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Une immense production des Misérables au Châtelet

Lundi 31 mai 2010

Jusqu’au 4 juillet « Les Misérables » fête ses 25 ans au Théâtre du Châtelet. Une production anglaise grandiose, aussi bien du point de vue des voix que de la mise en scène, et qui rappelle au public Français ce qu’est une vraie Comédie Musicale.


Les Misérables, ou “Les Mis'” pour les intimes, c’est à l’origine, la comédie musicale créée par Robert Hossein en 1980 au Théâtre du Mogador, sur une musique de Claude-Michel Schönberg, et un texte adapté par Alain Boublil et Jean-Marc-Natel. Le producteur Cameron Mackintosh remarque le spectacle et le fait traduire par Herbert Kretzmer en Anglais. Avec le succès que l’on sait : affiche ininterrompue à Londres, 18 ans de triomphe à Broadway, et 56 millions de spectateurs à ce jour dans le monde ! Pour fêter les 25 ans du spectacle de Mackintosh, depuis un an, une production époustouflante des Misérables parcourt le monde. Elle est à l’affiche du Théâtre du Châtelet jusqu’au 4 juillet, pour le plus grand bonheur du grand public, et aussi des plus jeunes.

La musique Claude-Michel Schönberg n’a pas pris une ride et les thèmes des héros qui nous ont tous fait vibrer emportent immédiatement l’adhésion. Inspirée du décor original de John Napier et des dessins de Victor Hugo, la mise en scène romantique imaginée par Laurence Connor et James Powell est absolument somptueuse : avec une cinquantaine de comédiens-chanteurs sur scène, dans des décors industriels qui expriment bien l’urbanisation et l’enfermement dans la misère qui caractérisent du 19ème siècle dépeints par Baudelaire : le métal dentelé, élégant et néanmoins implacable semble emmurer les personnages, qu’il s’agisse de l’usine où Fantine est exploitée ou des barricades grandiose et monstrueuses des étudiants en révolte contre le pouvoir en place.. Avec une fluidité magique, la ville est toujours en mouvement. Elle se fait animale. Le climat révolutionnaire et romantique de l’œuvre d’Hugo est revu à la sauce libertaire des années 1970, et les dessins oniriques d’Hugo en fond de décor appellent à aller plus loin qu’ « à la fin du jour » pour « rêver un autre rêve ». La distribution est à l’avenant des décors : grandiose. En Valjean, John Owen-Jones exprime toute la palette de ses talents : du grave aveu d’identité de bagnard, à la superbe prière de protection pour l’homme de sa fille adoptive, « Bring me home » qui plane dans les aigus.


En face, Earl Carpenter est un Javert droit comme un « I » et tout en élégance vocale. Le timbre chaud et coloré de Gareth Gates en Marius, l’étudiant amoureux charme. Les timbres féminins sont tout aussi exceptionnels : Madalena Alberto est une Fantine déchirante, Rosalind james une Eponine à la voix puissante et blues et qui tire des larmes dans son air « On my own », et la jeune interprète de Cosette enfant à une voix d’une puissance absolument extraordinaire, notamment dans son air « Castle on the clouds ». Quant aux Thénardier (Ashley Artus et Lynne Wilmot), très clownesques dans cette mise en scène, ils n’en ont pas moins des voix à la hauteur de leurs camarades tragiques.

Il y a dans cette production des misérables, un souci de la perfection qu’on ne trouve qu’à Londres. La beauté des décors et des voix évoque aussi bien Delacroix que la magie du Paris de Carné, pour nous amener vers les thèmes intemporels et internationaux de l’enfance sacrifiée, de l’amour romantique et d’un monde meilleur à venir. A voir absolument !

« Les Misérables », de Claude-Michel Schönberg, texte anglais Herbert Kretzmer, direction musicale : Peter White, mise en scène Laurence Connor et James Powell, avec John Owen-Jones, Earl Carpenter, Gareth Gates, Madalena Alberto, Katie Hall, Ashley Artus, Lynne Wilmot, Rosalind James, et Jake Abbott, jusqu’au 4 juillet, Théâtre du Châtelet, mar-ven 20h, sam, dim, 15h et 20h, Place du Châtelet, m° Châtelet, 10 à 98 euros. Réservation ici.

Crédit photo : Michael Le Poer Trench

Première claque à Broadway

Vendredi 27 février 2009

Mardi soir, un ami retournait voir une pièce pour me la faire découvrir. L’ambiance était à la fête et a commencé par quelques shots dans le celtic pub où j’avais traîné mes guêtres à une très tardives soirée du saturday night show cet automne. Après, nous avons erré longtemps et j’ai décidé que nous finirions chez Joe Allen sur restaurant row (46e rue et 8e av). Je recommande, bie meilleur que celui de Paris où nous allons en général pour le vrai brunch américain.
Toujours est-il que je n’attendais pas énormément de la pièce. En face se donnait le mauvais “Dieu des Carnage” de Yasmina Reza et ma dernière expérience de Broadway a été Kristin Scott-Thomas massacrant Tchékhov. Mais là, j’ai été bluffée, touchée, déprimée, bouleversée et retournée. Je n’avais pas eu un choc théâtral comme ceci depuis l'”acte manqué” de Novarina à la Colline il y a un an et demie.
Le théâtre était charmant, moquette, et petite salle, mais décors chiadés sans économies de bouts de ficelles, et surtout, comme toujours l’incroyable enthousiasme du public américain que je bénis d’applaudir avec autant de joie entre chaque scène et après chaque grande tirade (le think positive et le rythme du jazz donnent un résultat absolument rieur).
Venons en à la pièce, signée Tracy Lett, jeune auteur qui s’est fait connaître par “Bug” (lu après le dîner dans la nuit) et qui a commencé au Steppenwolf de Chicago. Intitulée “August : Osage County”, elle met en scène une famille de l’Oklahoma réunie après la disparition probablement fatale du père. La mère – interprétée par l’immense Violet Parson- est présente, cancéreuse, junkie et pourtant mère monstrueuse d’une horde qu’elle assomme de vérités et de culpabilité vaches. En fait elle hait ses trois filles venues en renfort des quatre coins du pays, sous pretexte qu’elle n’ont pas connu -comme elle- la pauvreté la plus crasse. Cette faculté des aieux de détester leur progéniture car elle a moins souffert qu’eux m’a toujours bouleversée. C’était le cas par exemple dans “Rois et reines” de Arnaud desplechins. je crois que cela s’explique à la fois par l’étrangeté absolue que représente cette rancune pour moi, toujours entourée de parents et grands-parents prêts à tout sacrifier pour que leurs enfants aient plus, mieux et plus facile qu’eux (Yerushalmi a de très belles pages sur les familles juives viennoise et les pères juifs ravis de se faire piétiner par leurs enfants dans son livre sur le Moise de Freud). En même temps, quand je pense à mes fantômes, ceux morts pendant la deuxième guerre, leur colère a ce genre de teinte. Les trois filles sont venus avec leurs maris et/ou compagnons, et la soeur de la mère est aussi présente, vulgaire, maquillée, et castratrice accablant son fils. Pendant les trois heures de cette pièce à la Tennessee Williams qui rappelle “Le deuil sied à electre”, les cadavres sortent des placards, tout le monde en prend pour son grade, surtout la fille ainée, mère, professeur, en plein divorce car son mari la trompe avec une étudiante et ne veut pas revenir. On rit à certains mots, mais un malaise dans le ventre, et l’on sent la catastrophe venir du ventre de la mère où personne n’a la force de frapper. Le vieille dame cacochyme mais toujours aussi mauvaise se retrouve seule survivante du naufrage après avoir brisé une à une les vies de ses proches.
“Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?” (Giraudoux). Et l’aurore s’est levée pour moi sur une vraie question : à quoi cela sert-il d’être “fort” si c’est pour provoquer de tels désastre. Finalement, se laisser porter n’est peut-être pas plus simple, plus lâche et une démission, mais peut-être un passeport de survie (excuse moi Hannah, je parle dans l’oecumen, pas en politique)?