Oubli à l’italienne
Dimanche 7 juin 2009Le choix de la Film Society du Lincoln Center pour son “rendez-vous” avec les nouveaux cinémas français avait été plus que judicieux (jacquot, téchiné, varda, fontaine etc.., certains pas encore sortis en France). Aussi me suis-je dit que son frère italien “Open Roads” serait encore plus intéressant (surtout qu’il n’est pas sûr que ces film sortent en France) Depuis jeudi je suis donc enfin à nouveau dans le noir à voir défiler des images.
Galantuomini d’Edoardo Winspeare m’a fait voyager dans les paysages sauvages de la région de Salenta, autour de Lecce, avec une classique histoire de Mafia un peu épicée par un beau personnage de femme (jouée par l’irradiante Donatella Finocchiaro). Bref de beaux paysages autour du juge, de la mafiosa, et de beaucoup de drogue et pas mal de sang.
Plus viscontien et psychologiquement titillant “Sono Viva” (je suis vivante) de Dino Gentili et Filippo Gentili raconte une nuit deveillée mortuaire mouvementée pour laquelle Rocco (le très beau Massimo de Santis qui jouait un prêtre pour Spike Lee dans Miracle à Santa Anna) est payé. La morte, blonde comme un ange dans sa robe de petite fille blanche est la fille d’un riche homme. Elle repose dans la maison de campagne de ce père, dans un lieu déserté en hiver, et exerce une étrange fascination -même froide- sur tous ceux qui l’entourent. Peu à peu tous les hommes qui l’ont aimé défilent à son chevet, avec autant d’amour qu’ils semblent avoir peu de respect pour le corps, que Rocco finit par enterrer lui-même dans la Montagne selon les vœux de la la jeune-femme.
Enfin, hier soir, je suis sortie bouleversée et pleine de gratitude de la projection de “Lecture 21”, le premier film de l’immense écrivain italien Alessandro Baricco. Le sujet du film me faisait un peu peur : le soir où Beethoven vieux, sourd et seul revient porter sa 9 e symphonie au monde. Mais connaissant Baricco, j’ai dépassé la peur du lieu commun et m’en félicite grandement.
Le film s’ouvre en fanfare vivaldienne sur un plan du dessus du cercueil -porté par quatre homme en noir- d’un violoniste (Noah Taylor) mort frigorifié avec son instrument dans la neige des alpes autrichienne en 1831. On pense immédiatement au Don Giovanni de Losey avec ce premier plan, épuré et renforcé dans sa poésie par le blanc de la neige. Suit un défilé de photos quasi-journalistique sur un professeur un peu fou, Mondrian Killroy (John Hurt) qui, lors de ses derniers cours populaires à l’université tentait de montrer à la fin des années 1990 que 141 chefs d’œuvres de l’humanité étaient en fait des créations ratées. le cours n°21, son préféré, concernait la 9e de Beethoven.
“Lecture 21” est une longue tentative de faire revivre ce fameux cours pour démontrer combien la 9e a été perçue comme démodée, lors de sa première en Vienne en 1824. Trois plans se superposent : les souvenirs des étudiants qui ont assisté au cours, dix ans après, l’arrivée du violoniste mort gelé dans un village un peu magique et très désert des alpes où les personnages mi-fellliniens, mi-kafkaiens convainquent le pauvre musicien et professeur de musique que la première de la 9 e symphonie a été un désastre (quasiment au sens de Blanchot), et sur fond noir et caravaggien, des personnages nus en perruque et maquillage XVIIIe témoignant – avec un extraordinaire accent anglais- de la fameuse soirée.
Outre la jouissance de la précision des faits, et celle d’un cinéma qui renoue avec le réalisme poétique du Visconti de la première heure, et malgré certaines maladresses visuelles (l’abus des plans de coupe noirs et blancs), “Lecture 21” est un film extrêmement fort, parce qu’il joue avec les clichés pour démontrer une thèse simple et forte. Celle-ci est mise dans la bouche de Killroy dans un dialogue avec une belle et jeune étudiante à la fin du film : la vieillesse est un naufrage. Particulièrement pour un artiste, car alors, il n’a plus accès à la beauté. Ainsi Rossini qui était brillamment léger est devenu amer vieux, tandis que Beethoven qui était puissant a laissé place à un vieux monsieur enfermé dans son malheur.
Baricco parvient à nous convaincre, que même parfaitement composée, la 9 e symphonie, était en 1824 une musique de vieil homme, y compris le coup de bluff de l’enfantin hymne à la joie, sorte de rêve simplifié plutôt que de prière. La 9e est une musique vieille et donc, malgré son génie indéniable, elles est sans beauté. Mais juste au moment où le public a envie de se révolter en pensant aux collages de Matisse ou – surtout – aux derniers quatuors de Beethoven, Killroy ajoute que parfois, rarement, un vieil homme peut à nouveau frôler la jouvence du Beau. Et selon un des critiques barrylindoniens, Beethoven y est parvenu, non dans la 9e, mais dans des œuvres “de plus petite envergure”.
La dernière scène poignante (sur laquelle le film aurait pu s’achever) montre une muse juvénile et diaphane s’approchant du violoniste seul dans la neige, encore écrasé par la révélation de la médiocrité de la 9e. Cette “nuit de décembre” a lieu sur … le Molto adagio du 15 quatuor pour cordes (un des 5 derniers donc!). Drôle, un peu étrange, érudit sans être bavard, “Lecture 21” est un ravissement. Et son final : à la fois une douleur et un soulagement.