Mon amie la rose
Quelques lignes nocturnes avant de ne pas dormir assez pour enseigner demain matin à 8h. L’humeur est passée de maussade à légèrement angoissée, ce pluvieux premier week-end de mai. Hyper-activité toujours mais avec de très belles choses, comme le spectacle de Claire Diterzi à la ferme du buisson, hier soir (critique à venir) et FINALEMENT le dernier Polanski ce soir (pour ce film, il y avait une malédiction, j’ai “failli” le voir au moins quatre fois, avant d’y parvenir). Mes cheveux sont superbes en ce moment (paraît-il) sorte d’excroissance sur mon cerveau un peu épuisé, et fruit d’une cure de compléments alimentaires sur lesquels à l’avenir je me garderais bien de cracher. Le bout du tunnel n’est pas loin puisque les cours s’arrêtent la semaine prochaine. La vraie, grande et bonne surprise de la semaine : un homme m’a offert des fleurs. vingt-quatre roses blanches comme dans “Lettres d’une inconnue”. Ça n’était pas arrivé depuis 2002. Parce qu’en général, les hommes m’offrent des livres. Ça doit être écrit sur mon front que j’aime les livres… Et même depuis que j’ai laissé mes lunettes d’intello au tiroir pour le dimanche, il ne leur vient pas à l’idée que j’ai déjà trop de livres, qui bouchent mon couloir et gagnent les étagères du frigidaire. Par ailleurs, en général, les hommes marquent leur territoire quand ils offrent ce genre de choses. Avec un petit commentaire et une signature sur la première page, comme s’ils étaient l’auteur du bouquin. On pourrait carrément entreprendre une généalogie de ma vie amoureuse en recherchant comme des étoiles dans un ballet de poussière leurs autographes… Pour les plus importants, il faudrait volontiers se pencher sur la section “internationale” de mes livres. Parce que Nietzsche en Allemand, Van Gogh en Néerlandais, et Auden en Anglais, c’est quand même autrement plus chic que dans ma vulgaire langue maternelle. Certains se sont même risqués à signer du Pasternak en Russe, langue extrêmement mystérieuse pour moi. Bref, donc, ces roses m’ont émue aux larmes. Surtout débarquant en milieu d’après-midi au bureau, comme ça juste par gentillesse (les roses rouges estampillées 2002 étaient des fleurs d’excuse). Ce petit retour à la case “compter fleurette” dans les rues de Paris (ou de Noisy) fait un bien fou, comme un grand bain de mer purifiant tous les coups bas et les drames des cinq dernières années. En face, personne en danger de mort, personne au bord de la dépression, personne en fuite du facteur humain pour écrire son œuvre (qui dépasserait l’escogriffe de première page ou trois notes mélancoliques) juste une attention réelle et élégante. Ça détend aussi des délires de mes amis, qui m’emmenant à la présentation de nouvelles prétentieuse décrite jeudi dernier, qui filmant l’hôtel amour (dont le charme à mes yeux est le joli jardin ou j’aime trainer l’été, n’ayant jamais fait escort-girl la nuit pour de luxueux types véreux) comme un hangar d’érotisme macabre”à la” Eyes Wide Shut : luxe, coke et sexe triste entre squelettes. Il y a aussi ceux qui me traînent à des vernissage d’art abstrait ou je dois faire semblant d’être fascinée par des toiles blanches avec un trait noir (“mais tu comprends, la ligne en fait c’est un vide découpé, c’est le vide qui crée les nuances de gris”, moui, et si je ne ressens rien, c’est “mal”?). Et enfin, ceux qui suivent les cours d’acteurs chevronnés, massacrant systématiquement et avec une justice arithmétique tout texte sur lequel ils tombent, en hachant les mots, et enlevant la ponctuation, jusqu’à rendre le texte incompréhensible. Et ça marche encore mieux avec le flux de conscience pédants de jeunes auteurs contemporains qui se la racontent des tonnes, avec des scènes forestières suivant des scènes SM qui pourraient presque être drôle si tout le monde ne prenait pas tout ça tellement au sérieux. Malheureusement la technique de hachage ne fait pas disparaître la monotonie médiocre de ce genre de textes. Heureusement restent les amis qui picolent sans se faire mousser, ceux qui maternent sans trop angoisser, et ceux qui tombent amoureux pour mieux se remettre après s’être très vite cassé le nez. Et surtout ce formidable bouillonnement d’énergie que je sens autour de moi, qui m’emporte dans de nombreux projets et qui m’avait tant manqué l’an dernier. Ceci étant dit Manhattan me manque, et je pense bientôt me renvoler…
Et au programme des jolies choses à faire une fois que l’école est finie : écrire, bien sûr, et volontiers une chronique sur mes taxis parisiens. J’ai toujours des conversations hallucinantes avec les chauffeurs parisiens. Il a celui qui est coiffé comme Elvis et chante le King à tue-tête le long des quais (après avoir demandé poliment la permission), celui avec qui je parle exclusivement de parfums, celle qui est en fait décoratrice d’intérieur, et celui de ce soir était évangélique, et m’a donné un cours de théologie… je me demande si on ne pourrait pas remplacer les cours par des courses en taxi…
Sur ce au lit, pour enseigner la tolérance demain. Une notion que j’ai du personnellement remettre en cause ce matin, quand à 8 heures (un dimanche) des Loubavitchs déchaînés ont entonné des Nigounim avec assez de décibels pour faire trembler le quartier pour exprimer toute leur joie d’avoir reçu la Torah. Le petit post de protestation sur mon facebook à engendré une mini-polémique, assez débile ma foi, si bien que par souci de mon cher petit sommeil je risque de passer pour une affreuse antisémite…
27 mai 2010 à 22:52
Ah comme c’est fâcheux, je me reconnais toutes les tares de cet ami nuisible, définies ici par tes soins dans ce bréviaire des grotesques! Dois-je m’en contrarier!? A ma décharge j’ai toujours pris soin de garder fort peu de compagnons de routes et de déroutes, et de demeurer un camarde très distant, versatile, déloyal, et même querelleur. D’ailleurs les manquements et inimitiés d’un homme le définissent souvent bien mieux, et témoignent de lui plus sûrement. Ne se prend-on pas d’amitié pour d’éphémères et hasardeuses raisons, en suivant parfois (et est-ce pire?) de coupables desseins? Cultivons nos traîtrises, hostilités, désaccords, et autres aversions, en somme.
Quant à cette offrande de livre, comble du grotesque, et bien oui, j’ai commis ce geste malheureux ô combien, et plus souvent que je ne l’imagine sans doute, je n’ai cependant pas poussé le ridicule jusqu’à laisser un petit mot en français, italien, russe, ou mandarin, choisi pour son effet et sa portée confondante, ou alors seulement en un sabir totalement inintelligible. Peut-être. A la rigueur. Certaines ont refusé l’offrande, lasses de tant d’offrandes passées, témoignant ici, alors, enfin peut-être, plus une condescendance doublée de mépris qu’une considération bienveillante. Où est le trou dis, où était-il pour moi et mes sottes vanités en ces instants malheureux?
Le geste n’est pas exclusivement masculin, c’est à noter, car la femme est égale en tout aujourd’hui. S’en réjouira t-on jamais assez? Ainsi, et c’est par souci d’équité de traitement que j’écris ceci, j’ai reçu parmi nombre de navets et romans à la petite semaine, une fois, une seule autant qu’il m’en souvienne, ‘les poésies de A.O Barnabooth’, de Valéry Larbaud, où figurait un poème proprement inoubliable: ‘Le don de soi-même’. La lectrice attentionnée qui – détail de peu d’importance- avait un regard très bleu, un coeur très ardent, un corps très avide, le dit de mémoire, sur le champ, et j’en fus… saisi. Le don soi-même. Oui. Peut-être.
Ce livre, devant quoi un bouquet parait bien convenu et frivole, d’une grandiloquence de rang plus que de classe.
(Mais suis-je une femme de Paris?…)
Enfin, pour finir, à propos de la “médiocre monotonie” de certains textes, il me semble qu’en leur temps ce jugement a défini, au degré près bien sûr, au génie près, les pages ‘verbeuses’ de Kafka, Pessoa, Robert Walser, Malcolm Lowry, etc etc, c’est à dire presque toute la littérature à l’exception des littératures à la mode, de cour ou d’agrément. Une certaine sujétion à l’époque, à ses amusements, ses fureurs, son éclat condamné, ses cynismes, ses triomphes, ses figures majeures et mineures, ses formes effaçables, effacées, volontaire ou aveugle, n’accompagne t-elle pas nécessairement ce rejet de la monotonie, et au delà de la gravité, de l’infime, de l’infinitésimal où s’essouffle la parole, parfois, à défaut? A postulat critique pour postulat critique, je crois qu’en chacun le lecteur peut incliner, selon sa nature et non en conscience.
Je me réjouis de ton bonheur, et t’embrasse, impatient de te revoir, et de causer un peu.
Silvère.
29 mai 2010 à 17:01
Cher Silvère,
Que je m’étonne que TOUS les hommes m’offrent des livres au lieu de roses, de bijoux, ou d’un réel compagnonnage, ne disqualifie pas pour toujours ce joli cadeau. Offrir un texte qui nous a marqué, c’est effectivement faire un petit don de soi. Mais cela reste, me semble-t-il très egocentré et le donc degré zéro du don de soi.
J’ai bien Barnabooth, ta parisienne était peut-être un peu perméable à son ironie. Ca fait très Montherlant comme scène en fait.
J’espère que tu vas bien et que tu feras signe quand tu reviens à Paris!
Baisers
Y
29 mai 2010 à 18:26
Montherlant??!! Allons bon, elle a tout bafouillé en disant, et l’a fait avec tant de discrétion. Non, ce doit être moi, qui narre maladroitement et donne à ce souvenir une raideur inconvenante. Ce petit instant de lecture se passa à Aix, au printemps, sur une petite place, à l’ombre d’un platane chétif où venaient peut-être pisser les toutous du coin, et entre deux olives et verres de bière. L’anisette parut de trop à cet instant. Blanc sur rouge rien ne bouge, mais Pagnol sur Montherlant tout fout le camp, chacun le sait…
Qu’importe.
Transformer ainsi le (donc petit) théâtre d’un enchantement en arène pour matador c’est quelque chose quand même.
Allez tiens, je vais me reprendre une bière pour le coup.
Baisers (sans mesure, mais avec l’accent).
S