Milosz encore
Tandis que je prépare ma double conférence pour Prague, la semaine prochaine, je me replonge dans l’écriture de mon poète polonais favori.
Voici, sans conteste, son poème le plus habile.
RIEN DE PLUS
Il faudrait que je dise un jour
Comment j’ai changé d’opinion sur la poésie
Et pourquoi je me considère à présent
Pareil à l’un de ces artisans du Japon impérial
Qui composaient des vers sur les cerisiers en fleur,
Les chrysanthèmes et la pleine lune.
Si j’avais pu décrire comment les courtisanes vénitiennes
Avec un roseau taquinent un paon dans la cour
Et du brocart mordoré, des perles de leur ceinture,
Délivrent leurs seins lourds, si j’avais pu dépeindre
La trace rouge de la fermeture de la robe sur leur ventre
Tels que les voyait le timonier de la galère
Débarqué au matin avec son chargement d’or,
Et si, en même temps, j’avais pu trouver pour leurs os,
Au cimetière dont la mer huileuse lèche les portes,
Un mot les préservant mieux que l’unique peigne
Qui, dans la cendre sous une dalle, attend la lumière,
Alors je n’aurais jamais douté. De la matière friable
Que peut-on retenir ? Rien, si ce n’est la beauté.
Aussi doivent nous suffire les fleurs des cerisiers
Et les chrysanthèmes et la pleine lune.