Articles taggés avec ‘Devos’

Yves Cusset, le philosophe de scène

Dimanche 8 novembre 2009

Philosophe jouant avec les mots, Yves Cusset propose au Théâtre de Ménilmontant un « solo philosophique juste pour rire », où mine de rien et en pyjama réjouissant, il entraîne son public à réfléchir sur l’être et le néant. Pour une fois que la philosophie fait rire, il serait dommage de sécher une heure de cours délicieuse.


« Le philosophe est aux questions ce que le psychopathe est aux crimes : un obsédé ».

affiche_rien_ne_sert

Dans une mise en scène de Gilles Berry, Yves Cusset, normalien, agrégé, et professeur de philosophie, apparaît dans un pyjama rouge flamboyant sur une scène jonchée de valises. Souffrant d’une maladie très répandue, le mal d’interrogation, il se propose de jouer avec les concepts et de tordre la langue, sans la tourner sept fois dans sa bouche, afin de guérir. Sur les conseils de son docteur, il devient donc philosophe sur scène, afin de régler les trois grandes questions l’empêchent de vivre (Qu’est ce que la mort ? Qu’est ce qu’exister ? L’amour est-il possible ?) et de repartir le cœur léger. Mais une interrogation menant à une autre, il est résolument difficile de mettre un point final au solo narcissique. A moins, de tout faire converger vers l’amour…

Dans le droit fil d’une tradition française un peu oubliée (Desproges, Devos…), Yves Cusset fait rire sans familiarités. Derrière les jeux de mots, les changements de voix et les grimaces de Clown, et par-delà les dérivés canins des questions sur l’existence, c’est un véritable cours de philosophie que livre le comédien. Diogène, Kant, Wittgenstein, et aussi Jacques Brel sont mobilisés pour résoudre l’énigme insupportable de l’existence. Il est bien agréable de rire de la mort, aussi bien que de l’amour et de voir des grandes figures hiératiques moquées et mimées avec tendresse. Le meilleur est pour la fin : l’on ressort du spectacle la tête pleine de questions, mais également armés d’humour pour se défendre du lourd poids de l’existence. Qui a dit que légèreté et philosophie ne pouvaient cohabiter en tempête sous un même crâne ?

Le texte de « Rien ne sert d’exister » est disponible aux éditions « Le jardin d’essai », avec un autre « solo philosophique juste pour rire » d’Yves Cusset, « Le remplaçant ».

« Rien ne sert d’exister », jusqu’au 29 novembre, Yves Cusset et la compagnie Un jour J’irai, Théâtre de Ménilmontant, 15, rue du retrait, Paris 20e, m° Gambetta, jeu-sam 19h30, dim, 16h, 12 à 18 euros. Durée du spectacle : 1h15.

yves-cusset

Cinéma : Plus tard tu comprendras, de Amos Gitaï

Mardi 6 janvier 2009

Le cinéaste israélien adapte un livre de Jérôme Clément et emprunte ses comédiens à Desplechins pour tourner à Paris un film sur la mémoire et le non dit.

Alors que le procès de Klaus Barbie fait la une des médias, Victor, un énarque arrivé d’une quarantaine d’année (Hyppolite Girardot) se met à enquêter sur le passé de sa mère Rivka (Jeanne Moreau qui retrouve Amos Gitaï après son petit rôle dans « Free zone »), juive d’origine russe et qui n’a jamais parlé de ses parents disparus pendant la guerre. Sa femme, Françoise (Emmanuelle Devos) et sa sœur Tania (Dominique Blanc) l’aident comme elles peuvent dans cette épreuve difficile après des décennies de non-dits.

Tout se passe comme si Amos Gitaï reprenait la première partie européenne de son dernier long-métrage, “Free zone” et l’étendait sur une heure et demie. Dès la première scène, au mémorial de la rue Geoffroy l’Asnier, il utilise sa signature : la plan séquence, pour signifier l’enfermement à travers l’usage de l’espace et de l’architecture. « Plus tard, tu comprendras… » semble d’ailleurs d’autant plus une suite grandiose de plans séquences qu’il a été tourné dans l’ordre chronologique et que les comédiens se sont complètement laissés prendre au jeu d’espace instauré par Gitaï. Ainsi, l’appartement de la rue du dragon de Rivka devient un lieu étouffant où les secrets enfouis du passé ne peuvent pas transpercer. Dès qu’ils vont parler de la guerre, les personnages se lèvent, d’agitent et la caméra semble avoir de la peine à les suivre à travers les murs. Ils se penchent donc souvent aux fenêtres pour parler plus légèrement, sinon librement. C’est d’ailleurs à la synagogue de la rue Copernic et face à l’échéance d’une maladie mortelle que Rivka se décide enfin à parler à ses petits-enfants.

Incroyablement virtuose du point de vue de la photo (signée Caroline Champetier) du sens de la chronologie et du mouvement, et servi par de tout grands acteurs « Plus tard… » est néanmoins profondément maladroit. Dans ses dialogues, d’abord, parfois terriblement banals pour couvrir ce qui affleure de dangereux dans le silence, dans sa narration – notamment au moment de la scène parfaitement reconstituée dans la mémoire de Victor sur la rafle de ses grands-parents- et dans les brusques mouvements des personnages. Cette maladresse de fond dans un écrin parfait de forme est voulue et rend parfaitement compte des soubresauts douloureux de la mémoire.

Gitaï partage avec l’écrivain israélien Aharon Appelfeld la conviction que lorsque la génération des rescapés ne sera plus ce sera à l’art de conserver la mémoire de ce passé qui ne passe pas et laisse des traces sur plus de trois générations. Il prouve avec ce film que son art à lui est capable d’épouser le rythme saccadé et de signifier la douleur d’un souvenir qui est d’autant plus violent qu’on en hérite et qu’on est obligé d’imaginer et de reconstituer ce qui s’est passé.

Sa claustrophobie est à la fois belle, dérangeante et salutaire.

« Plus tard tu comprendras », de Amos Gitaï, d’après le roman de Jérôme Clément (Grasset), avec Jeanne Moreau, Hyppolite Girardot, Emmanuelle Devos, Emmanuelle Blanc, 2008, 1h28.