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A la redécouverte de Felix Nussbaum au MAHJ

Vendredi 29 octobre 2010

Après l’avant-garde de la Radical Jewish Culture, le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme revient aux classiques jusqu’au 23 janvier 2011 avec une excellente exposition dédiée au peintre Felix Nussbaum. Comme Otto Dix, Max Beckmann ou George Grosz, mais sans passer comme ses aînés par la case “expressioniste”, Felix Nussbaum était un peintre de la “nouvelle objectivité”, courant typique de la République de Weimar qui est revenu, dans les années 1930, à une représentation ultra-réaliste et volontiers caricatural de la société Allemande d’Entre-deux-Guerres. Mais la période allemande fut relativement courte pour ce juif-allemand né au tout début du siècle dans un milieu bourgeois : la plus grande partie de son œuvre a été peinte en exil. Reconnu très tardivement, après la disparition de Nussbaum à Auschwitz en août 1944, son art est exposé depuis 1998 dans un musée qui lui est dédié (et dessiné par Daniel Liebeskind, l’architecte du Musée juif de Berlin) dans sa ville natale d’Osnabrück. la fermeture temporaire de la Felix Nussbaum Haus d’Osnabrück jusqu’en mars prochain permet au MAHJ d’exposer 40 de ses peintures et 19 de ses dessins dans une exposition chronologique, pédagogique, et comme d’habitude dans ce musée, parfaitement scénographiée.

« Si je meurs, ne laissez pas mes peintures me suivre, mais montrez-les aux hommes. » Félix Nussbaum.

Tout commence nécessairement par des œuvres de jeunesse, mais l’atelier du peintre ayant brûlé en 1932 dans l’incendie prémonitoire de son atelier à Berlin, il reste bien peu de toiles de jeunesse. Celles présentées au MAHJ montrent la famille de l’artiste, sa synagogue locale, et un autoportrait qui témoigne de l’influence de Van Gogh sur le jeune Nussbaum.

L’artiste se fait vraiment connaître avec une toile qui pourrait bien être un manifeste de la Nouvelle Objectivité : présentée à la 64e exposition de la Sécession de Berlin, “La place folle” (1931) tourne en ridicule les membres honoraires de l’académie des Beaux-Arts, à la tête desquels l’on trouve la figure tutélaire de Max Liebermann imbu de lui-même et perché sur un immeuble de la Potsdamer Platz. Lieberman aurait souri de cette caricature qui témoigne déjà d’influences flamandes qui croîtront avec l’exil de Nussbaum. Cette percée permet au peintre de décrocher une bourse pour la villa Massimo de Rome où il s’imprègne des influences métaphysiques de Girogio De Chirico. Nussbam ne repasse plus par l’Allemagne, puisque l’arrivée d’Hitler au pouvoir le contraint de prolonger le voyage d’études en exil : en Italie, en Suisse, à Paris (Nussbaum y participe à l’exposition “l’Art allemand libre” en 1938, à Ostende et surtout à Bruxelles.

En Belgique, Nussbaum rencontre James Ensor, et revisite ses “classiques” flamands. Ponctué par une série de prolongations de droits de séjour pour lui et sa femme, Felka, cet exil belge donne naissance à une série d’autoportraits aux masques grimaçants, et à des jeux de perspectives époustouflants vaguement épongés par des torchons comme dans “Le secret” (1939). L’invasion de la Belgique par l’armée allemande, entraîne l’arrestation et l’internement de Nussbaum au camp de Saint-Cyprien (Pyrénées orientales) en tant qu'”étranger ennemi”. Si Nussbaum parvient à s’enfuir du camp, l’expérience l’a profondément marqué et le peintre est l’un des rares artistes à avoir laissé des œuvres témoignant de cette vie dans les camps.

A Saint-Cyprien même, Nussbaum peint, notamment l’autoportrait que le MAHJ a choisi comme affiche pour cette exposition. Puis, revenu à Bruxelles, il retravaille cette matière brutes dans de grandes fresques comme “Saint-Cyprien” (1942), ou le grandiose “Triomphe de la mort” (1944), dernière œuvre signature d’une vie sacrifiée, et néanmoins extraordinairement classique. Aussi grandioses soient-elles, les grandes scènes macabres de Nussbaum renouant avec l’art d’un Jérôme Bosch semblent plus faibles, moins bouleversantes et moins originales que ses autoportraits à taille humaine dans la description de l’inhumain en marche. Peut-être parce que la vision chrétienne traditionnelle de la mort n’est plus d’actualité en 1944 : elles semblent en deçà de la réalité de ce que Hannah Arendt désignait comme “la fabrication démentielle de cadavres”.

Peut-être aussi parce qu’elles sont trop travaillées, trop respectueuses des maîtres et moins “à vif” que les autoportraits sombres de l’artiste prisonnier. Peut-être enfin, parce que la maigreur grimaçante d’un seul homme seul au premier plan face à un ciel vide est plus à même de représenter la destruction totale que la sarabande moyenâgeuse des feu-follets de la mort. Cachés dans le grenier de leur appartement bruxellois de la rue Archimède, Nussbaum et sa femme sont dénoncés et déportés à Malines le 20 juin 1944, puis à Auschwitz le 21 juillet, dans le dernier train quittant la Belgique pour la Pologne. Nussbaum est mort le 4 août. Il avait mis ses toiles d’exil à l’abri chez le Dr Grofils, et ont à peine été montrées jusqu’à la première grande rétrospective de son œuvre en 1971, dans sa ville natale : Osnabrück.

Tous les évènements autour de l’exposition : ici.
Lien vers la maison Felix Nussbaum à Ossnabrück, ici.

Felix Nussbaum, Osnabrück 1904- Auschwitz 1944“, jusqu’au 23 janvier 2011, MAHJ, Hôtel de Saint-Agan, 71, rue du Temple, Paris 3e, m° Rambuteau, Hôtel de Ville, lun-ven, 11h-18h, nocturne le mercredi j.q. 21h, 7 euros (TR: 4,50 euros).

Le MAHJ rend hommage à la Radical Jewish Culture

Vendredi 9 avril 2010

Le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme a organisé la première exposition  mondiale dédiée au mouvement de la “Radical Jewish Cultire”. Née à New-York au début des années 1990, et chapeauéte par le compositeur John Zorn, cette mouvance culturelle qui puise dans les racines de la tradition et de l’histoire juive est née dans le Lower-East Side de New-York. Pour devenir une référence incontournable des musiques alternatives présentes sur la scène internationale… De nombreux concerts sont également prévus au MAHJ, dont Zorn lui même, Annthony Coleman et David Krakauer. Un évènement qui place Paris à l’avant-garde de la contre-culture…

La radical Jewish Culture est née en lieu et place de la naissance du nazisme, à Munich, en 1992 lors d’un festival qui portait le nom de ce mouvement et où John Zorn avait réuni le guitariste Marc Ribot, le pianiste Anthony Coleman, le violoniste Mark Fledman et où il avait également fait venir Lou Reed. L’oeuvre princeps du mouvement est la violente “Kristallnacht” de Zorn, sous le signe de l’étoile jaune, de collages de sons de verre brisé, d’un hommage à la dodécaphonie de Schönberg, et empreinte de judaïsme à travers des référence à la gematria (numérologie juive)…

A travers une scénographie qui, comme d’habitude au MAHJ, est très soignée, les jeunes commissaires de l’exposition Mathias Dreyfus, Gabrielle Siancas et Raphaël Sigal, invitent le visiteur à découvrir le moment fondateur et l’évolution du Radical Jewish Movement. Casque autour du cou, afin de pouvoir se brancher sur divers types de musiques ou d’interviews des principaux acteurs du mouvement, celui-ci est amené à comprendre comment cette troisième génération new-yorkaise a voulu retrouver ses racines juives pour s’en inspirer et créer une culture radicale. Les rapports avec la beat generation, et les autres types d’art (les superbes photos de Michael Macioce) sont explixitées, de même que les sources juives : le kletzmer bien sûr, mais qui est plus un écho que le fondement de la musique des juifs radicaux, le temps des réunions annuelles qui est celui de Pessah (la pâque juive), et la volonté de se détourner de judaïsme assimilé pour approfondir les leçons du hassidisme et du Baal Schem Tov.

Mouvement protéiforme, et semblet-il plus “schibolleth” (mot de passe) entres tribus que véritable groupe artistique, la New Jewish Culture se tient cependant regroupée derrière le label de son chef, John Zorn. Sa maison de disques, Tzadik (“le sage”, “le juste”, en hébreu) est conscarée aux msuiques juives et contient la collection “Radical Jewish Culture”. Si pour certains membres du mouvement, la RJC est un mouvement social ou politique, la conception personnelle de Zorn semble puiser plus profond : selon le compositeur, il y a bien un inconscient juif, une sorte d’Ur-grammaire de tous les signes qui “grifferait” tout art produit par un juif. Reste à en être conscient et à l’exprimer ouvertement pour se montrer radical… Mais Zorn n’est pas prosélyte et laisse toute son ouverture d’esprit au mouvement… On se régalera notamment en écoutant et voyant des extraits de son opus magnus moultes fois ré-enregistré : Masada.

Dernière remarque : la RJC n’est pas morte loin de là et si la slale originelle des concerts des années 1990, la Knitting Factory, est un peu “out”, Zorn a toujours son lieu free et jazzy à Manhattan : The Stone.

Pour ceux qui ne sont pas prêts à traverser l’Atlantique pour se familiariser avec la RJC, le MAHJ prévoit une série de concerts exceptionnels, noatmment (mais c’est complet) Krakauer et Coleman le 14 avril, Zorn le 18 mai et le Ben Goldberg Trio le 2 juin. Toutes les infos ici.

“Radical Jewish Culture”, jusqu’au 18 juillet 2010, MAHJ, Hôtel de Saint-Agan, 71, rue du Temple, Paris 3e, m° Rambuteau, Hôtel de Ville, lun-ven, 11h-18h, nocturne le mercredi j.q. 21h, 7 euros (TR: 4,50 euros).

Site très docuementé de l’évènement, ici.

Joseph Roth, les années parisiennes d’un juif austro-hongrois

Mardi 21 juillet 2009

Jusqu’au 4 octobre, le Musée d’art et d’histoire et du Judaïsme présente la vie de l’auteur autrichien Joseph Roth pendant ses années d’exil, de l’arrivée des nazis au pouvoir jusqu’à sa mort, dans l’alcool et à Paris en 1939.

Né à Brody (Galicie et à l’époque appartenant à l’Empire Austro-Hongrois), d’une mère juive de l'”est” et d’un père devenu fou dans son enfance et auquel il a inventé mille vies, Joseph Roth part pour Vienne où sa mère le rejoint lors de la déclaration de la Première Guerre. Il vit dans la pauvreté et poursuit des études de Germanistique. Il assiste à l’enterrement de l’Empereur François-Joseph, en 1916, et est envoyé sur le front russe. De retour à Vienne, il abandonne son doctorat pour survivre de la plume de journaliste. Au café Herrenhof, il côtoie Hermann Broch, Franz Werfel, Milena Jesenska…En 1923 Roth déménage à Berlin, où il devient journaliste auprès de la Frankfurter Zeitung ; en 1925, il devient correspondant du journal à Paris. Ses articles sont caustiques et précis. Si la “Toile d’araignée” (1923) est son premier roman, le succès arrive  “La marche Radetsky”, en 1932, une fresque en l’honneur du défunt empire Austro-hongrois. L’on apprend au MAHJ que le critique de la Nouvelle Revue Française, Frédéric Bertaux, préférait le roman au col amidonné de Roth sur le “K und K” à la fresque ironique de Robert Musil, “L’Homme sans qualités”.  Juif dans l’Allemagne de 1933, Roth doit quitter l’Allemagne et oscille entre Paris, Amsterdam, et Ostende.

C’est sur ces années d’exil que l’exposition du MAHJ se concentre, dépeignant la vie de Roth d’hôtel en hôtel, reconstituant son café préféré, le “Tournon”, donnant à entendre son dernier roman, “La légende du Saint buveur”, insistant largement sur l’engagement politique du début des années 1930 contre le nazisme, et présentant ses amis dont les auteurs Stefan Zweig, Soma Morgenstern, Stefan Fingal, le sculpteur Joseph Constantinovksy .

Créée en Autriche par le directeur du Literaturhaus de Vienne, Heinz Lunzer, l’expo “Joseph Roth, L’exil à Paris” permet d’imaginer la vie de l’auteur à travers des extraits de sa riche correspondance. Des éditions originales de ses livres en VF permettent de comprendre comment Roth a été traduit tôt par Blanche Gidon, et comment le public a Français a très vite pu le lire.  L’amour de l’auteur pour la monarchie est évoqué en même temps que ses prises de positions politiques contre le nazisme : “L’écrivain a pour devoir comme tout un chacun de s’engager contre l’inhumanité du monde actuel”, estimait Roth, dès 1934. Mais, transformant l’écrivain-Arlequin en intellectuel engagé, l’exposition manque certaines ambiguïtés absolument fascinantes chez le personnage,  et passe peut-être à côté de sa folie.  Elle évoque à peine son spectaculaire enterrement, où personne ne savait vraiment s’il s’était converti ou pas, si bien que deux services religieux ont eu lieu : un juif et un chrétien.


LA MARCHE DE RADETZKY – Concert Nouvel An 2002
par Koloborder

Joseph Roth, L’exil à Paris, 1933-1939“, jusqu’au 4 octobre, MAHJ, Hôtel de Saint-Aignan, 71, rue du Temple, Paris 3e, m° Rambuteau ou Hôtel de ville,  lun-ven 11h-18h, dim 10h-18h, 6.80 euros (TR : 4,50 euros).

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A noter : Jeudi 24 et vendredi 25 septembre, un colloque international sur  l’exil de Joseph Roth aura lieu  au musée.  Programme ici.

Pour en Savoir plus :

BRONSTEIN, David, Joseph Roth, Biographie, Paris: Seuil, 1994.

MORGENSTERN, Soma, Fuite et fin de Joseph Roth, Paris : Liana Levi, 2003.

TRAVERSO, Enzo, La pensée dispersée, figures de l’exil judéo-allemand, Ed Leo Scheer, 2004