Archive pour 10 mars 2010

Filmer les camps : derrière l’épaule de trois grands réalisateurs américains au Memorial de la Shoah

Mercredi 10 mars 2010

Jusqu’au 31 août, le Mémorial de la Shoah présente au premier étage une exposition sur les images prises par trois grands réalisateurs américains : John Ford (Les raisins de la colère, La Chevauchée fantastique), Samuel Fuller (The Big red one) et George Stevens (Swing Time, Le Journal d’Anne Frank). “Filmer les camps” s’intéresse à la manière dont ces trois cinéastes ont recueilli  des images des camps de concentration de Dachau et Falkenau (annexe de Flossenbürg) pour l’armée américaine à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et l’on découvre que, aux antipodes de toutes les idées reçues, ce sont de véritables équipes de professionnels, briefées pour obtenir des témoignages incontestables et recevables par des cours de justice qui ont été envoyées à la libération des camps.

Ne manquez pas ce soir la projection du documentaire sur le témoignage de Samuel Fuller sur son travail à Falkenau, en présence de Georges Didi-Huberman.

Déjà très célèbre à Hollywood, notamment pour ses comédies musicales comme “Swing Time” avec le couple Astaire/Rogers, George Stevens s’est engagé en 1943 dans l’armée américaine au service de la communication, le signal corps. Eisenhower lui a demandé de créer une unité spéciale de tournage, la SPECOU (Special Coverage Unit). C’est cette unité -composée de 45 pérsonnes- qui est allée filmer la libération du camp de Dachau à partir du 3 mai 1945. Le responsable de chaque unité faisait un rapport quotidien des activités. Un rapport hebdomadaire, souvent signé par Stevens lui-même, était également rédigé chaque semaine. Membre de l’équipe, l’écrivain Ivan Moffat, a également tenu un cahier relatant les activités de la SPECOU. Très conscients du fait que leurs concitoyens risquaient de ne pas croire ce qu’ils ont vu, les membres de l’équipe de Stevens documentaient avec atention leurs rapports d’act_ivités et de prises de vues. Ils ont également pu interviewer une quinzaine de prisonniers du camp, dont le résistant français Edmond Michelet. 3 de ces entretiens sont visibles à l’exposition du mémorial.

“Crime reporter” reconnu pour certains tabloïds américains avant la guerre, Samuel Fuller a rejoint en 1942, la fameuse première division d’infanterie de l’armée américaine (“The Big red one”). Il s’est  fait envoyer une caméra en Tunisie par sa famille, et sachant cela, l’armée lui a demandé d’aller filmer la libération du camp Falkenau. Aidé d’une équipe de professionnels  d’hommes formés pour recueillir des images témoins, il a ainsi tourné son “premier film”.

John Ford, qu’on ne présente plus, était réserviste dans la Marine pendant la guerre. Il y a créé dès 1939 la Field Photo de la 11e section navale,  une section très indépendante vis-à-vis de la hiérarchie militaire, qui s’est trouvée fin prête pour aller filmer un documentaire sur Pearl Harbor, juste après l’attaque japonaise. Cette section de cinéma est devenue la Field Photographic Branch (FPB), comprenant une soixantaine de techniciens, spécialement formés pour filmer les évènements historiques. Contrairement aux idées reçues, les membres des équipes de la FPB étaient très formés  à immortaliser des témoignages et suivaient une procédure très précise, explicitée dans un cahier des charges explicites sur les manières de filmer pour que les documents soient considérés comme authentiques. Ce fascinant cahier des charges est exposé au mémorial. “December Seventh” puis “The battle of Midway” sont deux documentaires réalisés par l’équipe de Ford pendant la guerre et qui lui ont permis de remporter deux oscars en 1943 et 1944.

Lorsque le Tribunal Militaire International de Nuremberg a été mis en place, à l’été 1945, le procureur Jackson a demandé à la FPB de Ford de reprendre les images de la libération de Dachau prises par la SPECOU de Stevens, afin de réaliser une partie du film “Les camps de concentrations nazis” (qui montrait également des images russes de la libération du camp d’Auschwitz, projeté à Nuremberg le 20 novembre 1945.

L’exposition montre également comment leur expérience de la guerre a influencé les films des trois réalisateurs américains après qu’ils ont quitté l’armée. Stevens est revenu à Dachau avant de réaliser son journal d’Anne Frank, Fuller a utilisé des images de la libération  de Falkenau pour Verboten et certaines scènes de camps ont influencé les images des Raisins de la colère de Ford.

Mêlant textes (lus par Matthieu Amalric et Jean-François Stévenin), films, documents historiques de l’armée américaine et témoignages des réalisateurs, l’exposition “Filmer les camps” est sténographier de manière à parler à la fois aux historiens et aux cinéphiles. Elle explique bien les techniques de réalisation des années 1940, et exprime combie la problématique de savoir comment filmer pour enregistrer des preuves inattaquables a été au cœur des équipes chargées de filmer les camps pour l’armée américaine.

“Filmer les camps, John Ford, Samuel Fuller , George Steven, de Hollywood à Nuremberg”, jusqu’au 31 août 2010, Mémorial de la Shoah, tljs sauf samedi 10h-18h, 17, rue Geoffroy l’Asnier, Paris 4e, m° Saint-Paul ou Pont Marie, entrée libre.

Pour voir l’ensemble des projections rencontres autour de l’exposition, cliquez ici.
Un cycle Hollywood et la Shoah est organisé à partir du 25 mai.

Photo : 1944 © George Stevens Paper, Margaret Herrick Library, Academy of Motion Picture Arts and Sciences.

Lucian Freud, l’intérieur projeté au Centre Pompidou

Mercredi 10 mars 2010

Jusqu’au 19 juillet, le Centre Pompidou dédie une grande exposition au peintre anglais Lucian Freud. Agencé autour du thème de l’atelier, celui de Paddington, puis de Notting Hill, où Freud a concentré l’incarnation ses personnages depuis les années 1960, le parcours thématique proposé par Cécile Debray montre des grands intérieurs récents de l’artiste qui a aujourd’hui 88 ans.

Je veux que la peinture soit chair.” (Lucian Freud)

Alors que la dernière rétrospective française dédiée à Lucian Freud avait eu lieu en 1987 à Beaubourg, près d’un quart de siècle plus tard, le Centre recommence et offre à voir dans 900 m² les plus grandes toiles réalisées par l’artiste dans son atelier, des années 1960 à nos jours. S’ouvrant sur le surréaliste “Atelier du peintre” de 1944 l’exposition se décompose en thématiques simples (quoique pas toujours entièrement respectées…)

– “Intérieur/ Extérieur” montre les deux faces de l’atelier : l’intérieur où les personnages gisent, posent et savent parfois se tenir, et sont incarnés avec une crudité dont les fans de Lucian Freud apprécieront les multiples renouvellements. Certaines scènes d’extérieurs peuvent encore montrer sur le bitume des petites filles semi-nues, mais les végétariens apprécieront les herbes folles des “Jardins du Peintre”, et spécialement les eaux-fortes que ce jardin a inspiré au peintre. Et l’on découvre un Lucian Freud également génial dans l’art de la nature morte, et qui note avec précision et en couleurs les détails de son atelier, comme par exemple dans “Deux lutteurs japonais près d’un évier”.

– “Reflets” interroge l’art de l’autoportrait chez Lucian Freud. Le peintre n’a jamais cessé de peindre son reflet. Même après avoir atteint un grand âge. Certaines toiles comme “Painter Working” (1993) superposent des couches de peintures qui SONT les nerfs et les muscles du peintre. En effet, Freud refuse l’étiquette d’artiste expressionniste :

“La façon dont on se présente impose que l’on s’efforce de se peindre soi-même comme si on était une autre personne. Dans le cadre de l’autoportrait, la ‘ressemblance’ devient quelque chose de différent. Je dois faire ce que je ressens, sans être expressionniste”.

-“Reprise” montre un visage assez peu connu du peintre. Lui qui s’est longtemps enfermé dans son atelier et ses sensations pour créer, a aussi beaucoup copié les maîtres, comme Cézanne. Mais à contre-courant du parcours classique qui voudrait que la copie des grands appartienne aux années de formations, Freud s’y est beaucoup intéressé dans les années 1990. Et s’est lui-même copié, démultipliant certains de ses thèmes à plusieurs mois ou années d’intervalle.

-Enfin, “Comme la chair” explicite le rapport direct que Freud établit entre chair et peinture, notamment en montrant ses toiles très récentes (1990-2000) des corps énormes de “Big Sue” et ses escarres, de son chien “Eli”, mélangé aux corps des modèles, ainsi que de Leigh Bowery.

L’expo se termine par de superbes photos de l’atelier prises par David Dawson, l’assistant du peintre.

“Lucian Freud, l’Atelier”, jusqu’au 19 juillet, Centre Pompidou, niveau 6, de 11h00 – 21h00 jusqu’à 23 h le jeudi, fermé le mardi, et le 1er mai, Paris 4e, m° Rambuteau ou Hôtel de Ville, Tarif plein 12€ ou 10€ selon période / tarif réduit 9€ ou 8 € selon période.

crédits photos :

1) After Cézanne, 2000, National Gallery of Australia, Canberra

2) Working at night, 2005, David Dawson, courtesy of Hazlit Holland Hibbert, Londres