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Daniel Glattauer écrit une romance électronique

Vendredi 26 mars 2010

Journaliste pour der Standard, Daniel Glattauer est devenu le chouchou de la critique et du public allemands et autrichiens avec son livre “Quand souffle le vent du nord” (750 0000 exemplaires vendus). Un roman épistolaire et romantique où les deux protagonistes se rencontrent au hasard des erreurs d’Internet et se disent les choses les plus intimes de derrière leur écran. Enfin disponible, 5 ans après sa sortie viennoise, “Quand souffle le vent du Nord” paraît chez Grasset le 1er avril.

Emma alias “Emmi” envoie par hasard un e-mail à un certain monsieur “Leike” en voulant résilier son abonnement au magazine “Like”. L’erreur se serait soldée par une simple réponse “ce n’est pas moi que vous cherchez à joindre”, si, le soir de Noël, Emmi n’avait pas inclus l’adresse mail de Leo Leike dans les destinataires de ses voeux. Les deux étrangers commencent alors un dialogue qui passe rapidement du jeu de devinettes à des discussions très intimes. Celles-ci n’empêchent pas les deux interlocuteurs touchés par Cupidon de laisser quelques zones d’ombres très étudiées. Or, Emmi est mariée et heureuse avec son homme et leurs deux enfants; elle se demande ce qu’elle cherche dans ces conversations essentielles avec Leo. De son côté Leo sort d’une histoire physique et impossible avec la froide Marlene, et comme c’est un type plutôt moral et plutôt sûr de ce qu’il vaut, l’idée de jouer le rôle de l’amant lui est simplement insupportable. Emmi sait être cynique et inconstante, Leo peut être dur et silencieux, mais tous deux savent se montrer extrêmement tendres. Pendant 348 pages, le lecteur se ballade au coeur de leur correspondance éléctronique. Et il y trouve le plaisir du voyeur non omniscient, puisqu’il n’en sait pas plus que ce que chaque amoureux veut bien dire à l’autre.”Quand souffle le vent du nord” est plus qu’une badinerie, mais reste léger comme du whiskey.

Daniel Glattauer, “Quand souffle le vent du nord”, Grasset, trad. Anne-Sophie Anglaret, 348 p., 18 euros, sortie le 1ier avril.

Non Leo, j’ai tout simplement le béguin pour vous. Vous me plaisez. Beaucoup, même! Beaucoup, beaucoup, beaucoup! Et je ne peux pas croire que vous ne vouliez pas me voir. Cela ne veut pas dire que nous devrions nous voir. Bien sûr que non! Mais par exemple, j’aimerais savoir à quoi vous ressemblez. cela expliquerait beaucoup. Je veux dire, cela expliquerait pourquoi vous écrivez comme vous le faites. parce que vous auriez exactement l’apparence de quelqu’un qui écrit comme vous. Et que j’aimerais bien savoir à quoi peut ressembler quelqu’un qui écrit comme vous. Ceci expliquerait cela.” p. 47


Daniel Glattauer – Quand souffle le vent du nord (Trailer)
envoyé par hachette-livre. – Découvrez plus de vidéos créatives.

Roman : Exercices de la perte, d’Agata Tuszyńska

Jeudi 12 novembre 2009

Agata Tuszyńska, une des étoiles montantes de la littérature polonaise publie un deuxième roman chez Grasset. Tout comme « Une histoire familiale de la peur », mais encore plus intime, « Exercices de la perte » s’inspire de la vie de l’auteure. Et nous apprend comment elle a vécu près de deux ans avec son compagnon mourant d’une tumeur cancéreuse. Bouleversant.

exercices-de-la-perte, Tuszyńska Agata et son compagnon, Henryk se sont rencontrés à New-York. Vivant tous deux entre deux continents et partageant une lourde histoire qui est le lot des juifs polonais survivants, ils vivent leur histoire d’amour à distance, les aléas de la vie quotidienne prenant le pas sur leurs projets d’avenir ensemble. Leur histoire n’en est pas moins un roc, qui dure des années, et leur couple communie dans la poésie et la littérature russe et polonaise. Mais un jour Henryk apprend qu’il a une tumeur du cerveau. Elle est cancéreuse, et lui laisse très peu de temps devant lui. Agata le rejoint au Canada où il subit une série d’opérations lourdes. Elle qui s’est toujours laissée portée par cet homme fort oublie tout : ses cours à l’université, sa féminité, ses livres à écrire, pour se consacrer à lui. En près de deux ans, elle apprend à admirer le courage d’Henryk se battant contre la mort, la force du soutien des amis, et le peu de poids des livres pour aider à surmonter cette épreuve. Par définition, on ne surmonte pas la mort annoncée de sa moitié. Et cette vérité est encore plus forte lorsque celui-ci vient d’une famille de survivants…

Dans un style très direct, Agata Tuszyńska se remet à écrire après la mort de son compagnon. Une écriture qui prend la forme d’une chronique, où la catastrophe est perçue du point de vue de celle qui va survivre. Ni hagiographie, ni travail de deuil, « Exercices de la perte » amène le lecteur où se trouve l’auteure : dans les limbes de l’attente. Une attente réactivée post-mortem, où paradoxalement, Henryk est terriblement vivant. Tuszyńska n’épargne ni la description des faiblesses physiques de son amour malade, ni les changements de son caractère, et nous plonge dans un intime douloureux. Elle égrène également les références littéraires qui furent les leurs, et les quelques auteurs qui l’ont accompagnée lors de cette traversée dans l’antichambre de la mort de l’autre. La plus belle scène du livre est probablement le mariage in extremis vécu malgré la tristesse infinie comme une victoire sur la maladie. Ce mariage rappelle une histoire fameuse du ghetto de Lodz où un couple aurait décidé de sceller son alliance dans un cimetière, blasphémant ainsi contre Dieu en espérant une réponse de sa part, au moment si silencieux où des millions de juifs étaient assassinés. Sauf qu’Agata Tuszyńska est résolument athée. Ce livre est un précieux compagnon pour tous ceux et celles qui doivent faire l’expérience de la perte, sans aucun secours de la transcendance. Pour les autres, c’est aussi, en filigrane, une belle plongée dans l’univers des intellectuels polonais en exil. On en sort avec l’envie immense de lire ou de relire d’immenses poètes polonais comme Tuwim ou Milosz.

Agata Tuszyńska , « Exercices de la perte », trad. Jean-Yves Erbel, Grasset, 314 p. 19 euros.

« Il m’est difficile d’écrire. Cela a toujours été difficile. A chaque nouvelle tâche, il me semble que la probabilité d’une défaite augmente. Il en a toujours été ainsi, mais maintenant que notre vie avait volé en éclats, je me sentais trahie par les mots. Abandonnée et trompée. Les mots manquaient de force pour dire la peur, exprimer tout ce qui s’était passé. Pendant neuf mois je les ai à peine effleurés. Maintenant, je sais qu’ils doivent me sauver. Je n’ai rien pour me venir en aide. Je ne sais rien. D’où l’injonction d’écrire, l’injonction car sans cela, je me sens inutile et vaincue. Henryk a un cancer du cerveau. Jamais je n’ai eu à me débrouiller avec un tel fardeau.
Merci maman, de m’avoir appris à placer les lettres et les mots.
» p. 143

Un inédit de Stefan Zweig sur la vie rêvée des chiens

Jeudi 22 octobre 2009

Grasset vient de publier un inédit de l’écrivain autrichien Stefan Zweig. En exil dans la région de Bath, en Angleterre, l’auteur d’ « Amok » et de « Marie-Antoinette » a imaginé la vie d’un couple jovial de province bouleversé par son chien.

Un couple d’un certain âge déménage en Province anglaise, dans la région de Bath. Le mari et la femme se lient d’amitié avec leurs voisins, des gens gens charmants et un peu plus jeunes qu’eux. Cependant l’enthousiasme indéfini et la bienveillance trop active du mari sont parfois très fatigants. Ce couple de voisins acquiert un chien, Ponto. Avec la passion qu’il met dans toute chose, le voisin s’occupe de Ponto avec plus d’adulation que de raison. Au point de transformer la bête en tyran fier, sûr de tous ses droits, et prenant un malin plaisir à torturer ses maîtres. Mais quand la femme du voisin tombe enceinte, la passion de ce dernier pour Ponto se dissipe et il ne s’occupe que de la venue du bébé. Blessé, humilié, Ponto hait viscéralement la petite fille dès qu’il comprend que c’est elle qui est à l’origine de sa destitution. Au point d’attaquer la nouvelle née de toutes ses forces brutales lorsqu’on la lui présente. Il est écarté et placé chez un boucher des environs, mais rôde encore autour de son ancienne maison. Lorsque, quelques mois plus tard, le berceau de la petite dévale jusqu’à la rivière, et qu’on ne peut la sauver de la noyade, la voisine soupçonne fortement l’animal d’avoir provoqué l’accident.

La nouvelle de Zweig, enfin traduite en Français par Baptiste Touverey, a la finesse psychologique de ses plus grands livres. Le maître Zweig sait même percer à jour la psychologie des chiens. Son rapport sur l’orgueil blessé et l’instinct de vengeance du chien est doublement concluant : à la fois vraisemblable et loin des clichés monotones sur le chiens meilleur-ami-de-l’-homme, tellement plus fidèle et moins pervers qu’un être doué de parole. La petite histoire est livrée du point de vue externe et donc quasi-objectif d’une voisine dont on sait peu de choses. Le texte allemand est placé après le texte en Français, ce qui permet aux germanophones de vérifier la précision de la traduction.

« Un soupçon légitime », de Stefan Zwieg, trad. Baptiste Touverey, Grasset, 10 euros.

« Parce que son cœur chaleureux, qui débordait, et donnait l’impression d’exploser sans cesse de sentiment, le rendait altruiste, il s’imaginait que pour tout le monde, l’altruisme allait de soi, et il fallait des trésors de ruse pour se soustraire à son oppressante bonhomie. Il ne respectait ni le repos ni le sommeil de qui que ce soit, parce que, dans son trop-plein d’énergie, il était incapable d’imaginer qu’un autre pût être fatigué ou de mauvaise humeur, et on aurait secrètement souhaité assoupir, au moyen d’une injection quotidienne de bromure, cette vitalité magnifique, mais guère supportable, afin de la faire revenir à un niveau normal » p. 19-20

Rentrée littéraire : Des diplomates de papier

Jeudi 9 juillet 2009

Auteur de plusieurs romans, historien et philosophe, Bruno Tessarech livre avec « Les sentinelles »(Grasset) une belle analyse de l’inaction des « alliés » face aux camps d’exterminations. Écriture classique, thème sensible, beaux personnages ayant pour la plupart réellement existé, le roman est certainement l’un des livres les plus marquants de cette rentrée 2009. Sortie le 1ier septembre.

Note: J’ai quand même raté ma station de métro à cause du bouquin, première bonne surprise de juillet.

Par ailleurs je n’ai pu m’empêcher de mettre une petite chanson satirique sur Wernher von Braun en illustration.

sentinellesTout commence à Evian, aux accords d’Evian, en 1938 où les nations plus très unies se renvoient de l’une à l’autre le problème de donner un sol aux réfugiés juifs allemands. Le seul personnage fictif du roman, Patrice, est un jeune diplômé de Sciences-po assistant avec une rage polie un vieux sénateur français du Quai d’Orsay si diplomate que les pourparlers ne mènent à rien. Un rien noyé dans les jolis principes des droits de l’Homme et des Lumières. Même le ministre des colonies -pourtant juif- George Mandel, refuse d’ouvrir les frontières de Madagascar. Suivent plusieurs anecdotes, à Paris, Berlin, Londres, Prague, ou La Havane, de témoins directs ou indirects de la destruction des juifs d’Europe. Pendant la guerre, à Londres, où Patrice a rejoint De Gaulle dès la première heures, les échos qui filtrent sur les camps de la mort, à partir de 1942, sont tellement soupesés, soupçonnés d’être de la contre-information ou simplement incroyables qu’aucune mesure n’est prise si ce n’est une vague déclaration des alliés contre les exactions nazies commises sur les populations civiles en général. Patrice se lie d’amitié avec Jan Karski, l’un des grands résistants d’un pays vraiment fantôme : la Pologne . Karski a tout vu à Vasrovie : le ghetto, les trains, les corps entassés, la chaux. Mais on ne veut le croire ni à Londres, ni à New-York. A Berlin, Kurt Gerstein devient fou dans sa tâche de responsable l’Institut d’hygiène de la Waffen SS, mais l’ambassadeur de Suède refuse de le croire quand il lui livre la vérité sur la nature de la Solution finale. Jugé à Paris en 1945, Gerstein de suicide, tandis-que son concitoyen, le célèbre ingénieur Wernher von Braun parvient à travailler sur ses fusées v2 dans le camp de Dora sans se douter de rien, et est accueilli à bras ouverts par les américains, pour qui il met au point des missiles balistiques. Le roman se prolonge jusqu’à la mort de Jan Karski, qui laisse derrière lui assez d’archives pour qu’après une carrière diplomatique aussi honorable qu’inutile, Patrice puisse témoigner qu’ils savaient et qu’ils ont laissé faire.

Jan Karski (1914-2000)

Se prolongeant dans le temps aussi loin que les « Lignes de failles » de Nancy Houston, le roman de Bruno Tessarech ne se tessarechgdpréoccupe pas de mémoire mais seulement de faits, d’Histoire, donc. « Les sentinelles » est en effet un concentré d’Histoire, sans autre concessions que celle du beau fil narratif de la langue. A travers diverses anecdotes pas toujours reliées entre elles, dont les personnages sont tous « historiques » (sauf Patrice), l’auteur montre dans un Français légèrement surannée, mais joliment saturée d’images que le monde savait et qu’il n’a rien fait. Si le texte de Tessarech se fait parfois moralisateur, c’est avec l’élégance d’un  discours d’Arsitide Briand à la SDN. Et il n’oublie pas de rappeler encore et toujours, notamment par la bouche de Roosevelt lui-même, cette question morale qui hantait les grands hommes de la Deucième Guerre mondiale: si une guerre est toujours « sale », à partir de quel moment doit-on tirer la sonnette d’alarme quand la violence semble dépasser toutes les limites de l’imaginable?

Un beau roman, fort, et qui se lit d’une seule traite.

Bruno Tessarech, « Les sentinelles », Grasset, 381 p., 19 euros.

« Patrice rédigea une note, qui partir aussitôt chez le général. Lequel convoqua deux jours plus tard son auteur pour lui tenir les propos suivants:

‘Il faudrait comprendre, monsieur Orvieto, que nul n’a encore inventé la guerre propre. Je vais vous choquer et je m’en excuse. Mais qu’après trois années de conflit nous comptions déjà les morts par millions, des soldats, des résistants, des Polonais, des Français des Juifs, eh bien moi, voyez-vous, ça ne me surprend pas trop. Sas doute parce que j’ai été moi-même sur le front, une expérience que peu d’entre vous connaissent. Ma réponse à votre note, elle tient en une phrase, que voici : commençons par gagner cette guerre, nous pleurerons nos morts ensuite’» p. 249-250.

“Once the rockets are up, who cares where they come down

That’s not my department,” says Wernher von Braun

Rentrée littéraire : Entre les tours

Jeudi 9 juillet 2009

Après le succès de son film, J’ai toujours rêvé d’être un gangster, Samuel Benchetrit reprend du stylo et livre pour la rentrée une journée bien particulière : celle d’un collégien de cité dont la maman a été arrêtée par la police au matin. Sortie le 18 août.

Charly est un jeune collégien. Il est né en France mais sa mère et son frère ont émigré du Mali. Le père a abandonné les siens, qui vivent tant bien que mal dans une cité ordinaire aux alentours de Paris. Le roman raconte une journée particulière dans la vie de Charly : celle où sa mère a été arrêtée par la police et où lui s’est caché pour ne pas être pris. Pas d’école, donc pour le pré-adolescent, mais une longue marche dans les dédales de la cité dont tous les bâtiments ont le noms d’artistes des XIXe et XXe siècle à la recherche de son frère, Henry, très intelligent, et très drogué, qui va peut-être pouvoir expliquer à Charly ce que les autorités reprochent à leur mère. Charly parle, parle, parle, dans une logorrhée réaliste d’enfant de dix ans bon en rédaction française. La vie qu’il décrit n’est pas affreuse: il y a l’amour que lui porte sa mère, et celui qu’il voue à Mélanie. Il y a de temps en temps un film, si possible de Charlie Chaplin, et ses bonnes notes à l’école.

Le Charly inventé par Samuel Benchetrit a l’élégance du polisson. Sympathique et affable, il décrit tout de son univers : des écharpes de Mélanie, aux dîners avec sa mère, en passant par ses trucs et astuces pour obtenir ce qu’il veut d’elle et les piles de livres de la bibliothèque municipale. Riche en détails, et lourdement « réaliste », la lecture déborde d’une « vie » un peu artificielle qui épuise le lecteur. A force de vouloir faire « vraisemblable », Benchetrit dégoûte le lecteur de vouloir connaître l’histoire de Charly. Arriver au bout des 297 pages est plus pénible que jouer quatre heures avec un véritable enfant de dix ans. Du coup l’on en oublie presque les conditions terribles dans lesquelles l’enfant babille : sa mère a disparu, il est à la rue, n’a pas un sou en poche et rien à manger. Quant à savoir si les voisins seront compatissants et serviables tous les jours, rien n’est moins sûr…

    Samuel Benchetritt, “Le coeur en dehors”, Grasset, 297p., 18 euros.

    « Au milieu du parc, il y a un manège pour les petits gamins. C’est souvent là qu’on se retrouve avec la bande. On s’assoit sur un banc, autour, et on regarde les mômes d’éclater à tourner dans leurs petites voitures. Oh je les adore les petits gamins. Quand j’en vois u qui se marre, je peux le regarder des heures. Et si j’en vois un qui pleure, ça me retourne le coeur, et je voudrais lui donner n’importe quoi pour qu’il arrête. Nous on n’a pas le droit de monter sur le manège. Rapport on est trop vieux et tout. Mais on en a pas envie de toute façon. Et puis le type qui s’en occupe est un sacré con .» p. 151

Roman : Françoise Henry, Juste avant l’hiver

Lundi 27 avril 2009

Après avoir ressuscité la mère d’un héros de 77 ans dans « Le rêve de Martin » (Grasset, prix Marguerite Audoux), la comédienne et auteure Françoise Henry redonne vie à l’après printemps de Prague à travers les amours d’une serveuse racontés par sa patronne à la jalousie intuitive. Un univers résolument féminin plongé dans un hiver qui n’en finit pas.

Ivana est la patronne assez âgée d’un bar de Prague. En 1969, elle observe avec envie les amours clandestines de sa serveuse jeune, lumineuse et slovaque, Anna, avec un des clients. Pavel est un jeune étudiant résistant activement contre le régime. Il risque sa vie et met Anna en danger, dans un pays où tout est interdit sauf discrètement faire l’amour.

Raconter l’histoire simple de la belle Anna du point de vue d’une femme plus mûre, assez pythie et très jalouse est une jolie perspective. Simple et résolument intime, l’écriture de Françoise Henry déshabille de l’intérieur les mécanismes toujours humains qui se cachent derrière le rideau de fer d’un régime répressif. Féminin dans l’empathie, dans les jeux de doubles, et dans la description de la sensualité, « Juste avant l’hiver » est un joli conte de printemps.

Françoise Henry, « Juste avant l’hiver », Grasset, 189 p, 14,50 euros.

« Vous étiez vierge, Anna, si invraisemblable que cela paraisse dans ce pays où le sexe est un des seuls espaces de liberté. Où on fait l’amour tôt, le plus tôt possible, l’amour et la fête comme ces étudiants qui, l’autre soir, ont trouvé le moyen, avec l’aide de l’un d’entre eux placé comme un gardien de nuit, de s’introduire à l’intérieur du musée Folklorique de Prague, pour boire et chanter toute la nuit et s’amuser à revêtir les costumes d’époque poussiéreux dans lesquels ils se sont aimés jusqu’au petit matin… » p. 75-76

Policier : Pas de pitié pour Martin, de Karin Slaughter

Lundi 27 avril 2009

Auteure américaine de romans criminels traduits dans plus de vingt langues, Karin Slaughter joue avec les règles du genre. Traduit et publié chez Grasset comme tous ses autres livres « Pas de pitié pour Martin » (ou « Martin incompris », selon le titre original du livre) met en scène un homme américain moyen au physique et au social, castré par toutes une série de femmes. Il tient enfin son quart d’heure de célébrité quand il se trouve accusé d’être un tueur en série.

Martin est intelligent, il lit beaucoup. Déjà assez âgé, affublé d’un physique ingrat, d’une mère possessive chez qui il habite et d’une collaboratrice menteuse et étouffante, il n’a pas la côte auprès des femmes. Les hommes l’appellent « le bec », avec d’autant plus de camaraderie blessante depuis qu’il s’est fait opérer le nez. Sa vie bascule le joue où l’une de ses collègues est retrouvée assassinée, le sang de la victime étalé sur la carrosserie de sa voiture…

Jouant avec les codes des romans policiers « classiques » qu’elle n’hésite pas à citer puisqu’ils font partie du panthéon des lectures de Martin, Karin Slaughter dresse le portrait vif d’un sympathique looser. Le microcosme décalé qu’elle met en scène à Atlanta va à l’encontre du politiquement correct. Dans un monde où la secrétaire noire est habillée de vêtements vifs volés dans les magasins et où l’inspecteur est une femme mythomane qui s’invente une petite copine lesbienne et cancéreuse pour se faire quelques amis, Martin trône en roi moqué à grand renforts de godemichés collés sur son bureau. C’est seulement dans le couloir de la mort qu’on lui fout la paix et qu’il trouve l’amour. Délicieusement kitsch et léger.
Karin Slaughter, « Pas de pitié pour Martin », trad. Pierre Demarty, Grasset, 153 p, 11 euros.

Livre : Océan de Vérité, d’Andrea de Carlo

Jeudi 12 mars 2009

Datant de 2006 en Italie, « Océan de Vérité », le dernier roman d’un des poulains d’Italo Calvino est enfin disponible en Français. Andrea di Carlo vient troubler le calme bucolique de son héros pour le plonger dans un scandale politique qui s’accompagne bien évidemment d’une romance.

Aventurier et navigateur, Lorenzo vit tellement seul dans la campagne italienne, qu’il met un peu de temps à recevoir le message de son frère lui annonçant la mort de leur père, un grand universitaire et scientifique. Il doit alors se rendre à Rome pour l’enterrement. Médusé par le train de vie et le devenir faux de son frère, n°2 d’un petit parti politique du centre, il semble un peu indifférent à la mort de son père. Autour de lui, tout le monde semble insensible, chacun étant trop occupé par ses propres problèmes. Une fois les questions d’héritage traitées, Lorenzo devrait donc être libre de se retirer dans son havre de paix. Mais au cimetière une drôle de femme rousse attire son attention : un manuscrit important d’un ancien potentat du Vatican mort du Sida était en possession du défunt. Le potentat aurait voulu le rendre publique pour sensibiliser l’opinion, mais il semble que chaque personne qui approche le manuscrit (dont seulement deux copies existent) trouve mystérieusement la mort. Un peu par amour pour la jeune femme inconnue, Lorenzo se lance alors à la recherche du manuscrit perdu…

Crise de la famille, scandale politique, et romance malgré tout, « Océan de vérité » donne cette même image de l’Italie qu’on retrouve dans de nombreux livres et films italiens contemporains. Mais la distance du personnage, nous fait voir comme de loin ou dans un bocal ce petit monde carburant à vide sur les litres de corruption. On ne s’offusque, ni ne s’attache, et aucune poésie ne vient apporter contre-modèle ou rédemption. De Carlo ne parvient pas à toucher le lecteur comme le faisait, avec les mêmes ingrédients, Sandro Veronesi dans « Chaos Calme » (Grasset, 2008).

Andrea de Carlo, “Océan de vérité”, trad. Myriam Tanant, Grasset.

Livre : L’usure des jours, de Lorette Nobécourt

Lundi 9 février 2009

Dans son dernier livre , l’auteure de “En nous la vie des morts” (Grasset) fait l’inventaire thématique de sa vie de femme, de mère et d’enfant à l’origine non-souhaitée. A la fois mystique et raisonnable, délicate et violente, l’écriture de Lorette Nobécourt embrasse avec justesse toutes les sinuosités de la vie.

A l’âge des “femmes au bord de vieillir”, Lorette Nobécourt dresse un subtil auto-portrait en 44 chapitres qui se lisent comme les étapes d’un chemin de connaissance de soi. De sa naissance non souhaitée par sa mère, à l’attention donnée à l’âge qui vient, c’est de manière presque circulaire que l’auteure se réinvente et se cherche, dans ses moments de détresse, dans ses lectures orientales, dans ses amours et surtout dans son écriture, passée, présente et aussi à venir.

Suite d’aphorismes,”L’usure des jours” dispose chaque mot avec finesse et à l’aune de sa valeur en vie et en sang. Aussi grande styliste que vivante -malgré sa mélancolie- Lorette Nobécourt parvient à se montrer à la fois forte et fragile, une et multiple, grave et déjà sage, dans le choix même de ses phrases. Le livre donne à méditer et à sentir et fait sans autre médiation que l’écriture le trajet qui mène de l’intime à l’universel. On le lit, on le relit, on le médite, et l’on peut aussi s’en nourrir.

Lorette Nobécourt, “L’usure des jours”, Grasset, 12,90 euros.

“Mon équilibre est fragile, mais cette fragilité intrinsèque est exactement ma force. par elle, j’accède à des immensités que les autres ignorent, ces espaces sur lesquels le monde repose et qui réclament d’être dévoilés. Merveilleux ou infernaux. les premiers ne vont pas sans les seconds.
Cette vérité, le sens commun l’a oubliée pour pouvoir fonctionner. Mais ce dont on ne se souvient pas révèle précisément ce que l’on ne saurait oublier” p. 114

Grasset rédite aussi le premier roman de Lorette Nobécourt, “La démangeaison” (1994).

Pour lire l’article paru dans www.en3mots.com sur “En nous la vie des morts” cliquez ici.