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Où vas-tu Moshé ? L’exil judéo-marocain incarné par Simon Elbaz

Lundi 7 juin 2010

Après le succès de la “Chambre noire” (2004) sur la torture d’un étudiant aux convictions marxistes dans le Maroc des années 1970, Hassan Benjelloun évoque l’exil judéo-marocain du début des années 1970 depuis le bar d’une petite ville de Bejaad. Musical, tendre et fraternel.

Au début des années 1960, après la mort du roi Mohamed V, et l’indépendance du Maroc, les juifs ne sont plus bien vus et tentent de partir clandestinement pour Israël. Dans la petite ville de bejaad, le départ des juifs est une catastrophe pour Mustafa (Abdelkader Lofti). Enfin propriétaire, après avoir passé sa vie à économiser pour racheter le bar du village au dernier français y vivant encore, il risque de devoir renincer à son commerce. En effet, conformément à la loi d’Allah, s’il ne reste plus que des musulmans dans le village.  le conseil pourra l’obliger à fermer son débit de boisson. Heureusement, dans son malheur, Mustafa a de la chance : le seul juif qui refuse de partir est Shlomo (Simon Elbaz), horloger et musicien.  Après  le départ mouvementé de sa femme et de sa fille pour Israël avec les autres juifs du village, ce dernier vient animer le bar de son voisin et ami lors de ses longues nuits de solitude …

Drôle, tendre et aussi critique (on sent bien la manière dont les rapports entre juifs et musulmans changent doucement à Bejaad, et le sionisme musclé des associations chargées de venir récupérer les juifs marocains est parodié), « Où vas-tu Moshé ? » fait partie de ces films simples dont le principal n’est pas la perfection des images, mais des dialogues savoureux, portés par des comédiens charismatiques. En juif attaché à son pays natal et refusant un « retour » qui est surtout un exil en Israël Simon Elbaz incarne – tout en musique- un personnage, où bien des exilés involontaires et bien des amoureux du Maroc se retrouveront.
A voir au cinéma les 3 Luxembourg, dès le 9 juin.

“Où vas-tu Moshé ?” (Finemachiamoshé ?), de Hassan Benjelloun, avec Simon Elbaz, Rim Shamou, Ilham Loulidi, Abdelkader Lotfi, Hassan Essakalli, Mohamed Tsouli, Abdelkader Lofti, Rabii El Kati, Abdelmalek Akhmiss, Abderrahim Bargache, Hassan Essakalli, Mohamed Tsouli Khandouki, Abdellah Chakiri, Maroc, 2008, 1h30.

Kichinev 1903 : Sur les traces de Bialik dans la ville du massacre

Dimanche 7 mars 2010

La maison de la poésie propose un spectacle autour du poème écrit en Hébreu  par Haïm NahmanBialik après qu’il est allé recueillir les témoignages des survivants du pogrom de Kichinev au printemps 1903. Venu d’une famille originaire de Kichinev, l’israélien Zohar Wexler raconte dans un Français sanglé sa propre quête de la vérité sur les pas de Bialik avant de lire avec toute son âme le poème « Dans la ville du massacre ». Bouleversant.

Les deux grands-parents de Zohar Wexler sont originaires de Kichinev (ville russe à l’époque) et sont arrivés en Palestine dans les années 1930. Les arrières grands-parents du narrateur ont donc été témoins (et pour l’arrière grand-père, victime) des pogromes de 1903 et 1905. Le pogrome de Kichinev qui a duré deux jours pendant Pessah et Pâques les 6 et 7 avril 1903 a fait 49 morts et plus de 300 blessés. La violence exercée par les habitants de Kichinev sur leurs voisins juifs était à l’époque un choc car d’une bestialité inégalée : femmes violées, femmes enceintes éventrées, crânes défoncés au marteau, vieillards décapités … La toute jeune photographie a immortalisé ce moment de barbarie et les photos du massacre ont fait le tour de la presse internationale.

Vivant à l’époque à Odessa (avant de devenir Le poète national d’Israël où il a immigré en 1924) Haïm Nahman Bialik a été envoyé par la Commission historique juive recueillir des témoignages du pogrome en mai 1903. S’il a pris de nombreuses notes (dont les carnets sont toujours à Kichinev), Bialik n’est pas revenu de ce voyage avec  un rapport, mais avec un poème. Un poème en Hébreu, bourré de références biblique, et dans lequel Dieu lui-même narre les faits et avec eux, sa honte. Après avoir raconté dans un style très simple et droit sa propre et récente quête sur les pas de Bialik dans la ville de ses grands parents, Zohar Wexler récite avec toutes ses forces le poème de Bialik.

« Dans la ville du massacre » se fait écho de la violence, de la colère et du deuil. De l’incompréhension aussi, puisque les juifs morts ont été assassinés pour rien. Les survivants ne savent que se résigner et mendier, tout reprend comme si de rien n’était. Seules les araignées gardent la mémoire vivante de ce qui s’est vraiment passé. Alors Dieu demande à un homme qu’il appelle « Fils d’Adam » – et à qui ils parle en termes biblique comme à Abraham (Lève toi et marche)- de toujours se souvenir. De maintenir dans la colère le souvenir, en rendant le deuil impossible. La récitation du poème est le véritable cœur du spectacle, la petite histoire du retour aux origines n’étant qu’un moyen de préparer le spectateur à tant de noirceur. Ce périple vers la ville du massacre est scandé par l’accent chaleureux et israélien de Zohar Wexler, porté par des vidéos montrant Israël, Kichinev, la mer, et aussi les archives (photos et textes). Ces vidéos, ainsi que celles de l’entrée qui introduisent le spectateur dans l’univers tout particulier du massacre, de la colère qui en est née et du sionisme, sont signées Marie-Elyse Beyne.

« Kichinev 1903 », avec et de Zohar Wexler, vidéos Marie-Elyse Beyne, scénographie Vincent Tordjman, lumièreChristian Pinaud, son Teddy lasry, costumes Cidalia Da Costa. Jjusqu’au 21 mars, mer-sam 20h, dim 16h, durée 1h10, Maison de la poésie, petite salle, entrée 161, rue Saint-martin, Paris 3e, m° Rambuteau, Les Halles, 17 euros (TR 12 et 5 euros).

« Lève-toi et va dans la ville du massacre,
Et tu verras de tes yeux et tu palperas de tes mains,
Sur les haies et les murs, les arbres et les pierres,
Du sang coagulé et des cervelles durcies.
Et tu traverseras les ruines et les décombres,
Et les murs éventrés et les fours éclatés,
Là où la hache creusa amplifia les trous et les brèches,
Pareils à des plaies béantes, noirs, incurables
Et tu passeras plongeant les pieds dans les plumes,
Butant contre des tas de bris et de débris,
Trébuchant sur des montagnes de livres et de parchemins
L’anéantissement d’un travail surhumain.
Et tu ne t’arrêteras pas sur cette destruction et tu passeras vers le chemin.
Plus loin les acacias se montreront à tes yeux,
Parées de fleurs et de plumes et exhalant une odeur de sang
Tes narines en respireront de force
L’étrange encens offert par un aimable printemps.
Et tandis que de ses flèches d’or,
Un soleil radieux te fendra le corps –
De chaque éclat de verre
Partiront des rayons joyeux,
Comme pour railler ton malheur.
Car Dieu convia le printemps et le massacre à la fois :
Le soleil brilla, l’acacia fleurit et l’égorgeur égorgea… »

crédits photos : © Béatrice Logeais / Maison de la Poésie

Roman : Le livre de Rachel, d’Esther David

Vendredi 20 février 2009

Après « La ville entre ses murs » (1998), l’artiste et auteure indienne Esther David publie « Le livre de Rachel » aux éditions Héloïse d’Ormesson. A grands renforts de recettes traditionnelles, Rachel tente de sauver la synagogue désormais vide de son village de Danda, près de Bombay. Un combat aussi noble que vivant.

Alors que ses enfants sont partis vivre en Israël, Rachel n’a pas pu se résoudre à quitter le village de Danda où elle a été si heureuse avec son mari Aaron entre la mer, les tamariniers, sa cuisine et la vieille synagogue. Veuve d’âge honorable, mais toujours aussi alerte et fine cuisinière, Rachel a désormais les clés de la synagogue et l’entretien. Celle-ci est toujours vide puisqu’il n’y a plus dix hommes juifs dans le village pour constituer « minian », le petit groupe nécessaire pour prier. Mais le jour où un homme d’affaire veut racheter le terrain de la synagogue pour créer une station balnéaire, Rachel panique et parvient à réunir autour de ses bons petits plats un jeune avocat pour la défendre et l’une de ses filles. Le combat semble perdu d’avance, mais heureusement, le prophète Elie veille.

Restée à mi-chemin entre tradition et modernité, Rachel est une vestale indienne et juive touchante. Femme forte mais restant le plus souvent à la cuisine, encore habitée par un vieil esprit de marieuse, même si elle accepte les shorts en jean de sa fille, elle ouvre au lecteur tout un monde lointain. Celui des “Bné-Israël”, ces rares juifs indiens en voie de disparition ( La plupart des juifs indiens ont à l’heure actuelle émigré en Israël). Sa manière de nous faire découvrir cette tradition est très instinctive et sensuelle. Cela passe par les odeurs, les sentiments filiaux, la mémoire évidemment, et le plaisir évident que Rachel prend à suivre et perpétrer des rites, même seule. Le roman peut aussi se poser sur l’étagère de la cuisine, comme livre de recettes à la fois “casheres” et indiennes. Ainsi l’on apprend que les « Pouranpoli » sortes de gâteaux de pois-chiches peuvent faire office de philtres d’amour, et à la lecture du livre, on a une seule envie c’est de goûter les « Bombil » (poisson traditionnel) de Rachel. L’eau à la bouche et l’esprit en voyage, que demander de plus à un livre ?

Esther David, « Le livre de Rachel », Trad. Sonja Terangle, Eho, 300 p., 21 euros.

« Normalement, Rachel ne faisait des Pouranpoli qu’une seule fois par an, à l’occasion de Pourim. Quand elle était seule, elle en préparait juste deux, un pour le déjeuner et l’autre pour le dîner, mais quand il y avait de la famille, elle en faisait d’avantage. Exceptionnellement, elle en cuisinait lorsqu’elle était particulièrement heureuse, par exemple, à la naissance d’un petit-enfant » p. 175

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