Archive pour avril 2010

Tangled up in Ben

Vendredi 30 avril 2010

Docteur en philosophie, animateur de l’émission “Talking jazz” et auteur de l’ouvrage de référence “Black Talk” sur la musique noire américaine, Ben Sidran est également pianiste jazz et chanteur. Avec son batteur et son bassiste, il est venu interpréter son “Dylan Different” (sorti chez Bonsaï à l’automne dernier) sur la scène de New-Morning hier soir. En guests annoncés : Rodolphe Burger et sa guitare. Et en invité impromptu : Erik Truffaz. Les cinq frères d’armes musicales ont offert à leur public deux sets majestueux, le plaçant dans une hypnose admirative de joie partagée. Probablement un des concerts les plus forts de ce printemps.

C’est déccontracté que Ben Sidran prend place à son piano, mettant immédiatement en avant ses deux musiciens. Puis Sidran parle de Dylan, à l’aise dans son discours tendre et drôle, tandis qu’il pianote une petite impro de jazz. Pourquoi reprendre Dylan? lui a-ton souvent demandé. Parce-que Sidran – qui a presque le même âge et est de la même génération- n’a pas pu l’éviter. Dylan est comme un grand mur qu’on trouce devant soi. Certains grimpent à son sommet, d’autres le contournent. Sidran a décidé de foncer dedans. Après un titre en intime en trio, l’invité du soir arrive avec ses cheveux bouclés et sa guitare. Rodolphe Burger, connu pour son groupe Kat Onoma qui mélange jazz et électro et ses collaborations notamment avec Alain Bashung entre en  scène. Sa voix grave à la Nick cave se mêle au phrasé précis et chaud de Sidran dans une version langoureuse de “Blowin’ in the wind”, qui se termine par duo instrumental puissant et mélancolique.

Le public n’a pas le temps de ce remettre de ce moment de toute beauté que Sidran annonce l’arrivée d’un invité surprise : le trompettiste Erik Truffaz. Et les trois amis entonnent la version “différente” de “Tangled up in Blue”, où chacun de leurs solos résonne fort.

Une fois tous les trois sur scène, ils sont “des frères pas nés de la même mère”, comme le dit joliment Sidran à la fin du concert. Tandis que le jeune bassiste donne le tempo en Allemand, les cinq musiciens s’amusent presque plus que le public, et leur musique devient de plus en plus intense, pour le plus grand bonheur du premier rang composé de vieux messieurs éternellement jeunes dans leurs converses, avec leurs i-phones, mais des montures de lunettes inchangées depuis les années 1970. Après une bref pause entre les deux sets, le quintentte reprende de plus belle. Un joli duo complice Sidran/Truffaz, toujours plus de Dylan, et puis, à la fin, quelques ovnis. D’abord la chanson en hommage à Dylan que Sidran avait hésité à enregistrer sur son album et que Rodolphe Burger a composé avec des accents électro sur le joli texte du pianiste : “We are here but for a minute, Gone for a whole lot more”.

Et puis Burger, que Sidran loue comme un “vrai Beatnik” sort la beat-box, pour un son fou : la voix de la mère de Billy the Kid qui lui dit qu’elle l’aime. La surprise du quasi-larsen passé, les cinq instruments enveloppent chaleureusement l’électro et s’emballent dasn une impro bouleversante. Saisi, ému et conscient d’vaoir assisté à un très grand concert, le public se lève pour applaudir. Standing ovation, comme à New-York, de la part de parisiens moins blasés que ne le veut le cliché. Ben Sidran revient au piano pour un seul bis qui commence par une reprise de “Over the Rainbow”. Et tout le monde quitte le cocon rouge cramoisi du New Morning, un immense sourire de gratitude aux lèvres.

Ben Sidran, “Dylan Differen”t, Bonsaï/Nardi, 21 euros.
Ben Sidran sera en concert au Sunset du 10 au 13 novembre prochain. A ne pas manquer.

L’été prématuré sur quelques notes jazz (New York en mille fois mieux)

Vendredi 30 avril 2010

Photo de Claire Grivet

Jolie journée d’été fournaise dans un Paris vidé par les vacances malgré la fameuse “crise”. Après un petit passage par le mémorial de la Shoah toute “habillée de Vichy” m’a fait remarquer mon compagnon de ce soir (même pas vrai, c’est du pied de poule), et un fantastique après-midi à refaire le monde à travers le rôle des comédien avec ma très talentueuse amie Ambre, et après être passée à une présentation de livre un peu fastidieuse et assez rigolote (on retiendra le ton très sérieux “Pasolini est un de mes dieux”, ” je défends les outsiders parce que la littérature n’intéresse personne, tous les auteurs sont des outsiders” (ndlr parmi lesquels se tient un autre dieu inconnu : Bathes), et la modeste volonté “totalisante”, voire “totalitaire” de l’auteur qui estime vraiment c’est ne jamais se laisser aller à avoir un style, et fait dialoguer feu Guillaume Dustan mort à 39 ans, avec le bien portant Daniel Bell de 90 ans) – ouf désolée cette phrase est longue mais je suis hyperactive et hyper critique, que voulez-vous- bien donc je me suis retrouvée AU concert de l’année. Lundi dernier en allant écouter un chanteur français un peu minet au New Morning, j’ai vu que Ben Sidran y jouait ce soir. or son dernier album, “Dylan Different”, avait retenu mon attention dans le paquet de choses que je reçois. J’ai donc fait un caprice et malgré l’article un peu cruel que nous avons délivré au chanteur français, l’attaché de presse qui s’occupe aussi de Sidran m’a mis deux places de côté. J’avais un bon pressentiment. Mais en m’asseyant sur les marches de cette salle que j’adore avec mon verre de piquette rouge tellement bienvenue, j’ai su que ça allait dépasser toutes mes espérances… Sexy, parfaitement américain, Sidran s’est mis à faire un portrait chinois de Dylan tout en jouant avec ses deux complices du VRAI BON jazz comme j’en ai cherché pendant un an à New-York. Puis il a commencé en douceur, pour nous mettre à l’aise avec ses doigts agiles et sa voix de crooner de luxe. L’ovni fantastique, Rodolphe Burger, est ensuite arrivé avec son petit Bierbauch et sa furieuse guitare électrique. Une chanson plus tard, ils entonnaient “Blowin’ in the wind”, et là je me suis sentie écrasée par une hypnotique méduse( et bien oui j’ai décidé que j’allais arrêter de parler de “grâce” et faire plus imagé). Je n’ai pas eu le temps de me remettre de ce coup de notes dans le que Sidran annonçait à la trompette l’arrivée de… Erik Truffaz (qui est resté jusqu’au bout). Et c’était parti pour deux vrais sets avec une vraie pause comme dans mon smoke  natal mais en mille fois mieux. Mettant en valeur els deux petits jeunes à la basse et à la batterie et se renvoyant les solos comme des balles de ping-pong Sidran-Burger-Truffaz avaient l’air de se faire encore plus plaisir à eux à qu’à nous, et la tension n’a pas arrêté de grimper. Jusqu’au moment fatidique où Burger le rebella sorti la beat box qui a joué un peu à vide un air étrange très beatnik “Billy the Kid I love you”, avant que les instruments rugissant des compères ne couvrent le cri de la maman quasi-juive. Dans la salle, on n’entendait pas une mouche voler et comme par hasard pas le moindre téléphone vibrer. Nos voisins, des hommes de soixante-dix ans avec les options converses, i-phone, et lunettes 1970 d’origine contrôlée, buvaient du petit lait. J’ai continué au vin (je n’ai pas encore 70 ans), pour me réjouir de la double standing ovation (trop rare à Paris) tellement méritée, et me dire que ça y est : le moment que j’attendais sans vraiment y croire depuis 10 ans est arrivée : me voilà convertie au jazz (bon avec les textes de Dylan et la beat-box, c’est quand même mieux. Ah, et oui, conclusion nécessaire de la soirée : un délicieux indien du passage Brady, confidences, dédales de parkings et Paris la nuit comme si août avait frappé avril de foudre pour prendre toute la place.

Spécial dédicace: merci petit i-phone qui me fait le supplice chinois et crache un mauvais son : tu immortalises quand même!

copyright : Photo de Claire Grivet

Une grande lueur à l’Est : les promesses du Passé à Beaubourg

Vendredi 16 avril 2010

Disposant de la plus grande collection d’art moderne et contemporain d’Europe (plus de 60 000 pièces), le Centre Pompidou a acquis notamment depuis 2005 de nombreuses oeuvres d’artistes d’Europe de l’Est à l’ère soviétique. Une partie de ces collections est présentée de ma nière originale et discontinue jusqu’au 19 juillet à l’espace 315 et permet de découvrir tout un monde à la fois si proche et si lointain.

« À nous, comme à chaque génération précédente, fut accordée une faible force messianique sur laquelle le passé fait valoir une prétention. » Walter Benjamin

“Les promesses du passé” titre son titre des “Thèses sur le concept d’Histoire” de Walter Benjamin. La commissaire de l’exposition, Christine Marcel, et son interlocutrice principale dans la conceptualisation de l’évènement, la directrice du musée d’Art Moderne de Varsovie, Joanna Mytkowska, ont voulu signaler par ce titre qu’elles remettaient en cause l’idée de conitnuum historique, y compris en Histoire de l’art. Elles suggèrent ainsi que les artistes se font “pêcheurs de perles”, en constante création de ruines révolutionnaires, sinon messianiques. C’est donc thématiquement que l’exposition se déploie en étoile et selon la forme d’une sculpture en béton signée Monika Sosnowska. Cette architecture massive jure habilement avec les murs transparents de la galerie Sud.

Le visiteur parcourt alors l’espace selon 7 thématiques qui lui présentent environ 160 oeuvres .
Au-delà des utopies modernistes” s’ouvre sur une photo provoquante et drôle du polonais Cezary Bodzianowski (“Rainbow, Bathroom, Lodz”, 1995). Alexander Uguay (Kazakhstan) présente un film de 2004 ironisant sur la nostalgie de l’ère soviétique. Et l’on découvre que Tirana (Albanie) est un centre d’art contemporain très important avec sa biennale, et que l’un des plus grands artistes albanais n’est autre que le maire de la capitale : Edi Rama.
Fantasmes de totalité” présente notamment les suberbes voyages dans le temps que réalise le photographe hongrois Miklos Erdely, opérant par l’art une révision nostalgique sur les moments heureux et échappés.
Anti-art” révèle à l’Ouest que les artistes de l’Est ont commencé à remettre en cause dès la fin des années 1950 le statut de l’art, notamment à Zagreb, autour du groupe “Gorgona”, et montre les “anti-happenings” du dada slovaque Jullius Koller.
Geste micro-politique, geste poétique” montre notamment le travail du contemporain Roman Ondak (Slovaquie) dont l’oeuvre la plus connue “Mesuring the universe” (2007) a consisté à demander à des gardiens de musée de noter la taille et le nom des visiteurs, afin de confronter cette réalité de chacun à la monumentalité conservatrice des institutions.

Féminin-féministe“, pose la question du genre et nous rappelle que si l’URSS a souvent semblé en avance sur l’Ouest sur la question des femmes, les artistes est-européennes se sont posées, tout comme leurs consoeurs occidentales les mêmes questions confrontant l’apperence et l’intime. Ainsi, quand la croate Sanja Ivekovic pose un bas sur son visage pour le couper au ciseau (“Journal”, 1976, elle oscille entre la violence d’une Nikki de Saint Phalle et le questionnement en mouvement d’une Rebecca Horn se transformant en animal mythique : la Licorne.
Espace public-espace privé” permet, entres autres de découvrir l’artiste mythique et hongrois Tibor Hajas (qui a fait de la prison et est mort à 35 ans dans un accident de voiture), à travers “Tortures de surface” (1978). Il s’agit d’une série de photos aux négatifs brûlés, et qui fait écho à un texte-manifeste. En parallèle, le visteur peut à nouveau voir le travail d’un roumain assez connu des Français puisqu’il habite désormais en France: Mircea Cantor, qui travaille sur le rapport entre le local et le global. Ici, on peut voire “Shadow for a while” (2007), documentaire  sur un drapeau qui brûle.

Enfin, on découvre la performance radicale du célébre caricaturiste roumain, Dan Perjovschi, qui s’est fait tatouer le nom de son pays sur le bras après la chute du mur pour le faire retirer, dix ans après, et s’estimer “libéré de la Roumanie”.
Enfin, dans la dernière section, “L’utopie revisitée”, trône une vidéo de l’artiste israélienne Yaël Bartana, “Mur et tour” (2009, titre en polonais : Mur i Wiedza), un film de 30 minutes tourné à Varsovie et remettant en cause le sionisme à travers le plan éponyme qui prévoyait la construction de 57 kibboutz en 1957.

Au sortir de l’étoile de béton présentant ces oeuvres, le visiteur peut visiter un espace documentaire absolument époustouflant, qui présente d’abord le film émouvant du Lituanien Deimantas Narkevicius “La disparition d’une tribu”, les liens entre les galeries françaises et de l’Est notamment à travers l’influence de Daniel Buren, et enfin, un espace de projection qui ressemble à une cathédrale, et construit par le scultpteur slovène Tobias Putrih, à partir de cartons où l’on pouvait rouler les photos et toiles samizdat…

Le parcours discontinu fait donc faire des bonds dans le temps : des avant-gardes des années 1970 à leurs jeunes dauphins des années 2000, et leurs repercussions sur quelques grands noms de l’art “occidental”. Mais l’effacement des années 1980 et 1990 est troublant, puisque la guerre de Yougoslavie est passée sous silence et on envisage la chute du mur de Berlin qu’à travers des repercussions sismiques tardives. Même si l’on accepte que, tout particulièrement parmi les hommes, l’artiste se tient dans “une brèche dans le temps” et créé dans une temporalité discontinue, il semble que la promesse comme garantie de l’avenir devrait se bâtir sur une vision plus complète de ce passé oublié…
De nombreux artistes est-européens sont présents à Beaubourg pour présenter leurs oeuvres dans le cadre des “Promesses du passé”. Cliquez ici pour voir le programme des conférences et des rencontres.

Les promesses du passé“, jusqu’au 19 juillet 2010, Centre Pompidou, Galeries Sud, espace 315, de 11h00 – 21h00 jusqu’à 23 h le jeudi, fermé le mardi, et le 1er mai, Paris 4e, m° Rambuteau ou Hôtel de Ville, Tarif plein 12€ ou 10€ selon période / tarif réduit 9€ ou 8 € selon période.

Visuels:
1) Jullius Koller- Flying Cultural situation- 1983, collections du centre Pompidou

2) Cezary Bodzianowski- Rainbow, Bathroom, Lodz- 1995 Foksal Gallery Foundation/Monika Chojnicka

3)  Sanja Ivekovic- Journal- 1976

4) Yaël Bartana- Mur et tour- 2009

Dvd : Hi, Mom! Brian de Palma psychédélique

Jeudi 15 avril 2010

Quatre ans avant le cultissime “Phantom of Paradise” (1974), De Palma retrouve Robert de Niro qu’il avait déjà fait jouer dans “Greetings” pour une fenêtre sur cour libertine et politiquement incorrecte. “Hi, Mom!” est disponible le 5 mai chez Carlotta Films.

Vétéran de la guerre du Viet-Nâm, John Rubin emménage dans un taudis d’une grande tour de Manhattan qu’il transforme en poste d’obsevation des ses charmantes voisines. Puis il se cherche un producteur de films pornographique pour financer son projet artistique : immortaliser les ébats vivants des voisines d’en face depuis sa “fenêtre sur rue”. Mais son programme de “rality porno” s’enroue quand la caméra bat de l’aile et fait capoter les prises de vues de ses performances avec la jolie fille intello et esseulée d’en face.

Libre, un peu fou, et fonctionnant par collage, “Hi, Mom” annonce déjà pour certains dans ses monologues hallucinés “Taxi Driver” (Paul Schrader avait proposé à De Palma d’écrire le scénario). psychédélique comme Phantom of Paradise sans en partager l’hystérie, ce film est peut-être un peu trop décousu, ce qui explqiue qu’il ne soit pas devenu “culte”. Mais tous retiendront la scène inattendue et totalement politiquement incorrecte “Be black Baby” où est exposé en spot de pub satirique l’agenda politique d’un groupe pro-noirs avec lequel le héros va travailler. cet agenda consiste simplement à demander à chaque américain de retrouver le sang noir au fond de soi… L’identité se déconstruit, les images aussi.

“Hi, Mum!” de Brian de Palma, avec Robert de Niro, Charles Durning, Jennifer Salt, Gerrit Graham, USA, 1970, 83 min, Carlotta Films 19.99 euros.
Le Dvd contient également la bande-annonce, une étude sur le voyeurisme, une préface de Samuel Blumenfeld et un bonus caché.

La Seconde Guerre de Léon Werth rescussitée à l’Epée de bois

Mercredi 14 avril 2010

Au théâtre de l’Epéé de bois, Valérie Antonijevich met en scène des extraits du Journal de guerre de l’écrivain Léon Werth. Le titre de cette pièce qui nous plonge au coeur du quotidien de Français ordinaires pendant les années noires reprend un des codes de Radio Londres pour annoncer le débarquement de Normandie : “Mon Coeur carresse un espoir”. Une épopée réaliste et surranée.

Léon Werth est un auteur typique de la Troisième République : Khâgne, laïcisme, tranchées, et engagement d’intellectuel. C’est aussi un auteur un peu oublié et remis au goût du jour par les éditions Viviane Hamy. Valérie Antonijevich est allée puiser dans son Journal de guerre pour inventer un équivalent théâtral au “Chagrin et la Pitié” de Marcel Ophuls. Alternant récits extraits du texte de Werth en voix off, affichage de discours officiels de l’époque, et scènes de la vie quotidienne sous l’occupation, “Mon Coeur carresse un espoir” plonge le spectateur dans les débats politiques qui ont pu remuer les familles ou les villages de France de 1940 à 1944. Et l’on se re-pose avec des personnages fort simples des questions auxquelles nous avons désormais toutes les réponses : La France n’a-t-elle pas mérité sa défaite, à force de se laisser aller depuis la victoire de la Première Guerre? Pétain est-il vraiment pro-allemand ou tandis que le héros de Verdun “fait semblant” pour gagner du temps, la collaboration est-elle à mettre entièrement sur le compte de Laval? Le STO, un acte de nécessité, de lâcheté, ou patriote pour libérer des prisonniers? Les soldats allemands, si polis et bien mis, sont-ils vraiment des ennemis? Comment passer la ligne qui mène de la zone occupée à la zone libre? Puis : Mérite-t-on l’exécution pour avoir saisi l’opportunité de commercer urbainement avec l’occupant?

Si le texte de hussard de Léon Werth s’évère très decevant, d’une neutralité qui confine à la grisaille, et paraissant a posteriori carrément pontifiant sur les clichés des français collaborant gentillement, la mise en scène de Valérie Antonijevich est une belle réussite.  Cette dernière sait mettre ses comédiens en scène autour d’une simple table, puisque, même devant un ersatz de café ou leur dernière bouteille de vin, les Français discutent politique devant des victuailles. Elle a aussi l’idée géniale de déplacer la table sur l’immense scène de l’Epée de bois, parvenant ainsi à meubler avec 6 comédiens, quelques habits et deux rangs de vêtements, un espace où le spectacle pourrait se perdre. Endossant les rôles de Français moyens qui se succèdent sans jamais rien dire de très original ou de très touchant, Yves Buchin, Jean-Marie Garcia, Frédéric Jeannot, Toma Roche et Nadja Warasteh donnent leur maximum pendant plus de deux heures pour offrir une voix émue à ces personnages. Un voyage dans l’histoire dans ses heures les moins glorieuses.

Mon Coeur carresse un espoir“, d’après un texte de Léon Werth, mise en scène Valérie Antonijevich, chorégraphies Yano Iatridès, avec Yves Buchin, Jean-Marie Garcia, Frédéric Jeannot, Toma Roche, Nadja Warasteh, et Aristide Legrand (voix de Verth), jusqu’aun 25 avril à l’Epée de bois, Route du Champ de Manoeuvre, Cartoucherie du Bois de Vincennes, mar-sam 21h, dim 16h, sam 17 et 24 avril 16h, Paris 12e, m° Porte de Vincennes PUIS Bus 112, durée du spectacle : 1h10, 18 euros (TR : 13 euros).Réservation au : 01 48 08 39 74.

© Joey

Le MAHJ rend hommage à la Radical Jewish Culture

Vendredi 9 avril 2010

Le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme a organisé la première exposition  mondiale dédiée au mouvement de la “Radical Jewish Cultire”. Née à New-York au début des années 1990, et chapeauéte par le compositeur John Zorn, cette mouvance culturelle qui puise dans les racines de la tradition et de l’histoire juive est née dans le Lower-East Side de New-York. Pour devenir une référence incontournable des musiques alternatives présentes sur la scène internationale… De nombreux concerts sont également prévus au MAHJ, dont Zorn lui même, Annthony Coleman et David Krakauer. Un évènement qui place Paris à l’avant-garde de la contre-culture…

La radical Jewish Culture est née en lieu et place de la naissance du nazisme, à Munich, en 1992 lors d’un festival qui portait le nom de ce mouvement et où John Zorn avait réuni le guitariste Marc Ribot, le pianiste Anthony Coleman, le violoniste Mark Fledman et où il avait également fait venir Lou Reed. L’oeuvre princeps du mouvement est la violente “Kristallnacht” de Zorn, sous le signe de l’étoile jaune, de collages de sons de verre brisé, d’un hommage à la dodécaphonie de Schönberg, et empreinte de judaïsme à travers des référence à la gematria (numérologie juive)…

A travers une scénographie qui, comme d’habitude au MAHJ, est très soignée, les jeunes commissaires de l’exposition Mathias Dreyfus, Gabrielle Siancas et Raphaël Sigal, invitent le visiteur à découvrir le moment fondateur et l’évolution du Radical Jewish Movement. Casque autour du cou, afin de pouvoir se brancher sur divers types de musiques ou d’interviews des principaux acteurs du mouvement, celui-ci est amené à comprendre comment cette troisième génération new-yorkaise a voulu retrouver ses racines juives pour s’en inspirer et créer une culture radicale. Les rapports avec la beat generation, et les autres types d’art (les superbes photos de Michael Macioce) sont explixitées, de même que les sources juives : le kletzmer bien sûr, mais qui est plus un écho que le fondement de la musique des juifs radicaux, le temps des réunions annuelles qui est celui de Pessah (la pâque juive), et la volonté de se détourner de judaïsme assimilé pour approfondir les leçons du hassidisme et du Baal Schem Tov.

Mouvement protéiforme, et semblet-il plus “schibolleth” (mot de passe) entres tribus que véritable groupe artistique, la New Jewish Culture se tient cependant regroupée derrière le label de son chef, John Zorn. Sa maison de disques, Tzadik (“le sage”, “le juste”, en hébreu) est conscarée aux msuiques juives et contient la collection “Radical Jewish Culture”. Si pour certains membres du mouvement, la RJC est un mouvement social ou politique, la conception personnelle de Zorn semble puiser plus profond : selon le compositeur, il y a bien un inconscient juif, une sorte d’Ur-grammaire de tous les signes qui “grifferait” tout art produit par un juif. Reste à en être conscient et à l’exprimer ouvertement pour se montrer radical… Mais Zorn n’est pas prosélyte et laisse toute son ouverture d’esprit au mouvement… On se régalera notamment en écoutant et voyant des extraits de son opus magnus moultes fois ré-enregistré : Masada.

Dernière remarque : la RJC n’est pas morte loin de là et si la slale originelle des concerts des années 1990, la Knitting Factory, est un peu “out”, Zorn a toujours son lieu free et jazzy à Manhattan : The Stone.

Pour ceux qui ne sont pas prêts à traverser l’Atlantique pour se familiariser avec la RJC, le MAHJ prévoit une série de concerts exceptionnels, noatmment (mais c’est complet) Krakauer et Coleman le 14 avril, Zorn le 18 mai et le Ben Goldberg Trio le 2 juin. Toutes les infos ici.

“Radical Jewish Culture”, jusqu’au 18 juillet 2010, MAHJ, Hôtel de Saint-Agan, 71, rue du Temple, Paris 3e, m° Rambuteau, Hôtel de Ville, lun-ven, 11h-18h, nocturne le mercredi j.q. 21h, 7 euros (TR: 4,50 euros).

Site très docuementé de l’évènement, ici.

Unpacking my library

Vendredi 9 avril 2010

Me voilà assise au milieu de mon studio- par terre. Une deuxième bibliothèque a remplacé l’ancien canapé blanc et tous mes livres sont sur le sol. Entre rêve et cauchemar dans une vie redevenue très parisienne et qui ne s’arrête pas. Ou alors pour des petits voyages de 30 heures en Normandie passés sous perfusion de bourgogne où je m’échine à griller mon vernis sur le babyfoot de la cathédrale et à vaincre le froid humide qui vous ronge les cuisses. A jouer au tarot et à rire aussi. Une vraie détente, qu’il ne faut pas que je prolonge sous peine de vraiment rompre la tension qui me porte.  Les journées sautillent entre les 3 cours hebdomadaires à préparer, la com’ branchée de l’agence en3mots et la rédac de la boîte à sorties. Hier soir, j’ai ainsi enchaîné un opéra de glass sur kafka, un dîner de copines, un verre dans mon quartier et me suis laissée traîner pour un dernier verre au BC en compagnie d’un vieux beau italien et de son hôtesse de l’air de maîtresse. J’ai fini par rentrer Schubert aux oreilles sur le pont de l’Alma. Paris est tellement beau que cela fait presque mal aux yeux. Avec la fin du froid, et ce début de renaissance dans l’air, je marche. Beaucoup. Ça laisse le temps de réfléchir sur le mal de pieds, et les bienfaits des talons plats. J’ai beau dire que je ne suis pas de la mousse pour le bain, il paraît que j’ai toujours l’air à la fois forte et légère. Ça ne me fait plus rien, j’ai l’habitude, et remercie mon indifférence de me rendre bien moins malheureuse que l’an dernier à la même époque.

Un musicien dans les sous-sols de Berlin

Jeudi 8 avril 2010

Spécialiste des destins emblêmatiques, l’écrivaine alemande Marie-Luise Scherer brosse le portrait d’un accordéoniste que la chute du mur pousse sur les routes d’Europe entre deux points fixes : Essentouki et Berlin. Une belle aventure humaine publiée en Français par Actes Sud.

A la fin de l’ère soviétique, l’irruption de l’économie de marché en Georgie met l’accordéoniste Kolenko au chômage : plus personne n’a le temps de payer un peu de musique. Il quitte sond sa jolie femme pour tenter sa chance à Berlin. De quais de métro en cimetières, il parvient à conquérir un certain public, ses accents russes et son nom de scène “Karpov” parlant à un public dont l'”ostalgie” croît à mesure que les années 1990 avancent. Mais  trouver un toît est souvent difficile et si départager l’artiste du mendiant n’est pas toujours évident pour le public berlinois. Qui plus est, les visas s’épuisent vite et Kolenko retourne souvent au pays, y apportant des tonnes de vêtements généreusement donnés et pas mal d’argent. A chaque fois, il lui fait retrouver un “tuteur” qui l’invite à nouveau à Berlin pour revenir y gagner sa vie, et traverser toute l’europe de l’est dans des trains interminables où il rencontre une foule de personnages déchus ou avides, tous plus colorés les uns que les autres. La course se termine sur le mariage de son fils et la relève des générations futures. Marie-Luise Scherer livre un roman très humain (écrit en 2003), aux qualités documentaires incontestables et que tous les amoureux de l’est liront avec délectation.

Marie-Luise Scherer, “L’Acordéoniste”, trad. Anne Weber, Actes Sud, 155 p. , 18 euros.

A peine la musique l’avait-elle attirée dans le tunnel que son besoin d’agir thérapeutique s’intensifia au point qu’elle se sentit pousser des ailes. Tombant sur cet homme qui avait l’air complétement ailleurs, elle dit : ‘C’est chouette, ta façon de jouer’. En effet, Kolenko jouait sans aucune de ces mimiques accrocheuses qui, dans son métier, attirent le public. Il souriait sans regarder personne, même lorsqu’une pièce tombait. Mme Machate saisit d’emblée, en lisant la pancarte en carton, ce qui le poussait à une telle retenue en faisant de la musique. Il voulait éviter par là qu’on amalgame son art et sa recherche d’un logement, qui ressemblait à celle d’un mendiant.” p. 21.

Opéra : Dans la colonie pénitentiaire de Philip Glass à l’Athénée

Jeudi 8 avril 2010

Après “The Rake’s progress” d’Igor Stravinsky en novembre dernier, le théâtre de l’Athénée propose un autre opéra au livret littéraire : “Dans la colonie pénitentiaire” est une nouvelle de Franz Kafka, mise en musique par le grand Philip Glass et interprété par leQuintette à cordes de l’Opéra national de Lyon. Le résultat est un vrai spectacle total, d’une grande qualité musicale, avec danse, jeu, et une mise en scène convaincante signée Richard Brunel.

Réfléchir sur discipline est à la mode. Hier soir la machine de torture de la colonie pénitentiaire  imaginée par Franz Kafka en 1914 s’est déplacée du musée d’Orsay où elle trône dans l’exposition “Crime et Châtiment”, pour se mettre en mouvement au son des vents polyphoniques de Philip Glass. Et Robert Badinter, à l’origine de l’exposition à Orsay était dans la salle du théâtre Louis Jouvet pour assister à  la première de cette métamorphose. Gommant le fantatsique de l’inquiétante et étrange nouvelle de Kafka pour en donner une lecture proprement politique Glass, Brunel et le librettiste Rudolph Wurlitzer ont mis l’accent sur la neutralité coupable du visiteur de la colonie pénitentiaire. Respectant le tragique “en temps réel” de la nouvelle, l’opéra de chambre recentre la tension sur la cauchemardesque machine de punition inscrivant à la herse et dans le dos de condamnés qui ne savent pas qu’ils ont été jugés ni pourquoi le motif de leur punition. Faisant le lien entre le système de surveillance (les fameuses “sangles” qui tiennent les membres des suppliciés pendant les heures) et le système de biopouvoir totalisant (qui a prise directement sur les corps), cette machine donne à l’injustice l’idéologie (selon Hannah Arendt étymologiquement : la logique d’une idée) qui convient pour que tous l’acceptent même si plus personne ne festoie au spectacle de la machine en marche, comme cela a pu être le cas dans des temps barbares et passés.

En marche la machine de l’opéra l’est tout au long des 16 tableaux composés par Glass: l’orchestre d’instruments à vents se déplace et la machine se construit peu à peu dans une tension presque intenable et envahit toute la scène. Des lambeaux de peau viennent à peine s’interposer entre la torture et le spectateur pour mieux le laisser imaginer la cruauté. Et pourtant, que la cruauté est belle dans ce mouvement inexorable! la musique tonale de Glass, les scènes de danse entre les victimes et les bourreaux, les tours et détours mesurés de la machine, l’anglais si propre des colonisateurs et du visiteur et même le sang final se répandant en volutes viennent envoûter et fasciner le spectateur. Seuls quelques cris et des bruits de radio viennent le déloger de cette douce torpeur au cœur des ténèbres. Les deux voix d’hommes qui se répondent, celle chaude et grave de l’officier et son souci de préservation de la “tradition” (Stephen Owen) et celle plus haute et étonnée du visiteur immaculé qui prend calmement ses notes (Michael Smallwood) participent de cette inquiétante étrangeté du beau là où l’on attend le bruit et la fureur.

On ne peut que saluer bien bas toute l’équipe de cette colonie pénitentiaire pour la qualité exceptionnelle du spectacle, et la gêne qu’elle parvient à créer. Une gêne qui pousse celui qui ne peut pas fuir à longuement réfléchir.

“Dans la Colonie pénitentiaire”, de Philip Glass, livret de Rudolph Wurlitzer d’après la nouvelle de Franz Kafka, mise en scène Richard Brunel, direction du Quintette à cordes de l’Opéra national de Lyon : Philippe Forget, scénographie Anouk Dell’Aiera, avec Stephen Owen, Michael Smallwood, Nicolas Henault, Mathieu Morin-Lebot, Gérald Robert-Tissot, jusqu’au 17 avril, mercredi, jeudi, samedi, 20h, mardi 13 avril, 19h, dimanche 11 avril, 16h, Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, 7 rue Boudreau, Paris 9e, m° Opéra, 40 € à 18 € (TR dont moins de 30 ans, 31 € à 14 € e le jour même, de 20 € à 9 €).

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.

Green Zone ou la désobéissance musclée du sous-officier Damon

Mercredi 7 avril 2010

Après “La mort dans la peau” et “La vengance dans la peau”, Paul Greengrass retrouve Matt Damon pour une adaptation du livre de Rajiv Chandrasekaran, “Green Zone”. Un film haut en couleurs sur l’intelligence américaine après la chute de Bagdad et la lancinante question de savoir si les armes de destruction massives ont jamais existé. Sortie le 14 avril 2010.

2003. Roy Miller (Matt Damon) est un sous-officier américain en mission en Irak et chargé de retrouver les fameuses armes de destruction massives qui avaient déclenché la guerre. Or les savants rapports qui sont supposés le guider dans sa recherche le mènent toujours sur des terrains dangereux où son équipe fait chou blanc. Alors que la hiérarchie militaire continue de lui garantir les sources de ces rapports, Miller rencontre un irakien (Khalid Abdalla) qui le mène à une réunion secrète d’anciens généraux de Saddam Hussein. Il parle également avec un agent de la CIA, Martin Brown (Brendan Gleeson), qui lui confirme que son intuition était juste : il n’y a jamais eu d’armes de destruction massive en Irak. Finalement, autour de la superbe piscine qui trône dans la “zone verte” de l’occupation américaine à Bagdad, il rencontre la journaliste du Wall Street Journal (Amy Ryan)qui avait répandu la rumeur sur les armes avant la guerre. Toutes ces pistes le mènent à enquêter sur le rôle du responsable en chef du Pentagone à Bagdad : Clark Poundstone (Greg Kinnear). Il a peut-être trahi les informations données par un proche de Saddam Hussein pour presser l’intervention américaine…

Ne laissant aucune place à la romance où à tout autre divertissement qui éloignerait le sous-officier Miller du coeur de son enquête, le réalisateur de “Bloody Sunday” et de ” Vol 93″ signe un thriller méticuleux sur la guerre d’Irak. Des vétérans étaient présents sur les lieux du  très long tournage (Espagne et Maroc) où Bagdad a été méticuleusement reconstituée. La complexité de la question irakienne et respectée, y compris celle de savoir par qui et comment remplacer le régiem décapité. Musclé et aux aguets, Matt Damon joue parfaitement la désobéissance inattendue d’un sous-officier qui comprend peu à peu combien l’état-major lui a menti. Dans la vraie vie, le comédien expliquait avec esprit et humour combien il doutait dès avant la guerre de l’existence de ces armes de destruction massive dont parlait l’administration Bush, lors de la conférence de presse qu’il a donnée à Paris. Plus sérieux, Paul Greengrass a donné à son public une vraie leçon de cinéma en argumentant son credo : tout film doit partir d’une vraie question. Pour “Green Zone”, cette question était “Comment en sommes-nous arrivés là?”. La réponse en images dure 1h55 de tension salutaire.

“Green Zone”, de Paul Greengrass, avec Matt Damon, Brendan Gleeson, Amy Ryan, Greg Kinnear, Khalid Abdalla, et Jason Isaacs, USA, 2010, 1h55, sortie le 14 avril 2010.