La tête en friche, l’illettrisme à visage humain
Lundi 7 juin 2010Le réalisateur d'”Elisa” et des “Enfants du marais” retrouve Gérard Depardieu pour un grand film Français digne des chefs-d’œuvre de son papa, Jacques Beceker. Un dialogue scintillant et émouvant entre un homme mûr un peu simple et une vieille dame folle de livres sur un banc d’une ville de Province… A voir sans modérer l’usage enthousiaste de sa boîte de kleenex.
Germain (toujours incroyable Gérard Depardieu) est un homme de quarante-cinq ans souffrant d’avoir toujours été considéré comme “le béret” (ie l’idiot) du village, et palliant son illettrisme par l’amour du jardinage, l’amitié et une belle et simple histoire d’amour avec une jeune-femme chauffeur de bus (lumineuse Sophie Guillemin). Tous les jours, il va déjeuner au parc où il compte les pigeons. Il leur a même donné un nom à chacun! Cette attention pour les animaux qui l’entourent lui permet de rencontrer une vieille dame solitaire, perchée comme un moineau sur son banc, et toujours un livre en main : Margueritte (merveilleuse Gisèle Casadesus). Celle-ci l’appelle “jeune-homme” et sait voir la perle qui sommeille sous l’apparence un peu lourde de Germain. Elle se met à lui lire à voix haute Albert Camus et Romain Gary et, lui montrant combien une écoute attentive est à la racine même de tout bon lecteur, elle réussit là où tous les instituteurs de l’école républicaine ont échoué. Transformé, Germain se met à citer le panthéon de la littérature française devant ses camarades de bar, un peu étonnés. Une véritable histoire d’amour filial naît entre Germain et Margueritte. Et le jour où celle-ci lui annonce qu’elle perd la vue, Germain décide d’affronter son pire ennemi : la difficulté de lire, pour pouvoir continuer de traverser mots et phrases en compagnie de sa nouvelle amie.
Court, incisif et plein d’amour de l’homme et du monde, sans jamais tomber dans le sentimental, le film “La tête en friche” a un petit côté suranné qui rappelle l’âge d’or du cinéma français. Avec ce qu’il a de meilleur : des dialogues étincelants, adaptés par Jean-Loup Dabadie et Jean Becker du roman de Marie-Sabine Roger, une galerie de personnages extrêmement touchants (la vieille dame fière et solitaire, la patronne de bar amoureuse d’un jeune homme infidèle et jouée par la délicieuse Maurane, la mère dure et têtue enfermée dans son passé et la musique de Luis Mariano, et bien sûr le très touchant cancre-crème Germain), une musique signée Laurent Voulzy, et des comédiens absolument remarquables (avec également François-Xavier Demaison en amant profiteur et violent). On en sort le cœur serré et bondissant d’émotion, avec une nostalgie constructive pour la simplicité de relations profondes qui ne passent pas seulement par le fil complexe des mots mais aussi par des gestes simples : offrir du fenouil, des fleurs, un dictionnaire, s’occuper au jour le jour de l’autre, ou mettre de l’argent de côté pour ses enfants. A voir absolument.
“La tête en friche”, de Jean Becker, avec Geneviève Casadesus, Gérard Depardieu, Maurane, Sophie Guillemin, François-Xavier Demaison, et Jean-François Stévenin, France, 1h22, sortie le 2 juin 2010.