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Romance à trois sur la plage de Dinard

Mardi 18 mai 2010

Il se trouve que je lisais ce roman, avant de partir en week-end pour Dinard… cheesy mais très sympathique.

L’auteure britannique Mary Wlesley n’est plus, mais Eho continue de nous livrer ses romans délicieusement irrévérencieux en version française. Après  “La pelouse de camomille” (2008) et “Rose Sainte-Nitouche” (2009), “Les raisons du coeur” sera disponible dès le 3 juin dans la traduction de Michèle Albaret. Un gros livre psychologique et truffé de personnages attachants, dans lequel on se plonge comme dans un bain chaud.

“Les raisons du coeur” commence après la Première Guerre mondiale sur la plage de Dinard où de nombreux Anglais et Hollandais viennent en villégiature. Un des couples britanniques est bien trop amoureux pour vraiment s’occuper de leur fille de dix ans, Flora. Celle-ci passe son temps à apprendre le russe auprès de la couturière du village et promène des chiens. Elle attire l’attention de trois hommes dont elle tombe amoureuse : deux garçons de 15 ans : Cosmo, le fils de grands industriels londoniens et Hubert, alias “Blanco”, meilleur ami de ce dernier et dont le père est tombé au front. Et elle n’est pas insensible au charme du joli coeur de la station, Félix, un peu plus âgé et pour lequel toutes ces dames se pâment. Après cet été de grâce où le temps semble s’être figé, Flora passe toute son adolescence en pension, vacances comprises, pendant que ses parents se suffisent l’un à l’autre aux Indes. Cinq ans plus tard, la mère de Cosmo vient offrir une nouvelle parenthèse de bonheur à Flora en l’invitant à passer une partie de l’été avec cette jeunesse dorée. Mais Flora a désormais quinze ans, un corps et des désirs de femme, et les sentiments nés à Dinard commencent à s’exprimer plus ouvertement…

Dans la tradition psychologique d’une George Elliott, Mary Wesley met toute l’élégance de sa plume britannique à décrire un monde en mouvement autour de sentiments qui ne passent pas. Si l’intrigue est un peu plus complexe et un peu moins olé olé que l’histoire de ménage à trois de “Jules et Jim”. Les triangles amoureux sont bien présents dans “Les raisons du coeur”. Les désirs bruissent, bien vivants sous le poids des habitudes et des conventions. Et le lecteur se laisse séduire par la timide et indépendante Flora, par le généreux Cosmo, ainsi que par le pragmatisme parfois fantasque de l’ironique Hubert. Un vrai roman, à emmener en week-end et à dévorer d’une traite.

Mary Wesley, “Les raisons du coeur, trad. Michèle Albaret, Eho, 526 p., 23 euros, sortie le 3 juin 2010.

Portrait de Mary Wesley © DR

Le Voisin insupportable et libérateur de Tatiana de Rosnay

Vendredi 26 mars 2010

L’auteure d’ “Elle s’appelait Sarah”, “La mémoire des murs” et de “boomerang” ressort chez Héloïse d’Ormesson un livre épuisé depuis 2000. Ccomme d’habitude thriller et fine psychologie sont au rendez-vous. Tatiana de Rosnay n’a donc pas besoin de la moto d’Angèle Rouvatier pour séduire ses lecteurs.

Colombe Barou ne s’habille pas en cuir, ne fait pas de moto et elle ne se préoccupe pas des cadavres, mais de la bonne tenue de sa petite famille : ses deux fils et son mari, bien trop souvent en voyage. Quand les enfants sont à l’école, elle fait un mi-temps comme nègre dans sa petite ville de province. En vrai, Colombe est une grande femme sensuelle et qui se rêve écrivaine; par habitude elle se tient voûtée,  se cache dans l’ombre de sa pétillante sœur Claire, et des auteurs dont elle écrit les livres. Mais un déménagement et un nouveau voisin qui la réveille en pleine nuit à grands renforts de Mick Jagger va pousser “bobonne” à se rebiffer. Si la nouvelle Colombe en pleine crise d’insomnie n’ose pas encore frapper à la porte du voisin pour lui dire combien il la dérange, elle s’offre des guêpières pour séduire à nouveau son mari et se faufile dans l’appartement du gêneur…

On retrouve dans “Le Voisin” la patte de Tatiana de Rosnay : suspense, fantômes, et intrusion fine dans la psychologie d’une jeune femme de bonne famille. De quoi nous tenir en haleine et nous donner à nous aussi l’envie de se révolter contre la tyrannie de l’aspirateur et de l’anonymat. Entièrement concentré sur la figure de Colombe, “Le Voisin” est peut-être moins subtil que d’habitude sur les motivations de ceux qui l’entourent : les enfants sont quasi inexistants et interchangeables sauf pour remarquer les transformations de leur maman, le mari est un boulet infidèle, la sœur une apparition un peu énervante, et même le voisin est bien pâle face à la force de caractère en plein chamboulement de Colombe. Colombe et c’est tout, mais cela suffit pour remplir un cahier des charges volumineux sur le travail harassant, silencieux et méconnu de toutes les discrètes mères de famille de France.

Tatiana de Rosnay, “Le Voisin”, Editions Héloïse d’Ormesson, 236p., 18 euros.

Vers deux heures du matin, Stéphane se met à ronfler. Colombe subit. La gamme complète est à sa disposition; elle reconnaît les longs, anticipe les courts, ceux ponctués d’un grognement, d’autres d’un râle. Comment a-t-elle pu passer plus d’une décennie auprès d’un homme qui ronfle autant? Il n’y a rien de pire que vouloir dormir à côté de quelqu’un qui, lui, dort profondément et le montre” p. 90.

La course à l’enfant

Mercredi 15 juillet 2009

Un couple néerlandais de professeurs vit heureux et de manière classique, jusqu’au jour où la femme, Julia ,réalise qu’elle veut un enfant.

eho_meer3cCe désir de maternité arrive soudainement, à la vue d’une chaise d’enfant sur une bicyclette. Mais la barre de la quarantaine est proche et Julia et son mari Max n’arrivent pas à procréer. C’est donc sur les sentiers escarpés de l’adoption que le couple s’élance, Julia en tête, et Max à contre-coeur. Le chemin les mène par des voies peu légales dans un Pérou que Julia veut immortaliser pour raconter à son enfant d’où il vient. Après mille péripéties, Julia rejoint son mari aux Pays-Bas avec un être humain à charge, mais ce n’est pas forcément le nourrisson de leurs rêves.

Simple et juste sur les affres des ceux et celles qui veulent un enfant sans y parvenir, « Le voyage de l’enfant » ne s’appesantit pas lourdement sur les diverses méthodes médicales et légales de parvenir à ce but quand la grossesse ne se fait pas naturellement. On suit le personnage de Julia dans sa quête obstinée, qui la mène à apprendre l’espagnol, à espérer malgré tout, et à revoir ses attentes, en reformulant à chaque étape le sens de son puissant instinct maternel. La fin surprend, et apporte une touche de surréalisme presque bunuelien au roman.

Depuis la « Maison dans les dunes » (Eho) alias « Les invités de l’île », Vonne van der Meer nous a habitué à chercher en douceur les traces vivante du temps qui passe dans la tension que son écriture tisse entre ses descriptions et ses ellipses. Elle recommence avec succès dans son odyssée de la maternité où l’île n’est qu’un point de départ pour un bien long périple.

Vous pouvez lire le point de vue du traducteur en Français de Vonne van der Meer, Daniel Cunin, sur le blog des éditions Héloïse d’Ormesson.

Vonne van der Meer, « Le Voyage vers l’enfant », trad. Daniel Cunin, Eho, 176 p., 17 euros

« Descendre un chemin entre les dunes, sentir la mer avant même de la voir -rien n’est comparable à cette sensation. Voilà pourquoi elle venait ici ou sur l’une des autres îles de wadden au moins deux fois par an. Mais en ce jour, la seule odeur qu’elle sentait, c’était celle du cadeau d’anniversaire de mariage. Elle l’avait dans les narines, emballée, avec une faveur. » p. 13

Attaque ad feminam

Vendredi 15 mai 2009

Bien étrange monde que celui des blogueurs et du net. Il a fallu qu’un ami me prévienne pour que je me rende compte

1) Que mon intreview d’Harold a été repris sur le Blog des éditions Eho.

Gilles, avec une touchante maladresse, a  intitulé son post restituant l’itw : “Très bel article de la non moins belle   Yaël”. Je prends ça pour un compliment de galant homme, ma féminité ou ma beauté n’ayant rien à voir avec l’article.

2) Qu’une de mes anciennes camarades d’hypokhâgne au stylo très amer me dénigre comme “une jolie femme a(yant) la bonne idée d’écrire un article de complaisance sur un livre récemment sorti chez Eho”.

J’ai longuement hésité à traiter par le mépris. Finalement je réponds chez moi à cet article, assez rigolo en fait, parce qu’il met complètement à côté de la plaque.

Chère  Lise-Marie, alias Wrath,

1) Merci de décorer ainsi ton blog d’une vieille photo de moi (aux côtés de Mandor). Mais celle-ci a été prise il y a plus d’un an à l’avant-dernier anniversaire de la maison d’édition Eho, qui est, je ne le cache pas, une de mes préférées à Paris. Cette année, je suis bien loin des milieux journalistiques et de l’édition. Je vis à New-York où j’enseigne et  écris tranquillement ma thèse de sciences-politiques  dans une solitude monacale, à mille lieues des intrigues et condescendances que tu imagines

2) Il se trouve que j’ai été très émue par le livre d’Harold. Que le livre a été longtemps sans éditeur malgré ses qualités et les liens qui pouvaient attacher Harold à d’autres maisons d’édition. Et que j’ai été à la fois soulagée et admirative de savoir qu’une maison comme eho avait su reconnaître la beauté simple et forte de ce texte, et décidé de l’éditer et de se battre pour qu’il soit lu.

Harold est un très cher ami. Je  l’ai découvert comme auteur et comme être humain avec son premie roman. Et je sais quelles richesses il a en lui. Ce qui fait que si son texte avait été mauvais, j’aurais été encore plus sévère car  déçue dans de grandes attentes. Or “Un hiver avec Baudelaire” m’a émue, ravie et aussi étonnée : je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi grave aussi vite chez mon libertin du XXIe siècle préféré. Je crois que je rends bien compte de cette suprise heureuse dans l’entretien, tel que nous l’avons publié dans la boîte à sortie.

3) Je crois profondément que mon travail, en tant qu’enseignante et en tant que journaliste, repond à un impératif d’enthousiasme. Je refuse de perdre du temps à rendre compte de livres qui n’en valent pas la peine. Je refuse ton amertume paralysée et paralysante.

La colère face à une deception oui! mille fois oui! et cela m’arrive. Mais descendre pour le plaisir un livre d’un jeune auteur me semble obscène.

Je préfère “regarder ce qu’il y a de beau”, comme le chantait Barbara, d’après un texte de Brel. Et heureusement, félicitons-nous!, nos contemporains nous donnent à lire et à voir du beau. Le roman de Harold est l’une de ces belles choses qui m’ont emerveillées. En tant que courroie de transmission j’ai voulu partager cette beauté avec mes lecteurs.

Dans l’attente de pouvoir écrire complaisamment quelque chose de positif sur ta prose, si elle est bonne,

Bien à toi,

Yaël

Un printemps avec Harold Cobert

Mercredi 6 mai 2009

Après avoir fait mouche avec un premier roman aussi flamboyant que grinçant « Le reniement de Patrick Treboc » (Lattès), Harold Cobert continue de dénoncer les impasses et les absurdités de notre société. Sorti le 7 mai aux Editions Heloïse d’Ormesson, « Un hiver avec Baudelaire » suit un homme dans sa chute du foyer familial confortable à la rue, la solitude, la faim, le froid et la honte. Un seul être vient repeupler le monde vide de Philippe : le chien Baudelaire. Nous nous sommes entretenus avec l’auteur de ce roman dur et cependant plein du lait de la tendresse canine.

« Je chante les chiens calamiteux, soit ceux qui errent solitaires, dans les ravines sinueuses des immenses villes, soit ceux qui ont dit à l’homme abandonné, avec des yeux clignotants et spirituels : ‘Prends-moi avec toi, et de nos deux misères nous ferons peut-être une espèce de bonheur!’», Charles Baudelaire, « Les bons chiens »

A la terrasse d’un café ensoleillé du quartier latin, tout chez Harold Cobert irradie d’une beauté sobre. Le livre d’abord, dont la couverture dessinée par sa femme, Christine, a la pureté classique qui sied au sujet. Le cœur ensuite, avec sas révolte sûre et posée a l’élégance d’en engagement littéraire fort. Nous avions laissé Tréboc, charmeur, ironique et en colère, et nous retrouvons Cobert, profond et plein de son livre et des personnes qu’il a rencontrées lors de cette grande aventure qu’a été la recherche et l’écriture d’ « Un hiver avec Baudelaire ».

« Le reniement » était une fable ludique et médiatique. Avec « Un hiver Baudelaire » tu plonges dans une réalité sociale dure et dans l’anonymat douloureux d’un homme qui a tout perdu. Patrick Treboc nous montre-t-il enfin le véritable visage d’Harold Cobert ?

Je ne crois pas qu’il y ait vraiment de changement. L’ironie de Patrick Treboc est la « politesse que l’on doit à son propre désespoir », comme le disait Boris Vian à propos de l’humour. Dans le premier livre, la sensibilité était cachée derrière la gaudriole mais « Le reniement » décrivait aussi une réalité sociale, le malaise des trentenaires et dénonçait la dictature de la société du spectacle avec les compromissions qu’elle entraîne.

Dans « Un hiver avec Baudelaire », la critique sociale est plus apparente. Je m’en prends à la manière ambiguë dont on traite la misère en France. Dans son livre « Les naufragés » (Plon), le sociologue Patrick Declerck montrent bien comment les politiques disent vouloir éradiquer la misère, mais en même temps combien la figure du clochard sert de repoussoir et de garde-fou. Le message est simple : si vous êtes trop contestataires, vous allez perdre votre travail et finir comme « eux ». Et nous jouons tous un peu ce jeu. Par exemple quand il fait bien froid un 24 décembre, on entend souvent « enfin un vrai Noël ». Mais on ne pense pas à ceux qui n’ont pas de toit et souffrent de ce froid.

En revanche, du point de vue du style, je crois que je suis enfin parvenu à ce que je voulais. J’ai atteint la transparence, une écriture tellement travaillée qu’elle se fait oublier. C’est quelque chose que je recherche depuis mon premier essai sur Mirabeau : comme un humaniste du XVIII e siècle, je ne veux pas montrer le travail.

Si ce n’est la contestation, quel facteur psychologique enclenche le processus de précarisation ? Est-ce le désespoir, comme celui de ton personnage, Philippe, à qui tout semble indifférent une fois que sa femme l’a quitté ?

Non, ce n’est pas le désespoir. Au début du livre, Philippe n’est pas désespéré. Mais il faut savoir que dans 60 à 70 % des cas, c’est une séparation sentimentale qui est à l’origine de la spirale qui mène à la rue. Affectés par la rupture, certaines personnes sont moins performantes au travail, ils perdent leur job. Sans emploi et donc sans revenus, ils n’ont pas d’appartement, et comme il faut une adresse pour avoir un travail, ils se mettent à travailler au noir et à habiter là où ils peuvent dans des habitats précaires. Ils se trouvent aspirés dans un siphon qui ne les lâche pas jusqu’à ce qu’ils soient rincés jusqu’au bout. Comme dans des sables mouvants, se débattre ne sert à rien. Plus ils bougent et plus ils s’enfoncent.

C’est seulement une fois au fond qu’une mince marge de manœuvre est possible : supporter ce fond sans se mettre à boire. Quand on commence à boire, on déréalise, on perd le rapport au temps. Et comme souvent les sans-abris boivent du mauvais vin, ils commencent à avoir des problèmes physiques : ils deviennent incontinents, ils perdent leurs dents, ils dégagent une odeur qui les stigmatise. Or la dépendance à l’alcool, et la recherche croissante d’oubli font que s’ils se mettent à boire, ils boivent de plus en plus et là, ils n’en reviennent plus jamais. Le moment où ils commencent à boire est un peu la limite d’Orphée.

Tu as fait un travail de recherche important pour écrire ce livre. Peux-tu nous en parler ?

Oui, ce travail a été double. D’abord beaucoup de lecture et une plongée dans les statistiques. Et après, la journée et la nuit, j’allais dehors pour m’asseoir avec des hommes et des femmes qui étaient là. Parfois j’apportais une bière, un sandwich ou, comme je fume, je leur proposais une clope. J’avais aussi toujours un peu de monnaie sur moi. Mais je crois que ce qu’ils appréciaient le plus c’était ce que personne ne leur offre jamais : un petit peu d’écoute. Et j’essayais très discrètement qu’ils me racontent pourquoi et comment ils étaient là et comment ils faisaient pour s’en sortir.

Je suis aussi allé voir quelques centres à paris. Le seul où je n’ai pas eu le courage de me rendre est le CHAPSA de Nanterre. C’est là qu’on emmène les SDF le soir quand tous les autres foyers sont pleins. Mais les rapports humains sont tellement violents, surtout depuis qu’ils ont transformé les grands dortoirs en chambres pour trois ou quatre personnes, que même le sociologue Patrick Declerck a renoncé à y passer la nuit, après avoir été menacé physiquement par un homme armé d’une seringue et disant avoir le sida. Il explique que la réalité de ce centre est bien loin de l’image d’Epinal du clochard un peu crado au nez rouge. Ce sont souvent des gens pauvres, propres, et drogués, venus d’Europe de l’est et qui sont très violents. Je me suis dit que si lui n’y allait pas, alors qu’il fait cela depuis des années, je n’allais pas m’y risquer.

Dans ton livre, c’est l’animal (le chien) qui sauve l’homme. Tu lui as donné le joli nom de Baudelaire. Quel est, selon toi, le rapport entre l’animalité et la poésie ?

En fait toute l’idée du livre vient de ce rapport entre l’homme et l’animal. C’est après avoir vu un reportage sur le centre du Fleuron Saint-Jean, qui accueille les sans abris avec leurs chiens, que j’ai voulu écrire « Un hiver avec Baudelaire ». On y voyait l’un des SDF, Pascal, avec sa bâtarde, Jessica. Celle-ci était condamnée par un cancer des ganglions. Pascal disait que sa chienne lui avait sauvé la vie. Il y avait une telle intensité entre eux et une telle force dans cet homme qui était devenu une bête et qui a été sauvé par un animal ! D’ailleurs l’émission a ému un large public puisqu’après l’émission, Pascal et Jessica ont reçu des dons qui ont permis d’opérer la chienne. Ils ont aussi été hébergés par une Française riche habitant en Espagne pendant la convalescence de Jessica.

Et puis je me suis souvenu de ce texte de Baudelaire que j’avais eu à étudier, il y a longtemps pour le baccalauréat, « Les bons chiens ». En mélangeant ces données avec l’idée romantique et enfantine de la “Belle et le clochard”, je me suis dit qu’il fallait que j’écrive là-dessus, et que ce serait une vraie fable.

En fait, j’ai réalisé qu’un SDF seul passe inaperçu. Les gens le zappent. Mais si il ou elle a un chien, l’œil du passant va vers le chien, puis remonte vers l’humain. Bien sûr un chien est utile pour prévenir d’un danger, mais aussi et surtout, il redonne une existence à son maître : les passants le voient, puisque le chien doit manger, il retrouve un rythme de vie, et surtout il a charge d’âme et se bouge souvent plus pour le chien que pour lui-même. Dans le livre, c’est pour sauver Baudelaire que Philippe s’en sort.

Comment « Un hiver avec Baudelaire » se démarque-t-il des Marc Lévy, des Muriel Barbery et de tout le courant de littérature « bien pensante » et « feel good » qui est en vogue actuellement ?

Je m’en démarque car je crois ne jamais tomber dans le pathos. Il me semble que la violence et la froideur de la rue sont bien rendues. Je n’idéalise pas non plus les clochards. Je montre bien le peu de solidarité qu’il y a entre eux. Certains votent même FN. Et dans le livre, je n’ai pas l’impression qu’il y ait d’un côté les bons, de l’autre les méchants. Pas de manichéisme donc, et si l’histoire de Philippe se termine bien, ce n’est quand même pas un conte de fées.

Mais il est vrai qu’un sentiment fort m’anime et je crois qu’il est bon. On ne peut pas faire un livre sur les SDF sans leur rendre ce qu’ils ont donné. Le livre leur rend hommage, c’est déjà pas mal, mais je voulais faire plus. J’ai donc décidé de reverser une partie de mes droits d’auteurs au Fleuron Saint-Jean. Avec le premier versement, ils ont déjà fait un grand repas. Comme quoi l’encre peut faire manger des chiens et des hommes. La littérature ne peut pas sauver le monde mais je crois qu’elle peut l’améliorer de façon très concrète.

Harold Cobert, « Un hiver avec Baudelaire », Eho, 266 p., 19 euros.

Demain ressemble à hier
L’avenir se vit au présent. Un présent qui ne se conjugue pas. Ou uniquement au mode infinitif. Parce que aujourd’hui ressemble à hier, et demain à aujourd’hui.
Manger. Dormir. Boire. Rester propre. Emmaüs. Mendier. Regarder la date sur la une des journaux. Penser à Claire.
Marcher. Lavomatique. Dormir. Uriner. Compter les jours. Manger. Restos du Cœur. Trouver des vêtements. Secours catholique. Marcher. Déféquer. Faire la manche. Rester digne. Ne pas devenir fou. Uriner. Compter les jours.
Boire. Lavomatique. Mendier. Penser à Claire. Dormir. Se laver. Regarder la date sur la une des journaux.
Dormir. Rester propre. Déféquer. Ne pas mourir. Changer de chaussures. Rester digne. Mendier. Ne pas lâcher. Manger. Boire. Dormir. Rester en vie. Penser à Claire. Vivre. Survivre.
” p. 131.

Harold signera son livre aux côtés de Tatiana de Rosnay et son “Boomerang” (eho) le  mardi 19 mai  de 18h à 20h à la librairie Tropiques, 63 rie Raymond Losserand, Paris XIVe, M° Pernety.

Roman : Tatiana De Rosnay, Boomerang

Lundi 30 mars 2009

Le très attendu nouveau roman de Tatiana de Rosnay (« Elle s’appelait Sarah » vendu à plus d’un million d’exemplaires dans le monde, « La mémoire des murs ») sort le 2 avril. D’une plume aussi fine qu’enjouée, La De Rosnay varie avec toujours plus de brio sur son thème de prédilection : le retour de la mémoire familiale refoulée.

Au milieu du chemin de sa vie, Antoine se trouve un peu paumé. Sa femme l’a quitté sans crier gare pour un looser rencontré au Club Med. Il continue de souffrir de leur séparation qui l’a aussi éloigné de ses enfants en pleine crise d’adolescence et par conséquent complètement insaisissables. Quelques kilos pris en un an de célibat forcé, et un travail d’architecte un peu routinier, ne l’aident pas non plus à redorer l’estime de soi. Pour le quarantième anniversaire de sa petite sœur chérie, Mélanie, il décide de lui faire une belle surprise et de l’emmener un week-end à Noirmoutier, là où ils allaient, enfants parfaits, jusqu’à ce que leur mère meure soudainement d’une rupture d’anévrisme. Mais « Il ne faut jamais revenir au temps cachés des souvenirs du temps béni de son enfance », et un souvenir vient distraire Mélanie au volant sur le chemin de retour, précipitant la voiture hors de la route et la conductrice au bord de la mort. Pour Antoine, cette immense peur et une grande culpabilité enclenchent un retour sur soi, et une enquête salutaire sur le passé. Quel grand secret leur mère cachait-elle à sa famille et pourquoi leur père et leur grand-mère ont-ils scrupuleusement effacé toute trace de la défunte ?

Photo : Copyright Charlotte Jolly de Rosnay

Riche en rebondissements, le thriller familial de Tatiana de Rosnay est haletant. L’auteure fait ce qu’elle sait faire : fouiller avec psychologie et finesse la mémoire, mais sans choisir le chemin de la facilité. D’abord prendre un homme comme personnage principal est une épreuve que Tantiana de Rosnay passe haut la main : Antoine est plus que vraisemblable, il est touchant.  Ensuite, le deuxième test et non des moindres est d’avoir su passer de la grande Histoire (La shoah dans « Elle s’appelait Sarah », l’assassinat en série dans « La mémoire des murs) vers celle, plus petite, de mœurs inavouables dans la bourgeoisie des années 1960. Du coup « Boomerang » parle à tous et toutes, et dans la jolie galerie de personnages, chacun de 7 à 77 ans trouvera matière à sympathiser et à s’identifier. Un livre agréable et à ressorts, qui laisse un délicieux goût de « revenez-y ».

Tatiana de Rosnay, Boomerang, Eho, 382 pages,

« Soudain, l’image de sa mère descendant l’escalier dans sa robe bustier noire lui transperça la poitrine comme un glaive. Ses longs cheveux bruns, encore humides après la douche, enroulés en chignon, ses petits pieds fins glissés dans des ballerines en daim. Les taches de rousseur sur l’arrête de son nez. Les perles qui ornaient ses oreilles… Tous les yeux étaient rivés sur elle quand elle pénétrait dans la pièce avec cette légèreté et cette grâce de danseuse dont avait hérité Mélanie. Il la revoyait si nettement que cela lui faisait mal.
– Qu’est ce qui ne va pas ? demanda Mélanie, tu as l’air bizarre.
– Rien, dit-il. Allons à la plage
» p. 29

Tatiana de Rosnay est membre permanent et vice-présidente du jury du prix des lilas, attribué cette année à Stéphanie Hochet pour “Combat de l’amour et de la faim”(Fayard). Voir notre critique.

Proche de ses lecteurs, elle signe souvent ses romans dans de nombreuses librairies. Vous trouverez toutes ses dates sur son myspace et/ou son facebook.

Note : J’ai dévoré Boomerang qui m’a tenu compagnie une nuit d’insomnie à Washington. C’est toujours un plaisir de retrouver l’écriture simple et néanmoins percutante de Tatiana, que je connais peu, mais qui suscite en moi une très puissante sympathie. Et que donc, j’aimerais connaître mieux.

Roman : Le livre de Rachel, d’Esther David

Vendredi 20 février 2009

Après « La ville entre ses murs » (1998), l’artiste et auteure indienne Esther David publie « Le livre de Rachel » aux éditions Héloïse d’Ormesson. A grands renforts de recettes traditionnelles, Rachel tente de sauver la synagogue désormais vide de son village de Danda, près de Bombay. Un combat aussi noble que vivant.

Alors que ses enfants sont partis vivre en Israël, Rachel n’a pas pu se résoudre à quitter le village de Danda où elle a été si heureuse avec son mari Aaron entre la mer, les tamariniers, sa cuisine et la vieille synagogue. Veuve d’âge honorable, mais toujours aussi alerte et fine cuisinière, Rachel a désormais les clés de la synagogue et l’entretien. Celle-ci est toujours vide puisqu’il n’y a plus dix hommes juifs dans le village pour constituer « minian », le petit groupe nécessaire pour prier. Mais le jour où un homme d’affaire veut racheter le terrain de la synagogue pour créer une station balnéaire, Rachel panique et parvient à réunir autour de ses bons petits plats un jeune avocat pour la défendre et l’une de ses filles. Le combat semble perdu d’avance, mais heureusement, le prophète Elie veille.

Restée à mi-chemin entre tradition et modernité, Rachel est une vestale indienne et juive touchante. Femme forte mais restant le plus souvent à la cuisine, encore habitée par un vieil esprit de marieuse, même si elle accepte les shorts en jean de sa fille, elle ouvre au lecteur tout un monde lointain. Celui des “Bné-Israël”, ces rares juifs indiens en voie de disparition ( La plupart des juifs indiens ont à l’heure actuelle émigré en Israël). Sa manière de nous faire découvrir cette tradition est très instinctive et sensuelle. Cela passe par les odeurs, les sentiments filiaux, la mémoire évidemment, et le plaisir évident que Rachel prend à suivre et perpétrer des rites, même seule. Le roman peut aussi se poser sur l’étagère de la cuisine, comme livre de recettes à la fois “casheres” et indiennes. Ainsi l’on apprend que les « Pouranpoli » sortes de gâteaux de pois-chiches peuvent faire office de philtres d’amour, et à la lecture du livre, on a une seule envie c’est de goûter les « Bombil » (poisson traditionnel) de Rachel. L’eau à la bouche et l’esprit en voyage, que demander de plus à un livre ?

Esther David, « Le livre de Rachel », Trad. Sonja Terangle, Eho, 300 p., 21 euros.

« Normalement, Rachel ne faisait des Pouranpoli qu’une seule fois par an, à l’occasion de Pourim. Quand elle était seule, elle en préparait juste deux, un pour le déjeuner et l’autre pour le dîner, mais quand il y avait de la famille, elle en faisait d’avantage. Exceptionnellement, elle en cuisinait lorsqu’elle était particulièrement heureuse, par exemple, à la naissance d’un petit-enfant » p. 175

Pour en savoir plus sur les Juifs d’Inde, cliquez ici.

Livre : Richard Andrieux, L’homme sans lumière

Dimanche 4 janvier 2009

Après le succès de « José » prix du premier roman de la forêt des livres et qui sort en poche chez Pocket, l’écrivain Richard Andrieux revient avec « L’homme sans lumière », la correspondance d’un homme médiocre, seul et vieillissant. Le roman est disponible le 8 janvier aux éditions Héloïse d’Ormesson.

Depuis que sa dernière petite amie l’a quitté, Gilbert Pastois est très seul dans son appartement de banlieue. A la retraite, il occupe ses journées à fumer, à boire et à suivre un homme qui lui semble aussi seul que lui et qu’il érige en « ami » et en destinataire d’une longue correspondance où il décrit le vide de sa vie. Car, bien que médiocre, Gilbert Pastois a l malheur d’avoir l’intelligence de se rendre compte de sa condition. Il souffre de sa solitude, et d’un manque d’horizon et d’espoir suffocant. La douleur psychologique est telle qu’il s’enfonce dans un cycle de prise de médicaments qui l’entraîne aux bords de la folie.

Quelque chose résonne fort dans la mélancolie aigue du monsieur tout le monde inventé par Richard Andrieux. Immergé dans la plus grande des résignations, l’ « homme sans lumière » se retrouve sans désir, et même sans besoin (il ne mange presque plus, bois pour oublier et a mis un mouchoir sur toute séduction). Si ce n’est peut-être, celui, radical de quitter sa vie en entier, comme on se déferait d’une peau après une mue magique. Mais « l’homme sans lumière » n’est pas un conte de fée et l’on plonge dans la folie glauque, d’un verre de terre qui n’aurait pas même trouvé d’étoile à aimer.

Richard Andrieux, « L’homme sans lumière », Eho, 16 euros.

« Parfois je me dis que j’aurais dû écrire un roman, le roman de ma vie que j’ai ratée de bout en bout. En couchant sur des pages tout ce qu’il ne faut pas faire et que j’ai fait, j’aurais peut-être laissé une toute petite trace de mon passage sur terre, aussi insignifiant qu’il puisse être … […] ce roman, je l’aurais appelé L’Homme sans lumière. J’aurais raconté l’histoire d’un petit homme qui a toujours eu peur et n’a jamais su briller. Oui, cet homme qui toute sa vie a cherché une étoile sans jamais la trouver, et a fini par se noyer dans un océan de pénombre au milieu des tempêtes, c’est moi » p. 107

Yaël Hirsch

Livre : Joanne et Gerry Dryansky, L’extraordinaire histoire de Fatima Monsour

Mardi 16 décembre 2008

Le couple de scénaristes américains Joanne et Gerry Dryansky racontent l’installation d’une charismatique femme tunisienne à Paris. Au service d’une comtesse dans le 16e arrondissement, elle transforme la vie d’un quartier plus bigarré qu’il n’y paraît. Ce conte de fée plein d’énergie positive, traduite dans 25 pays et dont les droits cinématographiques ont déjà été achetés par Jean-Jacques Beineix, sort le 15 janvier en librairies en Français, aux éditions Héloïse d’Ormesson.

Après la mort de sa sœur, Rachida, Fatima Monsour quitte sa belle Djerba natale pour la remplacer au service de la comtesse Merveil du Roc, dans le 16 e arrondissement de Paris. Peu chanceuse jusque là dans la vie, puisque mariée tard à un homme qui l’a quittée pour en épouser un autre et s’installer avec elle dans le Wisconsin, Fatima part à la rencontre d’un autre monde. L’immeuble de l’avenue Victor Hugo, où elle s’occupe de la comtesse et de sa chienne Emma est bien plus multiculturel qu’on ne pourrait se l’imaginer : il y a bien sûr le coupe un peu rigide « Figaro » avec ses cinq enfants, mais aussi la concierge, espagnole et qui s’occupe avec amour du jardin, l’écrivain américain un peu bohême et qui se lie d’amitié avec Fatima et lui apprend à lire, et la comtesse, veuve inconsolée, mère éloignée de sa fille et qui préfère boire de l’eau en laissant les grands crus dormir dans sa cave. Un peu magicienne, mais plus par compréhension des gens que par véritables sortilèges, Fatima parvient à s’attirer la sympathie de tous les habitants de cet immeuble. Ainsi que celle des voisins, dont Victorine, secrétaire sénégalaise d’une avocate à succès, et l’énigmatique Hippolyte, ancien danseur de ballet et qui partage avec Fatima un goût prononcé pour les animaux.

Joanne et Gerry Dryansky parviennent à redonner à Paris les couleurs pittoresques qu’il avait chez les auteurs américains de la « Lost Generation », tels Ernest Hemingway ou Gertrud Stein. C’est ce même Paris bigarré, ouvert aux autres cultures qui demeurent néanmoins « étranges », où les gens se mélangent aux bêtes, où certaines coutumes sont et perdurent sans s’expliquer et où le temps semble n’avoir pas de prise sur les mœurs qu’on retrouve, transposé de l’Entre-deux-guerres à aujourd’hui et du quartier latin sur les beaux quartiers de la rive droite. L’écriture très simple, très parlée, rend la bonhommie des personnages encore plus directe et permet de dévorer le roman d’une traite. Un rayon de soleil et d’humanité généreuse pour éclairer l’hiver.

Joanne et Gerry Dryansky, L’extraordinaire histoire de Fatima Monsour, Traduction Marianne Véron, Eho, 22 euros.

« Pour Fatima, l’immeuble n’était jamais qu’un village vertical, et, lorsque, dans un village, survenait un incendie, un accident, une naissance, ou quoi que ce soit d’exceptionnel, il incombait à tout un chacun de prêter main-forte aussitôt » p. 81