Archive pour mai 2010

Une immense production des Misérables au Châtelet

Lundi 31 mai 2010

Jusqu’au 4 juillet « Les Misérables » fête ses 25 ans au Théâtre du Châtelet. Une production anglaise grandiose, aussi bien du point de vue des voix que de la mise en scène, et qui rappelle au public Français ce qu’est une vraie Comédie Musicale.


Les Misérables, ou “Les Mis'” pour les intimes, c’est à l’origine, la comédie musicale créée par Robert Hossein en 1980 au Théâtre du Mogador, sur une musique de Claude-Michel Schönberg, et un texte adapté par Alain Boublil et Jean-Marc-Natel. Le producteur Cameron Mackintosh remarque le spectacle et le fait traduire par Herbert Kretzmer en Anglais. Avec le succès que l’on sait : affiche ininterrompue à Londres, 18 ans de triomphe à Broadway, et 56 millions de spectateurs à ce jour dans le monde ! Pour fêter les 25 ans du spectacle de Mackintosh, depuis un an, une production époustouflante des Misérables parcourt le monde. Elle est à l’affiche du Théâtre du Châtelet jusqu’au 4 juillet, pour le plus grand bonheur du grand public, et aussi des plus jeunes.

La musique Claude-Michel Schönberg n’a pas pris une ride et les thèmes des héros qui nous ont tous fait vibrer emportent immédiatement l’adhésion. Inspirée du décor original de John Napier et des dessins de Victor Hugo, la mise en scène romantique imaginée par Laurence Connor et James Powell est absolument somptueuse : avec une cinquantaine de comédiens-chanteurs sur scène, dans des décors industriels qui expriment bien l’urbanisation et l’enfermement dans la misère qui caractérisent du 19ème siècle dépeints par Baudelaire : le métal dentelé, élégant et néanmoins implacable semble emmurer les personnages, qu’il s’agisse de l’usine où Fantine est exploitée ou des barricades grandiose et monstrueuses des étudiants en révolte contre le pouvoir en place.. Avec une fluidité magique, la ville est toujours en mouvement. Elle se fait animale. Le climat révolutionnaire et romantique de l’œuvre d’Hugo est revu à la sauce libertaire des années 1970, et les dessins oniriques d’Hugo en fond de décor appellent à aller plus loin qu’ « à la fin du jour » pour « rêver un autre rêve ». La distribution est à l’avenant des décors : grandiose. En Valjean, John Owen-Jones exprime toute la palette de ses talents : du grave aveu d’identité de bagnard, à la superbe prière de protection pour l’homme de sa fille adoptive, « Bring me home » qui plane dans les aigus.


En face, Earl Carpenter est un Javert droit comme un « I » et tout en élégance vocale. Le timbre chaud et coloré de Gareth Gates en Marius, l’étudiant amoureux charme. Les timbres féminins sont tout aussi exceptionnels : Madalena Alberto est une Fantine déchirante, Rosalind james une Eponine à la voix puissante et blues et qui tire des larmes dans son air « On my own », et la jeune interprète de Cosette enfant à une voix d’une puissance absolument extraordinaire, notamment dans son air « Castle on the clouds ». Quant aux Thénardier (Ashley Artus et Lynne Wilmot), très clownesques dans cette mise en scène, ils n’en ont pas moins des voix à la hauteur de leurs camarades tragiques.

Il y a dans cette production des misérables, un souci de la perfection qu’on ne trouve qu’à Londres. La beauté des décors et des voix évoque aussi bien Delacroix que la magie du Paris de Carné, pour nous amener vers les thèmes intemporels et internationaux de l’enfance sacrifiée, de l’amour romantique et d’un monde meilleur à venir. A voir absolument !

« Les Misérables », de Claude-Michel Schönberg, texte anglais Herbert Kretzmer, direction musicale : Peter White, mise en scène Laurence Connor et James Powell, avec John Owen-Jones, Earl Carpenter, Gareth Gates, Madalena Alberto, Katie Hall, Ashley Artus, Lynne Wilmot, Rosalind James, et Jake Abbott, jusqu’au 4 juillet, Théâtre du Châtelet, mar-ven 20h, sam, dim, 15h et 20h, Place du Châtelet, m° Châtelet, 10 à 98 euros. Réservation ici.

Crédit photo : Michael Le Poer Trench

Roman : Les silences, de Rose Tremain

Lundi 31 mai 2010

L’auteure britannique du “Royaume interdit” (James Tait Black Memorial Prize, Prix Femina étranger 1994) implante son dernier roman dans les Cévennes, telles que les rêvent la bonne société londonienne. Fidèle à elle-même et au genre du réalisme poétique, Rose Tremain donne à ces « Silences » des accents délicieusement ironiques. Disponible chez Lattès à partir du 2 juin 2010.

Un grand antiquaire londonien, Anthony Verey, sent la fin de sa vie arriver. Il décide d’entreprendre une dernière grande chose : acheter un mas dans le Sud de la France et l’aménager pour atteindre la perfection. C’est sa sœur Véronica, le seul être qu’il chérit vraiment, qui l’a inspiré dans cette démarche. Spécialiste des jardins, celle-ci tente d’en cultiver un sans eau dans le Sud de la France et d’enfaire un livre. Mais la compagne de Veronica, Kittty, aquarelliste ratée, ne voit pas l’arrivée du frère d’un bon œil : jalouse de lui et de l’attention que Veronica lui porte, elle souhaite même sa mort. Anthony s’installe pourtant longuement chez sa sœur et se met à visiter plusieurs maisons. Son choix tombe sur le Mas Lunel, une maison de famille appartenant au vieil et ivrogne Aramon, qui en chassé sa sœur, Audrun. Du coup, cette dernière s’est construite une petite baraque en bord de terrain, qui bouche la vie et risque bien de décourager le pimpant acheteur britannique…

Si vous aimez les vrais et gros romans psychologiques, vous ne serez jamais déçus par Rose Tremain. Ses personnages aussi bien français qu’anglais sont touffus, socialement et moralement marqués par la vie. L’action commence comme un roman policier, à partir des sentiments de nostalgie d’une petite parisienne limogée dans les Cévennes et découvrant lors d’un voyage de classe qui la rend plus mélancolique encore que d’habitude un corps. Les multiples flash-backs éclairent avec subtilité les chemins qui ont mené chacun des personnages là où il se trouve : pour chacun, un carrefour différent de la vie. Rien n’est donc laissé au hasard, ni dans l’ombre, et Tremain crée puis étanche avec habileté la soif de son lecteur. Certaines scènes champêtres tirent également du côté de la poésie, notamment dans les réflexions intimes de ses personnages féminins : elles s’accordent si bien avec les couleurs et les bruissements de la nature. A ces ingrédients classiques, l’auteure ajoute également une touche acidulée d’ironie à la Iris Murdoch. Et la satire de la bonne société anglaise un peu dégénérée entre sa pluie, ses jardins, et ses enfants trop raffinés pour savoir se défendre rejoint étrangement celle de paysans français incestueux et alcooliques congénitaux.

Rose Tremain, « Les silences », trad. Claude et Jean demanuelli, J.C. Lattès, 402 p., 20.50 euros, sortie le 2 juin 2010.

Pour les anglophones, ne manquez pas les 10 commandements de l’écrivain, d’après Rose Tremain, sur le site du Guardian (ici). Un bel antidote au nombrilisme autofictionnel frenchy.

Dinard-Paris-Le Pirou-Paris

Samedi 29 mai 2010

L’été capricieux met du temps à venir, entre coups de soleil et pluie battante. Et comme toujours l’année met du temps à finir. La fin des cours et l’envoi de dernière minute de ma “note sur travaux” (ie 30 pages qui justifient, une fois encore pourquoi j’ai eu le malheur de vouloir réfléchir, enseigner, et même ô audace publier quelques articles) me laissent un peu plus libre. Et encore une fois, plus de liberté c’est aussi plus de solitude et de temps pour réfléchir… et me remettre à écrire un peu. Avant tout, il a aussi fallu un peu dormir et tenter de profiter de journées de repos volées. A Dinard, il y a quinze jours, en voyage romantique, sinon romanesque. Sous les nuages, du sable plein les ballerines, quelques saunas, beaucoup de poisson et de tendresse et des plages et des plages de musique dans la voiture. Le Grand hôtel et ses odeurs feutrées m’ont ramenée à mes étés d’enfance au Royal de Deauville. Le retour a Paris a été brusque et violent, avec les notes des étudiants, le dossier d’agreg, et finalement, il y a une semaine, après une dernière “performance” sur Max Jacob au club des poètes, la libération. Que j’ai très bien vécue en me recréant un petit New-York à Paris : Hareng chez feu Finkielstein qui a changé de nom,  frozen yoghurt chez myberry, et beaucoup de yoga dans un petit club juste à côté de chez moi tenu par un américain, et ô joie, ouvert les jour fériés de mai. Sport enfin à profusion, maintenant que j’ai le temps. Puis week-end en milieu de semaine de mercredi à vendredi dernier avec ma meilleure amie A. et toute sa famille dans le Cotentin. Pas de connexion Internet, donc peu de boîte à sorties, jolie maison avec vue sur la mer montant et descendant sous un ciel gris et froid, vieux livres de  familles, et parties de scrabble endiablées avec toute sa famille.  Il y a la maman de A., tellement pleine d’amour, son père, l’intello un peu torturé et néanmoins plein de bon sens de la famille, la petite nièce de 3 ans, sage comme une image, à qui je donne une fois son bain, ce qui me réconcilie avec les enfants et surtout Mam, qui a 87 ans, et ne peut plus trop bouger, mais qui me raconte un peu sa vie et qui est ravie de voir la mer à perte de vue depuis le balcon. Ça , quelques foulées sur la plage, et Jacques Brel dans la voiture, ce fut un véritable retour aux sources. Et la conscience que c’était vraiment du temps d’amitié volé avec ma chère A. que sa vie tout aussi trépidante mais tellement différente de la mienne ne me laisse qu’à l’heure du déjeuner pendant l’année. Le retour à Paris a été tonitruant. d’abord parce que je ne sais pas me reposer un peu. Si je m’arrête de courir, je m’effondre et après, il est bien difficile de reprendre mon agenda culturel, amical et intellectuel essoufflé. Ensuite parce que j’ai voulu quand même y arriver hier soir : après un shabbat en famille j’ai voulu me poser avec un livre en attendant mon doux et tendre, mais, coup de fil. B. me proposait d’aller rencontrer Anthony Coleman, à l’affiche de l’expo sur “radical jewish culture” du Mahj, dans un squat du bout de Nord de Paris (M° Max Dormoy). Je lis un demi-roman dans le métro à l’aller, et mon ami me dit… qu’il est au Mac Donald; depuis la vitre extérieure du fast food, je lève mes yeux au ciel, en guise de protestation polie. J’entre : il est attablé avec trois de mes très bons amis. Et retombe sur New-York : non pas grâce à Coleman, qui a l’air adorable, mais parce que le squat en question est une milonga où des couples dansent très sérieusement le Tango, ce qui me ramène à mes heures et mes heures de cours de l’an dernier et ma nullité terrible en la matière. Un peu blue et sacrément fatiguée de mon repos des trois jours précédents, je quitte assez tôt (minuit) la compagnie. re-métro, fin de roman, je veux envoyer un texto à une amie en phase de transition – et là, drame, un homme me vole mon i-phone des mains. Autant dire ma vie. Je me lève vite et fort et hurle “Non, non,non”, d’un ton décidé. Je cours après le ladre et l’attrape par la bandoulière de son sac. Les gens -touristes compris- sortent du métro dans un geste solidaire pour l’arrêter. Le type lâche mon précieux portable et je m’étale sur les deux genoux sur le quai. Mon sac se renverse, mais avec l’aide de mes sympathique camardes de voyage et du chauffeur du métro qui attend deux longues minutes, je récupère tout, et m’assieds sagement. Je vérifie : je n’ai rien perdu, et n’ai que deux gros bleus sur les genoux. Tout va bien, donc, même si je suis un peu choquée. Me voilà repartie pour faire face à un ami ivre et pénible que nous avons en commun avec mon chéri. Une heure, deux heures, il ne part pas, moi je voudrais partir et rejoindre la sécurité de mon lit. Mais je sens qu’il faut que je reste… Ce qui m’a couté un réveil tardif, pas de yoga, et une matinée passée sans rien y voir (lentilles de contact aux abonnés absents). De retour vers 16h dans mon quartier, toujours en petite robe noire dans le froid, je porte de lourdes bouteilles jusque chez moi : ce soir, petite soirée à la maison, avant, expo de photo à l’autre bout de Paris dont la boîte à sorties est partenaire. Et demain : pique-nique à perpéte pour une cause juive, si possible passage au forum des images où l’on projette les films de la quinzaine des réalisateurs dont un court réalisé par une amie, et une comédie musicale au châtelet. J’ai cinq articles à écrire, dois encore me changer et tartiner un peu pour ce soir, mais tout devrait bien se passer…

Alpenstock, ou le devenir drolatique d’une petite maison dans la montagne

Mardi 25 mai 2010

Jusqu’au 26 juin, la Compagnie Volens/ Nolens  donne vie au texte décalé de Rémi De Vos (“Débrayage”, “André le magnifique”…) au Lucernaire. Une comédie grinçante sur la pureté perdue d’un couple très patriote formé par deux autrichiens des alpes…

Fritz et Grete sont un couple modèle : le jour Fritz travaille et compte en  fonctionnaire passionné, tandis-que que Grete brique leur maison de fond en comble… en rêvant que son mariage ressemble un peu à “Sissi”, Fritz étant son Curt Jürgens et elle, bien sûr, Romy Schneider. Le soir, les époux se retrouvent autour d’un repas concocté par Grete. Et Fritz éduque en Pygmalion sa femme “simple et qui sait le rendre heureux” en partageant avec elle son sens des valeurs autrichienne. Mais dès le début de la pièce, l’idylle prend du plomb dans l’aile à cause de la naïveté de Grete. Par excès de sens pratiques, celle-ci est allée acheter du détergent au “marché cosmopolite”, le plus proche de chez eux. Le sens des valeurs locales de Fritz est perturbé par cet acte. Et de graves conséquenecs s’ensuivent puisqu’au marché, Grete a été repérée par un joli coeur balkano-carpatho-transylvanien : Yosip Karageorgevicth Assanachu. Celui-ci vient la draguer (et la violer avce son consentement) jusque chez elle, alors qu’en bon citoyen, Fritz est allé rejoindre la parade locale, habillé en bermuda de cuir…

Avec une table, deux chaises, un scotch marquant les limites de la maison, un pan de mur, et surtout trois excellents comédiens, David Lejard-Ruffet fait des miracles de mise en scène. Doublant parfaitement les répétitions du texte dans leurs gestes, les comédiens en habits folkloriques parviennent à  faire pleurer de rire leur public. Et aussi à le mettre mal à l’aise ! Si la litanie inaugurale de Grete faisant le ménage efferaie  -on s e demande jusqu’où l’expérience de la répétition va être poussé – le rythme s’emballe dès l’arrivée de Fritz. Cru sans être grossier, et subtil dans ses variations, le texte semble tirer de grosses ficelles pour mieux ancrer une réflexion finalement très philsophique sur les dérives de la lutte pour la conservation de la pureté. Et la fable domestique se transforme vite en boucherie raciste… Parfaite en mignonne crétine des alpes, Charlotte Petitat habite la scène d’un bout à l’autre de la pièce. A ses côtés Antoine Rosenfeld joue tout en sobriété son personnage de proto-nazi moralisateur, tandis-que Pierre-Etienne Royer incarne un étranger cliché et interchangeable, tout à fait séduisant. Inventive, drôle, et bâtie autour d’un grand texte, cette mise en scène d’Alpenstock ravira les amateurs de Thomas Bernhardt, les  fans d’humour décalé, et tous ceux qui aiment réfléchir et se laisser surprendre.

“Alpenstock”, de Rémi de Vos, mise en scènede David Lejard-Ruffet, avec Charlotte Petitat, Antoine Rosenfeld et Pierre-Etienne Royer, juqu’au 26 juin, mar-sam 20h, dim 17h jusqu’au 13 juin, Théâtre du Lucernaire, salle rouge, 53 rue Notre-Dame des Champs, paris 6e, m° Vavin, 10 à 30 euros. Réservation ici ou au 0142222650.

Fritz– Il faut sans cesse revenir à la pureté, Grete. la pureté ets le trésor qu’il faut préserver contre les tentatives de la souillure. Le monde est une pubelle où les saletés se mélangent sans aucun discernement. les saletés se mélangent sans retenue et proposent à la fin un odeur indéchiffrable… Alors qu’il suffirait qu’une saine organisation hygiéniste mondialement régulatrice distribue de solides sacs en plastique afin de maintenir ensembel ce qui doit l’être et isoler les éléments contre-nature pour disposer d’un environnement écologiste totalement satisfaisant et que la poubelle reste immaculée. Ach, j’ai fait un rêve, Grete!”

© Volens / Nolens

Sortie Dvd : Plein Sud de Sébastien Lifshitz

Mardi 25 mai 2010

Road-Movie mettant en scène une jeunesse belle et désoeuvrée en route vers le Sud et la mer, “Plein Sud” de Sebastien Lifshitz (“Presque rien”, “la Treversée”, “Wilde Side”) évoque la mémoire meurtrie d’un jeune homme en flash backs poéstique. Le dvd est disponible chez Mk2. Avec la sensuelle Léa Seydoux, actuellement à l’écran dans le Robin des Bois de Ridley Scott.

Le beau Sam (Yannick Renier) a presque la trentaine. Au volant de sa Ford, il prend en stop une soeur (Léa Seydoux) et un frère (Théo Frilet). Le film débute sur un strip-tease ado et émouvant de la soeur, très interessée par les hommes et par Sam… Qui lui préfère son frère. Un quatrième compagnon (Pierre Perrier) les rejoint dans leur voyage. Sur la route, le quatuor ne roule pas toujours en harmonie et manque plusieurs fois de se séparer. Quant à Sam, il fait plusieurs arrêts dans ce pélerinage vers le Sud : pour voir son frère, et sa mère. Le road-movie prend alors des airs de réglement de compte familial…

Extrêmement lent, tout en frôlement de sensibilités et belles prises de vues  de jeunes et beaux jeunes gens tentant de s’oublier ou de se souvenir, “Plein Sud” est surtout réussi dans ses flash-backs. En grand-mère ersatz de repères, on retrouvera avec plaisir Micheline Presle, et en mère indigne l’élégante Nicole Garcia.

“Plein Sud”, de Sébastien Lifshitz, avec Léa Seydoux, Yannick Renier, Pierre Perrier, Nicole garcia et Micheline Presle, France, sortie en salle 30/12/2009, 1h30, sortie Dvd 20 mai 2010, Mk2 éditions, 19.90 euros.

Sortie Dvd : le jour où Dieu est parti en voyage

Mardi 25 mai 2010

Pour son premier passage derrière la caméra, le directeur de la photographie de films de Bruno Dumont et Claire Denis, Philippe Van Leeuw, a adapté une histoire vraie qui a eu lieu dans les premiers temps du génocide rwandais, en avril 1994. Prix du meilleur premier film du festival de San Sebastian, en 2009, “Le jour où Dieu est parti en voyage” est un film sobre, dur et silencieux sur l’impact immédiat d’une violence incompréhensible. Il est disponible en Dvd depuis le 7 avril chez MK2.

Avril 1994, dans un village non identifié du Rwanda. Alors que les Huttus commencent tout juste le génocide qui fera en 3 mois près de 800 000 victimes, en majorité Tutsies, une famille belge décide de partir encadrée par des policiers. Avant de quitter leur villa, ils obligent la nounou de leurs enfants, Jacqueline (bouleversante Ruth Nirere), tutsie sans nouvelles de sa propre famille à se cacher. 24 heures de planque dans l’obscurité d’un grenier secret lui permettent de survivre pendant que les Huttus pillent jusqu’au papier peint de la maison. Lorsqu’elle sort, Jacqueline se dirige immédiatement vers son village et y trouve ses deux enfants assassinés. Mais sa vie est en danger et elle ne peut  même pas  les enterrer; elle doit fuir dans la forêt. Mutique et perdue, elle n’est plus qu’instinct de survie. Elle sauve la vie d’un homme blessé (Afazali Dewaele), qui, une fois remis sur pieds, parle pour deux. Mais leur périple dans la forêt est très dangereux, et Jacqueline qui a entendu les massacres depuis sa cachette et ne peut pas se remettre de la mort de ses enfants, est très fragile…

Sobre, dur et sans concessions, “Le Jour où Dieu est parti en voyage” suggère à travers quelques gestes simples, peu de mots, et l’écho des massacres la violence du génocide rwandais. Le retour à une nature hostile, où la seule civilisation qui émerge est celle des fusils, des machettes, et des injures de haine raciale, exprime un état de barbarie proprement insupportable. Et suivre Jacqueline, déchirée entre un instinct de survie bien humain, un deuil impossible, et l’hébétude face à l’explosion de violence, est une épreuve psychologique qui demande beaucoup d’attention. Tenu en haleine par les gestes de la survie, le spectateur se demande au fur et à mesure que le film progresse, si Jacqueline va pouvoir à nouveau parler. Et si oui, va-t-elle pouvoir évoquer la mort de ses enfants?
Film sur la mémoire immédiate, au moment où celle-ci est encore intriquée dans le temps du traumatisme, “Le jour où Dieu est parti en voyage” est une oeuvre importante. Pour tous.

“Le jour où Dieu est parti en voyage”, de Philippe Van Leeuw, avec Ruth Nirere et Afazali Dewaele, Belgique-France, 01h34min, sortie française 28 octobre 2009, sortie Dvd 7 avril 2010, Mk2 éditions, 19.99 euros.

La fille aux neuf doigts de Laia Fabregas

Mardi 25 mai 2010

Née à Barcelone, Laia Fabregas est partie travailler à Rotterdam après ses études. Son premier roman “La Fille aux neuf doigts” a fait sensation aux pays-Bas. Et pas seulement parce qu’il a été écrit en néerlandais… Quête onirique d’une jeune femme de 30 ans sur les photos perdues de son enfance, “la fille à neuf doigts” perd habilement le lecteur entre passé et présent, rêve et réalité.

Née dans une famille de résistants aux franquisme, Laura a été élevée comme si elle ne devait rien attendre de la vie. Surtout pas des souvenirs heureux, c’est pourquoi les photos étaient strictement interdites à la maison. Laura s’est donc rendue maîtresse de l’art de la “photo-pensée”, une image uniquement imprimée dans l’imaginaire. Ce qui ne l’empêche pas d’enquêter sur les raisons pour lesquelles elle est née avec seulement 9 doigts et de demander régulièrement à sa mère, si vraiment aucune photo n’existe. Vit-elle, ou invente-t-elle la perte romanesque et progressive de ses autres neuf doigts? Qui est Arnau, cet homme de sa vie, le seul à pouvoir la comprendre et croisé à divers âges et dans diverses villes d’Europe? Sa soeur peut-elle l’aider dans sa quête?

Quête des origines poétique d’une jeune trentenaire, “La Fille aux neuf doigts” parlera à tous ceux et celles qui interrogent inlassablement leur histoire familiale. Ce roman est décidément européen, avec notamment de superbes évocations de Prague et du franquisme. Le concept de “photo-pensée”, qui a quelque chose d’à la fois post-moderne et d’archaïque, encadre le texte pour tourner la littérature du côté des arts visuels.  Enfin le motif surréaliste de la perte des doigts impressionne durablement. Vous ne regarderez plus jamais aucun outil ou objet tranchant de la même manière!

Laia Fabregas, “La Fille aux neuf doigts”, Actes Sud, trad. Arlette Ounanian, sortie le 5 mai 2010, 175 p., 18 euros.

C’est alors que je le vis, sur le seuil d’une maison, de l’autre côté de la rue. Arnau, son appareil en joue. Et dirigé vers moi. Je regardai à droite, à gauche et derrière moi pour être sûre qu’il n’y avait pas de beauté au sourire photogénique dans les parages. Mais je ne detectai rien de semblable. J’en conclus que c’était bien moi qu’il avait repérée.

Je me levai et je me dirigeai vers lui sous le feu de son appareil. je dus éviter deux tables, prendre un peu à gauche, puis à nouveau à droite. l’objectif continuait à me suivre. Je n’avais pas la moindre idée de ce que j’allais lui dire, je ne savais même pas dans quelle langue je devais m’adresser à lui, je savais seulement que je devais lui parler.” p. 131.

Le blues de l’universitaire

Vendredi 21 mai 2010

Réfléchir fait les fesses lourdes et le coeur au bord de lèvres, la tête-pomme, cuite ou crue, et creuse un grand vide de solitude-sillon. Réfléchir empêche de prendre le métro en cheveux, en talons, et dans la légèreté de la masse des gens qui vous regardent. Voici, Cosmopolitan et les virées d’un quart d’heure que vous vous accordez pour faire les boutiques n’y fait rien, réfléchir fait mal au ventre. Marinade du même toujours renouvelé, réfléchir infléchit la vie du côté de l’angoisse. Réfléchir ne vous permet pas d’être compris(e), bien au contraire, tout le monde s’imagine que vous pensez quand ça vous plaît. Mais penser, c’est tout le temps, même dans l’eau du bain qui ne détend rien et au bord de la mer en vacance quand il faudrait juste humer l’air. Même déprimée, même en dormant, même quand ça ne sert à rien, le reflet est là et vous réfléchissez quand même. Réfléchir produit une fatigue psychologique qui s’accumule tellement que vous espérez que vous ne vivrez pas vieux pour arrêter d’avancer avec des boulets toujours plus géants. Réfléchir est gênant en société quand vous ne pouvez vous empêcher de blêmir-gémir-protester à une bêtise trop bulle de savon qu’il faudrait laisser virevolter. Et quand vous gardez votre colère pour vous, réfléchir use la rate et les genoux. La pensée est un poison et l’écriture une valse de vieux fous. En y réfléchissant bien, la mise en abyme de ce lieu commun n’efface pas sa bêtise. Fin de la réflexion?

Live report : Gogol Bordello métisse encore son gypsy punk à l’Elysée Montmartre

Mardi 18 mai 2010

Mardi 18 mai, Eugene Hutz et son Gogol Bordello ont pris d’assaut la scène de l’Elysée Montmartre. Et ils l’ont joué “à l’ancienne” reprenant tous leurs tubes pour le plus grand plaisir d’un public aussi mêlé que leur musique. Si la fête était au rendez-vous, la terrible acoustique de la salle et le son saturé des basses n’ont pas permis de se rendre compte de la précision du travail d”‘artisan” que le groupe insuffle de plus en plus dans sa musique.

Le public était très mélangé, hier soinr pour accueillir les Gogol Bordello dans la salle de l’Elysée Montmartre, si jolie avec ses moulures, mais où les instruments se perdent en résonances. Des punks de la première heure demeurés tels quels côtoyaient d’anciens afficionados des crêtes “boboisés” et des petits jeunes venus pour faire la fête. Car l’image de marque des Gogol Bordello, c’est bien cette énergie incroyable qui donne envie de pogotter. Ce qu’Eugene Hutz et sa troupe ont bien compris. Même si du côté des médias, les ballades du dernier album “Transatlantic Hustle“(American Recording / Sony) ont été accueillies avec beaucoup d’enthousiasme, le groupe a commencé sur ses succès les plus toniques : “Break the spell”, “Not a crime”… Et c’est seulement à mi-parcours qu’Eugen Hutz torse nu et christique  a  lancé le premier morceau issu du dernier album. Un morceau politique et toujours énergique : “We are coming rougher”. Après une jolie reprise en portugais, le groupe a fini sur “Pala Tute” le premier single de “Transatlantic Hustle”… avant de donner une bonne demi-douzaine de bis! Dont la jolie ballade “Sun on my Side” et un final à couper le souffle avec seuls sur scène, un Hutz hendrixien à la guitare, son fidèle violoniste Sergey Ryabtsev et son accordéoniste, Yuri Lemeshev.

Si le public a résolument dansé hier, et acclamé les Gogol Bordello comme ils le méritent, le concert a cependant donné l’impression que le groupe était dans une période de transition et tentait de ménager ceux qui viennent pour du vrai Punk old style, tout en distillant une nouvelle tonalité plus “introspective” et plus “artisanale” dont nous parlait le chanteur dans son interview (voir l’article). Le toute nouvelle influence du Brésil, où le leader du groupe vit depuis deux ans, semble peser sur les guitaristes et sur le rappeur et percussioniste equatorien Pedro Erazo, dont le style très R’n’B, les grands mouvements de bras en direction du public, et la voix basse tonitruante jurent avec la couleur subtile et l’accent ukrainien de la voix de Hutz. Enfin, dans le cadre de l’Elysée Montmartre, la multiplication des basses empêchait de voir à quel point le concert était préparé et arrangé. Le concert a donc  été ce joyeux Bordel qui est si familier aux fans, mais qui ne semble plus être la direction vers laquelle le chanteur des Gogol Bordello veut aller.

Au niveau de l’énergie et de la générosité, chapeau bas donc aux Gogol Bordello qui ont bien rempli leur mission et “kicked ass”, pour reprendre une expression chère à Eugene Hutz. Au niveau de la musique elle-même, sentir le work in progress empêchiot quelque peu de plonger entièrement dans l’univers si riche du groupe.

L’Affaire Dominici plaide pour un théâtre interactif

Mardi 18 mai 2010

Vu avec ma chère Grand-mère Yvette et suivi d’un dîner mémorable au petit Marius. Suivi également du film avec Gabin, qui est un monument (Gabin, pas le film). La présentation de la pièce par le vieux Robert Hossein était très touchante.

Après l’affaire Seznec, Robert Hossein avance de trente ans dans sa mise en scène des grands procès et s’attaque au cas de la famille Dominici. Mettant en scène l’intégralité de l’affaire (qui a traîné pendant plus de deux ans) au coeur du tribunal jugeant le patriarche Gaston Dominici, Hossein demande à l’issue de la représentation au public de voter. Et il sait tenir la barre de l’objectivité sans jamais glacer par l’énumération des faits. Un réalisme qui inspire le respect.

Dans la nuit du 4 au 5 août 1952, une famille de trois anglais – une homme, sa femme et leur très jeune fille- est sauvagement assassinée dans les Alpes de Haute-Provence. la commune s’appelle Lurs et le meurtre a lieu près du domaine de “GrandeTerre”, qui appartient à une famille de fermiers : les Dominici. L’arme du crime est une carabine datant de la résistance et l’enquête dure plus de deux ans avant que le patriarche Gaston Dominici, 75 ans, soit accusé du triple meurtre. La cour n’a pas de preuve mais seulement les aveux assez improbables du vieil homme très digne, obtenus après une longue nuit de torture psychologique. Gaston Dominici a-t-il vraiment commis le meurtre où s’est-il sacrifié pour l’un de ses fils et afin que la “Grande terre” perdure? Robert Hossein fait rejouer ce procès qui s’est conclu par la condamnation à mort du vieux fermier après douze jours d’audiences (sa peine a été commuée en emprisonnement à vie par le président Coty en 1957, et Dominici a été gracié par le général de Gaulle en 1960).

C’est Robert Hossein qui a lui-même accueilli son public, le remerciant d’être fidèle au rendez-vous et partageant avec lui sa passion pour les enjeux révélés par l’Affaire Dominici. Sa mise en scène de l’affaire Dominici se veut avant tout réaliste. Puisque des jetons sont remis aux spectateurs qui sont censés voter à l’issue du spectacle, Robert Hossein a voulu reproduire exactement les heures du procès. Le décor est sobre: une cour de justice de province. Et souvent statique, avec d’un côté des juges et le procureur et de l’autre l’avocat et son client. Au centre et en hauteur un narrateur rappelle les détails d’une enquête fort mal menée et rendue plus difficile encore par le silence de plomb et les mensonges partagés du clan Dominici. En dessous du narrateur, un fonctionnaire dit quand et comment les témoins peuvent prendre la parole et se retirer. Très loin de la mission de justice que s’était donné le film de Claude Bernard-Aubert, qui voulait réhabiliter le patriarche (joué par Jean Gabin, irremplaçable, même par Michel Serrault), la mise en scène de l’affaire Dominici au Théâtre de Paris ne prend pas parti. En reprenant mot pour mot ce qui s’est dit pendant le procès, elle donne ainsi à voir deux visages de la France qui s’entrechoquent : le monde paysan finissant des années 1950, où le patriarche règne en maître contre une cour assez troublée par cette discipline de clan et qui ne parvient pas toujours à faire entendre son jargon à la femme, aux neuf enfants, à la bru et au petit- fils de Gaston Dominici. Dans le rôle de l’inculpé, Pierre Santini est d’une sincérité et d’une dignité qui ne pâlissent pas si on les compare à la performance de Gabin. En bru têtue et intelligente, Geraldine Masquelier impressionne, tandis-qu’en femme bourrue, mais amoureuse après de longues années de compagnonage, Jenny Bellay est excellente. Au-delà du fait divers l’affaire Dominici concentre la France des années 1950 dans une seule pièce, et l’on en sort plein de mots surranés dans la tête et bourdonnant de questions sur le fonctionnement de la Justice d’hier et d’aujourd’hui.

“L’Affaire Dominici”, mise en scène Robert Hossein, avec Pierre Santini, Pierre Dourlens, Yannick Debain, Gérard Boucaron, Serge Maillat, Jean-Paul Solal, Frédéric Anscombre, Jenny Bellay, Henri Deus, Luc Florian, Dominique Gould, Pierre Hossein, Vincent Labie, Géraldin Masquelier, Danik Patisson, Jean Antolinos, Maurice Patou, Dominique Roncero, Théâtre de Paris, mar-sam 20h30, sam 16h30, dim 15h30, 15, rue Blanche, Paris 9e, m° Trinité, 29-49 euros, réservations ici.

photo Eric Robert