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Ajami : flash-backs de violence à Jaffa

Mercredi 7 avril 2010

Nominé cette année aux Oscars, ayant raflé toutes les distinctions aux ophirs israéliens, et co-réalisé par un israélien (Yaron Shani ) et un palestinien (Scandar Copti), “Ajami” a été acclamé partout dans le monde. Le film détaille les destinées d’arabes-israéliens, de palestiniens, de chrétiens-israéliens, et d’israéliens dans le quartier d’Ajami à Jaffa. Un bain de sang monté en flash backs, avec des acteurs non-professionnels et dont tout le monde louel e caractère “authentique”.

“Ajami” commence sur un réglement de comptes qui tourne mal : le voisin d’Omar (16 ans) et Nasri (13 ans) est assassiné en pleine rue à la place d’Omar par les membres d’un clan que leur oncle a menacé. Dès lors, les deux frères se cherchent un parrain pour les protéger. Le réglement à l'”amiable” de la querelle a un grand prix qui pousse Omar à vouloir traffiquer de la drogue. Dans le même quartier un jeune palestinien vient travailler tous les jours clandestinement dans les cuisines d’un restaurant tenu par un “parrain” chrétien israélien et espère pouvoir payer les soins de sa maman malade d’un cancer. A ses côtés en cuisine, un jeune garçon qui y travaille légalement trempe dans le traffic de drogue. Un policier israélien chargé de surveiller le quartier est à la recherche de son frère, disparu alors qu’il était soldat en permission… Tous ces personnages se croisent au fur et à mesure que les exploitations et les bains de sang s’accumulent dans un climat de barbarie “authentique”. Ayant filmé chronologiquement avec seulement deux caméras, des acteurs non-professionnels, et très peu de prises, et monté le film pendant un an “comme un documentaire”, Scandar Copti et Yaron Shani tenaient beaucoup à représenter Ajami comme une “vraie” jungle où les destins se brisent. Le tour très “tiers-monde” donné volontairement à des images désordonnées, rapides et sans fioritures, et la rapidité du débit rappellent un “Slumdog millionaire” sans espoir et sans aucune paillette. La violence est encore rehaussée par les flash-backs qui rappellent au spectateurs oublieux combien les turies des rues ou des parkings trucident des adolescents qui cherchent à s’en sortir, face à des parrains qui font leur beurre de tout ce sang, et à des policiers israéliens pas méchants mais très idiots (et ne parlant pas l’Arabe) qui laissent, malgré eux, les divers clans arabes s’étriper sans agir.

“Ajami”, de Scandar Copti et Yaron Shani, avec Fouad Habash, Shahir Kabaha, Ibrahim Frege, Scandar Copti, Eran Naim Israël/Palestine, 2009, 120 minutes, sortie le 7 avril 2010.

Kichinev 1903 : Sur les traces de Bialik dans la ville du massacre

Dimanche 7 mars 2010

La maison de la poésie propose un spectacle autour du poème écrit en Hébreu  par Haïm NahmanBialik après qu’il est allé recueillir les témoignages des survivants du pogrom de Kichinev au printemps 1903. Venu d’une famille originaire de Kichinev, l’israélien Zohar Wexler raconte dans un Français sanglé sa propre quête de la vérité sur les pas de Bialik avant de lire avec toute son âme le poème « Dans la ville du massacre ». Bouleversant.

Les deux grands-parents de Zohar Wexler sont originaires de Kichinev (ville russe à l’époque) et sont arrivés en Palestine dans les années 1930. Les arrières grands-parents du narrateur ont donc été témoins (et pour l’arrière grand-père, victime) des pogromes de 1903 et 1905. Le pogrome de Kichinev qui a duré deux jours pendant Pessah et Pâques les 6 et 7 avril 1903 a fait 49 morts et plus de 300 blessés. La violence exercée par les habitants de Kichinev sur leurs voisins juifs était à l’époque un choc car d’une bestialité inégalée : femmes violées, femmes enceintes éventrées, crânes défoncés au marteau, vieillards décapités … La toute jeune photographie a immortalisé ce moment de barbarie et les photos du massacre ont fait le tour de la presse internationale.

Vivant à l’époque à Odessa (avant de devenir Le poète national d’Israël où il a immigré en 1924) Haïm Nahman Bialik a été envoyé par la Commission historique juive recueillir des témoignages du pogrome en mai 1903. S’il a pris de nombreuses notes (dont les carnets sont toujours à Kichinev), Bialik n’est pas revenu de ce voyage avec  un rapport, mais avec un poème. Un poème en Hébreu, bourré de références biblique, et dans lequel Dieu lui-même narre les faits et avec eux, sa honte. Après avoir raconté dans un style très simple et droit sa propre et récente quête sur les pas de Bialik dans la ville de ses grands parents, Zohar Wexler récite avec toutes ses forces le poème de Bialik.

« Dans la ville du massacre » se fait écho de la violence, de la colère et du deuil. De l’incompréhension aussi, puisque les juifs morts ont été assassinés pour rien. Les survivants ne savent que se résigner et mendier, tout reprend comme si de rien n’était. Seules les araignées gardent la mémoire vivante de ce qui s’est vraiment passé. Alors Dieu demande à un homme qu’il appelle « Fils d’Adam » – et à qui ils parle en termes biblique comme à Abraham (Lève toi et marche)- de toujours se souvenir. De maintenir dans la colère le souvenir, en rendant le deuil impossible. La récitation du poème est le véritable cœur du spectacle, la petite histoire du retour aux origines n’étant qu’un moyen de préparer le spectateur à tant de noirceur. Ce périple vers la ville du massacre est scandé par l’accent chaleureux et israélien de Zohar Wexler, porté par des vidéos montrant Israël, Kichinev, la mer, et aussi les archives (photos et textes). Ces vidéos, ainsi que celles de l’entrée qui introduisent le spectateur dans l’univers tout particulier du massacre, de la colère qui en est née et du sionisme, sont signées Marie-Elyse Beyne.

« Kichinev 1903 », avec et de Zohar Wexler, vidéos Marie-Elyse Beyne, scénographie Vincent Tordjman, lumièreChristian Pinaud, son Teddy lasry, costumes Cidalia Da Costa. Jjusqu’au 21 mars, mer-sam 20h, dim 16h, durée 1h10, Maison de la poésie, petite salle, entrée 161, rue Saint-martin, Paris 3e, m° Rambuteau, Les Halles, 17 euros (TR 12 et 5 euros).

« Lève-toi et va dans la ville du massacre,
Et tu verras de tes yeux et tu palperas de tes mains,
Sur les haies et les murs, les arbres et les pierres,
Du sang coagulé et des cervelles durcies.
Et tu traverseras les ruines et les décombres,
Et les murs éventrés et les fours éclatés,
Là où la hache creusa amplifia les trous et les brèches,
Pareils à des plaies béantes, noirs, incurables
Et tu passeras plongeant les pieds dans les plumes,
Butant contre des tas de bris et de débris,
Trébuchant sur des montagnes de livres et de parchemins
L’anéantissement d’un travail surhumain.
Et tu ne t’arrêteras pas sur cette destruction et tu passeras vers le chemin.
Plus loin les acacias se montreront à tes yeux,
Parées de fleurs et de plumes et exhalant une odeur de sang
Tes narines en respireront de force
L’étrange encens offert par un aimable printemps.
Et tandis que de ses flèches d’or,
Un soleil radieux te fendra le corps –
De chaque éclat de verre
Partiront des rayons joyeux,
Comme pour railler ton malheur.
Car Dieu convia le printemps et le massacre à la fois :
Le soleil brilla, l’acacia fleurit et l’égorgeur égorgea… »

crédits photos : © Béatrice Logeais / Maison de la Poésie

Lebanon, la guerre depuis un tank

Mercredi 13 janvier 2010

Lion d’or à Venise cette année, le film autobiographique de l’israélien Samuel Maoz montre la première guerre du Liban depuis le viseur d’un tank. Fruit de vingt ans de maturation, « Lebanon » est visuellement superbe et moralement éprouvant. Avant première au forum des images le 12 janvier.

« Je n’avais jamais tué quelqu’un avant cette terrible journée. Je suis devenu une vraie machine à tuer. Sortir  ce tank de ma tête m’a pris plus de vingt ans. C’est mon histoire ».

S.M.

Après «Valse avec Bachir » d’Ari Folman, et « Beaufort », de Joseph Cedar, « Lebanon » est une autre évocation de l’invasion du Liban par un vétéran sur Grand écran. Samuel Maoz se rappelle ses dix-neuf ans, la peur et la fin de l’innocence lorsqu’il s’est retrouvé tireur dans un tank chargé de traverser la frontière libanaise. Aux côtés de trois hommes aussi jeunes que lui : Herzl, chargeant les obus,Ygal conduisant le tank et Assi commandant la troupe, Shmulik se retrouve dans des villes déjà bombardées du Sud du Liban, obligé d’obéir aux ordres de leur chef Jamil et de tuer des hommes, parfois des civils, sans quoi il expose sa vie et celle de ses camarades dans et hors du tank. Or, ce tank dévie de son chemin et se retrouve en région syrienne, là où Tsahal ne peut plus venir en aide à ses hommes…

En filmant « Lebanon », Samuel Maoz est finalement parvenu à surmonter un trauma. En plongeant son spectateur dans la réalité crue et aveugle de la guerre, il s’est lui-même libéré d’un poids qu’il partage avec de nombreux hommes de sa génération. Dur avec lui-même, ses acteurs (qu’il a enfermés pendant des heures dans un container pour leur faire ressentir la terreur qui a pu être la sienne en été 1982), et ses spectateurs à qui il n’épargne aucun détail du quotidien du soldat en guerre, Maoz a trouvé un angle visuel fantastique pour transmettre son expérience. La caméra est enfermée dans le tank, et le monde extérieur n’est visible que par le biais du viseur de  Shmulik. On entend les résultats des tirs, lorsque le commandant décrit par le canal de la radio militaire les blessés et les morts. Se réclamant de grands cinéastes ayant filmé la passivité dans la guerre comme Tarkovski dans l’ « Enfance d’Ivan » (1962), Maoz a su par ce procédé du viseur rompre la monotonie d’une réalité faite d’ordres, de saleté, de corps déchiquetés, et de terreur par des scènes poétiques mais néanmoins effrayantes comme la vision d’une femme libanaise qui survit à une grenade dans son appartement, recherchant sa fille morte dans les décombres, et ses vêtements prenant feu alors qu’elle se trouve devant le char. Même s’il a été parfois très critiqué en Israël, puisqu’il montre une « guerre sale », où les guerriers de Tsahal sont à la fois des victimes et des bourreaux, l’objectif du réalisateur n’est pas de dénoncer mais de partager son expérience et de la retranscrire avec exactitude. Ce voyage au bout de la nuit d’un jeune soldat israélien est un témoignage essentiel, et dont on ne peut que louer la force esthétique et historique.


Lebanon sur Comme Au Cinema

« Lebanon » de Samuel Maoz, avec Yoav Donat, Itay Tiray, Oshri Cohen, Michael Moshonov, Zohar Strauss, Israël, 93 min, sortie le 3 février, avant première au Forum des images le 12 janvier.

Cinéma : Plus tard tu comprendras, de Amos Gitaï

Mardi 6 janvier 2009

Le cinéaste israélien adapte un livre de Jérôme Clément et emprunte ses comédiens à Desplechins pour tourner à Paris un film sur la mémoire et le non dit.

Alors que le procès de Klaus Barbie fait la une des médias, Victor, un énarque arrivé d’une quarantaine d’année (Hyppolite Girardot) se met à enquêter sur le passé de sa mère Rivka (Jeanne Moreau qui retrouve Amos Gitaï après son petit rôle dans « Free zone »), juive d’origine russe et qui n’a jamais parlé de ses parents disparus pendant la guerre. Sa femme, Françoise (Emmanuelle Devos) et sa sœur Tania (Dominique Blanc) l’aident comme elles peuvent dans cette épreuve difficile après des décennies de non-dits.

Tout se passe comme si Amos Gitaï reprenait la première partie européenne de son dernier long-métrage, “Free zone” et l’étendait sur une heure et demie. Dès la première scène, au mémorial de la rue Geoffroy l’Asnier, il utilise sa signature : la plan séquence, pour signifier l’enfermement à travers l’usage de l’espace et de l’architecture. « Plus tard, tu comprendras… » semble d’ailleurs d’autant plus une suite grandiose de plans séquences qu’il a été tourné dans l’ordre chronologique et que les comédiens se sont complètement laissés prendre au jeu d’espace instauré par Gitaï. Ainsi, l’appartement de la rue du dragon de Rivka devient un lieu étouffant où les secrets enfouis du passé ne peuvent pas transpercer. Dès qu’ils vont parler de la guerre, les personnages se lèvent, d’agitent et la caméra semble avoir de la peine à les suivre à travers les murs. Ils se penchent donc souvent aux fenêtres pour parler plus légèrement, sinon librement. C’est d’ailleurs à la synagogue de la rue Copernic et face à l’échéance d’une maladie mortelle que Rivka se décide enfin à parler à ses petits-enfants.

Incroyablement virtuose du point de vue de la photo (signée Caroline Champetier) du sens de la chronologie et du mouvement, et servi par de tout grands acteurs « Plus tard… » est néanmoins profondément maladroit. Dans ses dialogues, d’abord, parfois terriblement banals pour couvrir ce qui affleure de dangereux dans le silence, dans sa narration – notamment au moment de la scène parfaitement reconstituée dans la mémoire de Victor sur la rafle de ses grands-parents- et dans les brusques mouvements des personnages. Cette maladresse de fond dans un écrin parfait de forme est voulue et rend parfaitement compte des soubresauts douloureux de la mémoire.

Gitaï partage avec l’écrivain israélien Aharon Appelfeld la conviction que lorsque la génération des rescapés ne sera plus ce sera à l’art de conserver la mémoire de ce passé qui ne passe pas et laisse des traces sur plus de trois générations. Il prouve avec ce film que son art à lui est capable d’épouser le rythme saccadé et de signifier la douleur d’un souvenir qui est d’autant plus violent qu’on en hérite et qu’on est obligé d’imaginer et de reconstituer ce qui s’est passé.

Sa claustrophobie est à la fois belle, dérangeante et salutaire.

« Plus tard tu comprendras », de Amos Gitaï, d’après le roman de Jérôme Clément (Grasset), avec Jeanne Moreau, Hyppolite Girardot, Emmanuelle Devos, Emmanuelle Blanc, 2008, 1h28.