Archive pour 20 janvier 2010

Roman : Les poissons ne connaissent pas l’adultère, de Carl Adershold

Mercredi 20 janvier 2010

Après le succès de “Mort aux cons” (2007), Carl Adershold revient avec un roman drolatique sur la liberté, le désir et la peur de vieillir. “Les poissons ne connaissent pas l’adultère”(Lattès) met en scène une galerie de personnages qu’un trajet Paris-Toulouse va profondément transformer… Ou peut-être pas?

poissons-adultereUn matin, Julia prend le train, gare d’Austerlitz. Elle part sans bagages, à l’aventure, après 20 ans passés docilement aux côtés de son mari, de sa fille, et de la caisse où elle travaille, au supermarché. C’est un “relooking” offert par ses amies pour son quarantième anniversaire qui a rappelé à Julia qu’elle était belle, et a mis le feu aux poudres d’escampette. Dans le train, à mesure que les regards des hommes se posent sur elle, elle prend de plus en plus d’assurance. Elle rencontre deux universitaires en route pour un colloque, accompagnés de leurs femmes et un grossier dragueur, écoute toute la vie d’une vieille dame pleine de joie de vivre, partagée entre deux “amoureux” et encore très intéressée par ce qu’elle appelle la “gaudriole”, prend la défense d’un roumain muet, et transforme la  vision du monde du contrôleur . La liberté nouvelle de Julia est très contagieuse …

Génialement titré, d’après une citation de Pline l’Ancien, et parfaitement léger à l’exemple des plus grands contes moraux, “Les poissons ne connaissent pas l’adultère” est sociologiquement et psychologiquement juste. Même si la tentation est grande, dans les doux bercements du train, de sombrer dans les clichés érotiques et/ou romantiques, Adershold tient bien droit ses rails ironiques. Le roman est finalement un voyage agréable dans un tout petit monde aussi improvisé qu’improbable, mais ce monde nous est  finalement très proche.

Les poissons ne connaissent pas l’adultère“, de Carl Adershold, J.-C. Lattès, 280 p. , 18 euros, sortie le 20 janvier 2010.

Seule Julia, placée en face d’elle remarque la petite lueur espiègle dans les yeux de Colette, derrière ses lunettes aux verres épais. L’ironie passe souvent inaperçue chez les vieux, sans doute parce que, leurs traits affaissés ne manifestant plus que des expressions en demi-teinte, on les pense indifférents. peut-être aussi parce qu’au fil du temps leur ironie s’est émoussée jusqu’à ‘être plus qu’une tendresse malicieuse- semblables en cela aux spectateurs qui, connaissant la fin de la pièce, se prennent de sympathie pour les personnages.” p. 59-60

Adam Thirlwell : « Je veux toujours créer une tension entre deux vérités contradictoires »

Mercredi 20 janvier 2010

Près de 7 ans après le coup d’éclat de « Politique », l’écrivain britannique Adam Thirlwell est de retour avec un nouveau roman, « L’Évasion » (voir notre article). Fin psychologue, grand moraliste ironique, et pratiquant un exhibitionnisme qui vaut pour la sexualité de ses personnages aussi bien que pour la structure de ses romans, Thirlwell ne laisse personne indifférent. Dans un Français parfait, et avec une franchise aux antipodes de toute évasion, il a répondu à nos questions…

Il n’y a pas d’opinion moyenne sur vous. Soit la critique vous encense soit elle dit que vous êtes insupportables. Comment expliquez-vous que vous soyez un auteur tellement controversé ?

Je ne sais pas exactement. C’est vrai qu’il y a un côté de moi qui aime provoquer, c’est vrai que j’aime un ton avec un peu de désinvolture et je crois que quand on ne veut pas prendre, ou si on fait semblant de ne pas prendre au sérieux des choses assez importantes, ça peut énerver les gens. Il y a des lecteurs qui aiment ce ton, aiment voir des choses sérieuses traitées d’un ton léger. Mais il y a aussi un genre de lecteurs qui se sentent offensés, qui se sentent attaqués presque, ce que je ne comprends pas très bien. Mais en même temps, je pense aussi que c’est lié à l’utilisation que je fais du « je » dans mes livres. Si on met en scène le narrateur comme ça, la distance entre le lecteur et le narrateur disparaît un peu. Et donc chaque lecteur se sent obligé de réagir au narrateur. Quelquefois Je reçois des lettres de certains lecteurs qui me disent « Je ne sais pas pourquoi je t’écris cette lettre. C’est simplement parce que j’avais l’impression que tu me parlais pendant un mois, et maintenant je me sens obligé de répondre ». Alors peut-être que c’est cela ? Mais au fond je ne sais pas. C’est peut-être un signe de quelque chose, mais je ne sais pas exactement de quoi.

Le personnage du narrateur joue-t-il le même rôle dans « Politique » et dans «L’Évasion » ?
Le narrateur ne joue pas le même rôle. Ce qui est commun entre les deux, c’est que c’est une version de moi ; c’est une version du romancier, et ce n’est pas tout à fait un personnage, ce n’est pas tout à fait quelqu’un qui est absolument fictionnel dans le livre. Dans « Politique », ce personnage était beaucoup plus exhibitionniste. Je voulais exposer la structure du roman, je voulais jouer avec ça. Cela m’amusait de faire un roman qui était en même temps une mise en abyme du roman. Alors que dans  «L’Évasion », l’important pour moi était que le narrateur dise qu’il est l’ami du personnage principal. Le centre du livre tourne autour de l’idée du secret, de l’intimité, du privé. C’est à l’intérieur du récit, parce que Haffner a dans sa vie un grand secret à propos de sa femme. Et en même temps, du point de vue de la structure, je suis toujours intéressé par ce qu’un auteur peut faire avec un personnage. Comment peut-on parler d’un caractère de manière aussi autoritaire et de manière si omniscient ? Dès qu’on a ce narrateur, double de l’auteur, qui dit qu’il est l’ami du personnage, cela complique les choses. S’il est fictionnel, comment dans la fiction, comment connaît-il l’histoire très privée de Haffner ? Et en même temps si le narrateur c’est moi, et que je suis aussi l’auteur, comment Haffner peut-il m’échapper ? Je pense que l’évasion vraie c’est vers la fin du roman, quand le narrateur dit qu’il ne sait pas comment définir Haffner. Il y a tous les titres de chapitres avec les adjectifs de Haffner : « Haffner déchainé », « Haffner hors temps », « Haffner gastronomique »…. et j’ai émis l’idée que ça pourrait continuer à l’infini, on pourrait ajouter des centaines d’adjectifs contradictoires. Mais à la fin Haffner disparaît et pour moi c’est parce que le narrateur a décidé que c’était impossible de le définir. Voilà pour moi la grande évasion du personnage.

Le personnage du petit-fils est-il un double du narrateur ?
Dans la fiction le petit fils et le narrateur se sont connus. Ce sont des amis mais pas très proches. Il y a un certain dédoublement. Le narrateur évidemment est jeune comme le petit fils, mais son caractère est un peu différent. Il y a des moments où le narrateur dit : « Selon Benjamin, Haffner est comme ça, mais d’après moi, non ». Et ça c’est important. La grande différence c’est que le narrateur est beaucoup plus ironique et sarcastique que le petit fils qui est beaucoup plus agréable, qui est beaucoup plus mignon.

A 78 ans, Haffner peut-il  transmettre son expérience d’homme?
Selon Haffner non, parce qu’il refuse de jouer un rôle didactique, il ne veut pas être un modèle pour les jeunes. Ou alors qu’il veut être un modèle, c’est un modèle d’infidélité, de trahison, de désir, ce qui est l’inverse du modèle classique qui est plus moral. Haffner veut seulement être lui-même. Il veut échapper au rôle de quelqu’un lié à sa famille, qui est lié aux générations précédentes. Aussi il ne veut pas être le modèle de quelqu’un d’autre. Il veut être seulement libéré. Libéré du passé, de l’histoire, des volontés des autres. Ce que j’ai aimé c’est la comédie d’Haffner  : il  est tiraillé par le problème de vouloir être lui-même seulement, alors qu’en même temps, il dépend nécessairement du désir des autres. C’est ce va et vient qui m’a intéressé. Il veut échapper à quelque chose qui est peut-être imaginaire, je crois. Le genre d’évasion dont il rêve c’est un idéal impossible, ce n’est pas réel, c’est un fantasme.


Y-a-t-il quelque chose de vraiment anglais dans le judaïsme de Haffner ?

Oui, je crois, vraiment. C’est un thème qui m’a beaucoup intéressé depuis longtemps, parce que moi je suis juif, mais je suis mi-juif parce que ma mère l’est et mon père non. J’ai une relation spéciale avec le judaïsme anglais. Ma famille juive est comme Haffner, elle est très anglaise, d’abord anglaise et après juive. Et ça je pense que c’est très répandu parmi les juifs anglais. Ce n’est pas du tout comme en Europe ou en Amérique où je pense que l’identité juive est beaucoup plus forte. Je pense que cela est lié au fait qu’on a échappé un peu à l’Histoire en Angleterre, ce n’est pas la catastrophe, ce n’est pas la tragédie. Alors, il y a une relation un peu étrange, parce qu’on a été touché évidemment par la tragédie historique et en même temps c’était rien. Quand je construisais ce livre, je lisais le juif imaginaire d’Alain Finkielkraut. Et ce que décrit Finkielkraut dans son essai est encore vrai aujourd’hui pour beaucoup de juifs anglais. Beaucoup de juifs anglais sont des juifs imaginaires qui essaient de se revendiquer d’une histoire qu’ils ne possèdent pas vraiment. Dans l’évasion le personnage du petit fils, Benjamin, est vraiment un juif imaginaire. C’est un gamin complètement anglais, il a grandi dans la banlieue très bourgeoise, mais pour lui, il est touché par la tragédie de son peuple. Alors qu’Haffner, qui est beaucoup plus proche de la tragédie, veut la refuser. Oui je crois que c’est vraiment un paradoxe anglais.

De quoi faut-il avoir le plus peur, avoir du désir et ne pas pouvoir le réaliser ou ne plus avoir de désir ?
Il y a un moment dans le livre ou je dis que la comédie d’Haffner est de posséder des désirs qu’il ne peut réaliser, alors que pour Benjamin, c’est l’opposé, il n’a pas même de désirs, il ne peut même pas les manier. Je pense qu’il y a une tragédie dans ces deux cas de figure. Je ne sais pas ce qui est le plus triste. Je suis toujours intéressé quand les gens disent que quand on est vieux cela n’est pas digne d’avoir du désir, qu’à un certain point on doit cesser de désirer. Et cela me semble extrêmement puritain. Si on pense que le désir est une valeur dans la vie, pourquoi lorsqu’on a 50 ans 60 ans devrait-on commencer à le refuser. Mais en même temps c’est évident qu’un homme de 78 ans qui tente de chasser les filles de trente ans, il y a une comédie là-dedans, c’est risible. En même temps, je n’ai pas de réponse ; ça m’intéresse que quelque chose puisse-t-être à la fois louable et risible.

Votre conception du roman a-t-elle changé entre « Politique » et « L’Évasion » ?
C’est difficile, parce que dans ma tête j’ai une théorie du roman plutôt bricolée. Dans « Politique », je révélais cette théorie en montrant comment le livre était construit, dans la tradition de romanciers comme Laurence Sterne en Angleterre. Mais ce qui est difficile c’est que quand on est à l’intérieur du roman, quand on travaille sur quelque chose on ne pense pas théoriquement, pas du tout, on fait ce qu’on peut avec le sujet, avec le matériel. Je peux voir des différences stylistiques, le narrateur est utilisé différemment, et le visuel est utilisé différemment. Il y a beaucoup  plus de poids sur les détails prosaïques. Mais je pense que je veux toujours créer une tension entre deux vérités contradictoires, j’aime toujours cela. Cela n’a pas changé ; il y a quelque chose d’un peu plus long dans l’évasion. Dans « Politique » j’étais obsédé par l’idée de faire les choses aussi économiquement que possible. Alors que dans « L’Evasion », je pensais un peu plus à travers les scènes. Ça m’amusait d’écrire une scène avec une certaine lenteur dans la description. Ce n’était pas aussi important d’aller au centre de la scène. Je pouvais m’amuser un peu autour du centre. En même temps, il y a des correspondances, car l’art du roman pour moi revient toujours à l’art du collage, à juxtaposer des choses un peu bizarres ou plutôt différentes l’une de l’autre. C’est là dans « Politique » mais aussi dans « L’Évasion ». Et dans « L’Évasion » il y a aussi une inspiration du théâtre avec la farce de boulevard, et du cinéma muet ; j’aime beaucoup les films de Buster Keaton, de Chaplin. Surtout avec cette scène qui ouvre le roman, avec un homme caché dans une penderie me rappelle le cinéma muet, quelque chose de complètement risible. La comédie physique comme ça m’intéresse beaucoup, c’est peut-être pour ça que j’aime beaucoup humilier mes personnages sexuellement. Parce que c’est une version de la comédie qui me rappelle la comédie de boulevard et le cinéma muet. Quand quelqu’un qui veut exprimer ses désir, mais la réalité l’en empêche toujours.

Adam Thirlwell, “L’évasion”, L’Olivier, trad. Anne-Laure Tissut, 22 euros, Sortie le 7 janvier.

Martin Page déclare à nouveau sa flamme à Paris

Mercredi 20 janvier 2010

Dans son nouveau roman, l’auteur de « On s’habitue aux fins du monde » et « Peut-être une histoire d’amour » campe un fonctionnaire de la mairie de Paris se trouvant engagé dans une entreprise de destruction et de reconstruction d’un morceau de la Capitale, à la suite d’une bavure policière. A la fois naïf et profond, le livre « La disparition de Paris et sa renaissance en Afrique » contrecarre l’apocalypse à grand renforts de tendresse.

martin-pageA Barbès, un jeune policier commet une bavure : alors qu’elle refuse poliment de lui montrer ses papiers, il frappe à la tête la grande femme d’affaire malienne Fata Okumi. Parce qu’il a donné tous ses pantalons à repriser et qu’il arrive un peu tard au travail, l’ « homme de l’ombre » qui écrit les discours du porte-parole du maire, se retrouve ambassadeur de Paris auprès de Lady Okumi. Une mission qui transforme en quelques jours cet homme tranquille…

Dans un style simple, réaliste, et parfois à la limite du tableau naïf, Martin Page décrit la psychologie d’un homme simple comme un paysage urbain. Avec un amour infini de Paris, un humour très poétique, et sans oublier de constater qu’un monde où un jeune policier blanc frappe avec une matraque une personne parce qu’elle est femme ou noire ou âgée est un monde en perdition, l’auteur saisit avec lenteur le bouleversement que peut provoquer une rencontre. Avec talent, et sans jamais perdre l’attention de son lecteur, Martin Page fait vivre tout le petit monde de son personnage principal pour le confronter à l’esquisse du grand monde de la famille Okumi. Et le choc des cultures n’a pas lieu ; la surprise d’un dialogue en pointillé laisse toute la place à une profonde compréhension. Dans la loi du Talion revue par Page, œil pour œil est la règle ; mais pas sans qu’apparaisse ailleurs, à Paris ou en Afrique, un autre regard prometteur.

Martin Page, « La disparition de Paris et sa renaissance en Afrique », L’Olivier, 16,50 euros.

« Personne aujourd’hui ne croit plus que les hommes politiques écrivent eux-mêmes leurs discours. Ils ont mieux à faire. Des gens comme moi jouent les Cyrano de Bergerac, écrivant les mots qui permettront à des hommes populaires de conquérir les cœurs. Et nous restons sans amour. Mais avec la conviction que nous participons à la naissance de choses qui en valent la peine. »p. 43

La lettre d’amour à la Pinacothèque de Paris

Mercredi 20 janvier 2010

En complément de sa grande exposition sur l’ « Âge d’or hollandais » (jusqu’au 7 février, voir notre article), Luc Ferry s’est  inspiré du tableau « La lettre d’amour » de Vermeer, pour proposer aux visiteurs de la Pinacothèque de Paris de voir les manuscrits d’illustres correspondances amoureuses du XVIIe siècle à nos jours.

Ces lettres sont issues de la collection privée de Madame Anne-Marie Springer. Signées Napoléon, Chopin, Vigny, Berlioz, Apollinaire, Gary, Elvis Presley, Colette ou George Sand, elel ont retenu l’attention du philosophe Luc Ferry, à qui Marc Restellini, le directeur de la Pinacothèque a donné « carte blanche ». Pour Ferry, l’apparition de la lettre d’amour qu’a immortalisé Vermeer dans le quotidien bourgeois d’un foyer de la Hollande du XVII e siècle correspond à la naissance du mariage d’amour. Avant le mariage était une alliance, et les sentiments, extraconjugaux.

Luc Ferry, Anne-Marie Springer et Marc restellini présentant l'exposition "La lettre d'amour"

Luc Ferry, Anne-Marie Springer et Marc restellini présentant l'exposition "La lettre d'amour"

Avec son ami le philosophe Tzetan Todorov (« Eloge du quotidien, Essai sur la peinture hollandaise », Point Seuil), Ferry prévoit un conférence le 22 janvier sur “L’âge d’or hollandais ou la naissance de l’amour-passion”. L’évènement est à 19h, et l’entrée est libre, sans réservation, dans la limite des places disponibles.

luc-ferry

« La lettre d’amour 1606-1959 », jusqu’au 7 février, Pinacothèque de Paris, 28, place de la Madeleine, Paris 8e, m° madeleine, tljrs 10h30-18h, nocturnes tous les premiers mercredis du mois jusq