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Roman : Anges, de Julie Grelley

Mercredi 13 janvier 2010

Premier roman d’une auteure qui n’a pas froid aux yeux (ni au clavier), “Anges” de Julie Grelley nous plonge dans le fort intérieur plus qu’étrange d’une jeune-femme qui pousse la recherche de pureté jusqu’au crime. Un des opus les plus intéressants de cette rentrée de janvier chez Albin Michel.

angesA 33 ans, Colline Lelègue est en liberté conditionnelle. Elle travaille dans un magasin d’outils dans un bled de Normandie, et poursuit assidument un programme d’enlaidissement volontaires. Ex-mannequin vedette de la fin des années 1980, et ancienne blonde aux yeux bleus sylphide, coqueluche de l’agence élite, elle s’est cassé le nez, teint les cheveux en brun, porte des lentilles marrons et suit un régime alimentaire à base de sachets protéines et de sucre qui la font peser 120 kilos. Que s’est-il passé pour qu’elle finisse en prison? Et quel est l’objectif de sa petite vie en apparence bien rangée? En quête de pureté et extrêmement religieuse, Colline cherche un ange … et estime que les voix de Dieu sont souvent sanglantes…

Julie Grelley nous invite à entrer dans l’univers d’un monstre pour mieux le comprendre. Sur le fond, aucun tabou n’arrête l’auteure qui présente les actions les plus noires avec constance et sobriété. Sur le forme, le style d'”anges” réussit à faire entrer son lecteur dans le délire psychotique de Colline sans pour autant perdre en clarté. Pas de festin nu de méandres verbeux à la “factory parano“, ou de flux de conscience contradictoires et compliqués. Aspirant à la pureté, la folie de Colline est aimantée dans une seule direction que la plume de Julie Grelley suit consciencieusement. Du point de vue de la structure du roman, même limpidité : après quelques chapitres d’exposition, le roman alterne description de la vie présente de Colline et flash backs, qui permettent au suspense de monter efficacement pendant les 2/3 du livre avant d’assister à la mise en place du dernier plan follement bien organisé de l’ancienne top model.

Julie Grelley, “Anges”, Albin Michel, 186 p., 15 euros, sortie le 7 janvier 2010.

Sur la digue, Colline se promène en regardant la mer, seule au monde au milieu des vacanciers. Méditant sur le verset de la Bible que le Christ m’avait signifié. Il fallait qu’elle pardonne à David d’avoir trahi Michelle. Il fallait qu’elle pardonne à David de s’être enfui loin de Michelle avec la peur au fond des yeux. Et Colline implorant l’aide du Christ pour qu’il m’aide à pardonner. Et Michelle plaidant soudainement la cause de David! Et Lynn faisant remarquer à Colline que Michelle avait tout intérêt à défendre David car même si elle jouait les victimes c’est moi qui avait été trahie et non pas elle. Éprouvant soudain une jalousie féroce envers Michelle, Colline décide d’écourter la promenade pour retourner à l’hôtel et lui infliger le châtiment corporel bien mérité pour la punir d’avoir elle aussi trahi ma confiance en essayant des séduire David dans mon dos.” p. 120.

Livres : les bonnes nouvelles d’un jeune canadien en colère

Dimanche 22 novembre 2009

Encensé par des critiques aussi pointilleux que Joyce Carol Oates et Joseph Boyden, le jeune auteur canadien Nathan Sellyn frappe fort avec son recueil de nouvelles : « Les caractéristiques de l’espèce ». Une comédie humaine très noire, où la violence se tapit parfois là où on l’attend le moins.

Un homme qui se venge d’un dealer dont les produits ont tué une ravissante jeune-fille, un époux aussi amoureux qu’agressif, un jeune handicapé portant un casque, un homosexuel à peine sorti du placard, un couple qui s’est raté et se revoit, un employé témoin du suicide d’un client chez home dépôt, un trentenaire fréquentant les bars de strip-tease, un couple brisé par une soirée d’échangisme, un nouveau père très lâche, des secrets de famille, et enfin une fiancée qui décide de poursuivre jusqu’au bout un jeu de télé-réalité sont les sujets très actuels de recueil de nouvelles de Nathan Sellyn. L’auteur éclaire dans la nature humaine tout ce qu’elle a de mesquin, de 7 à 77 ans, et montre comment nos sociétés encouragent souvent de manière feutrée une violence quasi-biologique. Même si certains personnages demeurent attachants (le mari trompé, l’homo tabassé etc…) le lecteur sort de la traversée des narrations de Sellyn convaincu que la « civilisation des mœurs » et le politiquement correct ne sont qu’un vernis, d’autant plus hypocrites qu’ils nous font oublier combien l’humain, est, jusque dans son suicide, un animal qui griffe, mort et tue quand il se sent en danger. Mêlant l’universel de la poésie et de l’observation juste, à la précision de la critique sociale, Sellyn est en effet un grand auteur désenchanté.

Nathan Sellyn, “Les caractéristiques de l’espèce, nouvelles”, trad. Judith Roze, Albin Michel, Collection « Terres d’Amérique », 17 euros.

Roman : Le coiffeur, la maîtresse et son mari gay

Vendredi 20 février 2009

Le traducteur lusophone d’Antonio Lobo Antunes publie son deuxième roman en Français chez Albin Michel. Après avoir ausculté le parcours difficile d’une fille d’immigrés portugais dans « Poulailler » (2005), il enquête à plusieurs voix sur le ménage à trois atypique. Sortie le 5 mars.

Léo est coiffeur, jeune, et hétérosexuel. Séduit par les cheveux et l’allure de Mona, une de ses clientes plus âgée que lui et qui demande invariablement une fois par mois la même coupe de cheveux classique sans y mettre de chichis, il est incroyablement heureux le jour où elle s’offre résolument à lui. Mais malgré leurs prouesses sexuelles, il n’y a rien de maternel ou d’attaché chez Mona qui traite son amant comme un domestique, alors qu’elle est profondément amoureuse de son mari. Or celui-ci est homosexuel et profondément incapable de lui rendre son amour. Après un bref moment d’euphorie, l’adultère accepté par le mari (qui se son côté s’envoie en l’air avec le poissonnier) tourne au glauque. Et la victime de ce drame banal et répétitif n’est peut-être pas celle que l’on croit.

Dans le roman de Carlos Batista, les trois protagonistes de l’adultère s’expriment : d’abord Léo, puis Mona, et enfin, Pierre, le mari. A la légèreté faussement ingénue du jeune coiffeur, s’opposent le désordre amoureux de la femme repoussée et le cynisme malheureux de l’homme mur, encore et toujours incapable d’assumer ses désirs en société. Faire sonner juste ses trois voix divergentes et intriquées est une prouesse en soi, encore relevée par l’intime compréhension du personnage central et touchant qu’est Mona. Rien de très nouveau sous le soleil du trio éternellement bourgeois, mais la douleur de la femme est profonde et émouvante.

Carlos Batista, L’envers amoureux, Albin Michel, 240 p., 15, 20 euros.

« Peut-être est-il dans mon destin de ne me réaliser qu’à demi. Tout est tronqué en moi : ma façon d’être aussi bien que ma façon d’écrire. Une femme en fragments. Au fond, je crains d’être faite pour ne réussir rien, ni pour progresser dans ma carrière professionnelle, ni pour fonder une famille. Tout me paraît vaciller, et l’indécis m’envelopper jusqu’à l’indécis. Je suis sans racines, sans énergie vitale ; je n’ai pas trouvé mon point d’équilibre, et je ne m’inspire aucune confiance. L’aigreur que j’éprouve quelquefois est comme une rancune contre la vie, que je sens m’échapper et qui ne m’apportera pas ce qu’elle apporte à d’autres.» pp. 103-104.