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Cindy Lauper : Je n’ai jamais pensé au Blues comme à autre chose que du Rock’n roll

Lundi 11 octobre 2010

Jolie Interview, dont je suis, il faut bien le dire assez fière.

1) Toutes les copines étaient mortes de jalousie

2) Après l’affreuse expérience Nick Cave, j’ai eu très peur, mais Cindy Lauper a l’âge de ma mère et son énergie et sa gentillesse. Ce beau moment passé ensemble et où elle m’a confié des choses assez personnelles, s’est fini en happy end américain : un grand hug, qui avec l’accent de Brooklyn m’a rendue toute chose et toute nostalgique de Brooklyn. Merci à Lare et Thomas…

Connue pour ses textes et compositions originales comme « Girls wanna have fun », « Time after time » ou « True colors », l’icône des années 1980 a surpris son public en sortant au printemps dernier un onzième album studio compilant de grands standards de Blues, interprétés par Ida Cox, Robert Johnson, ou Muddy Waters. Et Cindy Lauper a quitté New-York natal pour enregistrer à Memphis même son « Memphis Blues », entourée des plus grands musiciens du genre : le guitariste B. B. King, l’harmoniciste Charlie Musselwhite, le pianiste Allen Toussaint ou encore la chanteuse Ann Peebles. Ce retour aux classiques n’a pas empêché Cindy Lauper de rester elle-même : sulfureuse et engagée, aux côtés de Lady gaga dans la campagne anti HIV pour les rouge à lèvres MAC et dans le jeu de téléréalité de Donald Trump sur NBC : The Celebrity Apprentice. La chanteuse a d’ailleurs donné une véritable performance live du premier single de son CD, « Just your fool », lors du final de l’émission.

Alors que l’album « Memphis Blues » est finalement sorti en France le 28 septembre dernier , c’est avec une folle chevelure rousse et une énergie communicative que Cindy Lauper a répondu aux questions de toute la culture.

Est-il vrai que les femmes extravagantes n’ont pas le blues ? (« Wild women don’t have the blues » est le titre d’une chanson de Ida Cox reprise sur le dernier album de Cindy Lauper )
Absolument, je pense que le message de femmes comme Ida Cox qui a écrit cette chanson, Memphis Minnie, Bessie Smith et Ma Rainy –elles étaient les premières féministes- était que « Girls just wanna have fun ». Je pense que c’est vrai, si tu es wild et que tu gardes un cœur sauvage, ce qui est extrêmement difficile aujourd’hui, cela te libère. C’est pourquoi je crois qu’Ida Cox a dit cela.


Vous avez quand même le blues de temps en temps ?
Bien sûr ! Toutes nos vies sont emplies de blues. Mais une des caractéristiques du Blues, c’est qu’il remonte le moral. C’est sa meilleure part.

Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir au Blues ? Et pourquoi être allé jusqu’à Memphis pour enregistrer votre album ?

Je l’ai fait exprès. J’ai toujours voulu faire cet album. J’ai déjà essayé en 2004 et ca n’avait pas marché. Mais les choses arrivent toujours pour une raison. Quand je lisais les journaux, il semblait que tout le monde avait le blues. Il était temps de faire quelque chose comme ça aux États-Unis et partout dans le monde, les gens avaient sans arrêt le blues, à la maison et au travail, partout. Et j’étais enfin prête et je suis allée à Memphis. Et c’était la chose juste à faire. Tu sais, les vieilles chansons font partie de notre héritage. Et je pensais que ce serait bien de choisir des chansons qui sonnent comme si elles avaient été écrites aujourd’hui. Parce que cela montre comment l’histoire se répète. Et j’ai aussi choisi de chansons qui donnaient de l’énergie. Le blues a été écrit par des gens qui étaient opprimés. C’était des gens opprimés et ils ont quand même choisi d’écrire des chansons qui remontent le moral.


Mais n’était-ce pas trop difficile de changer de registre ?

Je n’ai pas eu cette impression. Toute la musique moderne est basée sur le blues. Pour moi, c’était une manière de revenir au début, à l’origine du rock’n roll. Quand j’ai grandi dans le rock’n roll, je n’ai jamais pensé au blues comme à autre chose que du rock’n roll. Pour moi, c’était un retour à la maison. Quand je chantais avec tous ces grands artistes, c’était comme renaître ailleurs, et c’était extrêmement bon. J’ai eu la chance de rencontrer Charlie Musselwhite, J’avais déjà travaillé avec Allen Toussaint dans un CD réalisé pour une opération de charité après Katrina (vous pouvez voir leur duo « Last Train/ I know » ici.)
Et c’était un plaisir de le retrouver, car il est fantastique. C’est une personne merveilleuse et l’un des plus grands pianistes vivants. Juste magique. Et, Mon Dieu, BB King… C’étaient tous des trésors américains. En plus, ils ne savaient pas qui j’étais, ce qui était aussi formidable. Il n’y avait pas d’attentes, pas de notions préconçues. Juste cette femme aux tenues un peu étranges qui vient avec des chansons qu’elle a choisies. Ils ont aimé la sélection, mais ne savaient pas si elle pouvait chanter ou pas. Et tout ça c’est très bon !


Cela vous a-t-il donné envie de continuer dans le Blues ?

Il y a des chansons que je n’ai pas pu mettre dans cet album et que j’aimerais tellement enregistrer, j’ai pu mettre de Ma Rainy, mais il y a d’autres chansons que je trouve géniales. Ou des chansons de Memphis Minnie. Cela voudrait dire faire un autre album blues. On va voir si je peux le faire.

Chanter du Blues, est-ce une discipline très différente du chant pop ?
Non tu chantes plus. Dans la pop tu ne chantes pas tellement. Mais moi, quand je chante le blues je dois faire attention à ne pas trop chanter. Parce que la musique n’est pas ce que tu chantes, c’est ce que tu ne chantes pas. Et vraiment le groove est roi. Tu dois coller à tout ce qui sert le groove, raconter l’histoire, et t’ancrer dans le rythme. Et on ne joue pas tous la même chose. La musique est basée sur des appels et des réponses. Tous ces appels et réponses créent un appel intérieur. Cet appel intérieur, placé sur la juste portée, va ouvrir ce lieu pour la rendre hors de ce monde. C’est ça qui est tellement prenant dans le blues. Dans la musique en général, d’ailleurs. C’est ça qui te fait revenir en arrière. En tant qu’artiste, c’est une leçon très importante. Oui, il y a des jours où tu es bon, des jours où tu es mauvais. Mais le plus important est de toujours écouter ce qu’il y a à l’intérieur, et entendre le chemin et poser le pied le plus ferme possible sur ce chemin.
Par exemple, j’ai travaillé avec un chorégraphe. En général, quand je danse, je suis libre, je n’ai aucune idée de ce que je fais. Mais ce chorégraphe, Louis Falco, très connu pour avoir fait la chorégraphie du film de Fame, m’a envoyé cette lettre que je garde toujours dans ma boite à musique. C’est une copie d’une lettre de Martha Graham écrivant à Agnes de Millle. De Mille faisait Appalachian Spring (ballet composé en 1943 par Aaron Copland, ndlr). Et elle n’était pas contente d’elle-même. Martha Graham lui a écrit à ce moment-là qu’il était de son devoir de laisser les vannes ouvertesz et de continuer. Il y aura toujours des moments où l’on n’est pas content que ce que l’on fait, où ce n’est pas assez. Mais c’est la malédiction de l’artiste.

De quoi êtes-vous le plus fière dans cet album ?
Ce dont je suis le plus fière à propos de « Memphis Blues », ce n’est pas moi, c’est que je chante avec ces gars. Je suis éblouie par la manière dont ils jouent et de l’esprit que le disque parvient à capturer. Ca c’était incroyable. C’était live et a été pris en cassette. Et moi, j’ai tout fait pour rendre l’habillage, la couverture, aussi joli que possible. J’ai utilisé des images de Ma Rainy. J’ai travaillé avec Ellen von Unwerth qui avait fait la campagne MAC Viva Glam (Rouge à lèvre spécial dot les ventes ont alimenté le fond d’aide de lutte et éducation des femmes contre le Sida. Après Fergie, Cindy Lauper a été l’effigie de cette campagne, aux côtés de Lady Gaga, au printemps dernier ndlr). Et nous nous sommes inspirées de cette ambiance Boudoir de la campagne Mac. Pour la campagne MAC ça marchait car nous parlions d’une maladie sexuelle, donc la campagne devait être sexy, parce qu’il s’agissait de sexe, d’une maladie sexuellement transmissible. Mais en le faisant je me disais que le Blues était également très sexe. Donc il devrait aussi y avoir cette ambiance boudoir. Si tu regardes la manière dont Ma Rainy s’habillait et à la manière dont Bessie Smith s’habillait, et même Robert Johnson, il y avait un côté féminin et un côté masculin. Ma Rainy s’habillait comme un homme, dans un costume. Bien avant Dietrich. Même si j’aime Dietrich, come on ! Je l’adore. Je pensais qu’il était important de combiner ces visuels : la mythologie du serpent, l’homme et la femme. Qu’et-ce qu’être une femme dans toute l’histoire d’Adam et Eve ? Je ne pense pas que le serpent soit le pêché ou comme des vieux moines catholiques romains du Moyen-âge l’ont inventé. Moi je pense que le serpent représente la régénération, parce que quand tu regardes cet animal, il perd sa peau et la reconstitue. Pour moi, c’est une histoire d’enfant et de régénération…

Quel public a touché ce nouvel album ? Les fans de Cindy Lauper ? Des amateurs de Blues ? Les deux ?
Je n’en ai aucune idée. Ce sont plein de gens différents. En tout cas ils aiment l’album. Memphis Blues était premiers des charts de Blues pendant 13 semaines.Les publics sont mêlés. Mais ça ne me préoccupe plus. Ça ne me gêne pas. Je vais dehors, je regarde mon public, et je chante pour lui. Je ne renonce à personne, à rien et à aucun public. Je veux juste leur transmettre de l’énergie et les animer. Je pense que cette musique a une âme. Et les musiciens avec qui je joue sont tellement extraordinaires, que c’est carrément un voyage. Je refuse de mettre en scène mon Show à l’ancienne, même si les morceaux choisis sont à l’ancienne, parce que ce n’est pas bon de faire et refaire toujours la même chose. Tu dois prendre tes distances et avancer d’un pas parce que sinon, cela devient statique et mauvais. C’est aussi pour cela que l’enregistrement a été fait à l’ancienne, sur bandes analogiques, parce que je ne voulais pas faire semblant. C’est ennuyeux de faire semblant. Je n’ai jamais fait semblant, je n’ai jamais rien simulé. Même pas ce tu sais quoi … (rires)

Le 12 novembre prochain, vous participez à un hommage à John Lennon pour les 30 ans de sa mort au Beacon Theater. Que représente-t-il pour vous et comment voyez-vous cet évènement ?
J’ai toujours été une grande fan de John et Yoko. J’étais une grande fan des Beatles et de tous leurs projets solo. Et je pense que c’est quelque chose de très important de rendre hommage au travail de sa vie. Il n’était pas plus qu’un grand artiste, il était un incroyable homme de pensée. Il parlait des choses d’une manière qui vous faisait réfléchir. Et il était très honnête et très humain. Très vulnérable dans son humanité. Il ne cachait pas qu’il avait aussi fait des erreurs dans sa vie. Il ne prétendait pas être quelqu’un qu’il n’était pas. J’ai pensé que c’était une grande occasion. Quand j’ai rencontré Yoko Ono, c’était vraiment irréel. Je ne la connaissais pas et je me chantais souvent des chansons de Lennon ou des Beatles à moi-même, pour aller jusqu’au soir. Leur travail m’a vraiment inspirée dans ma vie de tous les jours. Quand j’ai fugué de la maison de ma mère, j’avais avec moi une version de poche de « Grapefruit », le recueil de poèmes de Yoko Ono, et ce livre m’a beaucoup marquée. Je chantais « Remember love » ou « Across the Universe » . Ce sont ces chansons qui m’ont permise de traverser ces épreuves. Parce que c’était très dur quand j’étais adolescente, de trouver ma place. Simplement exister était difficile. Tu sais, parfois tu penses qu’il n’y a pas de place sur cette planète pour toi. Pare que tu es juste différent (“out of step”) des autres. Maintenant je sais que ma différence devait exister pour que je puisse voir les choses avec distance, et que je les comprenne avec une perspective différente. Tout ceci a été une série de leçons qui m’ont été transmises par la vie, au fur et à mesure. Par exemple, j’ai toujours été torturée à l’école, parce que j’étais différente. Au collège, on me jetait des pierres à cause de mes vêtements. Et dans la vie, j’ai pu voir tout le monde s’habiller comme moi. Les gens se sont mis à porter des vêtements qu’ils critiquaient violemment, même pas dix ans auparavant. Et cela a été une grande leçon pour moi, de me retourner et de voir ce qui c’était passé. J’ai finalement compris que ce que je nommais « différence » était seulement une autre perspective. Et cette perspective est ce que j’utilise dans mon travail pour chanter et écrire. Et je ne le comprenais pas vraiment à l’époque. John et Yoko mon aidée, d’une manière indirecte. Et maintenant, je veux être là pour eux. Car, si John n’est plus là, son œuvre est toujours présente.

Cindy Lauper, « Memphis Blues », (Naïve/Mercer Street Records), sortie française le 28 septembre 2010, 19 euros.
Le « Memphis Blues Tour » de Cindy Lauper devrait passer par la France. Les dates ne sont pas encore annoncer, mais gardez l’œil sur le site de l’artiste.

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Tout l’album est en écoute sur Deezer. Voici notre sélection, plus quelques chansons classiques de Cindy Lauper.

Découvrez la playlist Cindy Lauper avec Various Artists

Nick cave et Warren Ellis parlent du volet 2 de “Grinderman”

Vendredi 17 septembre 2010

Nick Cave, Warren Ellis, Martyn P. Casey, et Jim Sclavunos sont tous des “Bad seeds”. Mais dans l’optique d’un punk qui punche plus direct, ils se sont réunis autour du projet Grinderman, il y a quatre ans. Ni groupe parallèle, ni “sideproject”, Grinderman égrène un air de liberté toujours plus grande, à grandes cordes d’impros sonores et des mots crus du maître. Le deuxième album de Grinderman, qui s’intitule simplement “Grinderman 2” est dans les bacs depuis lundi 13 septembre. Dans leur chambre d’hôtel donnant sur les tuileries, Nick Cave et son génial chef d’orchestre multi-instrumentaliste barbu Warren Ellis nous ont confié que Grinderman 3 était déjà prévu. Et bien d’autres choses encore…

Pourquoi avez -vous intitulé l’album “Grinderman 2”, était-ce pour marquer la continuité avec le premier album du groupe?
Nick Cave : Yeah. Et il y aura un Grinderman 3. Mais ce n’est pas le titre qui compte, c’est surtout la couverture. Pour le premier, c’était le loup. Comme ça dans 20 ans, il y aura “l’album pieuvre” et “l’album loup”,”tu sais le merdique, avec le loup” (rire).

Quand vous avez fait le premier album, vous saviez tout de suite qu’il y en aurait plusieurs?
Nick Cave : On ne savait pas vraiment à l’époque. On a juste fait ce premier album et estimé qu’il était cool. Comme les journaux l’adoraient, on s’est peut-être dit qu’il fallait l’aimer aussi… Et continuer.

Qu’est ce que Grinderman apporte de neuf aux membres des Bad Seeds?
Nick Cave : Ce dernier album a permis aux Bad Seeds de faire un putain d’album géant, ce qui ne leur était pas arrivé depuis un bout de temps. Il y avait quelque chose d’indéterminé et bruyant dans “Dig Lazarus Dig”. Je veux dire : “Abattoir Blues” était aussi bruyant, mais d’une autre manière. Avec Grinderman, j’ai donné à tout le monde la liberté de revenir à de la musique comme ça.
Warren Ellis : ca a certainement ouvert des portes. Les Bad Seeds s’efforcent toujours d’être dynamiques. Mais je crois que Grinderman est dans une explosion d’auto-émulation.

Cette explosion dans la musique et dans les texte rappelle l’énergie du premier groupe de Nick,”The Birthday Party”, est-ce une seconde jeunesse, un éternel retour?
Nick Cave : Non, je ne veux pas être jeune. ca ne m’intéresse absolument pas de revenir à ma jeunesse. Et puis ce n’est pas comme si les Bad Seeds étaient connus pour leur manque d’énergie ! Mais The Birthday party ne saurait pas faire la musique de Grinderman, et nous, même si nous voulions, nous ne pourrions revenir au punk d’il y a 35 ans.
En revanche, il y a beaucoup de pression sur moi, avec les Bad Seeds. Si un album est raté, ce sera toujours moi qu’on blâmera d’avoir écrit une série de mauvaises chansons. Personne n’ira blâmer Thomas Wydler pour le disque. Avec Grinderman, j’ai l’impression que si c’est un désastre, on se prendra tous les foudres des critiques ensemble.

L’album expérimente beaucoup les sons, est-ce un challenge?
Warren Ellis : On a juste fait ce qu’on avait à faire pour que le travail soit bien fait.
Nick Cave : Si tu improvises ça t’amène dans des endroits parfois mauvais ou là où tu ne devrais pas aller. Mais cela fait partie du processus. On peut jouer toute une série de mauvaises choses et ça reste ok, car à un moment donné, ça claque, et quelque chose d’excitant arrive.

Avec vous une nouvelle manière de composer vos chansons avec ce projet?
Oui, c’est juste quelque chose qu’on fait avec Grinderman, et c’est nouveau pour moi, une nouvelle manière d’écrire des chansons. On écrit quelque chose de collaboratif, on écrit ensemble. ce ne sont pas des chansons à textes, mais plutôt des chansons qui jouent sur les mots pour créer de fortes impressions. Les paroles sont improvisées, et ça leur donne plus d’énergie. Du coup quand je vais revenir aux Bad Seeds, je vais écrire les paroles comme pour Grinderman. Ils m’ont donné envie de m’asseoir et d’écrire plus de textes libres.

Vous parlez entre vous des textes?
Nick Cave (se retournant vers Warren Ellis) : Il ne m’en parle jamais. C’est comme si quelque chose s’était passé auparavant, pour que personne ne me parle de mes paroles. C’est comme le petit frère homosexuel dont personne ne parle dans une famille, c’est comme ça.
Warren Ellis : Je crois que lorsqu’ on travaille avec un type comme Nick Cave, qui crée tout le temps des trucs, on réalise que c’est très facile d’effrayer quelqu’un au sein de son processus créatif, où la remise en question sur ce qu’il fait est présente.

Vos paroles sont souvent très crues, mais avec un mélange d’iconoclasme et de tendresse. D’où vous vient cette inspiration?
Nick Cave: Je suis content que vous notiez ça, parce que peu d’autres médias m’ont posé la question. je crois que la référence au sexe est quelque chose d’assez classique en musique, d’autres l’ont toujours fait et le font encore. Mais je crois que la manière dont Grinderman évoque le sexe est unique, car le sexe sur l’album est vraiment sur le mode de la névrose et de la terreur. Il y a une certaine panique derrière tout ça qui révèle une grande vulnérabilité et qui pour moi rend Grinderman encore plus intéressant.

Lier la sexualité à la névrose, est-ce un vestige de votre passé religieux?
Nick Cave : Je ne sais pas pourquoi les gens pensent que j’ai un passé religieux. Mes parents n’étaient pas religieux. Ils avaient une vie d’artistes de gauche, et si l’on allait à l’Eglise, c’était plutôt pour socialiser. Mais mes parents n’y croyaient pas. la névrose de mes textes n’est pas liée à un passé religieux. Elle vient d’autre part, et je ne sais pas d’où… Peut-être que c’est juste culturel. Quand j’étais à l’école, il n’y avait que des garçons dans ma classe. Et cela a eu un grand impact sur la manière dont je vois les femmes : nous ne les avons pas vu grandir. J’ai laissé des petites filles en entrant au collège et quand je suis sorti du lycée, elles étaient déjà complétement formées. Les femmes sont donc restées un mystère pour moi. Mais toute névrose est bonne en art. C’est sur. Personne ne veut d’un art “équilibré”.

Dans les textes, il y a également de l’humour. Est-ce une manière de lutter contre la panique et la névrose?
L’humour est une bonne manière d’aller chercher les gens. Ça leur donne envie d’entrer dans quelque chose, de l’écouter. Et je l’ai toujours utilisé dans mes paroles de chansons et dans mes romans comme une sorte d’invitation à venir voir. Bon, il y a d’autres choses qui marchent aussi… attraper ses sous-vêtements, par exemple… (rires). Grinderman n’est pas censé être comique ou drôle. L’humour coexiste souvent, bien aligné, avec le sérieux, dans la même chanson.

Les Grinderman seront sur la scène de la Cité de la Musique le 26 octobre prochain.
Ginderman 2, Mute,12 euros.

Propos recueillis par Steven Guyot et Yaël Hirsch

Gogol Bordello à l’Elysée Montmartre ce soir : Interview de Eugene Hutz

Mardi 18 mai 2010

En allant interviewer Eugene Hutz, je me demandais vraiment ce que j’allais pouvoir lui raconter et/ou lui poser comme questions, ayant découvert le punk très tard grâce à mon ami Eric Debris des Métal Urbain. Certes, j’avais baladé le dernier album des Gogol Bordello dans les rues ensoleillées de Paris, dansant toute seule et souriant à leur son énergique, mais de là à trouver le bon angle pour approcher l’icône… Et bien contre toute attente, je serais bien restée toute la soirée avec Eugene. Très séduisant derrière sa moustache, il s’est avéré extrêmement posé, cultivé, et attentif à mes questions… Nous avons pas mal parlé de New-York et des femmes… Une très jolie rencontre qui m’a donné plein d’énergie.

Alors que leur nouvel album “Transcontinental Hustle” (American Recordings / Sony) vient de sortir, le « Casa Gogol Tour » des Gogol Bordello passe par l’Elysée Montmartre mardi 18 mai 2010. La boîte à sorties a rencontré le mythique chanteur du groupe Gipsy Punk, Eugene Hutz. Sous la moustache et par-delà l’énergie, c’est un artisan de la musique qui s’est exprimé sur son art.

Comment avez vous rencontré Rick Rubin qui a produit “Transcontinental Hustle”?

Nous avions un ami en commun, Tom Morello des Rage against the Machine, qui nous soutient depuis de nombreuses années. Après un concert de Tom à Los Angeles, j’ai finalement rencontré Rick Rubin. Et j’ai compris que c’était exactement là où je devais me diriger dans ce nouveau chapitre de ma vie. C’était important pour les Gogol Bordello de devenir des vrais artisans (“craftsmen”) ou alors on serait juste devenus carrément fou.

Cela veut-il dire que vous comptez vous éloigner du punk?

Tu ne peux pas t’éloigner du Punk, pas nous, c’est vraiment dans notre ADN. Et je n’ai jamais été tellement obsédé par cette idée du Punk, vraiment jamais. Même le punk qui nous a inspiré au début, c’était les Clash, la Mano Negra et les Fugazi, qui font un type de musique plutôt intellectuel. C’est de la musique de la rue, mais aussi de la musique intellectuelle. Nous venons déjà d’un arbre d’influences, où l’on trouve déjà cette idée de cheminement d’artisan. On n’a jamais fait du “punk hormonal”, pour moi les qualités musicales fondamentales sont toujours passées au premier plan : les paroles, la mélodie, les arrangements, un rythme fort. Et on n’a jamais été un groupe punk traditionnel avec trois cordes. En travaillant avec Ricky j’ai été conforté dans l’idée qu’une chanson se crée d’abord au piano ou à la guitare et que c’est seulement après qu’elle est prête à être amenée à la batterie. Nous devenons de plus en plus des artisans et c’est comme ça qu’on va casser la baraque (“Kick Ass”).

Pour être un artisan de la musique est-il important de jouer de plusieurs instruments?

Je crois que c’est très important. Je suis capable de jouer de tous les instruments de base du rock : la batterie, la basse, un peu d’accordéon, un peu de clavier. Bien sûr, ça aide. Mais mon instrument est la guitare et je ne me suis jamais considéré comme un instrumentaliste hors pair. J’ai toujours su que j’étais doué pour raconter une histoire musicale en trois ou quatre minutes, c’est-à-dire écrire des chansons.

Vous vivez au Brésil depuis deux ans. Cela a-t-il influencé votre musique?

Depuis le premier jour jusqu’à aujourd’hui, c’est un pays incroyable pour trouver l’inspiration. Je n’aurais pas écrit ce disque si j’étais resté dans mon quartier de l’East Village. Le Brésil est une mine d’or de musique et de grands musiciens qui demeurent anonymes et qui jouent jour après jour dans des petits lieux. Tout l’environnement est musical au Brésil, j’adore cette atmosphère. C’est très direct, c’est là, dans chaque rue, derrière chaque fenêtre et chaque porte. Et cela réoriente ton propre sens de la mélodie et du rythme, et tu commences à jouer des morceaux et tu ne peux pas t’arrêter de les jouer parce qu’ils sont trop excitants. De temps en temps tu vides ton réservoir de créativité ou tu sais que cela arrive, et alors tu fais quelque chose comme tomber amoureux de quelqu’un, d’un pays ou les deux, tu fais certaines expériences et tout d’un coup le réservoir est rempli à nouveau, et c’est très stimulant. J’ai eu beaucoup de plaisir à écrire cet album au Brésil. C’est pratiquement tout ce que j’ai fait. Boire un café le matin, et me mettre à composer, chanson après chanson, puis les réviser. Et tous les deux ou trois mois, j’allais chez Ricky en Californie et je lui montrais 10 ou 15 nouvelles chansons. En tout j’en ai écrit 50 pour cet album, on en a enregistré 25, et 13 ont été choisies pour l’album. On en a gardé 12 pour des sorties spéciales.

C’était difficile de choisir?

Oui très difficile, mais pas trop. Je sais qu’elles trouveront leur public d’une manière ou d’une autre.

Quelle est la recette de votre métissage musical ? Est-ce un collage conscient ou un mélange inconscient?

Si c’était conscient, ce serait plus facile, on pourrait suivre une recette, cuire comme un gâteau. Mais c’est beaucoup plus compliqué que cela. C’est un processus très lent. je crois que l’inconscient fait tout le travail. L’inconscient est ton laboratoire. Il te rend ce que tu lui donnes dans une autre forme. C’est en écoutant beaucoup beaucoup de musique que tu finis par jouer du Gogol Bordello. Il faut beaucoup voyager et laisser la musique être la lumière qui te guide dans la vie. Et alors ces combinaisons arrivent. Tu commences à mélanger un beat avec des mélodies slaves , voir qu’un air arabe irait bien avec cela, et tu suis ainsi un long processus.

Sur le disque “Transatlantic Hustle”, il y a aussi des chansons plus douces, nostalgiques…

Ça a toujours été une partie importante de ce que j’écris, jusqu’ici je ne croyais pas que ce matériau ne serait pas bon pour Gogol Bordello, mais Rick m’a encouragé à les enregistrer et a même suggéré que c’était ce que j’écrivais de plus fort. Et je crois qu’il a eu raison. Tout le monde les aime. Et ce sont souvent les chansons préférées du public de Gogol Bordello! Dans tous les CDs que nous avons enregistré auparavant j’avais consciemment retenu les ballades, les chansons les plus romantiques, nostalgiques ou introspectives, qui viennent de mon côté réflexif, et j’avais peur que nos fans ne soient pas prêts pour ça. Mais après j’ai pensé”, j’ai 36 ans, j’ai du kilométrage, j’ai roulé ma bosse. Et ce kilométrage m’a donné la confiance de sortir ce type de musique de moi-même pour les partager.”

Vous écrivez la plupart de vos chansons en Anglais. Est-ce la langue dans laquelle les mots viennent d’abord?

J’écris principalement en Anglais. J’ai grandi en Ukraine pendant 17 ans mais les 18 années suivantes, j’ai vécu aux États-Unis, et j’ai internalisé l’Anglais au point que c’est devenu ma première langue. Et j’écris en Anglais parce que je travaillais beaucoup avec un public qui parlait Anglais et que cela ouvre à un public international. Si quelque chose vient en Portugais, en Russe ou en Italien, je le mets comme ça dans les paroles, mais 80% de ce que j’écris me vient en Anglais.

Dans quel pays du monde avez-vous le plus de fans?

J’ai de nombreux amis dans plusieurs pays. Bien sûr j’ai des amis en Ukraine avec qui je suis resté connecté depuis toutes ces années. Ils sont comme ma famille. De même à New-York j’ai toute une famille d’artistes, parmi lesquels des ukrainiens de deuxième génération. Et j’ai aussi de très bons amis au Brésil. Si tout se passe bien, je trouverai toujours des endroits où jouer -petits mais plein d’âme- dans ce triangle : Kiev, New-York et Rio. Même si la Russie et l’Ukraine ont été les derniers pays à nous inviter, je suis allé au Japon ou au Brésil avant de chanter en Ukraine. J’en parlais l’an dernier à Emir Kusturica que j’ai rencontré lors d’un festival en Ukraine. J’ai toujours été un grand admirateur de son travail et ce festival a été très drôle. Et quand je lui ai dit combien je trouvais ironique que l’Ukraine ait été le dernier pays à m’inviter à chanter, il m’a répondu que ce n’était pas tellement surprenant et que la même chose lui était arrivée avec la Serbie.

Vous avez joué dans plusieurs films (“Obscenité et vertu”,  de Madonna et “Tout est illuminé”, de Liev Schreiber, entres autres). Voulez-vous continuer à tourner?

J’aimerais beaucoup continuer à participer à des films qui crèvent l’écran, et particulièrement avec Emir Kusturica, Tony Gatliff ou Jim Jarmusch. Vous voyez mon genre de calibre. Il faut juste que ce soit quelque chose de très bon fait par des gens qui ont l’esprit du rock’n’roll. Deux des films dans lesquels j’ai joué ont été très enthousiasmants parce-que c’étaient des petites productions et qu’à chaque fois l’équipe du tournage fonctionnait comme un groupe de musique : c’était un gang. Dans une grande production, cet esprit peut vraiment se perdre. Et je comprends que cela ferait sens financièrement de participer à un blockbuster, mais du point de vue de la création, cela ne me conviendrait pas. Il n’y a rien de mal à se faire du pognon, mais je vous ai dit qui sont mes réalisateurs préférés. J’ai aussi des idées pour mettre mon propre film en scène et faire un casting fantastique dans lequel il y aurait les Gogol Bordello, parce qu’ils sont de vrais personnages. ce serait chouette de travailler dans cette direction.

Dans votre nouvel album, il semble qu’il y ait une plus grande place pour les femmes dans votre “Bordello” pour gentlemen?

Quand je parlais de “Bordel pour gentlemen” je n’étais pas vraiment sérieux. La vérité c’est que “Bordello” en russe est synonyme de chaos, grand bazar ou de lieu de débauche. Dans ce sens ça fonctionnait pour notre groupe. Il ne fallait pas le prendre littéralement. mais vous avez raison. Je pense que les femmes ont toujours été présentes dans notre groupe, mais avant leur présence était plus performative. maintenant, après avoir passé tellement de temps sur la route à chantonner ensemble, nous faisons plus attention aux voix de femmes. Nous avons toujours été attentifs à ne pas cantonner les femmes aux choses que les femmes font d’habitude sur scène : décorer un peu et chanter les chœurs. Utiliser la féminité de cette manière aurait été ridicule et j’ai toujours voulu m’en garder. Même les tenues des femmes sur notre scène n’ont jamais été trop sexy. Nous avons voulu garder de la dignité dans cette collaboration et ne pas utiliser les femmes comme des poupées. Trop de groupes font de la “sexploitation”. Sur scène les performances des femmes pour Gogol Bordello sont spéciales, on a toujours voulu montrer la force des femmes à travers des sets de percussions ou des performances proches de l’athlétisme sur scène.

Quelle est votre endroit préféré à Paris?

Je suis venu à Paris tellement de fois, peut-être 30, et j’y ai tellement d’amis, que je ne sais pas quel endroit choisir. J’ai vraiment fait la fête à Paris. Mais il y a ce petit endroit où un gars chante des tubes des années 1930 et 1940 à Pigalle. J’y suis allé plein de fois mais je ne me rappelle pas de son nom.

Gogol Bordello, « Transcontinental Hustle », (American Recordings / Sony), sortie le 10 mai 2010.
En concert à l’Elysée Montmartre le 18 mai.

Odessa Thornhill : « Mon album est un voyage »

Vendredi 26 février 2010

Juste avant son dernier concert parisien au China , la boîte à sorties a rencontré la spirituelle diva canadienne Odessa Thornhill. Danseuse, poétesse et chanteuse, « Queen Odessa » prépare actuellement son premier album qui doit sortir en avril chez Ideal Music Corporation.

Odessa Thornhill en concert au China, le 25/02/2010

D’où vous vient votre surnom « Queen Odessa » ?
Odessa est mon prénom. Rien à voir avec la Bible, puisque mon père l’a choisi dans un livre africain et que cela veut dire « première fleur ». Le surnom de « Queen » vient d’une chanson de Erykah Badu. Il y a aussi ce jour où je portais un T-Shirt sur lequel était marqué « Queen » et on m’a demandé mon nom, et j’ai dit « Appelez-moi comme ça » en montrant le T-Shirt. Mais c’est aussi une question de respect. Alors que les gens prennent de plus en plus l’habitude de vous interpeler par des « hey », « pss », ou « baby », se faire appeler « Queen » veut dire « Approche-moi avec respect ». Or, pour une femme, j’estime que c’est un devoir de se faire traiter avec respect.


Vous venez d’une famille d’artistes, pouvez-vous nous en parler ?

Mon père est musicien et joue du steelpan, un instrument antillais. Ma mère a toujours chanté à la maison, ainsi que ses deux sœurs jumelles qui étaient assez connues pour leurs voix. J’ai pas mal de cousins qui sont aussi dans la musique, ce qui fait que quand vous prononcez le nom « Thornhill » dans la communauté noire de Montréal, tout le monde connaît ma famille pour sa musique. Moi-même, j’ai toujours chanté. Ma voix est un don que j’ai hérité des deux côtés de ma famille.
Vous chantez, mais vous écrivez et vous dansez également, comment ces trois arts sont-ils connectés dans votre vie ?
Au début, pour moi, ces trois disciplines étaient séparées. Mais ces sept dernières années, depuis que je chante avec mon groupe, la voix, le mouvement qu’inspire la musique et trouver les mots sont trois activités qui sont naturellement venues se compléter. Vous savez, tout chanteur qui écrit ses textes est un poète. Et la musique est ce qui m’a donné envie de danser et de m’exprimer. Mon modèle dans cette traversée des disciplines est Jill Scott. J’ai même créé un show qui combinait voix, danse et lectures de vers. Il s’appelait « Life beyond the sun ».

Vous avez été pendant un an chanteuse au Cirque du soleil, à Orlando. Que vous a apporté cette expérience ?
C’était en 2002, et cela m’a aidée à trouver ma place comme chanteuse et comme artiste. Avant je n’étais pas sérieuse avec la musique et peut-être aussi avec moi-même. Le cirque du Soleil m’a aidée à réaliser que j’étais faite pour faire de la musique sérieusement.

Vous composez vos propres chansons ?
Oui, la musique et le texte. Je commence toujours par la mélodie et après, les paroles viennent.

Sur votre EP et votre site myspace, il y a plusieurs reprises, comme celle de « Crazy » de Gnarls Barkley, ou de « Kiss from a rose » de Seal. Comment concevez-vous cet art particulier qui consiste à reprendre des chansons que tous connaissent ?

C’est une vraie question ! Quand je pense à moi comme spectateur, je sais que quand j’entends une reprise je m’attends à ce que l’interprète donne quelque chose égal ou qui dépasse la musique d’origine. Du point de vue du chanteur, C’est difficile de rendre cet exercice approprié. C’est un peu comme mettre les vêtements d’une autre personne, alors que tu n’es pas cette autre personne. Comment traduire ce que l’artiste a donné avec respect ? Il faut savoir ajouter la texture de toi-même, ce que tu as ressenti en écoutant la chanson, mais sans la saturer, afin de laisser la place aussi à la sensibilité du public.

Qu’est-ce que le spirituel pour vous?
On est physique, mais pas seulement, le physique est là pour magnifier l’esprit. Je pars toujours de l’âme, pas juste de la musique. Pour que je puisse créer une nouvelle musique, il faut que quelque chose m’ait tapé dans la tête. Je ne suis pas quelqu’un de religieux mais je suis certainement une personne spirituelle. Et je crois que toutes les spiritualités communiquent. Et la musique est spirituelle. C’est une manière d’unifier les gens. Quand la musique commence ça m’emporte, je deviens comme une folle. Et j’écoute tous les genres car j’aime écouter ce que les gens ont à offrir, même si parfois ce n’est pas un style de musique qui me plaît j’apprends toujours quelque chose et je sais rester à l’écoute.

La musique est donc une manière de faire communiquer les cultures ?
J’ai grandi dans la musique, en écoutant la Motown, de la soul black, de la musique instrumentale, de la musique antillaise, du gospel. J’ai aussi été très influencée par musique africaine qui fait partie de mes racines. Je suis d’abord une représentante de qui je suis : je suis une femme d’abord, une femme noire et j’essaie de toucher à tout. Alors bien sûr à l’origine, il y a mon peuple, mais je veux donner ma musique au peuple du monde. Bien sûr que la musique ne s’arrête pas juste à ma culture.

Votre album sort très prochainement. Y-a-t-il un message particulier dans ce premier disque ?
« Just love and live life » ! Et surtout parvenir à découvrir les différents univers et niveaux de sa personnalité. En acceptant toutes ces facettes, même celles qui sont laides. Mon album est un voyage : après chaque chanson je me suis moi-même mieux connue. C’est ce voyage que je voudrais offrir à mon public.

Pour en savoir plus sur Odessa Thornhill, allez lire notre article… et pour découvrir sa voix bouleversante en attendant l’album, rendez-vous sur son myspace.

Saïd Taghmaoui : « En l’espace de sept ans, j’ai accompli aux Etats-Unis ce que je ne pourrais pas faire en une vie ici »

Mercredi 16 décembre 2009

À 36 ans, le comédien découvert dans la « Haine » de Matthieu Kassovitz (1995) a fait bien du chemin. Ayant tourné en Italien, en Français, en Arabe, et en Anglais, dans 57 films et 31 fois en tant que premier rôle, Saïd Tagmahoui n’a pas chômé. Il a même fait un petit détour par la série Lost et joué dans des vidéos pour le groupe U2 !  À l’occasion de la sortie de « G.I. JOE, le réveil du cobra » en Dvd (Paramount, disponible à partir du 10 décembre), nous avons rencontré ce comédien hors du commun, nouvellement naturalisé américain, et qui alterne entre films d’auteurs et blockbusters.

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Le festival international du film de Marrakech, qui a lieu du 4 au 12 décembre, vous rend hommage aux côtés de très grands du cinéma, comme Emir Kusturica ou  Sir Ben Kingsley. Quel effet cela fait-il à l’âge de 36 ans ?

Il y a un côté un peu effet papillon : un battement d’ailes et c’est un tremblement de terre à l’autre bout de la planète ! Même si je me sens un peu jeune pour recevoir un hommage, il y a un coté « yes we can » dans cette récompense. À l’heure actuelle, on est tellement peu nombreux de ma communauté, de ma génération, à sortir la tête de l’eau dignement ! En fait cet hommage il n’est pas pour moi, mais pour tous les gens qui viennent de milieux sociaux défavorisés ou favorisés et qui se battent pour atteindre leur rêves avec des valeurs nobles, sans renier qui ils sont, sans prendre de raccourcis, sans tricher. Voilà ce que je veux, voilà le discours que je vais dire quand je vais recevoir le prix. Ça me flatte parce qu’ils vont projeter huit de mes films, et les gens vont vraiment pouvoir me découvrir et puis sur des grandes places publiques avec 150 000 personnes et puis je suis associé avec des acteurs que j’admire profondément, Christopher Walken, Ben Kingsley, Emir Kusturica, être associé à ces vrais monstres du cinéma dont je respecte le travail va faire de moi une petite mascotte en quelques sortes, mais une mascotte qui va faire en sorte de redonner ça aux vrais gens. En même temps j’ai beaucoup accompli pour mon âge, j’en suis conscient. Je suis convaincu que ces gens là à mon âge n’avaient pas accompli encore déjà cela. Ils ont près de 30 ou 40 ans de plus que moi. Je suis content d’avoir réussi à aboutir mon travail sans trop me renier. Je suis un jeune de banlieue parisienne et je viens d’un milieu très difficile, du ghetto français, on peut appeler ça comme ça. Ca n’a pas été facile tous les jours. À partir de là je suis très fier de cette identité-là. En plus que ce soit mon pays d’origine qui me le remette comme ça, ça me touche triplement. Parce que j’ai beau être un acteur français international, je n’ai jamais pu être en couverture de magazine en France. C’est une espèce de justice divine…

Avez-vous joué avec les figurines G.I. JOE lorsque vous étiez enfant ? Et quel effet cela fait-il d’incarner un G.I. JOE en tant qu’adulte ?
J’ai grandi avec, dans l’ordre, Big Jim, Action man, et ensuite G.I. JOE. Et quand G.I. JOE arrive c’est la révolution parce qu’il y a un dessin animé à l’appui. En même temps les jouets sont tellement bien faits qu’on peut les mettre en scène véritablement. Avec l’imagination d’un môme, vous pouvez imaginer les guerres que ça a fait à la maison. Quand j’étais plus jeune, j’ai toujours rêvé d’être un G.I. JOE, ça c’est sûr. Jouer le rôle de Breaker, c’est un peu un rêve de gosse qui se transforme en réalité. C’est un peu « la cerise sur le ghetto » (rires). J’ai pris ça comme un cadeau, surtout que le producteur du film ne m’a même pas fait faire d’essais. Il m’a offert ce rôle comme une récompense, de respect pour mon travail. J’étais flatté. C’est plus un rôle, là, c’est un cadeau. Ça s’est fait très naturellement.

Vous reprenez le rôle de Breaker pour le deuxième volume de G.I. JOE, pouvez-vous nous en dire plus sur les évolutions du rôle ?
Non, je n’ai pas le droit de divulguer des informations, et il y a des satellites américains partout ! (rires). Mais je peux vous dire que nous avons signé pour trois films. Le deux va arriver, ca c’est sûr. Breaker, dans le film, le personnage que je joue est un geek. C’est la première fois dans l’histoire du cinéma mondial qu’il y a un super-héros arabe, maghrébin, en l’occurrence marocain, et ça tu ne peux pas savoir comme cela fait plaisir aux gens de ma communauté. C’est extraordinaire. Et puis en plus il y a eu un jouet du personnage que j’interprète, avec ma tête, donc avec ma tête d’arabe, il y a eu un jeu vidéo. Et ca au niveau de la mémoire collective et de l’identification, c’est très important. Moi j’aurais rêvé avoir un jouet quand j’étais petit avec une tête qui me ressemble. Nous avons souffert quand nous étions jeunes de ne pas trouver des acteurs qui nous ressemblent physiquement dans des rôles positifs. Jamais. Donc nous sommes allés les chercher chez les américains. Pacino, De Niro ils nous ressemblent un peu physiquement, on s’identifie plus à eux qu’à Claude François. Où est notre Denzel Wahington ? Où est notre Morgan Freeman, puisqu’il y a eu des colonies en France et que l’Afrique a été présente, où sont-ils ? Ha, il y a Harry Roselmack après maintes et maintes polémiques a réussi à s’imposer dans le paf. Où sont-ils dans notre pays des droits de l’homme pluriel et culturel extraordinaire ? On parle d’intégration tous les jours mais l’image est le meilleur vecteur d’intégration possible. Où sont-ils ? C’est dû à quoi ? Au manque d’imagination des scénaristes français, à la ségrégation ambiante, au conservatisme ? Ça fait combien de temps qu’on fait partie intégrante de la vie sociale, politique et économique du pays ? On est six millions… Combien de temps, deux-cents ans ?


Incarner des « rôles positifs » a donc été plus facile pour vous aux Etats-Unis ?

En l’espace de sept ans, j’ai accompli aux Etats-Unis ce que je ne pourrais pas faire en une vie ici. Je ne dis pas que l’Amérique est le pays d’Alice au pays des merveilles, je dis juste que l’on juge les compétences là-bas, et là-bas on ne me demande pas qui je suis. On me demande juste « quel est ton talent ? ». Le talent l’emporte sur les origines. On n’est pas près d’avoir un Barrack Obama en France. J’ai envie de dire qu’on a essayé beaucoup de choses pour ces jeunes-là mais on n’a pas essayé l’amour. On a repeint beaucoup  de fois les bâtiments, on a établi des polices de proximité, juste pour gagner quelques voix aux élections politiques, mais on n’a pas essayé l’amour. Le défi de la France, le vrai défi de demain, ça va être de vivre ensemble. On n’a jamais été plus recroquevillés sur nous-mêmes que depuis ces dix dernières années. Même un comique comme Coluche ne pourrait pas exister aujourd’hui. Il se ferait attaquer dans tous les sens Dès qu’il y en a un qui parle des juifs, c’est la guerre, des musulmans, c’est la guerre, tout le monde attend la faute de l’autre pour tirer la couverture vers soi. Je pense que ça a plus d’effet aujourd’hui. Pour un enfant de deux ans ça veut dire quoi un quota ? Ca ne veut rien dire. Mais pour lui, voir des gens qui lui ressemblent physiquement dans des rôles positifs, inconsciemment ça va tellement payer pour lui qu’il va dire « Yes I can ». Donc les questions sur les quotas c’est pour les intellos là-haut, en attendant, nous, on s’adresse à la génération qui vient. Quand j’étais petit, quand je voyais un noir ou un mexicain dans un film qui ressemblait à un arabe, je me foutais du quota. C’était le rôle qu’il avait qui m’intéressait, c’était sa présence. Alors si on n’y arrive pas naturellement par la bonne volonté des êtres, peut-être qu’il faut l’imposer avant que la boule de neige devienne avalanche.

Est-ce important pour vous de jouer des rôles graves, qui questionnent le passé colonial de la France comme dans « Djinns », de Hugues Martin, qui aborde la guerre d’Algérie ?
André Malraux donnait cette définition de l’art « faire prendre conscience à l’homme de la grandeur qu’il ignore en lui ». Et moi je rajoute : « faire prendre conscience à l’homme de l’horreur qu’il ignore en lui ». Aujourd’hui, c’est mon devoir pour ne pas dire mon devoir de mémoire d’accepter ces rôles difficiles. Pour nous rappeler comment c’est pourquoi et comment l’homme peut partir dans la folie. L’oubli c’est être complice de l’horreur. Pour moi c’est d’une clarté absolue qu’il faut faire des films comme « Djinns » ou « Ô Jérusalem. J’ai la chance d’avoir une carrière internationale et de pouvoir passer d’un blockbuster à un film d’auteur, c’est vraiment une chance extraordinaire pour moi. D’avoir été capable de me conjuguer à ce point-là, de passer d’un film 100 % américain à un film 100 % français ou 100% marocain, c’est mon talent pour les langues. Les langues comme tous les freins et les obstacles ne te font que grandir. J’adorerais revenir faire des films en France mais il n’est pas question de redescendre. On n’a toujours pas de couverture de magazine en France, alors que le New-York Times dit de moi que je suis l’acteur français qui a fait le plus de films à l’étranger depuis Maurice Chevalier.

Propos recueillis à Paris, le 3 décembre 2009.