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Les voix des traders en rade

Mardi 6 avril 2010

Mathieu Larnaudie, l’auteur de “Strangulation” (Gallimard, 2008) sort chez Actes Sud un roman qui se veut la caisse de résonnance des longs sanglots des “acteurs” principaux de la grande crise banquière et financière de l’automne 2008. Un roman exigeant, dont le style quasi-précieux coupe souvent tout souffle, à propos, et parvient à rendre compte de manière neutre et pourtant interne des longs sanglots des “effondrés” : ceux ont vu à un âge avancé leur monde de chiffres de de bling bling plus ou moins racés prendre fin.

En 24 chapitres, Mathieu Larnaudie attribue une parole intime sur la crise à quelques uns des principaux décideurs politiques et financiers qui ont vécu de l’intérieur la crise de l’automne 2008. Le lecteur reconnaîtra (ou non) madoff, Sarkozy, Merkel, Greenspan, le patron de Lehman’s Brothers la sacrifiée, ainsi que le PDG très classe d’UBS, et deux hommes d’influence qui se sont suicidés à cause de la crise. Il y a aussi un mystérieux milliardaire suisse, qui dans son anonymat conservé fait figure de “vrai témoin”.

Ayant vécu à New-York, Mathieur Larnaudie rend parfaitement compte du climat d’octobre 2008 à Wall Street. Il estime que son “texte fonctionne comme une cupe, au sens géologique du terme, une sorte de traversée, de long glissement en spirale  [dans les profondeurs] de ceux ] qui sont devenus les véritables figures de la représentation de la crise dans l’imaginaire collectif”. Beau et froid comme du granit, ce texte fige, entre deux strates d’intimité, le témoignage de ceux qui ont vu leur monde s’autodétruire avec un détachement cruel. Ceux qui adhérent aux phrases d’une page de l’auteur, entrecoupées de plusiuers parenthèses, et suffocant physiquement le lecteur, adoreront “Les effondrés”. Pour sa précision autant que pour sa concision. En revanche certains se trouveront pris d’une profonde crise de claustrophobie dans ce texte serré comme un noeud coulant autour du cou d’un condamné, et qui ne laisse aucune place à l’anecdote gratuite ou à l’humour. Précieux et pédant, Larnaudie peut se permettre de l’être car il a indéniablement un style. Et un sujet très fort. Qu’il parvient – et c’est encore plus fort- à traiter avec les sens mais sans aucune sensiblerie – voire aucune sensibilité.

Mathieu Larnaudie, “Les effondrés”, Actes Sud, 179 p. 18 euros, sortie le 7 avril 2010.

“… l’on avait pu prétendre que, maintenant que l’on avait su dire adieu au vieux fantôme  historial, le temps universel devrait, indéfiniment, se régler sur celui de l’échange, de la seule administration du mouvement des capitaux et de la marchandise, c’est-à-dire où l’on pensait qu’il était bon que le terme “Histoire” n’eût plus cours autrement que pour désigner les menues inflexions qui orientaient les humeurs du marché, les fluctuations de l’économie mondiale, lesquelles avaient, précisément, pour principe de permettre que des monstres comme celle-ci devinssent la propriété d’une caste d’individus remarquables – ceux, probablement, ainsi que l’on put l’entendre prononcer un jour  à un célèbre publicitaire se flattant de compter parmi eux, qui avaient “réussi leur vie”- et de garantir qu’elles le fussent; mais bien plutôt une représentation stylisée de l’instant soudain où (de l’heure à laquelle) s’était constituée cette scène globale, nébuleuse et simultanée, cet accident planétaire dont le mot “crise” était le nom…”p. 73

In the air : George Clooney joue les faux méchants

Mercredi 27 janvier 2010

Jason Reitman, le réalisateur de “Thank you for smoking” et surtout de “Juno” acclamé à Sundance réalise un nouveau hit  faussement politiquement incorrect en filmant George Clooney dans le rôle d’un misanthrope matérialiste dont le travail est de licencier ses concitoyens en pleine crise. De belles images pour une ode à American Airlines et à la classe moyenne américaine.

Après avoir dressé le portrait d’un lobbyiste de tabac dans “Than you for smoking” et d’une adolescente enceinte dans “Juno”, Jason Reitman s’attache à nouveau à un personnage décalé, extrait d’un roman de Walter Kirn, revu et corrigé sous les auspices de deux figures féminines. Ryan Bingham (George Clooney) est un homme d’une quarantaine d’années qui travaille pour une compagnie proposant aux sociétés de faire face pour elles aux employés qu’elles licencient. Basé à Omaha (Nebraska), il ne passe jamais plus de 50 jours par an chez lui. Sa vraie patrie est comme l’indique le titre original du film “Up in the air” :  Les baies vitrées des aéroports, l’air confiné des avions, les plus belles voitures de location, et les hôtels semi-luxe qui bordent les aéroports sont son foyer. Dans tous ces lieux, Ryan est ultra-VIP à grands renforts de cartes magnétiques de fidélité. Fuyant tout attachement, il a pour hobby de donner des conférences sur le bonheur de se libérer des responsabilités, qu’il illustre en manipulant un sac à dos qu’il faudrait virer. Mais lorsque la jeune Natalie Keener (Anna Kendrick que vous connaissez de Twilight) vient de Cornelle expliquer au boss de la firme de licenciement (Jason Bateman, le papa adoptif du bébé de Juno) qu’on pourrait aussi bien faire ce travail télématiquement, tout le mode de vie de Ryan est menacé… Alors qu’il doit prendre la jeune femme sous son aile pour lui montrer les ficelles du métier, une autre lady vient déranger sa solitude heureuse : Alex (Vera Farminga qui incarne la quadra américaine parfaitement conservée). Vivant au même rytme  que Ryan, Alex parvient à provoquer un attachement dangereux chez le misanthrope endurci… Sous l’emprise de DEUX Célimène, Alceste va-t-il changer?

Produit par son papa, Ivan Reitman (le producteur et réalisateur de Ghostbuster )Jason Breitman brosse, à son habitude, des personnages à la fois moyens et extraordinaires. Aidé par des acteurs formidables (Clooney, quoiqu’on en dise, est le seul à pouvoir jouer avec classe et humour le personnage de Ryan), son cher directeur de la photographie, Eric Steelberg, et une minutie formidables sur les détails des villes visitées, Reitman parvient à raconter la transformation subtile de Ryan. Son autre objectif est d’évoquer la crise économique actuelle aux États-Unis. C’est pourquoi les brefs portraits des licenciés proviennent véritablement d’entretiens réalisés dans des villes dévastées comme Detroit ou Saint Louis… A vous de décider si la beauté et la légereté du traitement de ces scènes documentaires sont à la hauteur de leur sujet…

In the air“, de Jason Breitman, avec George Clooney, Vera Farmiga, Anna Kendrick, Jason Bateman, Melanie Lynskey, Amy Morton, USA, 2009, 1h50 min, sortie le 27 janvier.