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Semih Kaplanoglu (Miel) : Nos modes de vie actuels peuvent salir l’oeil qu’on a dans le coeur

Vendredi 17 septembre 2010

Ours d’Or 2010 à Berlin, et tout récemment Grand Prix du Festival Paysages de Cinéastes 2010 de Chatenay-Malabry, « Miel » (« Bal ») du réalisateur turc Semih Kaplanoglu sort sur nos écrans le 29 septembre. « Miel » raconte l’enfance d’un poète et sa relation forte et quasi-silencieuse d’un père apiculteur. Il s’agit du troisième volet d’une trilogie sur la vie de cet homme et l’enfance vient après l’âge adulte, exploré dans Oeuf (Yumurta) et Lait (Sût). Semih Kaplanoglu nous a palmé de ce film. Un film et de ce qu’il exprime sur l’éducation, le deuil et une force intérieure dont il ne faut pas perdre le fil.

Voir notre critique du film.

Selon vous, y’a-t-il un grand renouveau du cinéma turc, ces dernières années ?
On peut définir ça comme ça, comme une sorte de nouvelle vague. Il y a une génération dont je fais partie, qui a commencé dans les années 1990. Que ce soit dans le fond ou dans la forme la façon de filmer et de produire, il y a une coupure entre ce que nous avons commencé à faire et les films d’avant. Il y a donc effectivement une ressemblance avec la Nouvelle vague française. Il y a plusieurs réalisateurs qui représentent cette nouvelle génération du cinéma en Turquie. Vous connaissez peut-être Nuri Bilge Ceylan (Grand prix du Jury pour « Uzak » en 2003 à Cannes), il y a Reha Erdem (« Des temps et des vents ») et Zeki Demirkubuz (« Kader »).

Pourquoi filmer votre trilogie à rebours, en commençant par l’âge adulte pour revenir vers l’enfance ?
J’ai eu l’idée de ce film vers l’âge de quarante ans. J’avais des questions par rapport à la vie : ce que j’étais, ce que j’étais devenu et ce que j’allais devenir. A l’époque je travaillais sur une nouvelle qui au a donné naissance au garçon de 18 ans, qui est le personnage principal du film l’œuf. En réfléchissant sur ce personnage de livre, je me suis demandé ce qu’il deviendrait à l’âge de 40 ans, et également ce qu’il avait été à huit ans. J’ai commencé par l’imaginer à 40 ans avec « Lait », tout simplement parce que c’est l’âge où je le sentais le plus proche de moi. Et puis, j’ai essayé d’aller vers l’inconscient de l’être humain. Vers une base que l’on a quand on est et qui ne change pas. En fait, en regardant « Miel » nous sommes censés avoir déjà vu les deux premiers films, et nous savons déjà quel va être l’avenir de cet enfant. C’est quelque chose qui est impossible dans la vie réelle, bien sûr, de connaître l’avenir de quelqu’un. Parce que nous, quand on raconte une histoire, on la raconte et on la vit de façon chronologique. Comme on sait ce qu’il va vivre plus tard, l’innocence de l’enfant est encore plus puissante. Et ca c’est en quelque sorte se rapprocher du destin. Quand on revient en arrière on fait sentir plus fort la puissance du destin. Moi, je crois au destin et je crois que Dieu a tracé notre destin.

Quelle est la place de l’éducation dans la trajectoire de vie de l’enfant ?
Deux types d’éducations doivent co-exister : si l’on s’éloigne de l’éducation de la nature et de ce que peut nous apprendre un père, l’éducation créée par l’homme provoque le chaos que l’on connaît aujourd’hui. Aujourd’hui, l’être humain vit de façon un peu perdue, ne sait plus trop où il en est. En fait, nous avons une vie plus conformiste, même si nous communiquons parfaitement et que tout est plus facile, cela ne nous rend pas plus profond, cela ne résout pas nos problèmes. La science existe, mais elle ne peut pas répondre à tous les questionnements. Je ne dis pas qu’il ne faut pas s’arracher à la nature, mais je pense qu’il est très important de savoir garder un équilibre entre l’apprentissage de la nature et l’apprentissage de la société. Il suffit d’aller le chercher par la spiritualité, sa base, et c’est quelque chose qu’aucun système politique ne peut jamais empêcher parce que c’est quelque chose qu’on a au fond de soi. Aucune autorité,quel que soit son pouvoir, ne peut détruire ce qu’on a en nous. Seulement l’être humain peut détruire pour lui-même ce qu’il a en lui. Nos modes de vie actuels et leurs conformismes peuvent évidemment salir l’œil qu’on a dans notre cœur.

Dans « Miel », la disparition du père est-elle une étape de l’apprentissage ou est-ce une tragédie?
C’est évidemment une partie de l’éducation de l’enfant. Après que le petit a perdu son père, on voit qu’au bout d’un moment, il se met à l’accepter. Dans la culture d’où je viens, la mort n’est pas la fin. Nous savons que nous nous rencontrerons quelque part ailleurs.

Quel est le rôle du silence dans l’apprentissage et dans le processus de deuil ?
En fait pour moi, le poète est celui qui essaie de détruire la manière linéaire de s’exprimer. Car les mots pour un poète ont d’autres significations que celles qu’ils ont pour nous. Il n’écrit pas pour communiquer. Le poète essaie de nous faire parvenir une autre connaissance d’un autre monde. Il va toujours à l’essence du premier mot. Et si on pense que déjà le petit garçon a du mal à parler puisqu’il bégaie, il ne peut parler que quand il murmure. Comment je sais ça ? Parce que je l’ai vécu moi-même. Si tu bégaies, tu peux parler sans bégayer en murmurant. Et quand au silence qui suit la mort du père, c’est l’acceptation. L’endroit où j’ai filmé, les maisons sont très éloignées des autres, ce n’est même pas un village et j’ai remarqué que là-bas les gens parlent très peu. Je me suis aperçu qu’on éprouve le besoin de parler quand les choses deviennent moins importantes et quand on veut meubler l’espace.

Après avoir donné vie avec cette grande trilogie, ressentez-vous un vide?
Oui je me sens vide. Quand j’ai proposé cette trilogie ici en France, tout le monde m’a dit trois films d’un coup, mais tu es complètement fou. C’est une mauvaise stratégie. Fais les un par un. Ne dis à personne que tu veux faire trois films. Car tu ne trouveras pas de producteur pour un projet de telle ampleur. Quant à moi j’ai toujours présenté ce projet comme une trilogie. Et durant quatre ou cinq ans j’ai travaillé sur ces trois films sans aucune vacance. Je n’ai même pas eu de samedi ou de dimanche. A chaque fois que je finissais un film, il y en avait tout de suite un nouveau qu’il fallait que je commence immédiatement. Il ne fallait pas perdre de temps, il fallait que je commence tout de suite. Grâce à Dieu les choses se sont faites relativement rapidement. Et c’est terminé. Maintenant évidemment, il y a un très grand vide intérieur en moi. Maintenant je ne sais pas trop ce que je veux faire. J’ai plusieurs histoires en moi. Une qui se déroule au 16ème siècle. Et une qui se déroule aujourd’hui à Istanbul, donc je réfléchis sur ces deux histoires. Je prends des notes et je vais commencer à écrire, je ne sais pas encore quand.

Propos recueillis à Paris, le 30 août 2010.

La tête en friche, l’illettrisme à visage humain

Lundi 7 juin 2010

Le réalisateur d'”Elisa” et des “Enfants du marais” retrouve Gérard Depardieu pour un grand film Français digne des chefs-d’œuvre de son papa, Jacques Beceker. Un dialogue scintillant et émouvant entre un homme mûr un peu simple et une vieille dame folle de livres sur un banc d’une ville de Province… A voir sans modérer l’usage enthousiaste de sa boîte de kleenex.

Germain (toujours incroyable Gérard Depardieu) est un homme de quarante-cinq ans souffrant d’avoir toujours été considéré comme “le béret” (ie l’idiot) du village, et palliant son illettrisme par l’amour du jardinage, l’amitié et une belle et simple histoire d’amour avec une jeune-femme chauffeur de bus (lumineuse Sophie Guillemin). Tous les jours, il va déjeuner au parc où il compte les pigeons. Il leur a même donné un nom à chacun! Cette attention pour les animaux qui l’entourent lui permet de rencontrer une vieille dame solitaire, perchée comme un moineau sur son banc, et toujours un livre en main : Margueritte (merveilleuse Gisèle Casadesus). Celle-ci l’appelle “jeune-homme” et sait voir la perle qui sommeille sous l’apparence un peu lourde de Germain. Elle se met à lui lire à voix haute Albert Camus et Romain Gary et, lui montrant combien une écoute attentive est à la racine même de tout bon lecteur, elle réussit là où tous les instituteurs de l’école républicaine ont échoué. Transformé, Germain se met à citer le panthéon de la littérature française devant ses camarades de bar, un peu étonnés. Une véritable histoire d’amour filial naît entre Germain et Margueritte. Et le jour où celle-ci lui annonce qu’elle perd la vue, Germain décide d’affronter son pire ennemi : la difficulté de lire, pour pouvoir continuer de traverser mots et phrases en compagnie de sa nouvelle amie.

Court, incisif et plein d’amour de l’homme et du monde, sans jamais tomber dans le sentimental, le film “La tête en friche” a un petit côté suranné qui rappelle l’âge d’or du cinéma français. Avec ce qu’il a de meilleur : des dialogues étincelants, adaptés par Jean-Loup Dabadie et Jean Becker du roman de Marie-Sabine Roger, une galerie de personnages extrêmement touchants (la vieille dame fière et solitaire, la patronne de bar amoureuse d’un jeune homme infidèle et jouée par la délicieuse Maurane, la mère dure et têtue enfermée dans son passé et la musique de Luis Mariano, et bien sûr le très touchant cancre-crème Germain), une musique signée Laurent Voulzy, et des comédiens absolument remarquables (avec également François-Xavier Demaison en amant profiteur et violent). On en sort le cœur serré et bondissant d’émotion, avec une nostalgie constructive pour la simplicité de relations profondes qui ne passent pas seulement par le fil complexe des mots mais aussi par des gestes simples : offrir du fenouil, des fleurs, un dictionnaire, s’occuper au jour le jour de l’autre, ou mettre de l’argent de côté pour ses enfants. A voir absolument.


“La tête en friche”, de Jean Becker, avec Geneviève Casadesus, Gérard Depardieu, Maurane, Sophie Guillemin, François-Xavier Demaison, et Jean-François Stévenin, France, 1h22, sortie le 2 juin 2010.

Où vas-tu Moshé ? L’exil judéo-marocain incarné par Simon Elbaz

Lundi 7 juin 2010

Après le succès de la “Chambre noire” (2004) sur la torture d’un étudiant aux convictions marxistes dans le Maroc des années 1970, Hassan Benjelloun évoque l’exil judéo-marocain du début des années 1970 depuis le bar d’une petite ville de Bejaad. Musical, tendre et fraternel.

Au début des années 1960, après la mort du roi Mohamed V, et l’indépendance du Maroc, les juifs ne sont plus bien vus et tentent de partir clandestinement pour Israël. Dans la petite ville de bejaad, le départ des juifs est une catastrophe pour Mustafa (Abdelkader Lofti). Enfin propriétaire, après avoir passé sa vie à économiser pour racheter le bar du village au dernier français y vivant encore, il risque de devoir renincer à son commerce. En effet, conformément à la loi d’Allah, s’il ne reste plus que des musulmans dans le village.  le conseil pourra l’obliger à fermer son débit de boisson. Heureusement, dans son malheur, Mustafa a de la chance : le seul juif qui refuse de partir est Shlomo (Simon Elbaz), horloger et musicien.  Après  le départ mouvementé de sa femme et de sa fille pour Israël avec les autres juifs du village, ce dernier vient animer le bar de son voisin et ami lors de ses longues nuits de solitude …

Drôle, tendre et aussi critique (on sent bien la manière dont les rapports entre juifs et musulmans changent doucement à Bejaad, et le sionisme musclé des associations chargées de venir récupérer les juifs marocains est parodié), « Où vas-tu Moshé ? » fait partie de ces films simples dont le principal n’est pas la perfection des images, mais des dialogues savoureux, portés par des comédiens charismatiques. En juif attaché à son pays natal et refusant un « retour » qui est surtout un exil en Israël Simon Elbaz incarne – tout en musique- un personnage, où bien des exilés involontaires et bien des amoureux du Maroc se retrouveront.
A voir au cinéma les 3 Luxembourg, dès le 9 juin.

“Où vas-tu Moshé ?” (Finemachiamoshé ?), de Hassan Benjelloun, avec Simon Elbaz, Rim Shamou, Ilham Loulidi, Abdelkader Lotfi, Hassan Essakalli, Mohamed Tsouli, Abdelkader Lofti, Rabii El Kati, Abdelmalek Akhmiss, Abderrahim Bargache, Hassan Essakalli, Mohamed Tsouli Khandouki, Abdellah Chakiri, Maroc, 2008, 1h30.

Sortie Dvd : Plein Sud de Sébastien Lifshitz

Mardi 25 mai 2010

Road-Movie mettant en scène une jeunesse belle et désoeuvrée en route vers le Sud et la mer, “Plein Sud” de Sebastien Lifshitz (“Presque rien”, “la Treversée”, “Wilde Side”) évoque la mémoire meurtrie d’un jeune homme en flash backs poéstique. Le dvd est disponible chez Mk2. Avec la sensuelle Léa Seydoux, actuellement à l’écran dans le Robin des Bois de Ridley Scott.

Le beau Sam (Yannick Renier) a presque la trentaine. Au volant de sa Ford, il prend en stop une soeur (Léa Seydoux) et un frère (Théo Frilet). Le film débute sur un strip-tease ado et émouvant de la soeur, très interessée par les hommes et par Sam… Qui lui préfère son frère. Un quatrième compagnon (Pierre Perrier) les rejoint dans leur voyage. Sur la route, le quatuor ne roule pas toujours en harmonie et manque plusieurs fois de se séparer. Quant à Sam, il fait plusieurs arrêts dans ce pélerinage vers le Sud : pour voir son frère, et sa mère. Le road-movie prend alors des airs de réglement de compte familial…

Extrêmement lent, tout en frôlement de sensibilités et belles prises de vues  de jeunes et beaux jeunes gens tentant de s’oublier ou de se souvenir, “Plein Sud” est surtout réussi dans ses flash-backs. En grand-mère ersatz de repères, on retrouvera avec plaisir Micheline Presle, et en mère indigne l’élégante Nicole Garcia.

“Plein Sud”, de Sébastien Lifshitz, avec Léa Seydoux, Yannick Renier, Pierre Perrier, Nicole garcia et Micheline Presle, France, sortie en salle 30/12/2009, 1h30, sortie Dvd 20 mai 2010, Mk2 éditions, 19.90 euros.

Sortie Dvd : le jour où Dieu est parti en voyage

Mardi 25 mai 2010

Pour son premier passage derrière la caméra, le directeur de la photographie de films de Bruno Dumont et Claire Denis, Philippe Van Leeuw, a adapté une histoire vraie qui a eu lieu dans les premiers temps du génocide rwandais, en avril 1994. Prix du meilleur premier film du festival de San Sebastian, en 2009, “Le jour où Dieu est parti en voyage” est un film sobre, dur et silencieux sur l’impact immédiat d’une violence incompréhensible. Il est disponible en Dvd depuis le 7 avril chez MK2.

Avril 1994, dans un village non identifié du Rwanda. Alors que les Huttus commencent tout juste le génocide qui fera en 3 mois près de 800 000 victimes, en majorité Tutsies, une famille belge décide de partir encadrée par des policiers. Avant de quitter leur villa, ils obligent la nounou de leurs enfants, Jacqueline (bouleversante Ruth Nirere), tutsie sans nouvelles de sa propre famille à se cacher. 24 heures de planque dans l’obscurité d’un grenier secret lui permettent de survivre pendant que les Huttus pillent jusqu’au papier peint de la maison. Lorsqu’elle sort, Jacqueline se dirige immédiatement vers son village et y trouve ses deux enfants assassinés. Mais sa vie est en danger et elle ne peut  même pas  les enterrer; elle doit fuir dans la forêt. Mutique et perdue, elle n’est plus qu’instinct de survie. Elle sauve la vie d’un homme blessé (Afazali Dewaele), qui, une fois remis sur pieds, parle pour deux. Mais leur périple dans la forêt est très dangereux, et Jacqueline qui a entendu les massacres depuis sa cachette et ne peut pas se remettre de la mort de ses enfants, est très fragile…

Sobre, dur et sans concessions, “Le Jour où Dieu est parti en voyage” suggère à travers quelques gestes simples, peu de mots, et l’écho des massacres la violence du génocide rwandais. Le retour à une nature hostile, où la seule civilisation qui émerge est celle des fusils, des machettes, et des injures de haine raciale, exprime un état de barbarie proprement insupportable. Et suivre Jacqueline, déchirée entre un instinct de survie bien humain, un deuil impossible, et l’hébétude face à l’explosion de violence, est une épreuve psychologique qui demande beaucoup d’attention. Tenu en haleine par les gestes de la survie, le spectateur se demande au fur et à mesure que le film progresse, si Jacqueline va pouvoir à nouveau parler. Et si oui, va-t-elle pouvoir évoquer la mort de ses enfants?
Film sur la mémoire immédiate, au moment où celle-ci est encore intriquée dans le temps du traumatisme, “Le jour où Dieu est parti en voyage” est une oeuvre importante. Pour tous.

“Le jour où Dieu est parti en voyage”, de Philippe Van Leeuw, avec Ruth Nirere et Afazali Dewaele, Belgique-France, 01h34min, sortie française 28 octobre 2009, sortie Dvd 7 avril 2010, Mk2 éditions, 19.99 euros.

Les secrets, un film métaphore sur l’enfermement de la femme orientale

Mardi 18 mai 2010

Pour une fois que je donne raison à ce bon vieux Edward Said…

Avec “Les Secrets” (“Dawaha”), la réalisatrice tunisienne Raja Ammari montre comment trois femmes tunisiennes se heurtent à leurs corps et à la société. Avec Hafsia Herzi (“La graine et le mulet”)en jeune femme découvrant le monde et la sensualité. Sortie française le 19 mai.

Pour son deuxième long métrage après “Satin Rouge”, Raja Ammari a choisi de filmer trois femmes laissées à elles-mêmes dans une villa tunisienne entrain de tomber en ruine. Aicha (Hafsia Herzi), Radia (Sondos Belhassen) et leur mère (Wassila Dari) ont décidé de rester cachées dans les anciennes dépendances de la maison où la mère a probablement servi. Elles vivotent de quelques légumes cultivés dans le jardin parmi les mauvaises herbes. Et aussi du travail de couture de Radia, vieille fille de quarante ans, qui sort une fois par semaine de leur antre pour monnayer ses travaux. Simple d’esprit, la jeune Aicha sent cependant son corps grandir et veut se parer et s’habiller comme une femme. Sa soeur et sa mère la battent et l’attachent au lit pour l’empêcher de raser ses jambes…

L’arrivée du fils des anciens propriétaires avec sa fiancée, la jolie et moderne Aelma (Rim El Benna), vient bouleverser la petite vie du trio. Si la mère et la grande soeur veulent continuer de se cacher, Aicha est trop attirée par les talons rouges et le maquillage de Aelma pour se retenir d’aller espionner les nouveaux venus dans leur sommeil.

Cheveux de soie et d’ébène, lumière mordorée, jeux de cacher-montrer et corps inaccessibles mais cependant désirants, “Les secrets” reprend tous les clichés des bons vieux tableaux orientalistes pour les mettre en mouvement. Et il n’est pas sûr que ces très belles images remettent en cause les lieux communs. Ceux-ci sont certes répétés avec  talent, mais aussi avec une application de bonne élève de Delacroix qui laisse un peu songeur… Seule la fin explose de violence, reprenant sans crier gare le thème classique des explosions de la femme hystérique. Petite Salomé ingrate et sans homme pour la désirer, Aicha se libère de chaînes finalement très féminines pour courir vers une liberté moderne, faite de téléphones portables, de fêtes aux musiques techno et de maquillage de grande marque. Et ce rêve de consommation libre passe par le sang et le matricide. Choquant, “Les secrets” a retenu l’attention de la dernière Mostra de Venise et provoqué de très vive réactions au festival du film du Caire, en novembre dernier. A vous de juger, dès le 19 mai.

“Les secrets”, de Raja Ammari, avec Hafsia Herzi, Sondos Belhassen, Wassila Dari, Rim El Benna et Dhaffer L’Abidine, Tunisie, 1h30

Dvd : Hi, Mom! Brian de Palma psychédélique

Jeudi 15 avril 2010

Quatre ans avant le cultissime “Phantom of Paradise” (1974), De Palma retrouve Robert de Niro qu’il avait déjà fait jouer dans “Greetings” pour une fenêtre sur cour libertine et politiquement incorrecte. “Hi, Mom!” est disponible le 5 mai chez Carlotta Films.

Vétéran de la guerre du Viet-Nâm, John Rubin emménage dans un taudis d’une grande tour de Manhattan qu’il transforme en poste d’obsevation des ses charmantes voisines. Puis il se cherche un producteur de films pornographique pour financer son projet artistique : immortaliser les ébats vivants des voisines d’en face depuis sa “fenêtre sur rue”. Mais son programme de “rality porno” s’enroue quand la caméra bat de l’aile et fait capoter les prises de vues de ses performances avec la jolie fille intello et esseulée d’en face.

Libre, un peu fou, et fonctionnant par collage, “Hi, Mom” annonce déjà pour certains dans ses monologues hallucinés “Taxi Driver” (Paul Schrader avait proposé à De Palma d’écrire le scénario). psychédélique comme Phantom of Paradise sans en partager l’hystérie, ce film est peut-être un peu trop décousu, ce qui explqiue qu’il ne soit pas devenu “culte”. Mais tous retiendront la scène inattendue et totalement politiquement incorrecte “Be black Baby” où est exposé en spot de pub satirique l’agenda politique d’un groupe pro-noirs avec lequel le héros va travailler. cet agenda consiste simplement à demander à chaque américain de retrouver le sang noir au fond de soi… L’identité se déconstruit, les images aussi.

“Hi, Mum!” de Brian de Palma, avec Robert de Niro, Charles Durning, Jennifer Salt, Gerrit Graham, USA, 1970, 83 min, Carlotta Films 19.99 euros.
Le Dvd contient également la bande-annonce, une étude sur le voyeurisme, une préface de Samuel Blumenfeld et un bonus caché.

Green Zone ou la désobéissance musclée du sous-officier Damon

Mercredi 7 avril 2010

Après “La mort dans la peau” et “La vengance dans la peau”, Paul Greengrass retrouve Matt Damon pour une adaptation du livre de Rajiv Chandrasekaran, “Green Zone”. Un film haut en couleurs sur l’intelligence américaine après la chute de Bagdad et la lancinante question de savoir si les armes de destruction massives ont jamais existé. Sortie le 14 avril 2010.

2003. Roy Miller (Matt Damon) est un sous-officier américain en mission en Irak et chargé de retrouver les fameuses armes de destruction massives qui avaient déclenché la guerre. Or les savants rapports qui sont supposés le guider dans sa recherche le mènent toujours sur des terrains dangereux où son équipe fait chou blanc. Alors que la hiérarchie militaire continue de lui garantir les sources de ces rapports, Miller rencontre un irakien (Khalid Abdalla) qui le mène à une réunion secrète d’anciens généraux de Saddam Hussein. Il parle également avec un agent de la CIA, Martin Brown (Brendan Gleeson), qui lui confirme que son intuition était juste : il n’y a jamais eu d’armes de destruction massive en Irak. Finalement, autour de la superbe piscine qui trône dans la “zone verte” de l’occupation américaine à Bagdad, il rencontre la journaliste du Wall Street Journal (Amy Ryan)qui avait répandu la rumeur sur les armes avant la guerre. Toutes ces pistes le mènent à enquêter sur le rôle du responsable en chef du Pentagone à Bagdad : Clark Poundstone (Greg Kinnear). Il a peut-être trahi les informations données par un proche de Saddam Hussein pour presser l’intervention américaine…

Ne laissant aucune place à la romance où à tout autre divertissement qui éloignerait le sous-officier Miller du coeur de son enquête, le réalisateur de “Bloody Sunday” et de ” Vol 93″ signe un thriller méticuleux sur la guerre d’Irak. Des vétérans étaient présents sur les lieux du  très long tournage (Espagne et Maroc) où Bagdad a été méticuleusement reconstituée. La complexité de la question irakienne et respectée, y compris celle de savoir par qui et comment remplacer le régiem décapité. Musclé et aux aguets, Matt Damon joue parfaitement la désobéissance inattendue d’un sous-officier qui comprend peu à peu combien l’état-major lui a menti. Dans la vraie vie, le comédien expliquait avec esprit et humour combien il doutait dès avant la guerre de l’existence de ces armes de destruction massive dont parlait l’administration Bush, lors de la conférence de presse qu’il a donnée à Paris. Plus sérieux, Paul Greengrass a donné à son public une vraie leçon de cinéma en argumentant son credo : tout film doit partir d’une vraie question. Pour “Green Zone”, cette question était “Comment en sommes-nous arrivés là?”. La réponse en images dure 1h55 de tension salutaire.

“Green Zone”, de Paul Greengrass, avec Matt Damon, Brendan Gleeson, Amy Ryan, Greg Kinnear, Khalid Abdalla, et Jason Isaacs, USA, 2010, 1h55, sortie le 14 avril 2010.

Buzz : Sortie du film Coline sur dailymotion

Mercredi 7 avril 2010

Étienne Constatinesco a décidé de sortir son premier long métrage, “Coline (les amis de mes amis)”, en exclusivité sur dailymotion, le 9 avril. Un rendez-vous à ne pas manquer avec un gentil groupe de loosers sans le sous qui tentent de dealer.

Avec ses baskets des années 1980 et son QI minimaliste, Raph (Raphaël Bartlen) n’en mène pas large. Mais il a un rêve : devenir très riche très vite en dealant de la coke. Avec l’aide de son fourbe de meilleur ami, Alex (Charles Hurez) il tente de refourger 80 grammes au lieu de 100 à Fatih (Lahcen Razzoughi). Dès lors, ses jours sont en danger et après une sénace de bon passage à tabac, il croise el chemin de Freddy (Jean Bailly) en boîte. Celui-ci vient de voler à la tire un peu d’ragent au boss de son évanescente petite copine, Aurore (Estelle Galarme, qu’on avait notamment vu jouer chez Brisseau). Fatigué de faire la queue à l’ANPE pour rien, il marche pour un deal plus qu’hasardeux avec Raph…

Filmé avec peu de moyens et vite, mêlant comédiens professionnels et potes du réalisateur, “Coline” a un rythme sympathique et nous plonge dans le quotidien difficile de jeunes sans avenir de la banlieue de Strasbourg. On notera également la B.O. de Outlines qui avaient supervisé la BO de “Babylon AD” de Matthieu Kassovitz.

Coline (les amis de mes amis)”, Etienne Constatinesco, avec Estelle Galarme, Charles Hurez, Raphaël Bartlen, Lahcen Razzoughi, Jean Bailly et Twefik Jallab, France 2007, Sortie le 9 avril 2010 sur Dailymotion.
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COLINE (Les amis de mes amis) – La bande annonce
envoyé par Coline-le-film. – Court métrage, documentaire et bande annonce.

Ajami : flash-backs de violence à Jaffa

Mercredi 7 avril 2010

Nominé cette année aux Oscars, ayant raflé toutes les distinctions aux ophirs israéliens, et co-réalisé par un israélien (Yaron Shani ) et un palestinien (Scandar Copti), “Ajami” a été acclamé partout dans le monde. Le film détaille les destinées d’arabes-israéliens, de palestiniens, de chrétiens-israéliens, et d’israéliens dans le quartier d’Ajami à Jaffa. Un bain de sang monté en flash backs, avec des acteurs non-professionnels et dont tout le monde louel e caractère “authentique”.

“Ajami” commence sur un réglement de comptes qui tourne mal : le voisin d’Omar (16 ans) et Nasri (13 ans) est assassiné en pleine rue à la place d’Omar par les membres d’un clan que leur oncle a menacé. Dès lors, les deux frères se cherchent un parrain pour les protéger. Le réglement à l'”amiable” de la querelle a un grand prix qui pousse Omar à vouloir traffiquer de la drogue. Dans le même quartier un jeune palestinien vient travailler tous les jours clandestinement dans les cuisines d’un restaurant tenu par un “parrain” chrétien israélien et espère pouvoir payer les soins de sa maman malade d’un cancer. A ses côtés en cuisine, un jeune garçon qui y travaille légalement trempe dans le traffic de drogue. Un policier israélien chargé de surveiller le quartier est à la recherche de son frère, disparu alors qu’il était soldat en permission… Tous ces personnages se croisent au fur et à mesure que les exploitations et les bains de sang s’accumulent dans un climat de barbarie “authentique”. Ayant filmé chronologiquement avec seulement deux caméras, des acteurs non-professionnels, et très peu de prises, et monté le film pendant un an “comme un documentaire”, Scandar Copti et Yaron Shani tenaient beaucoup à représenter Ajami comme une “vraie” jungle où les destins se brisent. Le tour très “tiers-monde” donné volontairement à des images désordonnées, rapides et sans fioritures, et la rapidité du débit rappellent un “Slumdog millionaire” sans espoir et sans aucune paillette. La violence est encore rehaussée par les flash-backs qui rappellent au spectateurs oublieux combien les turies des rues ou des parkings trucident des adolescents qui cherchent à s’en sortir, face à des parrains qui font leur beurre de tout ce sang, et à des policiers israéliens pas méchants mais très idiots (et ne parlant pas l’Arabe) qui laissent, malgré eux, les divers clans arabes s’étriper sans agir.

“Ajami”, de Scandar Copti et Yaron Shani, avec Fouad Habash, Shahir Kabaha, Ibrahim Frege, Scandar Copti, Eran Naim Israël/Palestine, 2009, 120 minutes, sortie le 7 avril 2010.