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Dominique Blanc saisissante dans “La Douleur” de Duras

Vendredi 2 octobre 2009

Jusqu’au 11 octobre, le théâtre de l’Atelier laisse Dominique Blanc seule en scène pour interpréter le récit de l’attente de Robert Antelme par Marguerite Duras. Une saisissante performance de comédienne dans une mise en scène minimaliste co-signée par Patrice Chéreau.

« La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie. Le mot « écrit » ne conviendrait pas. Je me suis trouvée devant des pages régulièrement pleines d’une petite écriture extraordinairement régulière et calme. Je me suis trouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment auquel je n’ai pas osé toucher et au regard de quoi la littérature m’a fait honte. » M. D.

A la Libération, comme tant d’autres femmes en France, Marguerite Duras a attendu son compagnon, Robert Antelme, déporté à Dachau. Elle a retrouvé les carnets bleus dans lesquels elle avait écrit “La Douleur” à la fin des années 1980, et les a donc publiés après son succès de “L’Amant” (1984).Déposés à l’IMHEC, les carnets de guerres de l’auteure ont été publiés chez Gallimard, il y a deux ans. Cette publication a prouvé que très peu de ce texte a été réécrit. Il s’agit donc d’un témoignage authentique.

Le texte est bouleversant : plus simple que les écrits d’après “Lol V. Stein”, et terriblement intime, il mêle la politique, l’angoisse, Dieu et les sentiments contradictoires de quelqu’un qui ne sait plus tellement qui elle attend, tandis qu’elle imagine le pire pour l’homme qu’elle aime – avec raison. D’un point de vue historique, “La Douleur” est un formidable témoignage. Écrit à chaud, le texte est un récit minutieux des affres de l’attente, dans le désordre organisé du retour des prisonniers de guerre et des déportés, sur fond de musique gaie, à la gare d’Orsay. On y apprend également les détails du retour à la vie d’un homme d’1m84 et qui pèse moins de 34 kilos. Et Duras n’épargne aucun détail, mêlant ses considérations la responsabilité de tous les Européens dans ce crime à la texture et l’odeur des excréments du déporté. Cela peut paraître trivial, mais c’est important. Dans les coulisses des réflexions sur la nature humaine  qu’a publiées Antelme, avec “L’Espèce humaine”, Duras montre à quel point la nature humaine est complexe et contradictoire. L’attente est une souffrance intolérable, une petite mort, et la joie du retour de l’homme aimé n’empêche ni la lâcheté, ni le dégoût. Il est d’ailleurs dommage que le texte ait été coupé, pour cette représentation, car sa fin montre la déliquescence du couple. Et comment l’amour n’est PAS aussi fort que la mort…

Mais être tenu en haleine plus qu’une heure et demie par l’incroyable Dominique Blanc aurait été trop dur. Dans sa longueur actuelle, le spectacle est déjà très éprouvant. Si on ne retrouve pas toujours toute la musique de Duras dans l’énonciation de la comédienne, celle-ci  parvient à rester claire, malgré la fébrilité avec laquelle les metteurs en scène – Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang -lui demandent de jouer.  Véritable caméléon, elle apparaît les cheveux longs, noirs et lisses, et donne à son visage la forme lunaire de celui de Duras. Elle ne butte sur aucun mot, et, dans un décor de salle de classe, elle parvient à tenir son public accroché aux mots, alors qu’elle bouge à peine, pour enlever et remettre son manteau et changer de chaise.

Il faudra attendre encore longtemps pour voir une si grande actrice rencontrer un texte si puissant. Réservez-donc vite avant le 11 octobre.

“La Douleur”, de Marguerite Duras, avec Dominique Blanc, mise en scène : Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang, mar-sam 21h, dim, 15h, Théâtre de l’Atelier, 5, place Charles Dullin, Paris 18e, m° Abesses, 8 à 32 euros.

A perfect evening

Vendredi 2 octobre 2009

Here I am in my fake leather dress, a little drunk and very happy. I did not think I could feel so good, ten days before turning in my thesis. The last months have been harassing and, in the past weeks, I worked from 7 am to 3 am, every day. Hence the little personnal writing on this blog. But tonight I decided to take a break. The first part was not planned, and I rejoiced with a dear friend who is hired in New-York –her dream. Then ,Lou Reed after good sex. Then, I walked to a theatre to see, last minute, a play I really wanted to see : “La Douleur” by Marguerite Duras, staged by Chéreau and performed by Dominique Blanc. It was at the cute “Théâtre de l’Atelier”, and Blanc did a good job, although the text was cut, and I did not always hear Marguerite’s music in her performance. Then dinner at a wonderful restaurant in Montmartre, French, traditional, tasty, and we even got some bad poetry recited by one of the drunken customers. The chef was kind of cute, and on the way back, in my bus, I could read the awful text of a play I missed because I was teaching on Tuesday, when my whole family went to see it. I loved finding this play about Arendt-Heidegger’s romance even more appalling than I expected. Paris is really my town, even if I still miss New-York, and will probably go as soon as I am done with the thesis. Tomorrow, I’ll see Schlöndorff him self for the press projection of his new movie at the Cinémathèque.

Criminal Housewife

Vendredi 1 mai 2009

Le théâtre de la Madeleine présente une version bouleversante de « L’Amante Anglaise » (1968). Les mots de Marguerite Duras et le jeu puissant des acteurs- dont l’extraordinaire Lumila Mikaël- portent le fait divers vers les tréfonds de l’âme humaine. A voir d’urgence.

A l’origine de la pièce de Marguerite Duras, il y a- comme souvent dans le bon théâtre psychologique français du XXe siècle- un fait divers. Marguerite Duras résume le crime au début de la pièce :
« Le 8 avril 1949 on découvre en France, dans un wagon de marchandises, un morceau de corps humain. Dans les jours qui suivent, en France et ailleurs, dans d’autres trains de marchandises, on continue à découvrir d’autres morceaux de ce même corps. Puis ça s’arrête. Une seule chose manque : la tête. On ne la retrouvera jamais… Dès qu’elle se trouve en face de la police, Claire Lannes avoue son crime… mais n’a jamais réussi à donner d’explications … ».

« L’amante Anglaise » est la troisième des quatre compositions de Duras autour de ce crime. A la fois banal (tout se passe à Viorne, dans une banlieue pavillonnaire de l’Après-guerre, en un ménage classique où la femme reste au foyer et où il n’y a plus d’amour) et horrifiant (le meurtre et le dépeçage d’une vieille femme sourde et muette par sa propre cousine a de quoi interpeler), l’histoire inventée autour de la criminelle permet à Duras d’en dire long sur la solitude, l’ennui et la folie d’une femme toute simple qui ne vit plus vraiment, après avoir tiré un trait sur son passé amoureux à Carcassonne d’où elle vient. Le présent n’est pour Claire que désespérance, moments de paix volés dans son jardinet, sur un banc en ciment aussi fermé que ses lèvres. On l’écoute si peu, que comme Lol V. Stein, Claire a été ravie à elle-même. Elle ne pense même plus pouvoir avoir des désirs ou des préférences. Juste de longs rêves -nocturnes de meurtre et éveillés où les objets se mettent à parler à la femme au foyer mystique. Et le futur n’offre pas d’autre perspective qu’un dîner quotidien où il lui faudra ingurgiter avec dégoût encore un plat de viande en sauce.

Il n’y a pas d’explication au crime de la femme qui aime regarder pousser « la menthe en glaise » dans son jardin, pas plus qu’il n’y a de chute à la pièce, puisque la tête de la victime ne sera jamais retrouvée. La seule piste est la folie qui s’exprime au deuxième acte, par la bouche de Claire, après que son mari a décrit en long en large et en travers son incompréhension teintée d’indifférence. Le texte tourne en siphon autour de cette folie, avec la précision implacable d’un rapport clinique que des métaphores matérielles et quotidiennes viennent encore plomber. Et pourtant, une fenêtre s’ouvre dans le petit pavillon sur l’irrésignation absolue de l’âme humaine…

La mise en scène sobre de Marie-Louise Bischofberger (une table, deux chaises, trois personnages habillés comme vous et moi au jour d’aujourd’hui à l’avant-scène) a peu à gagner des vidéos de trains. Certes, les vidéos sont rares dans les théâtres privés parisiens, et certes les trains donnent à penser sur l’ « Espèce humaine » et la « banalité du mal ». Mais là n’est pas l’important. Le principal se déroule dans le jeu époustouflant des comédiens.

En mari limité, dépassé par les évènements et encore un peu fasciné par sa femme, Ariel Garcia-Valdès (que l’on avait vu aux côtés d’Isabelle Huppert dans la mise en scène par Bob Wilson de « Quartett », d’Heiner Müller à l’Odéon en 2005) est parfaitement gris. Il porte avec aisance la médiocrité sans limites d’un homme qui reste avec une femme un peu folle et qu’il n’aime plus, après avoir refusé de voir, pendant les longues années où son désir fonctionnait encore, qu’elle ne l’a jamais aimé.

L’entrée en scène de Ludmila Mikaël au deuxième et dernier acte est une apparition extraordinaire. La séductrice du « Cœur des hommes » fait son entrée livide, sans maquillage et sans charisme, pour monter doucement en puissance dans la non-explication de sa folie et dire – au moins une fois- quelque chose d’elle, de ses rêves et ses désirs, à l’homme qui lui prête enfin une oreille attentive : l’enquêteur. La retombée dans le silence, faute d’écoute poursuivie est une catastrophe muette, banale, terrible. Chaque mot, chaque geste est retenu, maîtrisé et offert à un public qui retient son souffle pour se laisser pénétrer du texte de Duras. Retrouvant la voix juste de la fin des années quarante, sans outrer le trait, ramenant à la vie la grandeur passée de la Comedie française dont elle a été sociétaire, en fouillant dans son petit sac aussi terne que sa jupe et ses cheveux pauvrement relevés, Ludmila Mikaël sait exactement comment demander trop et trop peu. C’est une voix de femme qui s’élève pour dire enfin sa douleur sans teint, et retombe, comme elle est venue dans un mutisme imposé.

La pièce bourgeoise devient grâce à elle un théâtre de la cruauté. Une expérience si rare où l’on comprend sans pourquois, ni comments, et qui laissé anéanti de gratitude.

« L’amante Anglaise », de Marguerite Duras, mise en scène de Marie-Louise Bischofberger, avec Ludmila Mikaël, et André Wilms, mar-sam, 20h30, dim, 15h, Théâtre de la Madeleine, 19, rue de Surène,Paris 8e, M° Madeleine, de 20 à 30 €, et 10€ (- de 26 ans mar-jeu).

Paris-Orléans-Paris

Jeudi 30 avril 2009

Sept jours en France, dont deux à Quimper et un à Orléans. Ceci veut dire : pas beaucoup de sommeil. Lundi matin, j’ai pu aller faire les boutiques, histoire d’avoir quelque chose à me mettre sur le dos dans le printemps new-yorkais. J’ai passé un joli moment avec ma maman, à essayer le nouveau Coste de Saint-Germain des près ; ambiance empire guindée et un peu triste à mille lieues du tartare ensoleillé des Deux magots voisins. Puis j’ai circulé dans un Paris légoland pour voir deux très proches amies et me retrouver plongée à Goncourt dans l’ambiance feutrée d’un salon de musique contemporain tenu par un amateur de belles notes que je voulais rencontrer depuis quelques mois. Entre Kurt Weill et Pierre-Yves Macé, le son m’a donné des ailes et donné l’envie de faire ma Rahel Varnhagen dans ce lieu atypique. Je pense bien que j’y serai souvent à mon retour : voici la programmation. La journée s’est close par un fort beau bal masqué en famille dans mon cher opéra Bastille, où –il est vrai- le son est moins pur qu’au met’, mais les voix étaient fantastiques et la mise en scène épurée marchait parfaitement. Ma grand-mère était radieuse, toute de noire vêtue, et mon voisin était absolument adorable, Allemand, avec son papa mélomane à ses côtés. Le monde du net parisien étant petit, nous nous sommes trouvés en deux changements de décor et deux mails, pas mal d’intêrets communs. La nuit a été un peu écourtée par un ami qui demandait l’asyle politique sous mon toit.

Hier fut une journée ensoleillée et à tonalité en3mots. J’adore retrouver l’ambiance du bureau, la réunion de la rédaction de la semaine me manque avec son florilège d’idées boomerangs. La préparer fébrilement à la recherche d’idées entre Voici, les blogs littéraires et les prochains concerts aussi. Et la com’ commence à décoller grâce au grand talent de mon frère que j’ai adoré voir épaulé par notre cousine pour discuter d’un projet passionnant : un vrai blog d’information enthousiaste sur l’Amérique d’Obama. www.Obamazoom.com. Ayant déjeuné (avec ma nounou) et dîné (avec une très proche amie) à ma cantine du quartier, j’ai aimé me laisser emporter par l’adaptation british d’un de mes romans français préférés : « Chéri » de Colette. Frears a un talent excentrique pour faire valser la belle époque, aussi bien qu’il avait retrouvé le soyeux mordant du XVIII e siècle dans ses « Liaisons dangereuses ». Pfeiffer était parfaite et en mère de chéri replète Kathy Bates (oui oui la tortionnaire de « Misery ») était délicieusement extravagante. Rideau tardif après un verre trop sonore aux vieux « Sir Winston » où j’ai sagement pris un coca (pourtant leur liste de whiskys vaut le détour) avec un collègue thésard suisse, bien plus avancé que moi dans l’écriture de sa thèse, mais qui comprenait au quart de tour les affres de mes derniers mois. Dans la nuit, j’ai du finir la lecture des 200 pages comprenant les 141 lettres écrites par Max Jacob à Maurice Sachs entre 1926 et 1930 que la femme efficace avec qui je travaille à l’édition de cette correspondance avait déjà saisie.

Coucher 4h, réveil, 7, et arrivée en fanfare à la gare d’Orléans à 9h du matin. Journée studieuse à reprendre le contenu merveilleux de ces lettres depuis les manuscrits conservés à la médiathèque d’Orléans ; il y a tout dedans : l’amour, l’amitié, la foi, la jalousie, le judaïsme, les leçons de Max sur l’Art poétique, ses calembours et ses blagues, ses mots de vipère, l’homosexualité, des voyages, des croquis de Max, et même un peu de politique.  Bref un bon scénar pour un blockbuster américain.

J’écris depuis le vieux teuf teuf qui me ramène vers Paris, à temps pour passer une soirée avec mon modèle : ma chère grand-mère, son accent russe, son élégance et sa curiosité énergiquement intacte, dîner gourmet chez Senderens, et une pièce de ma chère Marguerite Duras à la Madeleine.