Houellebecq : La Carte et le territoire, un excellent roman
Le cinquième roman de Michel Houlleebecq est encore une fois l’évènement de cette rentrée littéraire. Déjà réimprimé trois fois par Flammarion, il aurait dépassé les 200 000 ventes depuis le début du mois. Il est égalemetn sur la liste de sélection du Goncourt. Moins polémique (il a fallu aller jusqu’à chercher du copié sur Wikipedia pour tenter d’en lancer une) et plus tendre que les précédents opus, “La Carte et le territoire” est une réflexion sur la création dans laquelle Houellebecq n’oublie jamais de glisser un soupçon d’humour.
Jed Martin est un artiste minutieux et consciencieux. Il s’attache à représenter les objets et les êtres dans leur banalité lisse et belle de notre ère industrielle. Après avoir fait les beaux arts, il a poursuivi son projet d’entrée dans cette institution plusieurs années : il s’agissait de photographier des objets industriels. Puis, un jour, sur une route, en allant rendre visite à son père, il découvre avec stupeur la beauté des cartes Michelin. Lors d’une exposition collective, un œuvre de cette nouvelle série touche une des responsables de la communication de Michelin. Celle-ci s’avère également russe, belle et puissante. Elle obtient une exposition personnelle pour Jede t un joli contrat avec le n° 1 des pneus. Mais bientôt, elle droit repartir à Moscou. Les jolis mois de couple prennent fin pour Jed, qui se lance dans une nouvelle phase de son travail : repassant à la peinture, ils ‘attache à peindre tous les métiers de son temps, sans jamais mettre en valeur l’humain qui exerce une fonction. La série prend nécessairement un tournant plus autobiographique quand Jed peint son père, architecte, et tente de représenter le pape du star system de l’art contemporain : Jeff Koons. Alors que sa cote est assez bonne, son galeriste demande à Jed d’essayer d’obtenir pour son catalogue … une préface de Michel Houellebecq. Après une discussion avec son père, Jed décide d’aller rencontrer l’écrivain dans son fief irlandais. Cette rencontre est peut-être l’une des plus inspirantes de sa vie et Jed se met dans la tête de laisser tomber Koons pour faire un portrait de Houellebcq : c’est bien le portrait de l’artiste qui doit clore sa série.
“La carte et le territoire” est comme d’habitude chez Houellebecq un roman extrêmement bien écrit et chirurgical quant à l’observation sociale et psychologique des personnages qu’il met en scène. La structure du roman fonctionne parfaitement – en tout cas dans les deux premiers tiers- et on ne le lâche pas. La réflexion que Houllebecq transmet sur la création à travers ce personnage asocial, mais élégant et obstiné qu’est Jed est juste et profonde. Tout en dépeçant à la fois le milieu de l’art contemporain et le ghotta parisien, Houellebecq en profite pour avancer une analyse percutante de la création en général. Après un tel travail de décentrement, le fait qu’il apparaisse en personnage secondaire est plutôt signe de bonne santé mentale et de volonté de conserver l’humour et l’ironie dans ces domaines un peu trop sérieux. Mais Houellebecq a changé. Ce n’est pas tellement qu’il n’y a pas de partouze ou d’injures racistes dans le texte. C’est plutôt comme si on pouvait y lire une sorte d’apaisement et de tendresse pour ses frères humains. A ce titre, les quelques relations que Jed entretient sont solides et fières : s’ils ne se disent pas tout avec son père, et s’ils se comprennent peu, Jed met un point d’honneur à le sortir dîner, chaque Noël, alors que ce père a été – comme lui- un artiste mais qu’il a du y renoncer : par manque de talent et aussi pour gagner sa vie. Ce père a bien sûr été un peu absent, préoccupé par son travail, mais il a toujours été là pour Jed, après le suicide de sa mère, et pour l’encourager, à sa manière hésitante à devenir artiste. De même, la rencontre du personnage principal avec l’écrivain est un moment tendre, où personne ne fait semblant et tous deux exposent leurs faiblesses pour s’entraider. Bien sûr, ils ne se comprennent pas, mais ce n’est pas tragique, puisqu’ils s’entre-inspirent et tentent malgré tout de s’aider. Même les femmes ont des rôles doux, baignés de cette nouvelle tendresse : il y a la première maîtresse artiste à laquelle Jed repense toujours avec gratitude, et cette carrier woman russe qui le fait “arriver”, comme au 19 ème siècle, mais par amour vrai, non démenti. Bien sûr, il y a des rendez-vous manqués, des piques violentes d’ironies sur le monde des médias, de la pub, et de la police. Mais finalement tous sont attachants et s’attachent, comme dans les tableaux de Jed à remplir au mieux leur fonction. Et ce n’est pas un hasard si Houlelebecq trouve soudainement Jean-Pierre Pernault très avant-gardiste : le culte de l’authentique est moqué mais non dénoncé, dans un roman où tous les personnages finissent par ré-emménager dans la maison de leur parents ou de leurs grands parents, quelque part où la carte marque à peine le territoire, dans la Creuse où ailleurs. Ce désir de retour aux origines semble être la matrice commune, qui permet enfin à l’empathie résignée de dépasser la lumière glauque de bureau avec laquelle Houellebecq nous rejouait, à chaque roman, toute l’école de Francfort.
Michel Houellebecq, “La Carte et le territoire”, Flammarion, 450 pages, 22 euros.
“On peut toujours, lui avait dit Houellebecq lorsqu’il avait évoqué sa carrière romanesque, prendre des notes, essayer d’aligner les phrases; mais pour se lancer dans l’écriture d’un roman il faut attendre que tout cela devienne compact, irréfutable, il faut attendre l’apparition d’un authentique noyau de nécessité. On ne décide jamais soi-même de l’écriture d’un livre, avait-il ajouté; un livre, selon lui, c’était comme un bloc de béton qui se décide à prendre, et les possibilités d’action de l’auteur se limitaient au fait d’être là, et d’attendre, dans une inaction angoissante, que le processus démarre de lui-même.” p.254.
Tags: bonne surprise, rentrée littéraire
28 septembre 2010 à 22:33
“Chirurgical” est vraiment le terme parfait pour le définir, comme d’autres avant lui – je pense notamment à Flaubert.
Quant à l’extrait que tu produis, il est rayonnant !
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