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Semih Kaplanoglu (Miel) : Nos modes de vie actuels peuvent salir l’oeil qu’on a dans le coeur

Vendredi 17 septembre 2010

Ours d’Or 2010 à Berlin, et tout récemment Grand Prix du Festival Paysages de Cinéastes 2010 de Chatenay-Malabry, « Miel » (« Bal ») du réalisateur turc Semih Kaplanoglu sort sur nos écrans le 29 septembre. « Miel » raconte l’enfance d’un poète et sa relation forte et quasi-silencieuse d’un père apiculteur. Il s’agit du troisième volet d’une trilogie sur la vie de cet homme et l’enfance vient après l’âge adulte, exploré dans Oeuf (Yumurta) et Lait (Sût). Semih Kaplanoglu nous a palmé de ce film. Un film et de ce qu’il exprime sur l’éducation, le deuil et une force intérieure dont il ne faut pas perdre le fil.

Voir notre critique du film.

Selon vous, y’a-t-il un grand renouveau du cinéma turc, ces dernières années ?
On peut définir ça comme ça, comme une sorte de nouvelle vague. Il y a une génération dont je fais partie, qui a commencé dans les années 1990. Que ce soit dans le fond ou dans la forme la façon de filmer et de produire, il y a une coupure entre ce que nous avons commencé à faire et les films d’avant. Il y a donc effectivement une ressemblance avec la Nouvelle vague française. Il y a plusieurs réalisateurs qui représentent cette nouvelle génération du cinéma en Turquie. Vous connaissez peut-être Nuri Bilge Ceylan (Grand prix du Jury pour « Uzak » en 2003 à Cannes), il y a Reha Erdem (« Des temps et des vents ») et Zeki Demirkubuz (« Kader »).

Pourquoi filmer votre trilogie à rebours, en commençant par l’âge adulte pour revenir vers l’enfance ?
J’ai eu l’idée de ce film vers l’âge de quarante ans. J’avais des questions par rapport à la vie : ce que j’étais, ce que j’étais devenu et ce que j’allais devenir. A l’époque je travaillais sur une nouvelle qui au a donné naissance au garçon de 18 ans, qui est le personnage principal du film l’œuf. En réfléchissant sur ce personnage de livre, je me suis demandé ce qu’il deviendrait à l’âge de 40 ans, et également ce qu’il avait été à huit ans. J’ai commencé par l’imaginer à 40 ans avec « Lait », tout simplement parce que c’est l’âge où je le sentais le plus proche de moi. Et puis, j’ai essayé d’aller vers l’inconscient de l’être humain. Vers une base que l’on a quand on est et qui ne change pas. En fait, en regardant « Miel » nous sommes censés avoir déjà vu les deux premiers films, et nous savons déjà quel va être l’avenir de cet enfant. C’est quelque chose qui est impossible dans la vie réelle, bien sûr, de connaître l’avenir de quelqu’un. Parce que nous, quand on raconte une histoire, on la raconte et on la vit de façon chronologique. Comme on sait ce qu’il va vivre plus tard, l’innocence de l’enfant est encore plus puissante. Et ca c’est en quelque sorte se rapprocher du destin. Quand on revient en arrière on fait sentir plus fort la puissance du destin. Moi, je crois au destin et je crois que Dieu a tracé notre destin.

Quelle est la place de l’éducation dans la trajectoire de vie de l’enfant ?
Deux types d’éducations doivent co-exister : si l’on s’éloigne de l’éducation de la nature et de ce que peut nous apprendre un père, l’éducation créée par l’homme provoque le chaos que l’on connaît aujourd’hui. Aujourd’hui, l’être humain vit de façon un peu perdue, ne sait plus trop où il en est. En fait, nous avons une vie plus conformiste, même si nous communiquons parfaitement et que tout est plus facile, cela ne nous rend pas plus profond, cela ne résout pas nos problèmes. La science existe, mais elle ne peut pas répondre à tous les questionnements. Je ne dis pas qu’il ne faut pas s’arracher à la nature, mais je pense qu’il est très important de savoir garder un équilibre entre l’apprentissage de la nature et l’apprentissage de la société. Il suffit d’aller le chercher par la spiritualité, sa base, et c’est quelque chose qu’aucun système politique ne peut jamais empêcher parce que c’est quelque chose qu’on a au fond de soi. Aucune autorité,quel que soit son pouvoir, ne peut détruire ce qu’on a en nous. Seulement l’être humain peut détruire pour lui-même ce qu’il a en lui. Nos modes de vie actuels et leurs conformismes peuvent évidemment salir l’œil qu’on a dans notre cœur.

Dans « Miel », la disparition du père est-elle une étape de l’apprentissage ou est-ce une tragédie?
C’est évidemment une partie de l’éducation de l’enfant. Après que le petit a perdu son père, on voit qu’au bout d’un moment, il se met à l’accepter. Dans la culture d’où je viens, la mort n’est pas la fin. Nous savons que nous nous rencontrerons quelque part ailleurs.

Quel est le rôle du silence dans l’apprentissage et dans le processus de deuil ?
En fait pour moi, le poète est celui qui essaie de détruire la manière linéaire de s’exprimer. Car les mots pour un poète ont d’autres significations que celles qu’ils ont pour nous. Il n’écrit pas pour communiquer. Le poète essaie de nous faire parvenir une autre connaissance d’un autre monde. Il va toujours à l’essence du premier mot. Et si on pense que déjà le petit garçon a du mal à parler puisqu’il bégaie, il ne peut parler que quand il murmure. Comment je sais ça ? Parce que je l’ai vécu moi-même. Si tu bégaies, tu peux parler sans bégayer en murmurant. Et quand au silence qui suit la mort du père, c’est l’acceptation. L’endroit où j’ai filmé, les maisons sont très éloignées des autres, ce n’est même pas un village et j’ai remarqué que là-bas les gens parlent très peu. Je me suis aperçu qu’on éprouve le besoin de parler quand les choses deviennent moins importantes et quand on veut meubler l’espace.

Après avoir donné vie avec cette grande trilogie, ressentez-vous un vide?
Oui je me sens vide. Quand j’ai proposé cette trilogie ici en France, tout le monde m’a dit trois films d’un coup, mais tu es complètement fou. C’est une mauvaise stratégie. Fais les un par un. Ne dis à personne que tu veux faire trois films. Car tu ne trouveras pas de producteur pour un projet de telle ampleur. Quant à moi j’ai toujours présenté ce projet comme une trilogie. Et durant quatre ou cinq ans j’ai travaillé sur ces trois films sans aucune vacance. Je n’ai même pas eu de samedi ou de dimanche. A chaque fois que je finissais un film, il y en avait tout de suite un nouveau qu’il fallait que je commence immédiatement. Il ne fallait pas perdre de temps, il fallait que je commence tout de suite. Grâce à Dieu les choses se sont faites relativement rapidement. Et c’est terminé. Maintenant évidemment, il y a un très grand vide intérieur en moi. Maintenant je ne sais pas trop ce que je veux faire. J’ai plusieurs histoires en moi. Une qui se déroule au 16ème siècle. Et une qui se déroule aujourd’hui à Istanbul, donc je réfléchis sur ces deux histoires. Je prends des notes et je vais commencer à écrire, je ne sais pas encore quand.

Propos recueillis à Paris, le 30 août 2010.

Hors la loi : un grand film raté reste un grand film

Vendredi 17 septembre 2010

Après s’être offert une petite pause d’intimité dans le sublime “London River” (2009), Rachid Bouchareb propose la “suite” d'”Indigènes” (2006). Ce deuxième volet d’une trilogie monumentale sur les relations entre l’Algérie et la France au 20ème siècle est aussi le plus délicat puisqu’il revient sur la colonisation et surtout la douloureuse séparation. Près de 50 ans après les accords d’Evian, la France a toujours beaucoup du mal à se retourner vers ce passé de déchirure avec le pays qui fut le fleuron de “La plus grande France”. D’où les polémiques au 63ème festival de Cannes, où “Hors la loi” était en compétition : certains l’attendaient comme l’équivalent du “Chagrin et la Pitié” sur l’épisode de Vichy et espéraient que le 7 ème art ouvrirait encore une fois la brèche laissant place à toutes les mémoires ; d’autres – sans l’avoir vu- décriaient déjà le film de Bouchareb comme “Anti-Français”. Polémique inutile puisque Bouchareb tient parfaitement la ligne qu’il s’était fixée dans “Indigènes” : montrer aussi bien les atrocités commises par la France coloniale, que celles du FLN, et mettre en lumière – quand il existe- l’amour déçu que l’Algérie et la France se sont portés et se portent parfois encore. Un grand film, où tout est juste, et qui tombe malheureusement à plat à cause de ses dialogues.

Tout commence avec le massacre de Sétif. Rachid Bouchareb décide de commencer “Hors la loi” où il a terminé “Indigènes” et montre dans une scène forte la répression des nationalistes algériens qui prennent le défilé de la victoire du 8 mai 45 comme tribune. Tout le film est contenu dans cette première scène : son caractère frontal (le massacre de Sétif est toujours une page grise de l’histoire, le nombre de morts du côté des Algériens restant encore en suspens), son goût de raconter la grande histoire par la petite (on suit chacun des trois frères-héros du film), et le goût – rare en France – pour les belles images. “Hors la loi” n’est pas un documentaire, il s’affiche et s’affirme comme une film haut en couleurs, une fiction posant les questions qui fâchent sans pour autant tenter de “faire l’histoire”. Qu’il soit de Bouchareb et Olivier Lorelle (voir la nouvelle polémique suscitée par le film) ou pas, le scenario est extrêmement bien ficelé et parvient parfaitement à relever le pari de suivre trois frères aux personnalités archétypales sur près de 40 ans entre l’Algérie et la France. Il y a Abdelkader (Sami Bouajila) injustement jeté en prison comme opposant politique après le massacre et qui y devient un véritable intellectuel du parti indépendantiste. Mourir et faire mourir pour des idées ne lui fait pas peur, même si lui même est plutôt frêle et peu courageux physiquement. Pour les tâches musclées, il fait appel à son frère Messaoud (Roschdy Zem), soldat qui a perdu son œil pour la France dans la guerre d’Indochine, et qui est peut-être celui qui demeure le plus proche de la mère et de l’Islam. Le troisième frère est le plus rusé et le plus pressé d’oublier ses origines : Saïd (Jamel Debbouze) n’a qu’une passion, la boxe, et est prêt à toutes les combines pour sortir du bidonville insalubre où les frères et leur mère ont été parqués dans les années 1950. Étant donné la diversité des profils, les trois frères se querellent, mais jamais tout à fait à mort, et lorsqu’un d’entre eux est en danger, ou lorsque la mère l’exige, ils se réunissent pour faire front. En dehors de ce trio de comédiens surdoués, Bouchareb a fait appel à l’excellent Bernard Blancan pour interpréter un commissaire français en chapeau mou un peu plus fin que les autres et qui donne la nostalgie des Charles Vannel et Jean Gabin.

La grande polémique qui a ébranlé Cannes (voir notre article) n’ a pas lieu d’être : l’extrémisme froid d’Abdelkader est stabiloté, au même titre que les viles méthodes de la police française pour débusquer les indépendantistes algériens en métropole. Le dialogue d’alter-egos entre le commissaire Martinez et Abdelkader en témoigne. Et Bouchareb semble tenir une ligne ferme entre le refus d’oublier son passé familial algérien et la conscience d’être ce qu’il est parce qu’il a été élevé en France. Son objectif avoué avec sa trilogie n’est d’ailleurs pas de “juger” la France, mais de réaliser ce que des cinéastes américains immigrés aux États-Unis sont parvenus à faire : mettre en lumière le passé et la vie présente des minorités dont ils sont issus. A ce titre, “Le parrain” de Coppola est l’ultime référence de cet autre film de “gangsters” qu’est “Hors la loi”.

Ce n’est donc ni dans le scenario, ni dans l’idéologie politique, ni dans le désir affirmé de montrer des belles images qu’il faut chercher le défaut de “Hors la loi”. Mais dans les dialogues. Peut-être les enjeux étaient-ils trop grands, peut-être le sujet était-il encore trop brûlant, et trop proche du réalisateur, mais “Hors la loi” pêche par des mots trop lourds, décalés, et impossibles à prononcer avec naturel par ses excellents comédiens. Souvent arrêté par une phrase incongrue, le spectateur a tendance à sourire dans les moments les plus graves et les plus signifiants. Quelle ironie que le réalisateur franco-algérien ait échoué dans le seul domaine que la plupart des films français maîtrisent ! (en se gardant bien souvent d’accompagner leurs bons mots d’images et d’un scénario solides…). “Hors la loi” ne sera pas le premier grand film sur la mémoire de l’indépendance de l’Algérie en France. Mais à l’image de ces immenses projets cinématographiques battant dangereusement de l’aile, tels le Cléopâtre de Mankiewicz, ou “Les portes du paradis” de Michael Cimino, “Hors la loi” demeure porté par un souffle puissant et noble. Et nous rappelle qu’un grand film, même raté, reste un grand film.

Hors la loi, de Rachid Bouchareb, avec Roschdy Zem, Samy Bouajila, Jamel Debbouze, Chafia Boudraa, Samy Nacéri, Bernard Blancan, Mélanie Laurent, Algérie, France, 2010, 2h18, StudioCanal, Sorte le 22 septembre 2010.

Dans ses yeux, un Oscar plus que mérité

Lundi 7 juin 2010

Oscar du meilleur film étranger cette année, le film argentin de Juan  José Campanella mélange comédie romantique et polar en flash back. Un film où la tendresse, l’amour et le sens de la justice coexistent avec la folie, la patience et le joyeux bordel de l’administration argentine. Zéro faute dans cette grande oeuvre pour le réalisateur de “Fils de la mariée” et des “Neuf  reines” qui retrouve une fois encore son merveilleux acteur fétiche : Ricardo Darin.

Adapté du roman d’Eduardo Sacheri, “la Pregunta de sus ojos”, “Dans tes yeux” met en scène Benjamin Esposito (irrésistible Ricardo Darin), un clerc que sa retraite encourage à revenir sur le cas qui l’a le plus marqué, dans une ébauche de roman. En 1974, il a été amené à enquêter sur le viol et le meurtre violent d’une jeune femme de 23 ans. Coiffant au poteau l’officier de police chargé de l’enquête, Esposito découvre l’identité de l’assassin en feuilletant les vieilles photos de familles. la lueur d’avidité dans les yeux d’un ami d’enfance de la morte le met sur la bonne piste. Mais le meurtrier n’est pas facile à coincer… surtout si ses supérieurs de la justice argentine lui mettent des bâtons dans les roues. C’est avec l’aide de son collègue ivrogne (fantastique personnage incarné par Guillermo Francella) et de sa jeune, jolie, et bourgeoisie supérieure directe, Irène (Soledad Villamil, meilleur espoir féminin aux Goyas), cette année) qu’Esposito se lance à la poursuite de cet homme… 25 ans après cette enquête continue de hanter Esposito, mais aussi ses collègues et le veuf de la jeune femme assassinée. Rouvrir les zones d’ombres du passé semble bien avoir des conséquences sur le présent pourtant désespérément rangé de tous ces personnages.

Humain, drôle, parfaitement construit et très poétiquement filmé, “Dans ses yeux” ménage son suspense à grands renforts de sentiments et de retour de souvenirs. Le romantisme est là, les archétypes aussi, et on se glisse dans les Buenos Aires des années 1970 comme dans une  seconde peau. Fidèle à son quartier natal d’Avallaneda et à sa ville d’adoption, Buenos Aires, dans “Dans ses yeux”, Juan José Campanella creuse la même matière comique et émouvante qui portait le bouleversant “Fils de la mariée” et il le mélange au suspense drôle qui avait fait le succès international des “neuf reines”. Du point de vue des idées et des adhésions, le film est tout aussi riche et généreux : dans des dialogues étincelants, les réflexions sur la peine de mort ou sur les carences de la justice prennent une dimension à la fois simple, directe, et juste. Porté par des comédiens de génie, “Dans tes yeux” est certainement le film le plus accompli et le plus riche actuellement sur nos écrans.

“Dans ses yeux”, de Juan José Campanella, avec Ricardo Darin, Guillermo Francella, Soledad Villamil), Agentine, 2009, 127 min.

Sortie Dvd : le jour où Dieu est parti en voyage

Mardi 25 mai 2010

Pour son premier passage derrière la caméra, le directeur de la photographie de films de Bruno Dumont et Claire Denis, Philippe Van Leeuw, a adapté une histoire vraie qui a eu lieu dans les premiers temps du génocide rwandais, en avril 1994. Prix du meilleur premier film du festival de San Sebastian, en 2009, “Le jour où Dieu est parti en voyage” est un film sobre, dur et silencieux sur l’impact immédiat d’une violence incompréhensible. Il est disponible en Dvd depuis le 7 avril chez MK2.

Avril 1994, dans un village non identifié du Rwanda. Alors que les Huttus commencent tout juste le génocide qui fera en 3 mois près de 800 000 victimes, en majorité Tutsies, une famille belge décide de partir encadrée par des policiers. Avant de quitter leur villa, ils obligent la nounou de leurs enfants, Jacqueline (bouleversante Ruth Nirere), tutsie sans nouvelles de sa propre famille à se cacher. 24 heures de planque dans l’obscurité d’un grenier secret lui permettent de survivre pendant que les Huttus pillent jusqu’au papier peint de la maison. Lorsqu’elle sort, Jacqueline se dirige immédiatement vers son village et y trouve ses deux enfants assassinés. Mais sa vie est en danger et elle ne peut  même pas  les enterrer; elle doit fuir dans la forêt. Mutique et perdue, elle n’est plus qu’instinct de survie. Elle sauve la vie d’un homme blessé (Afazali Dewaele), qui, une fois remis sur pieds, parle pour deux. Mais leur périple dans la forêt est très dangereux, et Jacqueline qui a entendu les massacres depuis sa cachette et ne peut pas se remettre de la mort de ses enfants, est très fragile…

Sobre, dur et sans concessions, “Le Jour où Dieu est parti en voyage” suggère à travers quelques gestes simples, peu de mots, et l’écho des massacres la violence du génocide rwandais. Le retour à une nature hostile, où la seule civilisation qui émerge est celle des fusils, des machettes, et des injures de haine raciale, exprime un état de barbarie proprement insupportable. Et suivre Jacqueline, déchirée entre un instinct de survie bien humain, un deuil impossible, et l’hébétude face à l’explosion de violence, est une épreuve psychologique qui demande beaucoup d’attention. Tenu en haleine par les gestes de la survie, le spectateur se demande au fur et à mesure que le film progresse, si Jacqueline va pouvoir à nouveau parler. Et si oui, va-t-elle pouvoir évoquer la mort de ses enfants?
Film sur la mémoire immédiate, au moment où celle-ci est encore intriquée dans le temps du traumatisme, “Le jour où Dieu est parti en voyage” est une oeuvre importante. Pour tous.

“Le jour où Dieu est parti en voyage”, de Philippe Van Leeuw, avec Ruth Nirere et Afazali Dewaele, Belgique-France, 01h34min, sortie française 28 octobre 2009, sortie Dvd 7 avril 2010, Mk2 éditions, 19.99 euros.

Green Zone ou la désobéissance musclée du sous-officier Damon

Mercredi 7 avril 2010

Après “La mort dans la peau” et “La vengance dans la peau”, Paul Greengrass retrouve Matt Damon pour une adaptation du livre de Rajiv Chandrasekaran, “Green Zone”. Un film haut en couleurs sur l’intelligence américaine après la chute de Bagdad et la lancinante question de savoir si les armes de destruction massives ont jamais existé. Sortie le 14 avril 2010.

2003. Roy Miller (Matt Damon) est un sous-officier américain en mission en Irak et chargé de retrouver les fameuses armes de destruction massives qui avaient déclenché la guerre. Or les savants rapports qui sont supposés le guider dans sa recherche le mènent toujours sur des terrains dangereux où son équipe fait chou blanc. Alors que la hiérarchie militaire continue de lui garantir les sources de ces rapports, Miller rencontre un irakien (Khalid Abdalla) qui le mène à une réunion secrète d’anciens généraux de Saddam Hussein. Il parle également avec un agent de la CIA, Martin Brown (Brendan Gleeson), qui lui confirme que son intuition était juste : il n’y a jamais eu d’armes de destruction massive en Irak. Finalement, autour de la superbe piscine qui trône dans la “zone verte” de l’occupation américaine à Bagdad, il rencontre la journaliste du Wall Street Journal (Amy Ryan)qui avait répandu la rumeur sur les armes avant la guerre. Toutes ces pistes le mènent à enquêter sur le rôle du responsable en chef du Pentagone à Bagdad : Clark Poundstone (Greg Kinnear). Il a peut-être trahi les informations données par un proche de Saddam Hussein pour presser l’intervention américaine…

Ne laissant aucune place à la romance où à tout autre divertissement qui éloignerait le sous-officier Miller du coeur de son enquête, le réalisateur de “Bloody Sunday” et de ” Vol 93″ signe un thriller méticuleux sur la guerre d’Irak. Des vétérans étaient présents sur les lieux du  très long tournage (Espagne et Maroc) où Bagdad a été méticuleusement reconstituée. La complexité de la question irakienne et respectée, y compris celle de savoir par qui et comment remplacer le régiem décapité. Musclé et aux aguets, Matt Damon joue parfaitement la désobéissance inattendue d’un sous-officier qui comprend peu à peu combien l’état-major lui a menti. Dans la vraie vie, le comédien expliquait avec esprit et humour combien il doutait dès avant la guerre de l’existence de ces armes de destruction massive dont parlait l’administration Bush, lors de la conférence de presse qu’il a donnée à Paris. Plus sérieux, Paul Greengrass a donné à son public une vraie leçon de cinéma en argumentant son credo : tout film doit partir d’une vraie question. Pour “Green Zone”, cette question était “Comment en sommes-nous arrivés là?”. La réponse en images dure 1h55 de tension salutaire.

“Green Zone”, de Paul Greengrass, avec Matt Damon, Brendan Gleeson, Amy Ryan, Greg Kinnear, Khalid Abdalla, et Jason Isaacs, USA, 2010, 1h55, sortie le 14 avril 2010.

Ajami : flash-backs de violence à Jaffa

Mercredi 7 avril 2010

Nominé cette année aux Oscars, ayant raflé toutes les distinctions aux ophirs israéliens, et co-réalisé par un israélien (Yaron Shani ) et un palestinien (Scandar Copti), “Ajami” a été acclamé partout dans le monde. Le film détaille les destinées d’arabes-israéliens, de palestiniens, de chrétiens-israéliens, et d’israéliens dans le quartier d’Ajami à Jaffa. Un bain de sang monté en flash backs, avec des acteurs non-professionnels et dont tout le monde louel e caractère “authentique”.

“Ajami” commence sur un réglement de comptes qui tourne mal : le voisin d’Omar (16 ans) et Nasri (13 ans) est assassiné en pleine rue à la place d’Omar par les membres d’un clan que leur oncle a menacé. Dès lors, les deux frères se cherchent un parrain pour les protéger. Le réglement à l'”amiable” de la querelle a un grand prix qui pousse Omar à vouloir traffiquer de la drogue. Dans le même quartier un jeune palestinien vient travailler tous les jours clandestinement dans les cuisines d’un restaurant tenu par un “parrain” chrétien israélien et espère pouvoir payer les soins de sa maman malade d’un cancer. A ses côtés en cuisine, un jeune garçon qui y travaille légalement trempe dans le traffic de drogue. Un policier israélien chargé de surveiller le quartier est à la recherche de son frère, disparu alors qu’il était soldat en permission… Tous ces personnages se croisent au fur et à mesure que les exploitations et les bains de sang s’accumulent dans un climat de barbarie “authentique”. Ayant filmé chronologiquement avec seulement deux caméras, des acteurs non-professionnels, et très peu de prises, et monté le film pendant un an “comme un documentaire”, Scandar Copti et Yaron Shani tenaient beaucoup à représenter Ajami comme une “vraie” jungle où les destins se brisent. Le tour très “tiers-monde” donné volontairement à des images désordonnées, rapides et sans fioritures, et la rapidité du débit rappellent un “Slumdog millionaire” sans espoir et sans aucune paillette. La violence est encore rehaussée par les flash-backs qui rappellent au spectateurs oublieux combien les turies des rues ou des parkings trucident des adolescents qui cherchent à s’en sortir, face à des parrains qui font leur beurre de tout ce sang, et à des policiers israéliens pas méchants mais très idiots (et ne parlant pas l’Arabe) qui laissent, malgré eux, les divers clans arabes s’étriper sans agir.

“Ajami”, de Scandar Copti et Yaron Shani, avec Fouad Habash, Shahir Kabaha, Ibrahim Frege, Scandar Copti, Eran Naim Israël/Palestine, 2009, 120 minutes, sortie le 7 avril 2010.

Les désemparés, un trésor de Max Ophuls avec James Mason enfin disponible en Dvd

Vendredi 12 mars 2010

Max Ophuls a passé peu de temps aux Etats-Unis, entre ses années allemandes et françaises. Le réalisateur de “La ronde” a réalisé 3 films pour Hollywood : Lettre d’une inconnue (1948), Caught (1949) et les désemparés (“The Reckless moments”, 1949). La copie restaurée de ce dernier film, à l’écran le 31 mars, et disponible en Dvd le 7 avril, fait mentir l’idée fixe que “Lettre d’une inconnue” est le chef d’oeuvre américain de max Ophuls. Film noir vantant l’amour maternel dans un village bourgeois de la côte ouest, les désemparés est une oeuvre un peu oubliée. Plus pour longtemps.

Alors que la plupart des maris américains sont revenus de la guerre, celui de Lucia Harper (Joan Benett) est reparti pour Berlin afin d’y superviser al construction de ponts. La jeune maman est donc seule dans sa jolie ùaison de Balboa (banlieue de LA) avec son beau-père, son fils un peu mécano et très débraillé, et sa fille Bea, 17 ans. Cette dernière, romaniques étudiante d’arts fréquente un jeune homme mal famé, Ted Derbyet Lucia tente de mettre fin à cette liaison. Or Derby est retrouvé mort. Un type étrange (James Mason) vient alors voir Lucia chez elle. Il est en possession de lettres d’amourde Bea à Derby et veut la faire chanter. Peu à peu la mère de famille et son maître chanteur développent une relation qui dépasse les simples affaires…

Film noir déjà infléchi par un certain retour au réalisme, “Les désemparés” place immédiatement ses spectateurs au coeur d’une bonne famille américaine d’après-guerre. Portée par la grâce de Jona Benett, qui était égalemnt la femme du producteur du film, Walter Wagner, et surtout par le génie élégant d’un James Mason ravi de travailler avec un cinéaste culte mais n’ayant pas encore trouvé son public à Hollywood, l’intrigue garde en haleine du début à la fin. A la direction de la photographie, Burnett Guffey sublime les deux personnages principaux, et transforme leurs brèves rencontres incohérentes des jeux d’ombres troublants.

“Les Désemparés”, de Max Ophuls, avec Joan Benett, James Mason, Geraldine Brooks, Henry O’Neill, USA, 1949, 79 min + 62 minutes de bonus, dvd master restauré HD, Carlotta films, 19.99 euros, sortie le 7 avril 2010.

Sortie en salle en copie restaurée le 31 mars.

La révélation de Hans Christian Schmid, un thriller européen très réaliste au TPIY

Mardi 2 mars 2010

Après l’intimiste “Requiem”, le réalisateur allemand Hans Christian Schmid retrouve le scénariste Bernd Lange pour “La Révélation”. Un thriller au casting européen qui retrace avec un réalisme suffoquant le procès d’un criminel de guerre serbe au Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie. Alors que le TPIY doit clore ses activités  à la fin de l’année, après 17 ans de services, et que le criminel de guerre serbe Radovan Karadzic doit finalement être jugé ce mois de mars après avoir boycotté l’ouverture de son procès en octobre dernier, “La révélation” est d’une actualité brûlante. Sortie le 17 Mars 2010.

Un criminel de guerre imaginé par Schmid et Lange, Goran Duric, doit comparaître devant le TPIY pour Crimes contre l’Humanité, alors qu’il brigue la présidence serbe. Alors qu’elle n’est pas tout à fait prête à accepter une mission si délicate, la procureure Hannah Maynard (Kerry Fox Ours d’argent pour son rôle dans “Intimité” de Chéreau en 2001 et que l’on a vue dernièrement à l’écran dans “Bright Star” de Jane Campion) se trouve discréditée lorsque les propos de son témoin principal sur l’épuration ethnique d’un village bosniaque sont prouvés êtres des faux. Après que le mensonge a été démontré sur le terrain, ce témoin se suicide. Folle de rage à l’idée d’avoir été dupée par un témoin dans lequel elle avait confiance et à l’idée de laisser filer Duric qu’elle sait coupable, elle se tourne vers la sœur de son témoin, Mira (Annamarica Marinca, dévoilée dans le rôle principal du film de Robert Mungiu “4 mois, 3 semaines et deux jours”) . Celle-ci en sait bien plus sur les crimes de guerre de Duric qu’elle ne veut bien l’avouer. Mais convaincre cette mère de famille heureuse qui a refait sa vie à Berlin de témoigner à la barre du TPIY n’est pas facile. C’est aussi prendre le risque de la mettre physiquement en danger quand non seulement la Serbie, mais aussi toutes les autres puissances européennes ont intérêt à tirer un trait définitif sur le passé douloureux de l’ancienne Yougoslavie…

Avec un casting européen, un mélange de langues très réaliste (et la roumaine Annamarica Marinca est tout à fait crédible en bosniaque), ainsi qu’une flopée de halls d’hôtels, d’avions et de voyages entre La Haye et Sarajevo, “La révélation” donne à voir de manière simplifiée et néanmoins extrêmement réaliste les conditions d’un procès au TPIY. Tout, des auditions, aux reconstitutions en passant par la garde protégée des témoins et ce qu’on peut ajouter à la liste des accusations d’un criminel de guerre en cours de jugement y est évoqué. Pour être sûre de ne pas trahir la réalité, l’équipe du film s’est rendue à La Haye et s’est assuré les conseils techniques de Florence Hartmann, ex-porte parole de la procureure générale du TPIY, Carla Del Ponte. Au-delà de cette prouesse réaliste, “La révélation” soulève des questions cruciales sur le mode haletant du thriller. Alors qu’on ne sait pas jusqu’au bout si le criminel de guerre va pouvoir être inculpé, la question de savoir quel rôle, toujours  destructeur et souvent nécessaire, le témoignage joue pour une victime, 15 ans après, y est traitée avec profondeur et subtilité à travers le jeu bouleversant d’Annamarica Marinca. Et un épineux problème est courageusement abordé de front quand le film montre à travers le personnage du fiancé de la procureure (incarné par le sudéois Rolf Lassgård qui nous est familier en Kurt Wallander dans l’adaptation des romans de Henning Mankell), comment les grandes puissances européennes préférent laisser des crimes contre l’humanité impunis pour enterrer un passé de violence et permettre une rapide inclusion de la Bosnie et de la Serbie dans l’Union Européenne. Sensuelle et sensible de A à Z malgré la gravité de son rôle et le caractère aseptisé des ambiance dans lesquelles elle évolue, Kerry Fox porte avec une pudeur rayonnante son rôle de justicière très souvent bridée par les lourdeurs administratives et les enjeux politiques qui lui échappent.

Primé dans de nombreux festivals européens (Prix de la paix du festival de Munich, Double prix d’interprétation du festival du Cinéma Européen Cinessone 2009…) “La révélation” est une réussite éthique et esthétique, sorte d'”Interprète” de Sidney Pollack (2005) à l’européenne et bien mieux réussi!

La révélation” (Storm/ Sturm), de Hans Christian Schmid, film  Allemand, Danois et Hollandais, avec Kerry Fox, Anamaria Marinca, Stephen Dillane, Rolf Lassgård, Alexander Fehling, Tarik Filipovic, Kresimir Mikic, Steven Scharf, Joel Eisenblätter…, scénario de Bernd Lange, 2009, 1h43, sortie le 17 mars 2010.

Sortie ciné : Shutter Island ou la brume rétro de la paranoïa

Vendredi 26 février 2010

Avec “Shutter Island”, l’équipe Scorsese/DiCaprio est de retour sur nos très grands écrans, après “Gangs of New-York”, “Aviator” et ” Les infiltrés”. Inspiré du best-seller de Dennis Lehane (qui avait aussi signé “Mystic River”), “Shutter island” nous plonge dans une prison-hôpital psychiatrique des années 1950. L’enquête du Marshal Teddy Daniels pour retrouver une “patiente” mystérieusement disparue se transforme en lutte inégale contre une folie monstrueusement administrée. L’enfer de la paranoïa rétro vu par Scorsese renoue avec l’esthétique expressionniste pour le grand plaisir d’avoir très peur…

Vétéran traumatisé de la Deuxième Guerre mondiale, l’U.S. Marshal (policier fédéral) Teddy Daniels (Leonnardo DiCaprio) est affublé d’un nouveau coéquipier, Chuck Aule (irrésistible Mark Ruffalo en macho adjuvant) pour une mission spéciale : retrouver une prisonnière mystérieusement échappée d’un hôpital psychiatrique où sont détenus des criminels : Shutter Island. Mais le voyage commence mal pour Daniels qui a un terrible mal de mer, est hanté par la mort de sa femme (Michelle Williams, apparition parfaitement désincarnée), et découvre bien  vite qu’il est impossible que la prisonnière se soit échappée seule d’une cellule fermée à clé de l’extérieur sur une île rocailleuse dont les bordures sont des falaises tombant à pic sur un Atlantique déchaîné.

Suspicieux, et privés de leurs armes par la loi locale, Daniels et Aule doivent vite se plier aux règles de Shutter Island, dirigée par l’inventif Dr Cawley (auquel Ben Kingsley prête toute son insaisissable élégance britannique). Et enfermés sur l’île par la tempête, les marshals se trouvent bien vite confrontés à une folie contagieuse : Cawley et son équipe ont-ils d’autres plans que soigner et garder leurs “patients”? Et quelles raisons personnelles ont poussé Daniels à accepter une mission qui semble sortir de sa routine?

Reconstituant minutieusement l’univers psychiatrique des années 1950 avec son arsenal de camisoles, électrochocs, et trépanations, Scorcese invite le spectateur à entrer dans un thriller psychologique et gothique qui frise le genre de l’horreur. Sous des trombes d’eau et porté par des images délicieusement obscures (les gris du directeur de la photographie, Robert Richardson, étant parfois retravaillés numériquement), Shutter Island est une invitation à l’enfermement dans la folie.

Les paranoïas des personnages rejoignent celle de l’Amérique des années 1950. Si celle-ci a hérité du film noir, en donnant asile aux anciens réalisateurs juifs expressionnistes de Weimar, en accueillant des scientifiques de l’acabit d’Oppenheimer ou de Werner von Braun, elle a aussi hérité du III e Reich une fâcheuse tendance à faire de l’homme un animal de laboratoire où l’expérience est bien celle d’une destruction. Dans le cas de l’hôpital psychiatrique de Shutter Island, cette ambivalence est représentée par le personnage du docteur Naehring (interprété par l’immense Max von Sydow qui a notamment joué dans le 7e sceau de Bergman).

Sous les costumes un peu cheap et parfaitement fifties de Leonardo DiCaprio, et les robes à fleurs de Michelle Williams, Scorsese a fait appel à cette mythologie allemande en créant un climat d’inquiétante étrangeté directement inspiré de l’expressionnisme Allemand (“Le cabinet du docteur Caligari”de Robert Wiene auquel le réalisateur a immédiatement pensé en lisant le roman) et de son héritage américain (“Laura” d’Otto Preminger ou encore “Le procès” d’Orson Welles que Scorcese a fait voir à tous ses acteurs). D’ombre portée en ombre portée, et de jeu de piste en jeu de rôle dans l’aqueux marasme de la psychose organisée, le spectateur entre cercle après cercle dans l’intime d’une folie qui a un visage de plus en plus familier… Pour  finir par douter de tout et tous à la fin du film et faire l’expérience troublante de douter de ses propres peurs.

Un grand film noir, extrêmement référentiel, haletant, et évidemment parfaitement cadré par maître Scorsese.


Shutter Island – Bande-Annonce / Trailer B [VOST FR]
envoyé par Lyricis. – Court métrage, documentaire et bande annonce.

Shutter Island” de Martin Scorsese, d’après le roman de Dennis Lehane avec Leonardo DiCaprio, Ben Kingsley, Michelle Williams, Mark Ruffalo, Max von Sydow, et Patricia Clarckson, USA, 2010, 2h17,

Valérie Mréjen filme l’hôpital psychiatrique de Valvert

Vendredi 26 février 2010

La plasticienne, auteure, et réalisatrice de “Pork and Milk” (2006) a accepté un film de commande  : filmer un hôpital psychiatrique de Marseille datant des années 1970 et dont le fonctionnement repose sur la libre circulation des patients et leur interaction avec avec tout le personnel soignant ou administratif de l’institution. Un film réalistee t humain, qui fait figure d’anti-“Shutter Island”, et où Mréjen a glissé toute la poésie de son oeil mélancolique.

Né de la psychothérapie institutionnelle qui prône une psychiatrie ouverte et reposant sur le dialogue et le contact aux patients, l’hôpital de Valvert a ouvert ses portes dans les années 1970. Depuis les principes d’organisation sont demeurés inchangés : les patients (même ceux qui y restent des années) circulent librement dans les jardins et à la cafétéria de l’hôpital et l’accent est mis sur leur contact aux infirmiers, aux médecins, mais aussi aux employés de l’administration comme la directrice du centre de documentation. Toutes les portes sont ouvertes à Valvert, situant l’institution aux antipodes de l’atmosphère asilaire de surveillance panoptique des patients.Mais les fonds s’amenuisent et donc  l’hôpital n’est plus en mesure de proposer à ses patients des vrais emplois rémunérés, et donc un travail salutaire, même si pas toujours efficace, ceux-ci continuent de se promener et de s’exprimer librement. sans parti pris, et parfaitement en accord avec le principe de dialogue qui définit Valvert, avec sa caméra souple et poétique, Mréjean est allée rencontrer infirmiers, administratifs et patients. Et ces derniers sont traités avec une humanité quiconsiste à écouter avec attention ce qu’ils ont à dire, et qui si on se concentre, semble toujours assez cohérent dans le film de Mréjen. Alors que les plans fixes des interview évoquent cette attention aux mots, les longs travelling dans les couloirs de Valvert, où le visage muettement  endeuillé de la réalisatrice fait par deux fois apparition évoque tout un monde lointain : ces contrées milles fois explorées et jamais totalement balisées de l’esprit humain.

Entre réalisme et humanisme, Valvert est un petit bijou à découvrir en salles le 10 mars.

Valvert, de Valérie Mréjean, France, 2008, 52 min.