Archive pour septembre 2010

Houellebecq : La Carte et le territoire, un excellent roman

Lundi 27 septembre 2010

Le cinquième roman de Michel Houlleebecq est encore une fois l’évènement de cette rentrée littéraire. Déjà réimprimé trois fois par Flammarion, il aurait dépassé les 200 000 ventes depuis le début du mois. Il est égalemetn sur la liste de sélection du Goncourt. Moins polémique (il a fallu aller jusqu’à chercher du copié sur Wikipedia pour tenter d’en lancer une) et plus tendre que les précédents opus, “La Carte et le territoire” est une réflexion sur la création dans laquelle Houellebecq n’oublie jamais de glisser un soupçon d’humour.

Jed Martin est un artiste minutieux et consciencieux. Il s’attache à représenter les objets et les êtres dans leur banalité lisse et belle de notre ère industrielle. Après avoir fait les beaux arts, il a poursuivi son projet d’entrée dans cette institution plusieurs années : il s’agissait de photographier des objets industriels. Puis, un jour, sur une route, en allant rendre visite à son père, il découvre avec stupeur la beauté des cartes Michelin. Lors d’une exposition collective, un œuvre de cette nouvelle série touche une des responsables de la communication de Michelin. Celle-ci s’avère également russe, belle et puissante. Elle obtient une exposition personnelle pour Jede t un joli contrat avec le n° 1 des pneus. Mais bientôt, elle droit repartir à Moscou. Les jolis mois de couple prennent fin pour Jed, qui se lance dans une nouvelle phase de son travail : repassant à la peinture, ils ‘attache à peindre tous les métiers de son temps, sans jamais mettre en valeur l’humain qui exerce une fonction. La série prend nécessairement un tournant plus autobiographique quand Jed peint son père, architecte, et tente de représenter le pape du star system de l’art contemporain : Jeff Koons. Alors que sa cote est assez bonne, son galeriste demande à Jed d’essayer d’obtenir pour son catalogue … une préface de Michel Houellebecq. Après une discussion avec son père, Jed décide d’aller rencontrer l’écrivain dans son fief irlandais. Cette rencontre est peut-être l’une des plus inspirantes de sa vie et Jed se met dans la tête de laisser tomber Koons pour faire un portrait de Houellebcq : c’est bien le portrait de l’artiste qui doit clore sa série.

“La carte et le territoire” est comme d’habitude chez Houellebecq un roman extrêmement bien écrit et chirurgical quant à l’observation sociale et psychologique des personnages qu’il met en scène. La structure du roman fonctionne parfaitement – en tout cas dans les deux premiers tiers- et on ne le lâche pas. La réflexion que Houllebecq transmet sur la création à travers ce personnage asocial, mais élégant et obstiné qu’est Jed est juste et profonde. Tout en dépeçant à la fois le milieu de l’art contemporain et le ghotta parisien, Houellebecq en profite pour avancer une analyse percutante de la création en général. Après un tel travail de décentrement, le fait qu’il apparaisse en personnage secondaire est plutôt signe de bonne santé mentale et de volonté de conserver l’humour et l’ironie dans ces domaines un peu trop sérieux. Mais Houellebecq a changé. Ce n’est pas tellement qu’il n’y a pas de partouze ou d’injures racistes dans le texte. C’est plutôt comme si on pouvait y lire une sorte d’apaisement et de tendresse pour ses frères humains. A ce titre, les quelques relations que Jed entretient sont solides et fières : s’ils ne se disent pas tout avec son père, et s’ils se comprennent peu, Jed met un point d’honneur à le sortir dîner, chaque Noël, alors que ce père a été – comme lui- un artiste mais qu’il a du y renoncer : par manque de talent et aussi pour gagner sa vie. Ce père a bien sûr été un peu absent, préoccupé par son travail, mais il a toujours été là pour Jed, après le suicide de sa mère, et pour l’encourager, à sa manière hésitante à devenir artiste. De même, la rencontre du personnage principal avec l’écrivain est un moment tendre, où personne ne fait semblant et tous deux exposent leurs faiblesses pour s’entraider. Bien sûr, ils ne se comprennent pas, mais ce n’est pas tragique, puisqu’ils s’entre-inspirent et tentent malgré tout de s’aider. Même les femmes ont des rôles doux, baignés de cette nouvelle tendresse : il y a la première maîtresse artiste à laquelle Jed repense toujours avec gratitude, et cette carrier woman russe qui le fait “arriver”, comme au 19 ème siècle, mais par amour vrai, non démenti. Bien sûr, il y a des rendez-vous manqués, des piques violentes d’ironies sur le monde des médias, de la pub, et de la police. Mais finalement tous sont attachants et s’attachent, comme dans les tableaux de Jed à remplir au mieux leur fonction. Et ce n’est pas un hasard si Houlelebecq trouve soudainement Jean-Pierre Pernault très avant-gardiste : le culte de l’authentique est moqué mais non dénoncé, dans un roman où tous les personnages finissent par ré-emménager dans la maison de leur parents ou de leurs grands parents, quelque part où la carte marque à peine le territoire, dans la Creuse où ailleurs. Ce désir de retour aux origines semble être la matrice commune, qui permet enfin à l’empathie résignée de dépasser la lumière glauque de bureau avec laquelle Houellebecq nous rejouait, à chaque roman, toute l’école de Francfort.

Michel Houellebecq, “La Carte et le territoire”, Flammarion, 450 pages, 22 euros.

On peut toujours, lui avait dit Houellebecq lorsqu’il avait évoqué sa carrière romanesque, prendre des notes, essayer d’aligner les phrases; mais pour se lancer dans l’écriture d’un roman il faut attendre que tout cela devienne compact, irréfutable, il faut attendre l’apparition d’un authentique noyau de nécessité. On ne décide jamais soi-même de l’écriture d’un livre, avait-il ajouté; un livre, selon lui, c’était comme un bloc de béton qui se décide à prendre, et les possibilités d’action de l’auteur se limitaient au fait d’être là, et d’attendre, dans une inaction angoissante, que le processus démarre de lui-même.” p.254.

Arman sort de ses boîtes au Centre Pompidou

Jeudi 23 septembre 2010

Jusqu’au 10 janvier 2011, le Centre Pompidou consacre une grande rétrospective à l’une des figures majeures du Nouveau Réalisme, Armand Pierre Fernandez (1947-2005) devenu “Arman” à la suite d’une faute typographique sur une affiche. 120 œuvres de l’artiste sont présentées dans un espace qui avance sous forme de cases de jeu de go, et qui permettent de mieux entrer dans les territoires créatifs du maître de l’accumulation, de la coupe et de la colère…

Le commissaire de l’exposition, Jean-Michel Bouhours, a fait le choix d’un parcours thématique qui permet parfaitement d’appréhender la trajectoire d’Arman. Présentant aussi bien de petites pièces rares, que les immenses classiques attendus, comme “Die Wise Orchid” (1962, voir photo ci-contre), voiture dynamitée du photographe Allemand Charles Wip, ou le saccage d’un appartement bourgeois dans”Conscious vandalism” (1975), cette rétrospective permet de comprendre à la fois le résultat/reliquat et le geste d’Arman. Des vidéos et des documentaires parsèment l’exposition, montrant comment l’artiste est parti du fouillis classifié de la brocante de son père pour travailler au plus lisse et design aux côtés de la firme Renault. Elle met également en lumière le souci qu’Arman avait de préparer sa postériorité – par de longs entretiens à propos de son travail, et son goût jamais démenti pour la couleur. Une grande et belle visite dans l’œuvre d’un des maîtres du 20 ème siècle, comme la France n’en avait plus connue depuis la rétrospective de 1998 au Jeu de Paume.

La première section de l’exposition, “de l’informel à l’objet”, nous présente un Arman peu connu, inspiré aussi bien par Jackson Pollock que par Kurt Schwitters ou le typographe du mouvement “De Stijl”, Henrik Nicolaas Werkman. Les “Allures d’objets” d’Arman font penser aux compositions “all over” de l’expressionnisme abstrait, mais portent déjà en elles le souci du geste créatif, et la marque de l’influence de deux grands contemporains : l’autre maître nicois du 20ème siècle Yves Klein, dont certains éléments IKB bleus se retrouvent dans les “Allures”, et le compositeur Pierre Schaeffer : la musique concrète et le travail d’étirement des sons sont une des sources d’inspirations d’Arman pour étirer la matière sur ses toiles. Déjà, nous dit Arman, “il y avait l’idée de la trace, de la marque, de l’instantané, du désordre, plus que de l’empreinte”.

A partir de la toute fin des années 1950, Arman regarde d’un autre œil les boîtes où il entasse les petites pièces qu’il colle dans ses tableaux. La deuxième section de l’exposition “Les poubelles, le plein” se concentre sur ce tournant central de son œuvre. Comme l’avaient fait les surréalistes, Arman quitte le plat vertical du canevas pour passer à la mise en boîte. S’il partage avec les avant-gardes des années 1930 le goût de la collection et un humour prononcé (qu’on retrouve dans tous les titres des œuvres et dont Arman ne se départira jamais), le Nouveau Réaliste (l’exposition manifeste du groupe a eu lieu en avril 1959 à la Galleria Apollinaire de Milan) pousse l’accumulation d’objet jusqu’à l’absurde, et va chercher les vestiges déjà présents de notre civilisation industrielle pour créer un sain malaise. Ainsi, de l’exposition “Le Plein” (1960) à la galerie Iris Clert, qui fait pendant au retentissant “Le vide” organisé par Yves Klein peu avant : Arman bourre la galerie de détritus classifiés, et ce jusqu’au plafond. L’invitation était elle-même une petite boîte (voir photo ci-contre).

Ce n’est donc pas un hasard si l’artiste commence ce travail sur l’accumulation avec ses célèbres “Poubelles”, œuvres pleines de dérision et marquant une époque, mais surtout portraits-robots d’Homo Faber contemporains retraçant des personnalités. Parfois Arman, les met en pot, “au naturel”(Voir photo ci-contre).

Les masses d’objets mis en boîte sont énormes, et le caractère périssable de certaines matières oblige Arman à trier ce qu’il empile tout au long des années 1960. Mais à partir des années 1970, le plastique à polymérisation rapide permet à Arman de recouvrir tous types de déchets, y compris périssables et de les conserver. Cette nouvelle technologie a un double effet sur l’œuvre d’Arman : elle rend sa réflexion sur le pourrissement moins directe, et plus symbolique et lui permet également de traiter des volumes beaucoup plus grands. La troisième section de l’exposition “La Masse critique de l’objet” met le visiteur face à d’immenses sculptures de l’artiste, qui sont probablement ses plus connues, telles l’imposante “Grande bouffe” (1973), ou “Home Sweet Home” (1960, voir ci-contre).

La section suivante (n°4), présente dans un même mouvement deux gestes opposés et complémentaires d’Arman : les “coupes” froides et analytique aux côtés des “colères” brûlantes et fracassantes. Dans les deux cas, Arman transforme l’objet au point que le visiteur le voit sous un jour totalement nouveau. Sacrilèges quand elles touchent à de vivants instruments de musique, on apprend que les colères ont commencé par un meuble Henri II (sans titre 1961), saccageant donc la grande tradition classique française (voir ci-contre). On apprend également comment le processus de destruction venait des arts martiaux, dont Arman, tout comme Yves Klein était adepte.

La cinquième partie de l’exposition “Archéologie du Futur” montre le souci d’Arman de conserver le plus longtemps possible les restes de ses découpes et de ses colères. L’artiste a alors expérimenté plusieurs matériaux pour les préserver : le plastique à polymérisation rapide, bien sûr, mais également, le bronze ( voir ci-contre), ou le béton.

La sixième section de l’exposition retrace le compagnonnage artistique d’Arman avec les industries Renault et met en avant le caractère presque “design” de ses sculptures industrielles.

La dernière section se concentre sur le retour à la peinture d’un artiste parti vivre à New-York et qui exprime donc en anglais et du haut de sa nouvelle nationalité cette renaissance du peintre en lui :” I am a born again painter”. Sans renoncer à tout le procédé d’analyse, destruction, préservation et accumulation d’objet qu’il a mis au point tout au long des années 1966, l’artiste commence dès 1966 à travailler à sa manière des tubes bruts de couleur.

Et cette rétrospective se referme sur une pièce calcinée, noir sur noir, les morceaux épars de meubles XVIII ème batis par la colère et conservés dans le bronze, tentent de résumer l’ensemble du travail de l’artiste : à la fois terriblement moderne, gênant et précieux.


Arman
envoyé par centrepompidou. – Films courts et animations.

Arman“, du 22 septembre 2010 au 10 janvier 2010, Centre Pompidou, niveau 6, de 11h00 – 21h00 jusqu’à 23 h le jeudi, fermé le mardi, et le 1er mai, Paris 4e, m° Rambuteau ou Hôtel de Ville, Tarif plein 12€ ou 10€ selon période / tarif réduit 9€ ou 8 € selon période.

Vous trouverez le lien vers une vidéo de l’INA d’un entretien entre Arman et Ardisson ici.

Dvd : Marie-Antoinette : Sofia’s suicide

Jeudi 23 septembre 2010

Retrouvé dans mon vieux blog mais en prévision du lion d’or, bon à mettre de côté…

Avant Cannes, cela faisait un an que les médias nous rabattaient les oreilles avec la Marie-Antoinette de Sofia Coppola. L’enfant surdouée du réalisateur du Parrain s’est payée le luxe de monopoliser Versailles pendant des mois. Après le succès de ses deux films intimistes et subtils : Virgin Suicides et surtout Lost in Translation, Cannes attendait Sofia Coppola au tournant.

Pari raté et Versailles manqué pour la jeune femme. Son Marie-Antoinette inspiré du livre d’Antonia Fraser est 100 % américain et terriblement lourd. La finesse, qui était son image de marque, ne traverse pas les brocarts méticuleusement reconstitués du XVIII e siècle.

Par-delà les fastes, les dorures, les perruques et le budget astronomique du film, Sofia est une grande fille toute simple qui rêve sa reine Kirsten sous les traits d’une pure et mystérieuse adolescente. Bref, Marie-Antoinette, c’est Virgin suicides 2, Sofia reprend Kirsten Dunst et plaque à nouveau sur son visage diaphane le mystère des femmes à peine pubères. Comble d’ironie, Marie-Antoinette selon Sofia Coppola est prude : elle n’a que mépris pour la maîtresse de Louis XV, La Du Barry (piquante Asia Argento) et un seul amant qui ressemble étrangement au Ken des poupées Barbie. Mais le spectateur n’y croit pas : Kirsten Dunst n’a plus 17 ans, et Sofia non plus.

En tout cas, la réalisatrice a bien réussi dans la vie et n’a plus les mêmes obsessions gothiques. C’est donc sa joie de vivre qu’elle imprime au personnage de Marie-Antoinette. A force de caresser les fleurs, les chiens, les enfants, de s’étirer sensuellement dans son lit et de se goinfrer de champagne et de macarons, la froide autrichienne finit par donner une image sensuelle.

Mais l’ennui de la belle dans la cour de Versailles, où elle n’a pour divertissement que le jeu, une ou deux amies et un bref amant n’a d’égal que celui du spectateur, qui se demande bien quel épisode il a raté pour ne pas comprendre le point où Barry Lindon et l’Attrape-cœur de Salinger se rejoignent. La caméra a beau s’appesantir sur les courbes en mouvements de la belle Kirsten dans les somptueux couloirs, l’effet est nul.

Le message de Sofia Coppola ne s’est perdu dans aucune traduction : il ne passe pas, c’est tout. Quand après une première heure et demie de concentration sur le problème majeur de savoir si elle couchera avec Louis ou pas, Marie-Antoinette déclare fermement à son ambassadeur : « I won’t let you down » (je ne vous laisserai pas tomber), l’effet est du plus grand comique. De même, quand l’actrice se jette dans les bras de tout le monde pour leur faire des « hugs » affectueux, le spectateur reste abasourdi. Oui, l’étiquette de Versailles peut sembler absurde à une Américaine. Pas à une Viennoise.

Mais passons avec magnanimité sur les aberrations historiques et les anachronismes. En filmant la part privée d’un personnage public et en la cantonnant aux trop sages jardins à la française de Versailles, Sofia Coppola enterre une mine d’or et transforme un sujet exaltant en une lente fausse couche.

La caméra s’enlise et même la musique est mal maîtrisée. L’héroïne privée de walkman se shoote au baroque, musique à laquelle Sofia Coppola n’entend goutte et qu’elle cherche à compléter par du « haut Rock », plus bruyant que vivant. La cacophonie est achevée par les inévitables morceaux de Air.

Bref, ce Marie-Antoinette est un cataclysme en boudoir, et le pire, c’est qu’il risque de faire un carton aux Etats-Unis. Quant à nous, quitte à nous plonger dans les fastes romancés de la Cour, nous retournerons lire le Stefan Zweig de nos jeunes années.

Deuxième Vogue Fashion Celebration Night : livereport

Vendredi 17 septembre 2010

Pour la deuxième année consécutive, le magazine Vogue a organisé, le 7 septembre, une soirée de luxe ouverte la nuit. Avenue Montaigne, Gucci, Ralph Lauren, Dior et Chanel vibraient au rythme des bulles de champagne, même si à 22h30, soit une demi-heure avant la fin officielle de la fête, les boutiques étaient très pressées de fermer.

Plus de 5 000 personnes étaient attendues hier soir entre l’avenue Montaigne, la rue François 1er et l’avenue Georges V. Comme dans 15 autres villes de la planète, le magazine Vogue orchestrait un joli coup de marketing qui tombait pile en temps de vendanges et d’absence de soldes ou de décorations de Noël.

Pour rentrer : une seule solution, s’être fait remettre une invitation blanche et pure par l’un des magasins de luxe participant à l’opération. Certains -qui ne font pas forcément leurs courses chez Céline- ont réussi à truquer en obtenant des invitations via des sites élitistes de sorties parisiennes ou en déclamant leur amour de la mode et leur urgence à entrer dans chaque boutique aux gentils hôtes chargés de surveiller l’entrée.
Qu’ils fassent partie des happy few acceptés au sein des magasins, ou qu’ils restent à se balader sur le trottoir de l’avenue Montaigne, il faut admettre que la plupart des flâneurs fashion étaient très élégants. Style fifties, jupes crayon et escarpins rouges pour les femmes, chemise blanche souvent de rigueur pour les garçons. Les âges se mêlaient avec beaucoup de grâce, pour prouver que la mode est au moins démocratique au regard des générations.

Une fois entré dans le saint des saint de chaque boutique (merci grand-maman pour les précieuses invitations !), l’ambiance était un peu confinée : peu d’activités et de happenings prévus (si ce n’est shooting photo devant un mur griffé au nom de la marque) et ballet dramatique de quelques coupes de champagne qu’il fallait savoir s’arracher avec élégance. Bref encore une fois à Paris, les beautiful people se sont rassemblés pour se dévisager les uns les autres… aux grand dam des commerçants qui espéraient qu’on regarderait plus leurs collections, pour faire quelques emplettes. Et le plus beau était certainement de regarder depuis les premiers étages des boutiques vers une avenue Montaigne pas encore inondée de pluie et scintillante de grappes d’élégants.

Vers 22h30, soit une bonne demi-heure avant la fin officielle des festivités, les cordons noirs se sont fermés comme des coquilles devant la plupart des boutiques … lasses de ce grand coup de marketing et qui espéraient bien ouvrir à l’heure pour pouvoir vendre à leurs clients réguliers le lendemain.

Seul Pucci avait improvisé un petit dancefloor extérieur absolument rempli de noceurs fort sympathiques.

Avant que l’hallali soit sonné, il ne restait plus qu’à rejoindre un des vrais club du triangle d’or… Et nous avons choisi le moelleux bar du BC, le Blitz.

En route pour une troisième édition de la Vogue Fashion Celebration Night en 2011?

Nick cave et Warren Ellis parlent du volet 2 de “Grinderman”

Vendredi 17 septembre 2010

Nick Cave, Warren Ellis, Martyn P. Casey, et Jim Sclavunos sont tous des “Bad seeds”. Mais dans l’optique d’un punk qui punche plus direct, ils se sont réunis autour du projet Grinderman, il y a quatre ans. Ni groupe parallèle, ni “sideproject”, Grinderman égrène un air de liberté toujours plus grande, à grandes cordes d’impros sonores et des mots crus du maître. Le deuxième album de Grinderman, qui s’intitule simplement “Grinderman 2” est dans les bacs depuis lundi 13 septembre. Dans leur chambre d’hôtel donnant sur les tuileries, Nick Cave et son génial chef d’orchestre multi-instrumentaliste barbu Warren Ellis nous ont confié que Grinderman 3 était déjà prévu. Et bien d’autres choses encore…

Pourquoi avez -vous intitulé l’album “Grinderman 2”, était-ce pour marquer la continuité avec le premier album du groupe?
Nick Cave : Yeah. Et il y aura un Grinderman 3. Mais ce n’est pas le titre qui compte, c’est surtout la couverture. Pour le premier, c’était le loup. Comme ça dans 20 ans, il y aura “l’album pieuvre” et “l’album loup”,”tu sais le merdique, avec le loup” (rire).

Quand vous avez fait le premier album, vous saviez tout de suite qu’il y en aurait plusieurs?
Nick Cave : On ne savait pas vraiment à l’époque. On a juste fait ce premier album et estimé qu’il était cool. Comme les journaux l’adoraient, on s’est peut-être dit qu’il fallait l’aimer aussi… Et continuer.

Qu’est ce que Grinderman apporte de neuf aux membres des Bad Seeds?
Nick Cave : Ce dernier album a permis aux Bad Seeds de faire un putain d’album géant, ce qui ne leur était pas arrivé depuis un bout de temps. Il y avait quelque chose d’indéterminé et bruyant dans “Dig Lazarus Dig”. Je veux dire : “Abattoir Blues” était aussi bruyant, mais d’une autre manière. Avec Grinderman, j’ai donné à tout le monde la liberté de revenir à de la musique comme ça.
Warren Ellis : ca a certainement ouvert des portes. Les Bad Seeds s’efforcent toujours d’être dynamiques. Mais je crois que Grinderman est dans une explosion d’auto-émulation.

Cette explosion dans la musique et dans les texte rappelle l’énergie du premier groupe de Nick,”The Birthday Party”, est-ce une seconde jeunesse, un éternel retour?
Nick Cave : Non, je ne veux pas être jeune. ca ne m’intéresse absolument pas de revenir à ma jeunesse. Et puis ce n’est pas comme si les Bad Seeds étaient connus pour leur manque d’énergie ! Mais The Birthday party ne saurait pas faire la musique de Grinderman, et nous, même si nous voulions, nous ne pourrions revenir au punk d’il y a 35 ans.
En revanche, il y a beaucoup de pression sur moi, avec les Bad Seeds. Si un album est raté, ce sera toujours moi qu’on blâmera d’avoir écrit une série de mauvaises chansons. Personne n’ira blâmer Thomas Wydler pour le disque. Avec Grinderman, j’ai l’impression que si c’est un désastre, on se prendra tous les foudres des critiques ensemble.

L’album expérimente beaucoup les sons, est-ce un challenge?
Warren Ellis : On a juste fait ce qu’on avait à faire pour que le travail soit bien fait.
Nick Cave : Si tu improvises ça t’amène dans des endroits parfois mauvais ou là où tu ne devrais pas aller. Mais cela fait partie du processus. On peut jouer toute une série de mauvaises choses et ça reste ok, car à un moment donné, ça claque, et quelque chose d’excitant arrive.

Avec vous une nouvelle manière de composer vos chansons avec ce projet?
Oui, c’est juste quelque chose qu’on fait avec Grinderman, et c’est nouveau pour moi, une nouvelle manière d’écrire des chansons. On écrit quelque chose de collaboratif, on écrit ensemble. ce ne sont pas des chansons à textes, mais plutôt des chansons qui jouent sur les mots pour créer de fortes impressions. Les paroles sont improvisées, et ça leur donne plus d’énergie. Du coup quand je vais revenir aux Bad Seeds, je vais écrire les paroles comme pour Grinderman. Ils m’ont donné envie de m’asseoir et d’écrire plus de textes libres.

Vous parlez entre vous des textes?
Nick Cave (se retournant vers Warren Ellis) : Il ne m’en parle jamais. C’est comme si quelque chose s’était passé auparavant, pour que personne ne me parle de mes paroles. C’est comme le petit frère homosexuel dont personne ne parle dans une famille, c’est comme ça.
Warren Ellis : Je crois que lorsqu’ on travaille avec un type comme Nick Cave, qui crée tout le temps des trucs, on réalise que c’est très facile d’effrayer quelqu’un au sein de son processus créatif, où la remise en question sur ce qu’il fait est présente.

Vos paroles sont souvent très crues, mais avec un mélange d’iconoclasme et de tendresse. D’où vous vient cette inspiration?
Nick Cave: Je suis content que vous notiez ça, parce que peu d’autres médias m’ont posé la question. je crois que la référence au sexe est quelque chose d’assez classique en musique, d’autres l’ont toujours fait et le font encore. Mais je crois que la manière dont Grinderman évoque le sexe est unique, car le sexe sur l’album est vraiment sur le mode de la névrose et de la terreur. Il y a une certaine panique derrière tout ça qui révèle une grande vulnérabilité et qui pour moi rend Grinderman encore plus intéressant.

Lier la sexualité à la névrose, est-ce un vestige de votre passé religieux?
Nick Cave : Je ne sais pas pourquoi les gens pensent que j’ai un passé religieux. Mes parents n’étaient pas religieux. Ils avaient une vie d’artistes de gauche, et si l’on allait à l’Eglise, c’était plutôt pour socialiser. Mais mes parents n’y croyaient pas. la névrose de mes textes n’est pas liée à un passé religieux. Elle vient d’autre part, et je ne sais pas d’où… Peut-être que c’est juste culturel. Quand j’étais à l’école, il n’y avait que des garçons dans ma classe. Et cela a eu un grand impact sur la manière dont je vois les femmes : nous ne les avons pas vu grandir. J’ai laissé des petites filles en entrant au collège et quand je suis sorti du lycée, elles étaient déjà complétement formées. Les femmes sont donc restées un mystère pour moi. Mais toute névrose est bonne en art. C’est sur. Personne ne veut d’un art “équilibré”.

Dans les textes, il y a également de l’humour. Est-ce une manière de lutter contre la panique et la névrose?
L’humour est une bonne manière d’aller chercher les gens. Ça leur donne envie d’entrer dans quelque chose, de l’écouter. Et je l’ai toujours utilisé dans mes paroles de chansons et dans mes romans comme une sorte d’invitation à venir voir. Bon, il y a d’autres choses qui marchent aussi… attraper ses sous-vêtements, par exemple… (rires). Grinderman n’est pas censé être comique ou drôle. L’humour coexiste souvent, bien aligné, avec le sérieux, dans la même chanson.

Les Grinderman seront sur la scène de la Cité de la Musique le 26 octobre prochain.
Ginderman 2, Mute,12 euros.

Propos recueillis par Steven Guyot et Yaël Hirsch

Semih Kaplanoglu (Miel) : Nos modes de vie actuels peuvent salir l’oeil qu’on a dans le coeur

Vendredi 17 septembre 2010

Ours d’Or 2010 à Berlin, et tout récemment Grand Prix du Festival Paysages de Cinéastes 2010 de Chatenay-Malabry, « Miel » (« Bal ») du réalisateur turc Semih Kaplanoglu sort sur nos écrans le 29 septembre. « Miel » raconte l’enfance d’un poète et sa relation forte et quasi-silencieuse d’un père apiculteur. Il s’agit du troisième volet d’une trilogie sur la vie de cet homme et l’enfance vient après l’âge adulte, exploré dans Oeuf (Yumurta) et Lait (Sût). Semih Kaplanoglu nous a palmé de ce film. Un film et de ce qu’il exprime sur l’éducation, le deuil et une force intérieure dont il ne faut pas perdre le fil.

Voir notre critique du film.

Selon vous, y’a-t-il un grand renouveau du cinéma turc, ces dernières années ?
On peut définir ça comme ça, comme une sorte de nouvelle vague. Il y a une génération dont je fais partie, qui a commencé dans les années 1990. Que ce soit dans le fond ou dans la forme la façon de filmer et de produire, il y a une coupure entre ce que nous avons commencé à faire et les films d’avant. Il y a donc effectivement une ressemblance avec la Nouvelle vague française. Il y a plusieurs réalisateurs qui représentent cette nouvelle génération du cinéma en Turquie. Vous connaissez peut-être Nuri Bilge Ceylan (Grand prix du Jury pour « Uzak » en 2003 à Cannes), il y a Reha Erdem (« Des temps et des vents ») et Zeki Demirkubuz (« Kader »).

Pourquoi filmer votre trilogie à rebours, en commençant par l’âge adulte pour revenir vers l’enfance ?
J’ai eu l’idée de ce film vers l’âge de quarante ans. J’avais des questions par rapport à la vie : ce que j’étais, ce que j’étais devenu et ce que j’allais devenir. A l’époque je travaillais sur une nouvelle qui au a donné naissance au garçon de 18 ans, qui est le personnage principal du film l’œuf. En réfléchissant sur ce personnage de livre, je me suis demandé ce qu’il deviendrait à l’âge de 40 ans, et également ce qu’il avait été à huit ans. J’ai commencé par l’imaginer à 40 ans avec « Lait », tout simplement parce que c’est l’âge où je le sentais le plus proche de moi. Et puis, j’ai essayé d’aller vers l’inconscient de l’être humain. Vers une base que l’on a quand on est et qui ne change pas. En fait, en regardant « Miel » nous sommes censés avoir déjà vu les deux premiers films, et nous savons déjà quel va être l’avenir de cet enfant. C’est quelque chose qui est impossible dans la vie réelle, bien sûr, de connaître l’avenir de quelqu’un. Parce que nous, quand on raconte une histoire, on la raconte et on la vit de façon chronologique. Comme on sait ce qu’il va vivre plus tard, l’innocence de l’enfant est encore plus puissante. Et ca c’est en quelque sorte se rapprocher du destin. Quand on revient en arrière on fait sentir plus fort la puissance du destin. Moi, je crois au destin et je crois que Dieu a tracé notre destin.

Quelle est la place de l’éducation dans la trajectoire de vie de l’enfant ?
Deux types d’éducations doivent co-exister : si l’on s’éloigne de l’éducation de la nature et de ce que peut nous apprendre un père, l’éducation créée par l’homme provoque le chaos que l’on connaît aujourd’hui. Aujourd’hui, l’être humain vit de façon un peu perdue, ne sait plus trop où il en est. En fait, nous avons une vie plus conformiste, même si nous communiquons parfaitement et que tout est plus facile, cela ne nous rend pas plus profond, cela ne résout pas nos problèmes. La science existe, mais elle ne peut pas répondre à tous les questionnements. Je ne dis pas qu’il ne faut pas s’arracher à la nature, mais je pense qu’il est très important de savoir garder un équilibre entre l’apprentissage de la nature et l’apprentissage de la société. Il suffit d’aller le chercher par la spiritualité, sa base, et c’est quelque chose qu’aucun système politique ne peut jamais empêcher parce que c’est quelque chose qu’on a au fond de soi. Aucune autorité,quel que soit son pouvoir, ne peut détruire ce qu’on a en nous. Seulement l’être humain peut détruire pour lui-même ce qu’il a en lui. Nos modes de vie actuels et leurs conformismes peuvent évidemment salir l’œil qu’on a dans notre cœur.

Dans « Miel », la disparition du père est-elle une étape de l’apprentissage ou est-ce une tragédie?
C’est évidemment une partie de l’éducation de l’enfant. Après que le petit a perdu son père, on voit qu’au bout d’un moment, il se met à l’accepter. Dans la culture d’où je viens, la mort n’est pas la fin. Nous savons que nous nous rencontrerons quelque part ailleurs.

Quel est le rôle du silence dans l’apprentissage et dans le processus de deuil ?
En fait pour moi, le poète est celui qui essaie de détruire la manière linéaire de s’exprimer. Car les mots pour un poète ont d’autres significations que celles qu’ils ont pour nous. Il n’écrit pas pour communiquer. Le poète essaie de nous faire parvenir une autre connaissance d’un autre monde. Il va toujours à l’essence du premier mot. Et si on pense que déjà le petit garçon a du mal à parler puisqu’il bégaie, il ne peut parler que quand il murmure. Comment je sais ça ? Parce que je l’ai vécu moi-même. Si tu bégaies, tu peux parler sans bégayer en murmurant. Et quand au silence qui suit la mort du père, c’est l’acceptation. L’endroit où j’ai filmé, les maisons sont très éloignées des autres, ce n’est même pas un village et j’ai remarqué que là-bas les gens parlent très peu. Je me suis aperçu qu’on éprouve le besoin de parler quand les choses deviennent moins importantes et quand on veut meubler l’espace.

Après avoir donné vie avec cette grande trilogie, ressentez-vous un vide?
Oui je me sens vide. Quand j’ai proposé cette trilogie ici en France, tout le monde m’a dit trois films d’un coup, mais tu es complètement fou. C’est une mauvaise stratégie. Fais les un par un. Ne dis à personne que tu veux faire trois films. Car tu ne trouveras pas de producteur pour un projet de telle ampleur. Quant à moi j’ai toujours présenté ce projet comme une trilogie. Et durant quatre ou cinq ans j’ai travaillé sur ces trois films sans aucune vacance. Je n’ai même pas eu de samedi ou de dimanche. A chaque fois que je finissais un film, il y en avait tout de suite un nouveau qu’il fallait que je commence immédiatement. Il ne fallait pas perdre de temps, il fallait que je commence tout de suite. Grâce à Dieu les choses se sont faites relativement rapidement. Et c’est terminé. Maintenant évidemment, il y a un très grand vide intérieur en moi. Maintenant je ne sais pas trop ce que je veux faire. J’ai plusieurs histoires en moi. Une qui se déroule au 16ème siècle. Et une qui se déroule aujourd’hui à Istanbul, donc je réfléchis sur ces deux histoires. Je prends des notes et je vais commencer à écrire, je ne sais pas encore quand.

Propos recueillis à Paris, le 30 août 2010.

Hors la loi : un grand film raté reste un grand film

Vendredi 17 septembre 2010

Après s’être offert une petite pause d’intimité dans le sublime “London River” (2009), Rachid Bouchareb propose la “suite” d'”Indigènes” (2006). Ce deuxième volet d’une trilogie monumentale sur les relations entre l’Algérie et la France au 20ème siècle est aussi le plus délicat puisqu’il revient sur la colonisation et surtout la douloureuse séparation. Près de 50 ans après les accords d’Evian, la France a toujours beaucoup du mal à se retourner vers ce passé de déchirure avec le pays qui fut le fleuron de “La plus grande France”. D’où les polémiques au 63ème festival de Cannes, où “Hors la loi” était en compétition : certains l’attendaient comme l’équivalent du “Chagrin et la Pitié” sur l’épisode de Vichy et espéraient que le 7 ème art ouvrirait encore une fois la brèche laissant place à toutes les mémoires ; d’autres – sans l’avoir vu- décriaient déjà le film de Bouchareb comme “Anti-Français”. Polémique inutile puisque Bouchareb tient parfaitement la ligne qu’il s’était fixée dans “Indigènes” : montrer aussi bien les atrocités commises par la France coloniale, que celles du FLN, et mettre en lumière – quand il existe- l’amour déçu que l’Algérie et la France se sont portés et se portent parfois encore. Un grand film, où tout est juste, et qui tombe malheureusement à plat à cause de ses dialogues.

Tout commence avec le massacre de Sétif. Rachid Bouchareb décide de commencer “Hors la loi” où il a terminé “Indigènes” et montre dans une scène forte la répression des nationalistes algériens qui prennent le défilé de la victoire du 8 mai 45 comme tribune. Tout le film est contenu dans cette première scène : son caractère frontal (le massacre de Sétif est toujours une page grise de l’histoire, le nombre de morts du côté des Algériens restant encore en suspens), son goût de raconter la grande histoire par la petite (on suit chacun des trois frères-héros du film), et le goût – rare en France – pour les belles images. “Hors la loi” n’est pas un documentaire, il s’affiche et s’affirme comme une film haut en couleurs, une fiction posant les questions qui fâchent sans pour autant tenter de “faire l’histoire”. Qu’il soit de Bouchareb et Olivier Lorelle (voir la nouvelle polémique suscitée par le film) ou pas, le scenario est extrêmement bien ficelé et parvient parfaitement à relever le pari de suivre trois frères aux personnalités archétypales sur près de 40 ans entre l’Algérie et la France. Il y a Abdelkader (Sami Bouajila) injustement jeté en prison comme opposant politique après le massacre et qui y devient un véritable intellectuel du parti indépendantiste. Mourir et faire mourir pour des idées ne lui fait pas peur, même si lui même est plutôt frêle et peu courageux physiquement. Pour les tâches musclées, il fait appel à son frère Messaoud (Roschdy Zem), soldat qui a perdu son œil pour la France dans la guerre d’Indochine, et qui est peut-être celui qui demeure le plus proche de la mère et de l’Islam. Le troisième frère est le plus rusé et le plus pressé d’oublier ses origines : Saïd (Jamel Debbouze) n’a qu’une passion, la boxe, et est prêt à toutes les combines pour sortir du bidonville insalubre où les frères et leur mère ont été parqués dans les années 1950. Étant donné la diversité des profils, les trois frères se querellent, mais jamais tout à fait à mort, et lorsqu’un d’entre eux est en danger, ou lorsque la mère l’exige, ils se réunissent pour faire front. En dehors de ce trio de comédiens surdoués, Bouchareb a fait appel à l’excellent Bernard Blancan pour interpréter un commissaire français en chapeau mou un peu plus fin que les autres et qui donne la nostalgie des Charles Vannel et Jean Gabin.

La grande polémique qui a ébranlé Cannes (voir notre article) n’ a pas lieu d’être : l’extrémisme froid d’Abdelkader est stabiloté, au même titre que les viles méthodes de la police française pour débusquer les indépendantistes algériens en métropole. Le dialogue d’alter-egos entre le commissaire Martinez et Abdelkader en témoigne. Et Bouchareb semble tenir une ligne ferme entre le refus d’oublier son passé familial algérien et la conscience d’être ce qu’il est parce qu’il a été élevé en France. Son objectif avoué avec sa trilogie n’est d’ailleurs pas de “juger” la France, mais de réaliser ce que des cinéastes américains immigrés aux États-Unis sont parvenus à faire : mettre en lumière le passé et la vie présente des minorités dont ils sont issus. A ce titre, “Le parrain” de Coppola est l’ultime référence de cet autre film de “gangsters” qu’est “Hors la loi”.

Ce n’est donc ni dans le scenario, ni dans l’idéologie politique, ni dans le désir affirmé de montrer des belles images qu’il faut chercher le défaut de “Hors la loi”. Mais dans les dialogues. Peut-être les enjeux étaient-ils trop grands, peut-être le sujet était-il encore trop brûlant, et trop proche du réalisateur, mais “Hors la loi” pêche par des mots trop lourds, décalés, et impossibles à prononcer avec naturel par ses excellents comédiens. Souvent arrêté par une phrase incongrue, le spectateur a tendance à sourire dans les moments les plus graves et les plus signifiants. Quelle ironie que le réalisateur franco-algérien ait échoué dans le seul domaine que la plupart des films français maîtrisent ! (en se gardant bien souvent d’accompagner leurs bons mots d’images et d’un scénario solides…). “Hors la loi” ne sera pas le premier grand film sur la mémoire de l’indépendance de l’Algérie en France. Mais à l’image de ces immenses projets cinématographiques battant dangereusement de l’aile, tels le Cléopâtre de Mankiewicz, ou “Les portes du paradis” de Michael Cimino, “Hors la loi” demeure porté par un souffle puissant et noble. Et nous rappelle qu’un grand film, même raté, reste un grand film.

Hors la loi, de Rachid Bouchareb, avec Roschdy Zem, Samy Bouajila, Jamel Debbouze, Chafia Boudraa, Samy Nacéri, Bernard Blancan, Mélanie Laurent, Algérie, France, 2010, 2h18, StudioCanal, Sorte le 22 septembre 2010.