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une semaine de vie parisienne et romaine

Lundi 24 janvier 2011

Le must de cette semaine est probablement ma longue interview d’un jeune artiste (dessinateur et vidéaste) dont j’ai adoré les œuvres à cutlog et que j’ai longuement interviewé il y a deux semaines en une soirée folle entre vernissage dans le BHV vide, dame tartine près de la fontaine Tinguely/Saint Phalle, et à son atelier. Beaucoup de travail pour retranscrire cet entretien fleuve passionnant et un geste qui m’a émue aux larme : David a tellement apprécié l’article qu’il m’envoie un de ses dessins. Pour en savoir plus sur David Ortsman, c’est ici.

Niveau livre, voir mon commentaire romain du post précédent, je suis entrée dans le lit de lanzmann, dans la gorge de foucault, et dans les scènes de ménage de Doc Gyneco (chronique à venir). Déception sur le deuxième roman de Yann Suty dont j’avais adoré le premier opus, Cubes. Enfin, un livre étrange “le revolver de Lacan“, à propos duquel j’ai bien du écrire qu’en comparaison, le style de Duras pouvait paraître opulent.

Films : sympathique petit film français où un couple que l’honnêteté a mené à la médiocrité se met à dealer de la drogue, superbe film noir avec explications sur hollywood et le Mccarthysme : he ran all the way (1951). Leçon soporifique du pourtant excellent Téchiné au Forum des images. RAS à part son bégaiement et les questions stupides du maître d’interview.

Musique: deux jolies surprises cette semaine : Nilda Fernandez à l’Elysée Montmartre, le chanteur étant depuis des lustres dans le paysage français, je m’y suis traînée sans conviction, pour découvrir un superbe mélodiste et un guitariste hors pair. Les textes sont ce qui pèche, et je parle désormais en quasi-spécialiste, forte de mon amour du français (et de l’espagnol) et de mon expérience de Monsieur Luxure qui se prolonge à travers un opéra (livret) avec Laurent et un disque pour la chanteuse française préférée de Jacques Chirac (textes) : les deux,  work in progress. J’ai enfin reçu le disque de Daphné, que je n’ai pas encore chroniqué, mais ça reste la crème de la crème, son bleu Venise tourne en boucle chez moi.

Théâtre : patatras, encore une sénilité de Chéreau. Son Koltes avec un Romain Duris qui essaie fort mais n’en peut mais m’a juste endormie au théâtre de l’atelier où je me suis ennuyée plus fermement que dans une mauvaise conférence de science politique. (pas d’article, mais celui de Christophe est tout feu tout flammes).

Expos : je me suis contentée de Europunk et Cranach à Rome. Chronique d’Europunk à venir, Cranach explicité dans le post romain.

Pas mon agenda sous mes yeux, mais cette semaine risque d’être riche en actu culturelle parisienne, but of course.

Dominique Blanc saisissante dans “La Douleur” de Duras

Vendredi 2 octobre 2009

Jusqu’au 11 octobre, le théâtre de l’Atelier laisse Dominique Blanc seule en scène pour interpréter le récit de l’attente de Robert Antelme par Marguerite Duras. Une saisissante performance de comédienne dans une mise en scène minimaliste co-signée par Patrice Chéreau.

« La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie. Le mot « écrit » ne conviendrait pas. Je me suis trouvée devant des pages régulièrement pleines d’une petite écriture extraordinairement régulière et calme. Je me suis trouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment auquel je n’ai pas osé toucher et au regard de quoi la littérature m’a fait honte. » M. D.

A la Libération, comme tant d’autres femmes en France, Marguerite Duras a attendu son compagnon, Robert Antelme, déporté à Dachau. Elle a retrouvé les carnets bleus dans lesquels elle avait écrit “La Douleur” à la fin des années 1980, et les a donc publiés après son succès de “L’Amant” (1984).Déposés à l’IMHEC, les carnets de guerres de l’auteure ont été publiés chez Gallimard, il y a deux ans. Cette publication a prouvé que très peu de ce texte a été réécrit. Il s’agit donc d’un témoignage authentique.

Le texte est bouleversant : plus simple que les écrits d’après “Lol V. Stein”, et terriblement intime, il mêle la politique, l’angoisse, Dieu et les sentiments contradictoires de quelqu’un qui ne sait plus tellement qui elle attend, tandis qu’elle imagine le pire pour l’homme qu’elle aime – avec raison. D’un point de vue historique, “La Douleur” est un formidable témoignage. Écrit à chaud, le texte est un récit minutieux des affres de l’attente, dans le désordre organisé du retour des prisonniers de guerre et des déportés, sur fond de musique gaie, à la gare d’Orsay. On y apprend également les détails du retour à la vie d’un homme d’1m84 et qui pèse moins de 34 kilos. Et Duras n’épargne aucun détail, mêlant ses considérations la responsabilité de tous les Européens dans ce crime à la texture et l’odeur des excréments du déporté. Cela peut paraître trivial, mais c’est important. Dans les coulisses des réflexions sur la nature humaine  qu’a publiées Antelme, avec “L’Espèce humaine”, Duras montre à quel point la nature humaine est complexe et contradictoire. L’attente est une souffrance intolérable, une petite mort, et la joie du retour de l’homme aimé n’empêche ni la lâcheté, ni le dégoût. Il est d’ailleurs dommage que le texte ait été coupé, pour cette représentation, car sa fin montre la déliquescence du couple. Et comment l’amour n’est PAS aussi fort que la mort…

Mais être tenu en haleine plus qu’une heure et demie par l’incroyable Dominique Blanc aurait été trop dur. Dans sa longueur actuelle, le spectacle est déjà très éprouvant. Si on ne retrouve pas toujours toute la musique de Duras dans l’énonciation de la comédienne, celle-ci  parvient à rester claire, malgré la fébrilité avec laquelle les metteurs en scène – Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang -lui demandent de jouer.  Véritable caméléon, elle apparaît les cheveux longs, noirs et lisses, et donne à son visage la forme lunaire de celui de Duras. Elle ne butte sur aucun mot, et, dans un décor de salle de classe, elle parvient à tenir son public accroché aux mots, alors qu’elle bouge à peine, pour enlever et remettre son manteau et changer de chaise.

Il faudra attendre encore longtemps pour voir une si grande actrice rencontrer un texte si puissant. Réservez-donc vite avant le 11 octobre.

“La Douleur”, de Marguerite Duras, avec Dominique Blanc, mise en scène : Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang, mar-sam 21h, dim, 15h, Théâtre de l’Atelier, 5, place Charles Dullin, Paris 18e, m° Abesses, 8 à 32 euros.