Archive pour 2 mars 2010

Ce soir j’ovule au Théâtre des Mathurins : quand avoir un enfant est un parcours de combattante

Mardi 2 mars 2010

Le théâtre des Mathurins accueille dans sa petite salle un monologue drôle et poignant de Clara, une femme qui passé la quarantaine n’arrive pas à avoir d’enfant. De conseils de bonnes copines, en cure d’hormones, l’héroïne voit ses idéaux féministes mis à mal. Sur un excellent texte de Carlotta Clerici (dont la boîte à sorties vous avait parlé comme metteuse en scène pour la « Trilogie de la villégiature), et dans une mise en scène de Nadine Trintignant, la comédienne Catherine Marchal nous rend le désir frustré d’enfant de Clara proche et très tendre…

Clara vient de fêter son quarantième anniversaire, et cela fait près de cinq ans qu’elle se bat pour avoir un enfant. L’idée est née lors d’une folle nuit dans un grand hôtel au bord de la plage avec son compagnon, Marc. Depuis, le couple est soumis à la rude épreuve de s’accoupler utile, pendant l’ovulation. Et Clara, si fière de sa pilule et de sa liberté de femme dans l’adolescence se voit soumise à l’antique opprobre qui touche les femmes stériles. De tous côtés, on veut la faire culpabiliser, et on lui administre des conseils et des traitements extrêmement pénibles. Mais Clara retourne son désir d’enfant contrarié en fable franche, drôle et tendre où l’humour vient sublimer l’aliénation…

Très juste, et partant d’une histoire vécue, le texte de Carlotta Clerici sait- à l’image de son titre- appeler un chat un chat mais ne tombe jamais dans la vulgarité d’une description clinique ou  dans la trop grande légèreté d’une rubrique courrier du corps de magazine féminin. A l’heure où un couple sur sept rencontre des difficultés à avoir un enfant en France, ce texte vient mettre en lumière un sujet crucial et dont l’on parle pourtant très peu. L’humour est la clef de la réussite de ce monologue qui dénonce l’impératif antiféministe d’enfant, la mise au ban archaïque des femmes stériles ; et même si Clara reconnaît que les progrès de la science lui permettent d’espérer, elle fustige l’acharnement thérapeutique qui consiste à nourrir d’hormones et forcer à faire des FIV  à grands traits de culpabilisation des femmes dont on ne connaît même pas les causes d’infertilité. Dans une mise en scène sobre, blanche, et chic de Nadine Trintignant où le canapé du salon se transforme plus souvent qu’à son tour en fauteuil de gynéco, la formidable Catherine Marchal (qu’on a pu voir dans 36 Quai des Orfèvres, et dans de nombreuses séries françaises) incarne une Clara pleine de vie malgré son ventre plat.
« Ce soir j’ovule » oscille avec succès entre le spectacle charmant, la comédie et le monologue coup de poing. Et des personnes de tous sexes et de tous âges  (sisis) dans la salle sympathisent et rient de grand cœur avec Clara.

« Ce soir j’ovule » de Carlotta Clerici, avec Catherine Marchal, mise en scène Nadine Trintignant, assistée de Vincent Trintignant, Théâtre des Mathurins, mar-sam, 19h30, 36 rue des Mathurins, Paris 8e, m° Hâvre-Caaumartin ou Madeleine, 24 euros, réservation : 0142656246.

© Nathalie Mazéas

Documentaire : Le Coran, aux origines du Livre

Mardi 2 mars 2010

Paru aux éditions Arte vidéo, le documentaire de Bruno Ulmer montre croyants musulmans et chercheurs orientalistes travaillant main dans la main à la recherche des origines du Coran. Alors que l’Ancien et le Nouveau Testaments ont été mis par écrit à diverses époques et dans plusieurs langues, tous les musulmans du monde récitent les versets d’une même édition des révélations faites à Mahomet. Cette édition date du Calife Uthman, au VII e siècle de notre ère, soit à peine un demi-siècle  après la mort du prophète. Les chercheurs contemporains se penchent actuellement sur les fragments les plus anciens du Coran pour dérouler l’histoire du Livre Saint. Une aventure passionnante, réalisée entre Damas, La Mecque, Paris et Berlin.

Le Coran (“Lecture” ou “récitation” en Arabe) est la somme des vérités révélées au prophète Mahomet à la Mecque et à Médine de 610 à 632, date de sa mort. Jusqu’à aujourd’hui les versets du Coran sont appris par cœur et récités par les croyants. Mais très vite des supports à la récitation sont calligraphiés, et à mesure que le territoire de l’Islam s’est étendu, une volonté d’homogénéisation s’est imposée. C’est le 3e calife, Huthman qui a fait établir la version canonique du Coran, vers l’an 650. Les 6 copies que le calife a fait faire classaient déjà les 114 sourates non par ordre de révélation mais par taille : de la plus longue à la plus courte (sauf la première). Après la décapitation d’Hussein, le fils d’Ali, à la bataille de Kerbala en 680, les chiites ont également adopté cette version  canonique du Coran, même si elle a été établie par le calife descendant d’Abou Bakr et donc de la branche sunnite de l’Islam. Puis ,alors que Damas et non plus Médine est devenue la capitale de Islam sous les Ommeyyades (661-750), le grand Abd Al Malik (647-705) a fait ajouter les consonnes et la ponctuation dans cette “vulgate d’Huthman” et comme Huthman, il fait envoyer cette version du Coran aux quatre coins de l’Empire. Depuis, c’est cette version du Coran que tous les musulmans du monde récitent. Cependant l’existence de vieux manuscrits, comme le manuscrit arabe 328 conservé à la BNF à Paris ou la redécouverte  en 2007 des quelque 9 000 photographies de très anciennes versions du Coran prises par un orientaliste allemand en 1934 (on les croyait détruites pendant la guerre avec l’Académie des Sciences bavaroises mais elles ont été retrouvées et sont désormais étudiées par un groupe de recherche berlinois : le Corpus Coranicum) montrent que les premières versions du Coran différaient de la vulgate d’Huthman, et que comme les autres textes saints, le Coran a une histoire. Ce sont les indices de cette histoire que le documentaire de Bruno Ullmer tente de transmettre, par l’intermédiaire des connaissances de jeunes croyants musulmans et de chercheurs européens chevronnés travaillant ensemble pour percer les mystères de l’origine du Coran.

“Le Coran, aux origines du Livre”, documentaire de Bruno Ulmer, avec Angelika Neuwirth, Ferid Herder, François Déroche, 52 min + compléments, Arte vidéo, sortie le 11 mars 2010, 20 euros. Diffusion le 13 mars à 21h30 sur arte.

Dans la même collection à paraître en avril : “La voie du Tao”.

Frédéric Vignale, moraliste 2.0

Mardi 2 mars 2010

Le rédacteur en chef du Mague est l’un des rares “amis” que l’on aime suivre sur facebook. A mille lieues des soporifiques “X s’est fait cuire des pâtes” et “Y est fatigué”, les statuts de ce moraliste qui sait vivre dans l’époque qu’il critique sont des petites perles de pensées qui provoquent de jolies étincelles. En témoignent les multiples commentaires que les pensées existentielles et  lettrées de Vignale suscitent en direct sur son “wall” et pour la première fois, un petit livre qui recueille les plus fins de statuts de l’automne dernier. “Frédéric Vignale trouve que Louis XIV était vraiment un bon président de la République” (éditions Biliki) est un témoignage de sagesse et de délicieuse déraison à offrir sans modération à tout ami qui sait de près ou de loin ce qu’est l’ironie.

Les vrais écrivains ne se risquent plus à publier des romans sur papier, ils postent des statuts sur facebook, c’est bien moins ringard” (p. 33)

La renommée des status facebook de Frédéric dépasse désormais le cadre feutré de ses 1700 amis. “Frédéric Vignale trouve que Louis XIV était vraiment un bon président de la République” retrace les aphorismes web 2.0 d’une de nos très belles plumes. Jeux de mots, pensées qui fusent autour de l’actualité mais aussi de la condition de l’homme moderne sont concentrés dans cet assortiment d’humeurs-humour en quelques lignes. Et l’éphémère de la saison dernière est désormais imprimé noir sur blanc sur papier glacé. Si le coup de barre physique de Johnny ou l’élection de Miss France nourrissent l’état psychique quotidien d’un Vignale très “Net and the City”, des prises de positions plus politiques sont aussi de mise. Notamment autour du débat sur l’identité nationale : “FV a échangé sa carte d’identité contre un abonnement d’un an à Pif gadget. A bien meilleure conscience”. Mais c’est sans se prendre au sérieux que Vignale proteste délicieusement sur sa page facebook contre le blingbling sarkozien qu’il décrit comme quasi-monarchique : “Fv fait fi des saisons et a créé sa propre météo intérieure. Mine de rien c’est un véritable acte politique” (p. 30).

Puisque selon Vignale, “Toutes mes vérités sont bonnes à dire” (p. 51), certaines sont strictement conjoncturelles, et pourtant bien agréables à lire. Ni macho, ni intello, juste garçon sensible, intelligent et amoureux de sa talentueuse fiancée, Vignale irradie depuis Tchernobyl jusqu’à l’orée de 2010. A l’image du titre, ses bonnes phrases sont toujours à lire au dixième degré, et en disent long sur nos contemporains doublement branchés. Frédéric Vignale est donc un moraliste classique à la La Rochefoucault qui propose sous une forme discontinue un tableau des moeurs de son époque. Le paradoxe est que  cette forme est bien ancrée dans cette époque, et qu’en grand esprit qui buzze, Vignale a poussé la blague distanciée jusqu’à l’imprimer pour que vous puissiez l’offrir en bouquet. Chers amis lecteurs, à la fois “hype” et critiques, nous vous souhaitons une bonne lecture et de délicieux fous rires à la lecture de ce petit recueil d’aphorismes facebookiens.

“Frédéric Vignale trouve que Louis XIV était vraiment un bon président de la République”, éditions Biliki, 5 euros.

Comment 1 : Le livre de Frédéric Vignaleest le premier volume d’une collection entière nommée “ lu sur facebook” dont deux autres titres sont déjà disponibles  aux éditions Biliki.

Comment 2 : Vous pouvez le suivre chaque jour sur facebook (s’il vous accepte comme ami) et sur le mague et bientôt voir ses superbes photos sensuelles et chics de Catwoman.

La révélation de Hans Christian Schmid, un thriller européen très réaliste au TPIY

Mardi 2 mars 2010

Après l’intimiste “Requiem”, le réalisateur allemand Hans Christian Schmid retrouve le scénariste Bernd Lange pour “La Révélation”. Un thriller au casting européen qui retrace avec un réalisme suffoquant le procès d’un criminel de guerre serbe au Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie. Alors que le TPIY doit clore ses activités  à la fin de l’année, après 17 ans de services, et que le criminel de guerre serbe Radovan Karadzic doit finalement être jugé ce mois de mars après avoir boycotté l’ouverture de son procès en octobre dernier, “La révélation” est d’une actualité brûlante. Sortie le 17 Mars 2010.

Un criminel de guerre imaginé par Schmid et Lange, Goran Duric, doit comparaître devant le TPIY pour Crimes contre l’Humanité, alors qu’il brigue la présidence serbe. Alors qu’elle n’est pas tout à fait prête à accepter une mission si délicate, la procureure Hannah Maynard (Kerry Fox Ours d’argent pour son rôle dans “Intimité” de Chéreau en 2001 et que l’on a vue dernièrement à l’écran dans “Bright Star” de Jane Campion) se trouve discréditée lorsque les propos de son témoin principal sur l’épuration ethnique d’un village bosniaque sont prouvés êtres des faux. Après que le mensonge a été démontré sur le terrain, ce témoin se suicide. Folle de rage à l’idée d’avoir été dupée par un témoin dans lequel elle avait confiance et à l’idée de laisser filer Duric qu’elle sait coupable, elle se tourne vers la sœur de son témoin, Mira (Annamarica Marinca, dévoilée dans le rôle principal du film de Robert Mungiu “4 mois, 3 semaines et deux jours”) . Celle-ci en sait bien plus sur les crimes de guerre de Duric qu’elle ne veut bien l’avouer. Mais convaincre cette mère de famille heureuse qui a refait sa vie à Berlin de témoigner à la barre du TPIY n’est pas facile. C’est aussi prendre le risque de la mettre physiquement en danger quand non seulement la Serbie, mais aussi toutes les autres puissances européennes ont intérêt à tirer un trait définitif sur le passé douloureux de l’ancienne Yougoslavie…

Avec un casting européen, un mélange de langues très réaliste (et la roumaine Annamarica Marinca est tout à fait crédible en bosniaque), ainsi qu’une flopée de halls d’hôtels, d’avions et de voyages entre La Haye et Sarajevo, “La révélation” donne à voir de manière simplifiée et néanmoins extrêmement réaliste les conditions d’un procès au TPIY. Tout, des auditions, aux reconstitutions en passant par la garde protégée des témoins et ce qu’on peut ajouter à la liste des accusations d’un criminel de guerre en cours de jugement y est évoqué. Pour être sûre de ne pas trahir la réalité, l’équipe du film s’est rendue à La Haye et s’est assuré les conseils techniques de Florence Hartmann, ex-porte parole de la procureure générale du TPIY, Carla Del Ponte. Au-delà de cette prouesse réaliste, “La révélation” soulève des questions cruciales sur le mode haletant du thriller. Alors qu’on ne sait pas jusqu’au bout si le criminel de guerre va pouvoir être inculpé, la question de savoir quel rôle, toujours  destructeur et souvent nécessaire, le témoignage joue pour une victime, 15 ans après, y est traitée avec profondeur et subtilité à travers le jeu bouleversant d’Annamarica Marinca. Et un épineux problème est courageusement abordé de front quand le film montre à travers le personnage du fiancé de la procureure (incarné par le sudéois Rolf Lassgård qui nous est familier en Kurt Wallander dans l’adaptation des romans de Henning Mankell), comment les grandes puissances européennes préférent laisser des crimes contre l’humanité impunis pour enterrer un passé de violence et permettre une rapide inclusion de la Bosnie et de la Serbie dans l’Union Européenne. Sensuelle et sensible de A à Z malgré la gravité de son rôle et le caractère aseptisé des ambiance dans lesquelles elle évolue, Kerry Fox porte avec une pudeur rayonnante son rôle de justicière très souvent bridée par les lourdeurs administratives et les enjeux politiques qui lui échappent.

Primé dans de nombreux festivals européens (Prix de la paix du festival de Munich, Double prix d’interprétation du festival du Cinéma Européen Cinessone 2009…) “La révélation” est une réussite éthique et esthétique, sorte d'”Interprète” de Sidney Pollack (2005) à l’européenne et bien mieux réussi!

La révélation” (Storm/ Sturm), de Hans Christian Schmid, film  Allemand, Danois et Hollandais, avec Kerry Fox, Anamaria Marinca, Stephen Dillane, Rolf Lassgård, Alexander Fehling, Tarik Filipovic, Kresimir Mikic, Steven Scharf, Joel Eisenblätter…, scénario de Bernd Lange, 2009, 1h43, sortie le 17 mars 2010.