Tout faux
Dimanche 7 mars 2010Depuis cette longue marche dans le parc ( ou était-ce avant?) tout sonne faux. Mon cœur battait un air de tête ou de peau d’amoureuse adolescente, j’avais à nouveau 19 ans, les bottes dans la neige, les ombres neo-gothiques des bâtiments. J’étais triomphante, à la fois libérée et attachée. Mais à l’autre bout de la chaîne, un mauvais jeton, faux déjà, et je le savais. Depuis, donc, plus de musique, plus de poésie; parfois de longues heures de travail, parfois la chaleur d’une rencontre. Un ami abrité, une copine attentive. Mais succès en demi-teinte ou échec fantasmé, tout sonne faux. Même le temps qui passe sur des jours à la fois pleins et vides. La machine à sentir s’est grippée ; écharpe au collet elle n’enregistre plus qu’une grande lassitude. Que des moments de joie un peu artificielle rendent supportable. Ces moments là masquent comme l’aspirine une fièvre sans fond. Une dette que je bois plus vite que le mauvais vin percé d’un tonneau trop profond pour moi. Alors, je les rejette. Alors il n’y a rien d’autre qu’une grande tristesse. La tristesse du masque. En compagnie comme dans la solitude le même masque des collants filés et des yeux noirs. L’éternelle adolescente alourdie par son tonneau de Saint Bernard quand la douleur est inutile. Et sans mortification et sans calme, Clairvaux est de plus en plus trouble. Vision myope de ce qui est beau. De certains textes qui passent encore derrière une carapace mal façonnée. Une carapace qui ne protège ni de la manipulation, ni des rencontres inutiles et encore moins de la paresse d’être soi, encore et malgré tout. Soi, ce que les autres attendent. A force d’être déçue, je ne veux pas à mon tour décevoir. Et l’illusion prend la plupart du temps. L’habitude est un alcool fort. Même au moment où je ne m’y retrouve pas. Je joue donc à être, être moi, de plus en plus faux. Faux les élans de non-compromis, les dons encore possibles, et les secondes d’intimité volées. Fausses les nuits blanches branchées, angoissées ou confidentes, fausse la proximité d’un corps étranger, fausse même l’indifférence vers laquelle je dérive. Je fais tout mal, même et surtout quand je ne le fais pas à moitié. Et quand l’infini n’est plus dans la souffrance de l’amour, seule demeure une peur que la fatigue même efface. La peur, la vraie, avec son théâtre de fantômes qui réclament leur dû, moins fort qu’avant parce que je n’ai peut-être plus rien à donner. Mais leurs yeux impérieux réclament et même le découragement n’est pas un asile. La peur est là, quand tous les masques se taisent. Et elle est si effrayante qu’il me faudrait une épaule où m’appuyer. Et elle est si forte et il n’y a tellement personne, que toute seule dans la rue ou dans mon lit, je répète comme une chanson ancienne, une chanson d’avant Barbara et Monteverdi : je veux mourir. J’ai des visions de sang, de poignets écarlates, Parfois j’utilise juste un marqueur : pour souligner, pour la violence symbolique. J’imagine la mort comme une grande violence inutile avant un calme terrifiant. Et là aussi, je me dis que j’imagine faux, qu’au XXI e siècle, la mort arrive lentement; une longue et douloureuse dégradation de tous les sens. Je le sais, je les vois, et aprfois je les accompagne dans cette longue défaite, puisque c’est tout ce que je peux faire. Un long naufrage de médicaments, de mémoire trouée et défection de ceux qu’on a aimés. Jusqu’à parfois passer des années sans une caresse ou un baiser. La peur encore, pire peut-être, une peur de noyée. Alors je plisse fort les paupières et j’oublie. J’oublie aussi très faux. J’oublie parce qu’il le faut. Il faut. J’ai un petit rôle, on m’attend là et donc là, il faut que j’y sois. A défaut d’être tout simplement, je suis au bon moment et au on endroit. Là où l’on m’attend, à défaut de vouloir. Il faut. Mais il faut quoi quand tout sonne faux, quand la mélodie se tait, et les mots ne viennent plus. Il faut, c’est dérisoire. Il faut mais la fatigue est de plus en plus forte, et les épiphanies de peur de plus en plus fréquentes. J’essaie de conjurer, j’essaie de répondre à l’appel du “il faut”. Mais même mes essais sont hors de portée, en deçà de la la note. Et l’objectif qui semblait trois octaves trop haut, une fois dépassé, ne vaut plus rien. 700 pages, le dons de soi, des passades enterrées. Tout cela n’était qu’artefact. Ni fait, ni art, juste un peu plus de faux qui rajoute des heures aux jours pour raccourcir les nuits de pleine lune. Essoufflée, suffoquée, je pleure dans un silence de cendres. Et je prie parfois encore en mécréante, tout, plutôt que de crier. Tout plutôt de créer, je pense parfois. Infertile travailleuse, veinarde petite fille née avec une cuiller de miel dans la bouche, je ne sais pas comment continuer l’amour platine d’une famille-cocon. Je ne suis peut-être pas faire pour cela. Grave me dit-on. Belle dans la tristesse. Alors je fauche un peu de neutre, je fausse les cartes, je suis pleine de fautes. Et de regrets face à l’intranquille non-facilité de tout. Il faudrait un scaphandre pour plonger, il faudrait un ailleurs, mais il n’y a que le bout de mon faux-nez. Le passé est un trompe l’oeil minéral, et l’avenir une illusion déjà démodée.