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Nancy Huston, Infrarouge : rencontre le 10 juin à la librairie l’arbre à lettres

Lundi 7 juin 2010

L’auteure de « Journal de la création » (1990) et de « Lignes de faille » (Prix fémina 2006) a publié son dernier roman très attendu chez Actes Sud, le mois dernier. Un voyage familial en Toscane est l’occasion pour la photographe quadragénaire Rena Greenblatt de revenir sur son passé et sur sa profession de photographe. Sensuel, féministe, et aussi bien construit que les précédents livres, « Infrarouge » se dévore d’une traite.

Photographe reconnue, d’origine canadienne et vivant en France, Rena Greenblatt est une femme moderne, indépendante et sensuelle, qui s’apprète à épouse un quatrième mari bien plus jeune qu’elle quand elle entreprend un voyage avec son père et sa belle-mère en Toscane. Troublée par le vieillissement subit du scientifique spécialiste du cerveau humain qui était son héros d’enfance, et très ennuyée par les simagrées de sa belle-mère à l’intellect un peu simple, Rena ronge son frein et fait semblant d’être une touriste ordinaire en leur compagnie. Le temps libre et les rêves tourmentés qu’elle fait dans sa chambre d’hôtel solitaire lui permettent de revenir sur sa vie : son amie imaginaire, Subra, son modèle, Diane Arbus, qui l’emporte haut la main face aux influences de Araki et Lee Miller, sa meilleure amie actuelle, Kerstin, et aussi ses rapports difficiles avec son frère et sa mère, morte à 37 ans après une tragédie familiale dans laquelle Rena était partie prenante. Elle revient également sur la liberté de ses fantasmes et de ses désirs, ainsi que son identité de femme, de mère et de « demi » juive. Enfin, elle évoque ses grandes séries de photos passées, une sur les enfants de femme prostituées, et une autre sur des hommes dont elle a essayé de percer le secret, bien souvent au lit, son appareil photo toujours collé à son corps frémissant.

La force de Nancy Huston n’est pas seulement  son style, ni ses références agréables, ni même ses idées féministes, fraiches et nettes, mais inchangées depuis les années 1970. La recette de son succès vient de la structure simple et efficace de ses romans. Etalé sur huit jours qu’on relie facilement aux huit cercles de l’enfer de Dante que l’héroïne est en train de lire, « infrarouge », s’enfonce progressivement dans les dédales d’un passé souvent obscur pour éclairer les douleurs familiales et personnelles, ainsi que les culpabilités qui ont fait du personnage principal la femme forte et libre qu’elle est. Mais cette liberté se paie chère, et quand certains secrets enfouis refont surface, Rena se sent obligée d’aller jusqu’au bout de cette enquête, auprès de son père, et perd amant, travail et légèreté. Les nuances psychologiques sont des trésors que Huston cache derrière son écriture claire et harponnent la lectrice ou le lecteur jusqu’à la dernière ligne…

Nancy Huston, « Infrarouge », Actes Sud, 309 p., 21,80 euros, sortie le 5 mai 2010.

Nancy Huston rencontrera ses lecteurs le 10 juin à 19h à la librairie l’arbre à lettres, 2 rue edouard Quenu, Paris 5e, m° Monge.

Roman policier : l’oiseau de mauvais augure, de Camilla Läckberg

Lundi 7 juin 2010

Erica Falck est sur le point de se marier. Mais entre les déboires de sa sœur, les pressions de sa future belle-mère et les enquêtes de son promis, le commissaire Patrik Hedström, l’organisation des festivités est plus que difficile… Après « La princesse des glaces », « Le prédicateur » et « Le tailleur de pierre » Camilla Läckberg, la jeune maîtresse du polar suédois est de retour chez Actes Sud… pour notre plus grand plaisir.

La petite ville de Tanumshede (ouest de la Suède) est en ébullition : une fameuse émission de téléréalité va focaliser l’attention de tout le pays sur la petite bourgade. Au commissariat, Patrik Hedström ne chôme pas : il faut assurer la quiétude du tournage de ce big brother provincialisé, accueillir une nouvelle recrue très ambitieuse, Hanna Kruse, et un accident ayant lieu le matin de l’ouverture s’avère être un meurtre. Comment le fringant commissaire de 35 ans va t-il trouver le temps de choisir son costume de mariage pour convoler en juste noces avec sa douce Erica Falck, elle-même très occupée par leur fille, sa sœur traumatisée, et les deux enfants de celle-ci ?

Digne héritière d’Henrik Mankell et Stieg Larsson, Camilla Läckberg perpétue avec talent la tradition du polar suédois. Le lecteur se réjouit de retrouver les personnages de l’auteure et leur routine toujours bouleversée par une série de meurtres, ainsi que l’exotisme à la fois dépaysant et proche d’un pays européen où l’égalité des sexes règne, tant que l’esprit de province ne jette pas l’opprobre sur l’homosexualité. Et Läckberg apporte une touche de contemporanéité à sa galerie de personnages immuables, avec la discrète mais incisive critique d’un jeu débile de téléréalité que les cadavres n’arrêtent pas. L’auteure décrit les participants paumés de jeu avec maestria, soulignant les types dans lesquels on les classe, mais ajoutant une touche d’empathie à ce constat. On comprend dès lors pourquoi et comment des jeunes gens d’aujourd’hui désirent avidement sortir de leur routine pour briller- même sous forme de caricature- sur les petits écrans de leur public.

Camilla Läckberg, « L’oiseau de mauvais augure », trad. Lena Grumbach et Catherine Marcus, Actes Sud, collection « Actes noirs », 366 p., 22 euros, sortie française le 5 mai 2010.

La fille aux neuf doigts de Laia Fabregas

Mardi 25 mai 2010

Née à Barcelone, Laia Fabregas est partie travailler à Rotterdam après ses études. Son premier roman “La Fille aux neuf doigts” a fait sensation aux pays-Bas. Et pas seulement parce qu’il a été écrit en néerlandais… Quête onirique d’une jeune femme de 30 ans sur les photos perdues de son enfance, “la fille à neuf doigts” perd habilement le lecteur entre passé et présent, rêve et réalité.

Née dans une famille de résistants aux franquisme, Laura a été élevée comme si elle ne devait rien attendre de la vie. Surtout pas des souvenirs heureux, c’est pourquoi les photos étaient strictement interdites à la maison. Laura s’est donc rendue maîtresse de l’art de la “photo-pensée”, une image uniquement imprimée dans l’imaginaire. Ce qui ne l’empêche pas d’enquêter sur les raisons pour lesquelles elle est née avec seulement 9 doigts et de demander régulièrement à sa mère, si vraiment aucune photo n’existe. Vit-elle, ou invente-t-elle la perte romanesque et progressive de ses autres neuf doigts? Qui est Arnau, cet homme de sa vie, le seul à pouvoir la comprendre et croisé à divers âges et dans diverses villes d’Europe? Sa soeur peut-elle l’aider dans sa quête?

Quête des origines poétique d’une jeune trentenaire, “La Fille aux neuf doigts” parlera à tous ceux et celles qui interrogent inlassablement leur histoire familiale. Ce roman est décidément européen, avec notamment de superbes évocations de Prague et du franquisme. Le concept de “photo-pensée”, qui a quelque chose d’à la fois post-moderne et d’archaïque, encadre le texte pour tourner la littérature du côté des arts visuels.  Enfin le motif surréaliste de la perte des doigts impressionne durablement. Vous ne regarderez plus jamais aucun outil ou objet tranchant de la même manière!

Laia Fabregas, “La Fille aux neuf doigts”, Actes Sud, trad. Arlette Ounanian, sortie le 5 mai 2010, 175 p., 18 euros.

C’est alors que je le vis, sur le seuil d’une maison, de l’autre côté de la rue. Arnau, son appareil en joue. Et dirigé vers moi. Je regardai à droite, à gauche et derrière moi pour être sûre qu’il n’y avait pas de beauté au sourire photogénique dans les parages. Mais je ne detectai rien de semblable. J’en conclus que c’était bien moi qu’il avait repérée.

Je me levai et je me dirigeai vers lui sous le feu de son appareil. je dus éviter deux tables, prendre un peu à gauche, puis à nouveau à droite. l’objectif continuait à me suivre. Je n’avais pas la moindre idée de ce que j’allais lui dire, je ne savais même pas dans quelle langue je devais m’adresser à lui, je savais seulement que je devais lui parler.” p. 131.

Romance à trois sur la plage de Dinard

Mardi 18 mai 2010

Il se trouve que je lisais ce roman, avant de partir en week-end pour Dinard… cheesy mais très sympathique.

L’auteure britannique Mary Wlesley n’est plus, mais Eho continue de nous livrer ses romans délicieusement irrévérencieux en version française. Après  “La pelouse de camomille” (2008) et “Rose Sainte-Nitouche” (2009), “Les raisons du coeur” sera disponible dès le 3 juin dans la traduction de Michèle Albaret. Un gros livre psychologique et truffé de personnages attachants, dans lequel on se plonge comme dans un bain chaud.

“Les raisons du coeur” commence après la Première Guerre mondiale sur la plage de Dinard où de nombreux Anglais et Hollandais viennent en villégiature. Un des couples britanniques est bien trop amoureux pour vraiment s’occuper de leur fille de dix ans, Flora. Celle-ci passe son temps à apprendre le russe auprès de la couturière du village et promène des chiens. Elle attire l’attention de trois hommes dont elle tombe amoureuse : deux garçons de 15 ans : Cosmo, le fils de grands industriels londoniens et Hubert, alias “Blanco”, meilleur ami de ce dernier et dont le père est tombé au front. Et elle n’est pas insensible au charme du joli coeur de la station, Félix, un peu plus âgé et pour lequel toutes ces dames se pâment. Après cet été de grâce où le temps semble s’être figé, Flora passe toute son adolescence en pension, vacances comprises, pendant que ses parents se suffisent l’un à l’autre aux Indes. Cinq ans plus tard, la mère de Cosmo vient offrir une nouvelle parenthèse de bonheur à Flora en l’invitant à passer une partie de l’été avec cette jeunesse dorée. Mais Flora a désormais quinze ans, un corps et des désirs de femme, et les sentiments nés à Dinard commencent à s’exprimer plus ouvertement…

Dans la tradition psychologique d’une George Elliott, Mary Wesley met toute l’élégance de sa plume britannique à décrire un monde en mouvement autour de sentiments qui ne passent pas. Si l’intrigue est un peu plus complexe et un peu moins olé olé que l’histoire de ménage à trois de “Jules et Jim”. Les triangles amoureux sont bien présents dans “Les raisons du coeur”. Les désirs bruissent, bien vivants sous le poids des habitudes et des conventions. Et le lecteur se laisse séduire par la timide et indépendante Flora, par le généreux Cosmo, ainsi que par le pragmatisme parfois fantasque de l’ironique Hubert. Un vrai roman, à emmener en week-end et à dévorer d’une traite.

Mary Wesley, “Les raisons du coeur, trad. Michèle Albaret, Eho, 526 p., 23 euros, sortie le 3 juin 2010.

Portrait de Mary Wesley © DR

Un musicien dans les sous-sols de Berlin

Jeudi 8 avril 2010

Spécialiste des destins emblêmatiques, l’écrivaine alemande Marie-Luise Scherer brosse le portrait d’un accordéoniste que la chute du mur pousse sur les routes d’Europe entre deux points fixes : Essentouki et Berlin. Une belle aventure humaine publiée en Français par Actes Sud.

A la fin de l’ère soviétique, l’irruption de l’économie de marché en Georgie met l’accordéoniste Kolenko au chômage : plus personne n’a le temps de payer un peu de musique. Il quitte sond sa jolie femme pour tenter sa chance à Berlin. De quais de métro en cimetières, il parvient à conquérir un certain public, ses accents russes et son nom de scène “Karpov” parlant à un public dont l'”ostalgie” croît à mesure que les années 1990 avancent. Mais  trouver un toît est souvent difficile et si départager l’artiste du mendiant n’est pas toujours évident pour le public berlinois. Qui plus est, les visas s’épuisent vite et Kolenko retourne souvent au pays, y apportant des tonnes de vêtements généreusement donnés et pas mal d’argent. A chaque fois, il lui fait retrouver un “tuteur” qui l’invite à nouveau à Berlin pour revenir y gagner sa vie, et traverser toute l’europe de l’est dans des trains interminables où il rencontre une foule de personnages déchus ou avides, tous plus colorés les uns que les autres. La course se termine sur le mariage de son fils et la relève des générations futures. Marie-Luise Scherer livre un roman très humain (écrit en 2003), aux qualités documentaires incontestables et que tous les amoureux de l’est liront avec délectation.

Marie-Luise Scherer, “L’Acordéoniste”, trad. Anne Weber, Actes Sud, 155 p. , 18 euros.

A peine la musique l’avait-elle attirée dans le tunnel que son besoin d’agir thérapeutique s’intensifia au point qu’elle se sentit pousser des ailes. Tombant sur cet homme qui avait l’air complétement ailleurs, elle dit : ‘C’est chouette, ta façon de jouer’. En effet, Kolenko jouait sans aucune de ces mimiques accrocheuses qui, dans son métier, attirent le public. Il souriait sans regarder personne, même lorsqu’une pièce tombait. Mme Machate saisit d’emblée, en lisant la pancarte en carton, ce qui le poussait à une telle retenue en faisant de la musique. Il voulait éviter par là qu’on amalgame son art et sa recherche d’un logement, qui ressemblait à celle d’un mendiant.” p. 21.

Les voix des traders en rade

Mardi 6 avril 2010

Mathieu Larnaudie, l’auteur de “Strangulation” (Gallimard, 2008) sort chez Actes Sud un roman qui se veut la caisse de résonnance des longs sanglots des “acteurs” principaux de la grande crise banquière et financière de l’automne 2008. Un roman exigeant, dont le style quasi-précieux coupe souvent tout souffle, à propos, et parvient à rendre compte de manière neutre et pourtant interne des longs sanglots des “effondrés” : ceux ont vu à un âge avancé leur monde de chiffres de de bling bling plus ou moins racés prendre fin.

En 24 chapitres, Mathieu Larnaudie attribue une parole intime sur la crise à quelques uns des principaux décideurs politiques et financiers qui ont vécu de l’intérieur la crise de l’automne 2008. Le lecteur reconnaîtra (ou non) madoff, Sarkozy, Merkel, Greenspan, le patron de Lehman’s Brothers la sacrifiée, ainsi que le PDG très classe d’UBS, et deux hommes d’influence qui se sont suicidés à cause de la crise. Il y a aussi un mystérieux milliardaire suisse, qui dans son anonymat conservé fait figure de “vrai témoin”.

Ayant vécu à New-York, Mathieur Larnaudie rend parfaitement compte du climat d’octobre 2008 à Wall Street. Il estime que son “texte fonctionne comme une cupe, au sens géologique du terme, une sorte de traversée, de long glissement en spirale  [dans les profondeurs] de ceux ] qui sont devenus les véritables figures de la représentation de la crise dans l’imaginaire collectif”. Beau et froid comme du granit, ce texte fige, entre deux strates d’intimité, le témoignage de ceux qui ont vu leur monde s’autodétruire avec un détachement cruel. Ceux qui adhérent aux phrases d’une page de l’auteur, entrecoupées de plusiuers parenthèses, et suffocant physiquement le lecteur, adoreront “Les effondrés”. Pour sa précision autant que pour sa concision. En revanche certains se trouveront pris d’une profonde crise de claustrophobie dans ce texte serré comme un noeud coulant autour du cou d’un condamné, et qui ne laisse aucune place à l’anecdote gratuite ou à l’humour. Précieux et pédant, Larnaudie peut se permettre de l’être car il a indéniablement un style. Et un sujet très fort. Qu’il parvient – et c’est encore plus fort- à traiter avec les sens mais sans aucune sensiblerie – voire aucune sensibilité.

Mathieu Larnaudie, “Les effondrés”, Actes Sud, 179 p. 18 euros, sortie le 7 avril 2010.

“… l’on avait pu prétendre que, maintenant que l’on avait su dire adieu au vieux fantôme  historial, le temps universel devrait, indéfiniment, se régler sur celui de l’échange, de la seule administration du mouvement des capitaux et de la marchandise, c’est-à-dire où l’on pensait qu’il était bon que le terme “Histoire” n’eût plus cours autrement que pour désigner les menues inflexions qui orientaient les humeurs du marché, les fluctuations de l’économie mondiale, lesquelles avaient, précisément, pour principe de permettre que des monstres comme celle-ci devinssent la propriété d’une caste d’individus remarquables – ceux, probablement, ainsi que l’on put l’entendre prononcer un jour  à un célèbre publicitaire se flattant de compter parmi eux, qui avaient “réussi leur vie”- et de garantir qu’elles le fussent; mais bien plutôt une représentation stylisée de l’instant soudain où (de l’heure à laquelle) s’était constituée cette scène globale, nébuleuse et simultanée, cet accident planétaire dont le mot “crise” était le nom…”p. 73

La douce mélancolie de l’illusionniste

Mardi 6 avril 2010

Après avoir vendu plus d’un million de copies des “Arpenteurs du monde” traduit en 40 langue, le Wunderkind des lettres allemandes, Daniel Kehlmann est de retour chez Actes Sud avec la réédition de son roman d’apprentissage  “La nuit de l’illusioniste” et la sortie en poches de “Gloire”, dont l’intrigue se compose de 9 histoires. Petite plongée dans la prose douce-amère de Kehlman à travers le premier de ces deux opus qui paraît le 7 avril 2010.

Lorsque sa mère adoptive meurt frappée par la foudre, Arthur Beerholm prend soudain conscience de l’absurde de la vie et de l’absurdité de la mémoire. Resté seul face à face avec son père adoptif à qui il n’a rien à dire, surtout après que celui-ci a épousé sa ravissante et méchante jeune nounou, Arthur part en pensionnat puis décide de faire des études de théologie, qu’il finit par interrompre après un séjour traumatisant dans une retraite où les moines font voeu de silence. Entretemps, l’ancien élève très doué en mathématiques a rencontré les cartes et leur magie. Il décide de pousser l’art de l’illusion jusqu’à un niveai métaphysique qui lui était resté inaccessible par la voie de Dieu. Avec l’aide d’un très grand magicien, il se lance dans une course à l’excellence qui lui amène la gloire, mais pas vraiment de réponse à ses questions…

Amer, désenchanté et néanmoins profondément poétique dans la capture de l’instant, “La nuit de l’illusionniste” se dévore comme un fruit qui doit se manger encore vert. Daniel Kehlmann renouvelle le roman d’apprentissage désenchanté en alliant le manque de repères et un style légèrement surrané qui accroche le temps et le souvenir. Il parvient à rendre un héros dont le malheur n’est pas vraiment sympathique très fascinant, tout en ménageant une grand marge de détachement au lecteur. Un très beau roman.

Daniel Kehlmann, “La nuit de l’Illusionniste”, trad. Juliette Aubert, Actes Sud, 175 p., 17,80 euros.

C’était l’un des derniers jours d’août, et même ce jour précis où l’on sent à une subtile pesanteur magnétique que quelque chose va bientôt finir. Tout est encore en fleurs, les guêpes et les coccinelles s’agitent, mais à tout cela se mêle un indéfinissable malaise. Chaque année tient cette journée en réserve, et soudain elle est là et on ne sait pas ni d’où elle vient ni pourquoi elle tombe justement aujourd’hui. Voilà sans doute une des raisons pour lesquelles j’étais si pressé de partir et m’en allai sans me retourner et sans tenter de dire à Beerholm ce que j’aurais du lui dire. Si j’avais su que je ne devais jamais plus le revoir, que c’était la dernière occasion, est-ce que j’aurais essayé? Qu’est-ce que j’en sais! S’il y a une chose qui peut conduire l’homme au bord de la folie, c’est bien l’idée que certains évènements ne se rattrappent jamais, que des occasions passent et ne reviennent plus, jusqu’au moment où ce grand cosmos pétri d’étoiles se résoudra en lumière. Si au moins je m’étais retourné…! Je sais très bien que ma mémoire aurait conservé cette dernière image de Beerholm, debout dans l’embrasure de la porte (a-t-il fait un geste de la main? non, pas Beerholm). j’ai bien sûr beaucoup d’images de lui, mais c’est justement celle-ci, la plus importante, qui me manque. ma collection est icomplète et elle le restera.” p. 45

Daniel Glattauer écrit une romance électronique

Vendredi 26 mars 2010

Journaliste pour der Standard, Daniel Glattauer est devenu le chouchou de la critique et du public allemands et autrichiens avec son livre “Quand souffle le vent du nord” (750 0000 exemplaires vendus). Un roman épistolaire et romantique où les deux protagonistes se rencontrent au hasard des erreurs d’Internet et se disent les choses les plus intimes de derrière leur écran. Enfin disponible, 5 ans après sa sortie viennoise, “Quand souffle le vent du Nord” paraît chez Grasset le 1er avril.

Emma alias “Emmi” envoie par hasard un e-mail à un certain monsieur “Leike” en voulant résilier son abonnement au magazine “Like”. L’erreur se serait soldée par une simple réponse “ce n’est pas moi que vous cherchez à joindre”, si, le soir de Noël, Emmi n’avait pas inclus l’adresse mail de Leo Leike dans les destinataires de ses voeux. Les deux étrangers commencent alors un dialogue qui passe rapidement du jeu de devinettes à des discussions très intimes. Celles-ci n’empêchent pas les deux interlocuteurs touchés par Cupidon de laisser quelques zones d’ombres très étudiées. Or, Emmi est mariée et heureuse avec son homme et leurs deux enfants; elle se demande ce qu’elle cherche dans ces conversations essentielles avec Leo. De son côté Leo sort d’une histoire physique et impossible avec la froide Marlene, et comme c’est un type plutôt moral et plutôt sûr de ce qu’il vaut, l’idée de jouer le rôle de l’amant lui est simplement insupportable. Emmi sait être cynique et inconstante, Leo peut être dur et silencieux, mais tous deux savent se montrer extrêmement tendres. Pendant 348 pages, le lecteur se ballade au coeur de leur correspondance éléctronique. Et il y trouve le plaisir du voyeur non omniscient, puisqu’il n’en sait pas plus que ce que chaque amoureux veut bien dire à l’autre.”Quand souffle le vent du nord” est plus qu’une badinerie, mais reste léger comme du whiskey.

Daniel Glattauer, “Quand souffle le vent du nord”, Grasset, trad. Anne-Sophie Anglaret, 348 p., 18 euros, sortie le 1ier avril.

Non Leo, j’ai tout simplement le béguin pour vous. Vous me plaisez. Beaucoup, même! Beaucoup, beaucoup, beaucoup! Et je ne peux pas croire que vous ne vouliez pas me voir. Cela ne veut pas dire que nous devrions nous voir. Bien sûr que non! Mais par exemple, j’aimerais savoir à quoi vous ressemblez. cela expliquerait beaucoup. Je veux dire, cela expliquerait pourquoi vous écrivez comme vous le faites. parce que vous auriez exactement l’apparence de quelqu’un qui écrit comme vous. Et que j’aimerais bien savoir à quoi peut ressembler quelqu’un qui écrit comme vous. Ceci expliquerait cela.” p. 47


Daniel Glattauer – Quand souffle le vent du nord (Trailer)
envoyé par hachette-livre. – Découvrez plus de vidéos créatives.

Le Voisin insupportable et libérateur de Tatiana de Rosnay

Vendredi 26 mars 2010

L’auteure d’ “Elle s’appelait Sarah”, “La mémoire des murs” et de “boomerang” ressort chez Héloïse d’Ormesson un livre épuisé depuis 2000. Ccomme d’habitude thriller et fine psychologie sont au rendez-vous. Tatiana de Rosnay n’a donc pas besoin de la moto d’Angèle Rouvatier pour séduire ses lecteurs.

Colombe Barou ne s’habille pas en cuir, ne fait pas de moto et elle ne se préoccupe pas des cadavres, mais de la bonne tenue de sa petite famille : ses deux fils et son mari, bien trop souvent en voyage. Quand les enfants sont à l’école, elle fait un mi-temps comme nègre dans sa petite ville de province. En vrai, Colombe est une grande femme sensuelle et qui se rêve écrivaine; par habitude elle se tient voûtée,  se cache dans l’ombre de sa pétillante sœur Claire, et des auteurs dont elle écrit les livres. Mais un déménagement et un nouveau voisin qui la réveille en pleine nuit à grands renforts de Mick Jagger va pousser “bobonne” à se rebiffer. Si la nouvelle Colombe en pleine crise d’insomnie n’ose pas encore frapper à la porte du voisin pour lui dire combien il la dérange, elle s’offre des guêpières pour séduire à nouveau son mari et se faufile dans l’appartement du gêneur…

On retrouve dans “Le Voisin” la patte de Tatiana de Rosnay : suspense, fantômes, et intrusion fine dans la psychologie d’une jeune femme de bonne famille. De quoi nous tenir en haleine et nous donner à nous aussi l’envie de se révolter contre la tyrannie de l’aspirateur et de l’anonymat. Entièrement concentré sur la figure de Colombe, “Le Voisin” est peut-être moins subtil que d’habitude sur les motivations de ceux qui l’entourent : les enfants sont quasi inexistants et interchangeables sauf pour remarquer les transformations de leur maman, le mari est un boulet infidèle, la sœur une apparition un peu énervante, et même le voisin est bien pâle face à la force de caractère en plein chamboulement de Colombe. Colombe et c’est tout, mais cela suffit pour remplir un cahier des charges volumineux sur le travail harassant, silencieux et méconnu de toutes les discrètes mères de famille de France.

Tatiana de Rosnay, “Le Voisin”, Editions Héloïse d’Ormesson, 236p., 18 euros.

Vers deux heures du matin, Stéphane se met à ronfler. Colombe subit. La gamme complète est à sa disposition; elle reconnaît les longs, anticipe les courts, ceux ponctués d’un grognement, d’autres d’un râle. Comment a-t-elle pu passer plus d’une décennie auprès d’un homme qui ronfle autant? Il n’y a rien de pire que vouloir dormir à côté de quelqu’un qui, lui, dort profondément et le montre” p. 90.

Livre : Si la cour du mouton est sale, ce n’est pas au porc de le dire, de Florent Couao-Zotti

Vendredi 12 mars 2010

Après Le Cantique des cannibales (2004), Florent Couao-Zotti est de retour au Serpent à Plumes avec un roman inspiré par les ratés masculins et féminins de policiers, de prostituées et de gagnsters évoluant dans la région de Cotonou. Variations d’une cruauté vivante autour d’une petite malette de poudre blanche…

Au coeur du nouveau roman de Florent Couao-Zotti, il y a tout d’abord trois femmes : Saadath, l’ancienne reine de beauté déchue après la mort de son vieux caïd de mari, Sylvana l’aventurière féline et Rockyana, la femme “Fanta-Coca” (ie qui se déclore le visage, lui donnant une couleur orangée de Fanta, tout en conservant un corps couleur Coca). Leur point commun : elles vendent leur corps pour vivre. Mais monnaient leurs services fort cher, et n’hésitent pas à écraser la concurrence. Le sproblèmes arrivent après le meurtre de Saadath, qui a traffiqué de la drogue dans le sillage des anciens amis de son gangster de mari. Sylvana vole la malette de cocaïne que Saadath avait confiée à Rockyana pour tenter de la revendre aux anciens boss de Saadath. A la tête de cette pyramide de fabricants : Smaïn, alias “L’Arabe” qui après avoir perdu u bras par amour a décidé de devenir vraiment dur à cuir…

Révélant l’intriguepar fragments à la manière d’un tableau cubiste, Florent Couao-Zotti donne à chaque chapitre de son roman un titre en forme de proverbe béninois. Et tous sont aussi savoureux que le titre. Un glossaire en fin de texte vient renseigner le lecteur sur l’usage de mots locaux : l’on aporend avec intêrét qu’à Cotonou, le Gaou est le dindon de la farce, la Go une petite copine, et que tous les blans sont par extension “Lissa”, c’est-à-dire Albinos; sur fond de Magic System survolté, l’auteur nous traine dans un éboulement de métaphores dans des taxis défoncés, des bars mal famés, et des piaules de gangsters; il nous entraîen dans un monde où tous les coeurs sont frelatés, et où il n’y a pas vraiment de victime. Juste des gagnants et des perdants, des personnages nés beaux et dotés ou mal servis par la vie. Mais tous dégagent une folel énergie, cherchant sans scrupules à améliorer un quotidien frénétique. Une belle dose d’énergie pas très morale…

Florent Couao-Zotti, “Si la cour du mouton est sale, ce n’est pas au porc de le dire”, Le Serpent à Plumes, 208 p., 14 euros.

Elle ne regrettait nulelment d’avoir allongé le couteau dans le ventre de Mouf. Lui voulait se faire vent, épouser la courbe de l’horizon, cette nuit même, alors qu’elle souhaitait se faire éclater le corps des heures durant, toute la nuit, comme s’il ne restait que ec dernire festin à s’offrir. Oui, elle avait bien besoin des e donner de la jouissance, après l’exploit réalisé, en attendant de voir comment se lèverait le soleil. De toutes façons, le sort du jeune-homme était déjà scellé. Elle voulait l’utiliser juste pour l’opération, en soutirer du plaisir jusqu’à plus rassis, puis après, le jeter sur les décharges. “ p. 115