiens biographiques de Christian Boltanski avec Catherine Grenier,(Seuil),le réalisateur allemand Heinz Peter Schwerfel a intitulé son documentaire d’une heure sur le plasticien français “Les vies possibles de Christian Boltanski”. Rythmé par la voix implacable d’une horloge parlante, le filmprend la forme d’un long travelling suivant la promenade de l’imposante silhouette de l’artiste à travers toute son œuvre.

A l’origine, il y a l’Histoire, celle du père juif caché dans la cave de la maison familiale, la mère étant catholique. Ce n’est que pour déclarer la naissance du frère cadet, le 6 février 1944 que le père juif sort de l’ombre. (Le frère aîné, qui n’est autre que le sociologue du “Nouvel esprit du capitalisme, Luc Boltanski est né en 1940). C’est sur ces fondements modianesques que Christian Boltanski a bâti son œuvre. Se désignant comme un “minimaliste expressionniste”, le compagnon d’Annette Messager se définit surtout comme un créateur solitaire ; creusant son mythe non pas dans l’Histoire (pas de juif imaginaire ou de Mitteleuropa rêvé), mais dans un présent qui se définit  à partir de l’Histoire. Jouant toujours sur le lien entre l’individu et le nombre, Boltanski tente par ses accumulations, ses additions, et ses collections d’archives d’ériger un mausolée à toute vie, surtout la plus banale.

Caméléon de l’auto-fiction plastique, il rédige sa biographie illustrée à partir des photos d’enfance… d’un camarade chrétien au nom très français. Et quand il illumine de lampion des photos de classe  assez vieilles pour que tous les élèves soient morts, il le fait à la manière du mémorial des enfants de Yad Vachem; mais il choisit ses sujets de nationalité suisses. Selon lui, il y a une part d’humour dans cette démarche : “Choisir des suisses morts a en effet comique, dérisoire parce-que les Suisses n’ont aucun motif historique de mourir”.

Mais qu’il s’agisse des vêtements entassés au sous-sol du Musée d’art moderne de Paris, des boîtes d’archives du conservatoire ou des casier remémorant les députés allemands depuis 1930 dans le Reichstag rénové, l’idée que chaque être humain ne peut être qu’une “pièce” (ein Stuck disait-on dans les camps, redistribuant les numéros des Häftlinge gazés) plane comme une ombre sur toute l’œuvre d’une vie impossible. Ombre que l’on retrouve dans les théâtres fantomatiques qu’il avait mis en scène au musée d’Orsay, il y a quelques années.

Et puis, il y a aussi le sérieux, le travail arachnéen d’archivage, de stockage, et de tri des données : qu’il s’agisse des annuaires du monde entier ou du bruit des battements de cœur du monde entier, l’exhaustivité de Boltanski étouffe. Pour mieux nous faire réfléchir? La voix, la démarche, les assertions philosophiques de l’artiste donnent une impression désagréable de pédanterie. Oui, Boltanski se prend au sérieux. Mais il a toutes les excuses. Non pas celle du génie – trop facile!- mais celle d’une quête harassante et impossible qui s’apparente, à sa manière métaphorique et mythique- aux travaux historiques titanesques d’un Raul Hillberg ou d’un Serge Klarsfeld. Quand Boltanski assène “Je crois que ce qui est important c’est la vie exemplaire ; un artiste doit être vertueux” , il est mortellement sérieux. Mais chez lui, le péremptoire a la grandeur de l’opiniâtreté. Petite lueur à l’horizon lourd de la vie possible de Christian Boltanski : il semble avoir cessé de tenter de nous remémorer des êtres morts pour honorer les vivants. Une percée à suivre à Monumenta.

“Les vies possibles de Christian Boltanski”, de Heinz Peter Schwerfel, documentaire Arte Vidéo, 52 min, diffusion le 18 janvier sur Arte, disponible le 6 février en DVD.