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Nancy Huston, Infrarouge : rencontre le 10 juin à la librairie l’arbre à lettres

Lundi 7 juin 2010

L’auteure de « Journal de la création » (1990) et de « Lignes de faille » (Prix fémina 2006) a publié son dernier roman très attendu chez Actes Sud, le mois dernier. Un voyage familial en Toscane est l’occasion pour la photographe quadragénaire Rena Greenblatt de revenir sur son passé et sur sa profession de photographe. Sensuel, féministe, et aussi bien construit que les précédents livres, « Infrarouge » se dévore d’une traite.

Photographe reconnue, d’origine canadienne et vivant en France, Rena Greenblatt est une femme moderne, indépendante et sensuelle, qui s’apprète à épouse un quatrième mari bien plus jeune qu’elle quand elle entreprend un voyage avec son père et sa belle-mère en Toscane. Troublée par le vieillissement subit du scientifique spécialiste du cerveau humain qui était son héros d’enfance, et très ennuyée par les simagrées de sa belle-mère à l’intellect un peu simple, Rena ronge son frein et fait semblant d’être une touriste ordinaire en leur compagnie. Le temps libre et les rêves tourmentés qu’elle fait dans sa chambre d’hôtel solitaire lui permettent de revenir sur sa vie : son amie imaginaire, Subra, son modèle, Diane Arbus, qui l’emporte haut la main face aux influences de Araki et Lee Miller, sa meilleure amie actuelle, Kerstin, et aussi ses rapports difficiles avec son frère et sa mère, morte à 37 ans après une tragédie familiale dans laquelle Rena était partie prenante. Elle revient également sur la liberté de ses fantasmes et de ses désirs, ainsi que son identité de femme, de mère et de « demi » juive. Enfin, elle évoque ses grandes séries de photos passées, une sur les enfants de femme prostituées, et une autre sur des hommes dont elle a essayé de percer le secret, bien souvent au lit, son appareil photo toujours collé à son corps frémissant.

La force de Nancy Huston n’est pas seulement  son style, ni ses références agréables, ni même ses idées féministes, fraiches et nettes, mais inchangées depuis les années 1970. La recette de son succès vient de la structure simple et efficace de ses romans. Etalé sur huit jours qu’on relie facilement aux huit cercles de l’enfer de Dante que l’héroïne est en train de lire, « infrarouge », s’enfonce progressivement dans les dédales d’un passé souvent obscur pour éclairer les douleurs familiales et personnelles, ainsi que les culpabilités qui ont fait du personnage principal la femme forte et libre qu’elle est. Mais cette liberté se paie chère, et quand certains secrets enfouis refont surface, Rena se sent obligée d’aller jusqu’au bout de cette enquête, auprès de son père, et perd amant, travail et légèreté. Les nuances psychologiques sont des trésors que Huston cache derrière son écriture claire et harponnent la lectrice ou le lecteur jusqu’à la dernière ligne…

Nancy Huston, « Infrarouge », Actes Sud, 309 p., 21,80 euros, sortie le 5 mai 2010.

Nancy Huston rencontrera ses lecteurs le 10 juin à 19h à la librairie l’arbre à lettres, 2 rue edouard Quenu, Paris 5e, m° Monge.

Un musicien dans les sous-sols de Berlin

Jeudi 8 avril 2010

Spécialiste des destins emblêmatiques, l’écrivaine alemande Marie-Luise Scherer brosse le portrait d’un accordéoniste que la chute du mur pousse sur les routes d’Europe entre deux points fixes : Essentouki et Berlin. Une belle aventure humaine publiée en Français par Actes Sud.

A la fin de l’ère soviétique, l’irruption de l’économie de marché en Georgie met l’accordéoniste Kolenko au chômage : plus personne n’a le temps de payer un peu de musique. Il quitte sond sa jolie femme pour tenter sa chance à Berlin. De quais de métro en cimetières, il parvient à conquérir un certain public, ses accents russes et son nom de scène “Karpov” parlant à un public dont l'”ostalgie” croît à mesure que les années 1990 avancent. Mais  trouver un toît est souvent difficile et si départager l’artiste du mendiant n’est pas toujours évident pour le public berlinois. Qui plus est, les visas s’épuisent vite et Kolenko retourne souvent au pays, y apportant des tonnes de vêtements généreusement donnés et pas mal d’argent. A chaque fois, il lui fait retrouver un “tuteur” qui l’invite à nouveau à Berlin pour revenir y gagner sa vie, et traverser toute l’europe de l’est dans des trains interminables où il rencontre une foule de personnages déchus ou avides, tous plus colorés les uns que les autres. La course se termine sur le mariage de son fils et la relève des générations futures. Marie-Luise Scherer livre un roman très humain (écrit en 2003), aux qualités documentaires incontestables et que tous les amoureux de l’est liront avec délectation.

Marie-Luise Scherer, “L’Acordéoniste”, trad. Anne Weber, Actes Sud, 155 p. , 18 euros.

A peine la musique l’avait-elle attirée dans le tunnel que son besoin d’agir thérapeutique s’intensifia au point qu’elle se sentit pousser des ailes. Tombant sur cet homme qui avait l’air complétement ailleurs, elle dit : ‘C’est chouette, ta façon de jouer’. En effet, Kolenko jouait sans aucune de ces mimiques accrocheuses qui, dans son métier, attirent le public. Il souriait sans regarder personne, même lorsqu’une pièce tombait. Mme Machate saisit d’emblée, en lisant la pancarte en carton, ce qui le poussait à une telle retenue en faisant de la musique. Il voulait éviter par là qu’on amalgame son art et sa recherche d’un logement, qui ressemblait à celle d’un mendiant.” p. 21.

Les voix des traders en rade

Mardi 6 avril 2010

Mathieu Larnaudie, l’auteur de “Strangulation” (Gallimard, 2008) sort chez Actes Sud un roman qui se veut la caisse de résonnance des longs sanglots des “acteurs” principaux de la grande crise banquière et financière de l’automne 2008. Un roman exigeant, dont le style quasi-précieux coupe souvent tout souffle, à propos, et parvient à rendre compte de manière neutre et pourtant interne des longs sanglots des “effondrés” : ceux ont vu à un âge avancé leur monde de chiffres de de bling bling plus ou moins racés prendre fin.

En 24 chapitres, Mathieu Larnaudie attribue une parole intime sur la crise à quelques uns des principaux décideurs politiques et financiers qui ont vécu de l’intérieur la crise de l’automne 2008. Le lecteur reconnaîtra (ou non) madoff, Sarkozy, Merkel, Greenspan, le patron de Lehman’s Brothers la sacrifiée, ainsi que le PDG très classe d’UBS, et deux hommes d’influence qui se sont suicidés à cause de la crise. Il y a aussi un mystérieux milliardaire suisse, qui dans son anonymat conservé fait figure de “vrai témoin”.

Ayant vécu à New-York, Mathieur Larnaudie rend parfaitement compte du climat d’octobre 2008 à Wall Street. Il estime que son “texte fonctionne comme une cupe, au sens géologique du terme, une sorte de traversée, de long glissement en spirale  [dans les profondeurs] de ceux ] qui sont devenus les véritables figures de la représentation de la crise dans l’imaginaire collectif”. Beau et froid comme du granit, ce texte fige, entre deux strates d’intimité, le témoignage de ceux qui ont vu leur monde s’autodétruire avec un détachement cruel. Ceux qui adhérent aux phrases d’une page de l’auteur, entrecoupées de plusiuers parenthèses, et suffocant physiquement le lecteur, adoreront “Les effondrés”. Pour sa précision autant que pour sa concision. En revanche certains se trouveront pris d’une profonde crise de claustrophobie dans ce texte serré comme un noeud coulant autour du cou d’un condamné, et qui ne laisse aucune place à l’anecdote gratuite ou à l’humour. Précieux et pédant, Larnaudie peut se permettre de l’être car il a indéniablement un style. Et un sujet très fort. Qu’il parvient – et c’est encore plus fort- à traiter avec les sens mais sans aucune sensiblerie – voire aucune sensibilité.

Mathieu Larnaudie, “Les effondrés”, Actes Sud, 179 p. 18 euros, sortie le 7 avril 2010.

“… l’on avait pu prétendre que, maintenant que l’on avait su dire adieu au vieux fantôme  historial, le temps universel devrait, indéfiniment, se régler sur celui de l’échange, de la seule administration du mouvement des capitaux et de la marchandise, c’est-à-dire où l’on pensait qu’il était bon que le terme “Histoire” n’eût plus cours autrement que pour désigner les menues inflexions qui orientaient les humeurs du marché, les fluctuations de l’économie mondiale, lesquelles avaient, précisément, pour principe de permettre que des monstres comme celle-ci devinssent la propriété d’une caste d’individus remarquables – ceux, probablement, ainsi que l’on put l’entendre prononcer un jour  à un célèbre publicitaire se flattant de compter parmi eux, qui avaient “réussi leur vie”- et de garantir qu’elles le fussent; mais bien plutôt une représentation stylisée de l’instant soudain où (de l’heure à laquelle) s’était constituée cette scène globale, nébuleuse et simultanée, cet accident planétaire dont le mot “crise” était le nom…”p. 73

La douce mélancolie de l’illusionniste

Mardi 6 avril 2010

Après avoir vendu plus d’un million de copies des “Arpenteurs du monde” traduit en 40 langue, le Wunderkind des lettres allemandes, Daniel Kehlmann est de retour chez Actes Sud avec la réédition de son roman d’apprentissage  “La nuit de l’illusioniste” et la sortie en poches de “Gloire”, dont l’intrigue se compose de 9 histoires. Petite plongée dans la prose douce-amère de Kehlman à travers le premier de ces deux opus qui paraît le 7 avril 2010.

Lorsque sa mère adoptive meurt frappée par la foudre, Arthur Beerholm prend soudain conscience de l’absurde de la vie et de l’absurdité de la mémoire. Resté seul face à face avec son père adoptif à qui il n’a rien à dire, surtout après que celui-ci a épousé sa ravissante et méchante jeune nounou, Arthur part en pensionnat puis décide de faire des études de théologie, qu’il finit par interrompre après un séjour traumatisant dans une retraite où les moines font voeu de silence. Entretemps, l’ancien élève très doué en mathématiques a rencontré les cartes et leur magie. Il décide de pousser l’art de l’illusion jusqu’à un niveai métaphysique qui lui était resté inaccessible par la voie de Dieu. Avec l’aide d’un très grand magicien, il se lance dans une course à l’excellence qui lui amène la gloire, mais pas vraiment de réponse à ses questions…

Amer, désenchanté et néanmoins profondément poétique dans la capture de l’instant, “La nuit de l’illusionniste” se dévore comme un fruit qui doit se manger encore vert. Daniel Kehlmann renouvelle le roman d’apprentissage désenchanté en alliant le manque de repères et un style légèrement surrané qui accroche le temps et le souvenir. Il parvient à rendre un héros dont le malheur n’est pas vraiment sympathique très fascinant, tout en ménageant une grand marge de détachement au lecteur. Un très beau roman.

Daniel Kehlmann, “La nuit de l’Illusionniste”, trad. Juliette Aubert, Actes Sud, 175 p., 17,80 euros.

C’était l’un des derniers jours d’août, et même ce jour précis où l’on sent à une subtile pesanteur magnétique que quelque chose va bientôt finir. Tout est encore en fleurs, les guêpes et les coccinelles s’agitent, mais à tout cela se mêle un indéfinissable malaise. Chaque année tient cette journée en réserve, et soudain elle est là et on ne sait pas ni d’où elle vient ni pourquoi elle tombe justement aujourd’hui. Voilà sans doute une des raisons pour lesquelles j’étais si pressé de partir et m’en allai sans me retourner et sans tenter de dire à Beerholm ce que j’aurais du lui dire. Si j’avais su que je ne devais jamais plus le revoir, que c’était la dernière occasion, est-ce que j’aurais essayé? Qu’est-ce que j’en sais! S’il y a une chose qui peut conduire l’homme au bord de la folie, c’est bien l’idée que certains évènements ne se rattrappent jamais, que des occasions passent et ne reviennent plus, jusqu’au moment où ce grand cosmos pétri d’étoiles se résoudra en lumière. Si au moins je m’étais retourné…! Je sais très bien que ma mémoire aurait conservé cette dernière image de Beerholm, debout dans l’embrasure de la porte (a-t-il fait un geste de la main? non, pas Beerholm). j’ai bien sûr beaucoup d’images de lui, mais c’est justement celle-ci, la plus importante, qui me manque. ma collection est icomplète et elle le restera.” p. 45

Le sérieux des nuages, de Denis Baldwin-Beneich

Mardi 5 janvier 2010

Co-auteur du thriller « Softwar » (R Laffont, 1984), l’écrivain français exilé aux Etats-Unis propose son sixième roman dans la série « rentrée littéraire de janvier » d’Actes Sud. Voyage dans le passé d’un homme au milieu de sa vie, le sérieux des nuages se demande avec ironie s’il est possible de revenir en arrière pour réparer ses erreurs…

serieuxMaxime Odradek a gentiment dépassé la cinquantaine et vit fort heureux et fort cultivé de son métier de professeur. Sa vie prend un nouveau tour le jour où une amie d’enfance, Diane, l’invite à une fête en l’honneur d’un professeur qui a marqué leurs jeunes années. Extrêmement huppée, Diane reçoit depuis toujours comme une grande dame tous ses amis au domaine de Valmondois. L’on y boit des grands crus et l’on y profite de la vie, le sexe étant une chose avérée, et l’amour un sentiment inconnu au bataillon depuis au moins 1968. Mais cette vie de château avait cessé pour Maxime, Diane et les autres, le jour où la plus sauvage et la plus nymphe d’entre eux s’était suicidée. Lorsque Maxime retourne à Valmondois, cela fait donc plus de 20 ans qu’il n’a pas vu ni Diane, ni ses amis de jeunesse. Ceux-ci ont vieilli, accepté des jobs ennuyeux, et ont raté avec passion leur vie de couple, mais dans le fond, ils n’ont pas vraiment changé, et cette petite soirée aurait mortellement ennuyé Maxime s’il n’y avait croisé une de ses anciennes étudiantes qu’il avait follement aimé, 17 ans auparavant pour la quitter sans explication… Entretemps, Marthe est devenue femme et artiste et est assez intimidante…

Un soupçon d’ironie et de satire sociale, un grande cuillerée d’autodérision et une pincée de surréalisme à la Alain Fournier font tout le sel de ce roman à l’intrigue et aux personnages somme toutes banals et qui tient en haleine par son atmosphère à la fois décadente et dérangeante.

« Le sérieux des nuages », de Denis Baldwin-Beneich, Actes Sud, 20 euros, sortie le 6 janvier.

« Les jolies filles, les femmes murissantes, les frissons, les souvenirs guets-apens, les Valmondois et les j’en passe, c’est compliqué, toujours. Sur le coup, on ne s’en sort pas. Après non plus, remarquez. Enfin, je ne crois pas. La faute à cet émoi global qui fait battre le cœur, brouille la vue et nous remet en selle, malades à crever, pour d’autres épreuves » p. 41

Livre : Pencher pour, de Cécile Reyboz

Mardi 5 janvier 2010

L’auteure de « Chansons pour bestioles » (Prix Lilas 2008), propose dans cette rentrée littéraire actes sud de janvier 2010 un conte contemporain machiste. Elle fait d’un cadre française moyen le héros de sa joyeuse satire sociale…

reybozLazor Hilaire est un homme de loi, dans la fleur de l’âge, et un bon français moyen avec parents pesants, fantasmes érotiques obsédants et volonté de s’imposer le minimum de contraintes… Un français moyen qui a les moyens, donc… Mais pas forcément ceux d’assister à l’euthanasie du chien familial ou de décrocher une relation durable (et loin de sa baie vitrée) avec la plus sexy des avocates qu’il connaît.

Moderne, voire postmoderne, et très drôle, le roman de Cécile Reyboz dresse en 5 jours et 6 nuits (le 7 e on se repose quand même) un portrait au vitriol de notre 21ème siècle allergique à tout ce qui n’est gain, ni plaisir. Et l’auteure relève d’un style fougueux et agréablement imagé cette satire sociale. Que l’alarme soit masquée par l’humour n’empêche pas de repérer où est la poignée de la sonnette qu’il faudrait tirer.

Cécile Reyboz, « Pencher pour », Actes Sud, 18 euros, sortie le 6 janvier.

« Le clic de fin de communication sonne comme un soupir de débarras. Lazor estime qu’il a reçu une confirmation : il n’est que le type qui tient sa place. Même s’il rencontre beaucoup de difficultés à tenir cette position indescriptible, mal localisée, à l’utilité discutable, chacun sait qu’on peut le trouver là et personne ne l’imagine s’en écarter, pas d’un seul mètre. C’est même tout ce qu’on peut dire de lui » p. 30

Tirza, une paternité existentielle

Samedi 19 septembre 2009

Paru en 2006 aux Pays-Bas, le roman « Tirza », du jeune, prolifique et génial Arnon Grunberg est enfin disponible aux éditions Actes Sud. Une enquête psychologique et ironique sur la passion paternelle d’un bourgeois qui est passé à côté de sa vie.

tirzaJörgen Hofmeester a enfin trouvé la paix une fois la cinquantaine passée. Sa femme ayant disparu depuis trois ans pour rejoindre son premier amour sur une barque, et sa fille aînée ayant décidé d’aller vivre dans une ferme en France, il est seul à la maison où il cuisine avec précision pour le grand amour de sa vie : sa fille Tirza, 18 ans, en Terminale dans un bon lycée d’Amsterdam. Mais après le bac Tirza doit partir avec son petit ami en Afrique. Hofmeester se lance alors casseroles et âme dans l’organisation de la fête que Tirza doit donner avant son départ. Mais quelques jours avant l’échéance, sa femme refait une apparition.

Concentré sur quelques semaines de la vie d’un homme médiocre et vieillissant de la bourgeoisie amstellodamoise, Tirza cache mal derrière les piques d’ironies, qui sont la griffe de Grunberg, une profonde mélancolie. Jamais ,au grand jamais, ce père Goriot contemporain qu’est Hofmeester ne touche au sublime. Une fois tués Dieu, l’amour romantique et les rêves jamais réalisés de devenir un éditeur qui compte, le héros demeure un personnage encore plus vide que sa vie. Une vie faite de convenances (avoir un bel appartement, continuer à partir le matin avec son attaché-case même sans travail à effectuer, ne pas mettre sa femme dehors quand elle revient même si elle n’évoque que du dégoût), d’incompréhension sur un monde entrain de changer physiquement dans le corps de ses filles devenant des femmes, et de références culturelles désormais ineptes. Les quelques qualités et réalisations de Hofmeester sont répétées jusqu’à se faner : son doctorat en lettres allemandes, son goût pour la littérature russe, ses performances récente en cuisine, et une certaine ascension sociale matérialisée par la maison avec un joli jardin située dans un beau quartier d’Amsterdam.

Mais l’homme demeure vieux, résigné, et apathique. Voir antipathique quand il couche avec une amie de sa fille, bat sa femme, s’envoie en l’air avec la bonne ghanéenne, et se trouve plus préoccupé par son propre désir lâche et inabouti de disparaître que par la profonde misère humaine qui devrait le toucher, lors du voyage qu’il entreprend en Afrique, loin de ses repères familiers, et sur les pas de sa fille. Grunberg est d’autant plus convainquant dans ce constat de médiocrité qu’il ne passe à son héros aucun détail sur les contingences.

Dans la grande tradition du roman psychologique européen qui va de Madame de Lafayette à Stefan Zweig ou Franz Werfel, “Tirza” met un homme à nu dans un texte parfaitement maîtrisé. Mais là où il n’y a pas de cœur, il ne peut y avoir sa destruction, juste soulèvement de celui d’un lecteur plongé en apnée dans le sordide. Et là où il n’y a pas d’âme, ou une simple humanité de regrets, il ne peut y avoir de pardon, mais juste le portrait sadique d’un naufrage annoncé. Rien ne vient rédimer Hofmeester de son avidité, de son égoïsme et de son racisme de bon hollandais. Pas même l’amour disproportionné qu’il porte à sa fille cadette qui semble ne pas valoir beaucoup plus que lui. 430 pages avec un moi haïssable est une épreuve que le style de Grunberg – et son plaisir à remuer la fange- ne parviennent pas cette fois-ci à rendre supportable. Peut-être une fois encore en avance sur son temps, ou peut-être simplement coincé dans le désenchantement de sa génération, Grunberg livre une fable sans morale. Son roman provoque un dégoût infertile, car il ne suscite pas la révolte. Juste l’enfermement dans une empathie tranquille pour la médiocrité de l’homme blanc. Et l’on se prend à regretter les saillies un peu folles de “Douleur fantôme” (Omnibus, 2003) et du “Messie Juif” (Eho, 2006) où le désordre et l’hystérie laissaient un peu de place à l’espoir d’une vie qui puisse changer.

Arnon Grunberg, “Tirza”, Trad. Isabelle Rosselin, Actes Sud, 23,80 euros.

« Je ne suis personne, dit-il. J’avais un ego surdimensionné, mais je l’ai réduit de moitié et tu as ensuite continué de le comprimer jusqu’à ce ne soit plus qu’une boulette de viande hachée. Je suis le père de Tirza et d’Ibi. Surtout cela. Voilà ce que je suis, oui, c’est cela et pas grand-chose de plus, mais aussi pas moins. Le père d’Ibi et de Tirza. Je suis père » p. 65