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Une semaine de vie culturelle parisienne

Lundi 14 février 2011

Cette semaine, tout commence avec deux livres intéressants: un roman de la grande hella haasse, et le dernier Tatiana de Rosnay.

Côté expos, 4 merveilles photos à la MEP : Hervé Guibert qui m’avait tiré de grosses larmes de crocodile quand j’étais ado avec ses romans, Huet et son terrible vietnam que j’ai découvert, des collages de Prévert, et les photos froides et élégantes de Marc Trivier. Un peu déçue par Amos Gitai dans els caves du Palais de Tokyo, j’ai carrément piqué une colère à l’expo Lacroix au musée du Quai Brannly : neo-coloniale, orientaliste, sous faux couvert de gauchisme bien pensant, je dois écrire un brûlot cette semaine. Vendredi carnes exquises avec l’expo cannibale de maison rouge où j’ai retrouvé notamment les dessins d’un jeune artiste que j’aime beaucoup, Jérôme Zonder.A noter aussi, deux vernissages; pour le 20e numéro du magazine colors au Royal Monceau, et une galerie éphémère avec pièces neo-pops sur les grands boulevards.

Côté théâtre : un tramway nommé désir mis en scène par Lee Breuer m’a beaucoup fait travailler pendant 3h15, pas de sensualité, et tellement de propositions de mise en scène que je suis sortie avec la migraine, message un peu perdu, toute la presse a detesté, je ne peux pas dire que j’aie aimé, mais salue tout de même l’inventivité. Jeudi, Poulenc/Cocteau pour la voix humaine avec la vive Stephanie d’Oustrac. Samedi, une mise en scène terrible des variations goldberg de nancy huston. Première fois de ma vie que je refuse de chroniquer : petite troupe et rien à sauver pas même l’éclairage.

Côté musique, calme plat: petite chronique d’un groupe folk de saison, Valentine’s day. Et j’ai eu le plus beau cadeau de st valentin : une pile de livres érotiques classiques !!!

Et point de vue ciné, un beau film italien sur la psychose, un affreux film français sur les gitan pentecotistes, Jimmy Rivière, l’excellent “Love ranch” où Helen Mirren joue une tenancière de bordel du nevada aux côtés de joes pesci, et ce soir, puisque tout le monde m’en parlait et que j’ai reçu les dvds, j’ai organsié une projection d’une partie du documentaire de nurith aviv sur la langue hébraïque à la maison. Excellent.

En route pour une semaine, que j’espère plus calme

Heiner Müller : la foudroyante absence du père au Théâtre de l’Athénée

Vendredi 18 juin 2010

Dans le cadre du Festival Agora de l’Ircam, le théâtre de l’Athénée propose trois représentations exceptionnelles d’une pièce autobiographique et courte de Heiner Müller. Sur une musique du compositeur suisse Michael Jarrell, les percussions de Strasbourg ponctuent les bribes d’une non-relation terrifiante.

“Le mieux, c’est un père mort-né. toujours repousse l’herbe par-dessus la frontière. L’herbe doit être arrachée de nouveau et de nouveau qui pousse par-dessus la frontière.”

Tout commence par une syncope de percussions assourdissante. La confession du dramaturge allemand Heiner Müller ne peut être entendue. Pour son père, il n’a qu’un amour négatif – comme une version humaine de la théologie négative. C’est par bribes, par “ruines”, non pas au sens de Walter Benjamin mais bien au sens de celles de Berlin à l’année zéro, que l’intime de cette relation se dévoile. Müller s’exprime par découpes de souvenirs calmes et froids mais qui laissent supposer une relation terrifiante. Une père aussi dévorateur que celui de Kafka mais d’une toute autre manière. Un père envoyé au camp par les nazis car cadre du parti socialiste, mais un père qui apprend à son très jeune fils à baisser la tête pour ne pas se mettre en danger. Un père qui reprend tranquillement sa position politique de gauche après la guerre, avec un éclat usurpé qui asphyxie le fils. Un père que le fils voit dépérir à l’hôpital sans rien ressentir. Un père mort-né, une mère baleine bleue, et un fils quasiment incapable de dire “Je”.

Interprété par l’immense Gilles Privat, le fils a le flegme douloureux : une apathie de mort-vivant, digne fils de son père. Il évolue dans la sublime mise en scène de d’André Wims. Un décor tout en verticalité où les rayons du soleil gèlent et semblent se noyer dans la terre meuble et salissante. A ses côtés, dans cette froideur monumentale à la Anselm Kiefer, des fantômes se meuvent en silence. L’enfant qui n’est plus, un gigantesque ours impuissant, une danseuse-pantin qui vieillit et une femme d’un jour des années 1960, totalement intechangeable. Dans le fond, les percussions de Strasbourg et la musique électronique de Michael Jarell se dissimulent comme dans une fosse. Ils expriment la violence des non-dits du texte, laissant à peine la confession des ruines filtrer. Les trois seuls caractères colorés sont les chanteuses, habillées en flapper jaune poussin avec un bonnet marin tout brechtien. Mais le timbre clair de leur voix vient répeter pour les déformer les propos du fils. Comme des moires vengeuses ou un tribunal d’Erynies. Mais l’Oreste héros de la pièce de Müller n’est pas parricide – encore moins matricide. Le sang et la terre sur ses mains, c’est l’absence de passion; une indifférence mortifère et sublime qui touchera même ceux et celles qui peuvent rester un peu rétifs aux flux bruyants et aux chuchotements perçants de la musique de Jarrell.

“Le Père”, d’Heiner Müller, musique : Michael Jarrel, intérprétation : Les percussions de strasbourg, chanteuses : Suzanne Leitz-Lorey, Truike van der Poel et Raminta Babickalte, musique éléctronique : IRCAM, mise en scène André Wilms, avec Gilles Privat, Théâtre de l’Athénée, 7 rue Boudreau, Paris 9e, m° Opéra, RER Auber, les 17, 18, 19 juin 2010, 20h, 13 à 30 euros (tarif jeune -30 ans à partir de 6,50 euros).

Photos : Monika Rittershaus

Opéra : Dans la colonie pénitentiaire de Philip Glass à l’Athénée

Jeudi 8 avril 2010

Après “The Rake’s progress” d’Igor Stravinsky en novembre dernier, le théâtre de l’Athénée propose un autre opéra au livret littéraire : “Dans la colonie pénitentiaire” est une nouvelle de Franz Kafka, mise en musique par le grand Philip Glass et interprété par leQuintette à cordes de l’Opéra national de Lyon. Le résultat est un vrai spectacle total, d’une grande qualité musicale, avec danse, jeu, et une mise en scène convaincante signée Richard Brunel.

Réfléchir sur discipline est à la mode. Hier soir la machine de torture de la colonie pénitentiaire  imaginée par Franz Kafka en 1914 s’est déplacée du musée d’Orsay où elle trône dans l’exposition “Crime et Châtiment”, pour se mettre en mouvement au son des vents polyphoniques de Philip Glass. Et Robert Badinter, à l’origine de l’exposition à Orsay était dans la salle du théâtre Louis Jouvet pour assister à  la première de cette métamorphose. Gommant le fantatsique de l’inquiétante et étrange nouvelle de Kafka pour en donner une lecture proprement politique Glass, Brunel et le librettiste Rudolph Wurlitzer ont mis l’accent sur la neutralité coupable du visiteur de la colonie pénitentiaire. Respectant le tragique “en temps réel” de la nouvelle, l’opéra de chambre recentre la tension sur la cauchemardesque machine de punition inscrivant à la herse et dans le dos de condamnés qui ne savent pas qu’ils ont été jugés ni pourquoi le motif de leur punition. Faisant le lien entre le système de surveillance (les fameuses “sangles” qui tiennent les membres des suppliciés pendant les heures) et le système de biopouvoir totalisant (qui a prise directement sur les corps), cette machine donne à l’injustice l’idéologie (selon Hannah Arendt étymologiquement : la logique d’une idée) qui convient pour que tous l’acceptent même si plus personne ne festoie au spectacle de la machine en marche, comme cela a pu être le cas dans des temps barbares et passés.

En marche la machine de l’opéra l’est tout au long des 16 tableaux composés par Glass: l’orchestre d’instruments à vents se déplace et la machine se construit peu à peu dans une tension presque intenable et envahit toute la scène. Des lambeaux de peau viennent à peine s’interposer entre la torture et le spectateur pour mieux le laisser imaginer la cruauté. Et pourtant, que la cruauté est belle dans ce mouvement inexorable! la musique tonale de Glass, les scènes de danse entre les victimes et les bourreaux, les tours et détours mesurés de la machine, l’anglais si propre des colonisateurs et du visiteur et même le sang final se répandant en volutes viennent envoûter et fasciner le spectateur. Seuls quelques cris et des bruits de radio viennent le déloger de cette douce torpeur au cœur des ténèbres. Les deux voix d’hommes qui se répondent, celle chaude et grave de l’officier et son souci de préservation de la “tradition” (Stephen Owen) et celle plus haute et étonnée du visiteur immaculé qui prend calmement ses notes (Michael Smallwood) participent de cette inquiétante étrangeté du beau là où l’on attend le bruit et la fureur.

On ne peut que saluer bien bas toute l’équipe de cette colonie pénitentiaire pour la qualité exceptionnelle du spectacle, et la gêne qu’elle parvient à créer. Une gêne qui pousse celui qui ne peut pas fuir à longuement réfléchir.

“Dans la Colonie pénitentiaire”, de Philip Glass, livret de Rudolph Wurlitzer d’après la nouvelle de Franz Kafka, mise en scène Richard Brunel, direction du Quintette à cordes de l’Opéra national de Lyon : Philippe Forget, scénographie Anouk Dell’Aiera, avec Stephen Owen, Michael Smallwood, Nicolas Henault, Mathieu Morin-Lebot, Gérald Robert-Tissot, jusqu’au 17 avril, mercredi, jeudi, samedi, 20h, mardi 13 avril, 19h, dimanche 11 avril, 16h, Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, 7 rue Boudreau, Paris 9e, m° Opéra, 40 € à 18 € (TR dont moins de 30 ans, 31 € à 14 € e le jour même, de 20 € à 9 €).

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.