Archive pour janvier 2010

In the air : George Clooney joue les faux méchants

Mercredi 27 janvier 2010

Jason Reitman, le réalisateur de “Thank you for smoking” et surtout de “Juno” acclamé à Sundance réalise un nouveau hit  faussement politiquement incorrect en filmant George Clooney dans le rôle d’un misanthrope matérialiste dont le travail est de licencier ses concitoyens en pleine crise. De belles images pour une ode à American Airlines et à la classe moyenne américaine.

Après avoir dressé le portrait d’un lobbyiste de tabac dans “Than you for smoking” et d’une adolescente enceinte dans “Juno”, Jason Reitman s’attache à nouveau à un personnage décalé, extrait d’un roman de Walter Kirn, revu et corrigé sous les auspices de deux figures féminines. Ryan Bingham (George Clooney) est un homme d’une quarantaine d’années qui travaille pour une compagnie proposant aux sociétés de faire face pour elles aux employés qu’elles licencient. Basé à Omaha (Nebraska), il ne passe jamais plus de 50 jours par an chez lui. Sa vraie patrie est comme l’indique le titre original du film “Up in the air” :  Les baies vitrées des aéroports, l’air confiné des avions, les plus belles voitures de location, et les hôtels semi-luxe qui bordent les aéroports sont son foyer. Dans tous ces lieux, Ryan est ultra-VIP à grands renforts de cartes magnétiques de fidélité. Fuyant tout attachement, il a pour hobby de donner des conférences sur le bonheur de se libérer des responsabilités, qu’il illustre en manipulant un sac à dos qu’il faudrait virer. Mais lorsque la jeune Natalie Keener (Anna Kendrick que vous connaissez de Twilight) vient de Cornelle expliquer au boss de la firme de licenciement (Jason Bateman, le papa adoptif du bébé de Juno) qu’on pourrait aussi bien faire ce travail télématiquement, tout le mode de vie de Ryan est menacé… Alors qu’il doit prendre la jeune femme sous son aile pour lui montrer les ficelles du métier, une autre lady vient déranger sa solitude heureuse : Alex (Vera Farminga qui incarne la quadra américaine parfaitement conservée). Vivant au même rytme  que Ryan, Alex parvient à provoquer un attachement dangereux chez le misanthrope endurci… Sous l’emprise de DEUX Célimène, Alceste va-t-il changer?

Produit par son papa, Ivan Reitman (le producteur et réalisateur de Ghostbuster )Jason Breitman brosse, à son habitude, des personnages à la fois moyens et extraordinaires. Aidé par des acteurs formidables (Clooney, quoiqu’on en dise, est le seul à pouvoir jouer avec classe et humour le personnage de Ryan), son cher directeur de la photographie, Eric Steelberg, et une minutie formidables sur les détails des villes visitées, Reitman parvient à raconter la transformation subtile de Ryan. Son autre objectif est d’évoquer la crise économique actuelle aux États-Unis. C’est pourquoi les brefs portraits des licenciés proviennent véritablement d’entretiens réalisés dans des villes dévastées comme Detroit ou Saint Louis… A vous de décider si la beauté et la légereté du traitement de ces scènes documentaires sont à la hauteur de leur sujet…

In the air“, de Jason Breitman, avec George Clooney, Vera Farmiga, Anna Kendrick, Jason Bateman, Melanie Lynskey, Amy Morton, USA, 2009, 1h50 min, sortie le 27 janvier.

Joann Sfar dépoussière Gainsbourg

Dimanche 24 janvier 2010

« Gainsbourg, (Vie héroïque) » est, comme son sous-titre, plus un conte évoquant la figure du dandy de la chanson française qu’un biopic grandiloquent. On y retrouve à chaque image l’univers fascinant du dessinateur Joann Sfar.

En décidant de s’appesantir sur les jeunes années de Lucien Ginsburg, et en passant très vite sur les années d’auto-destruction, le dessinateur du « Chat du rabbin » redonne un coup de jeune à Gainsbarre. C’est l’enfant au bord d’une plage qui intéresse Sfar : l’enfant artiste-peintre rêveur et l’enfant juif apeuré pendant la guerre. Débutant dès le générique par une série de dessins très stylisés, Sfar marque tout de suite la vie de l’idole de sa propre patte. Et sa décision d’évoquer plutôt que de montrer les fantômes de l’auteur-compositeur donne aux 2h10 de film une légèreté quasi-onirique. Sfar insiste longuement sur la judéité de Ginsburg : les accents justes de la famille russe immigrée, l’amour et l’exigence du père, et surtout l’étoile et la cache dans une école catholique pendant la guerre, où la figure de l’affiche de la tristement célèbre exposition « Le juif et la France » sort de son cadre pour accompagner l’enfant pendant les sombres années.

Les années de vraie Bohême de l’enfant qui se destine à être peintre sont le cœur du film : la rencontre avec Frehel (géniale Yolande Moreau), alors que le gamin de onze and drague un modèle, puis celle de sa première femme avec qui il passe sa première nuit dans l’atelier de Dali, et enfin celle de Boris Vian (inévitable Philippe Katerine) et des frères Jacques, qui comme le veut la chanson lui beurrent sa tartine avant d’entonner sur scène « Le poinçonneur des lilas » et de lancer Serge Gainsbourg. Sfar dépeint cette atmosphère avec la même légèreté érotique qu’il avait employée pour faire revivre le Montparnasse des années 1920 dans sa BD sur « Pascin ».

Selon Sfar, Gainsbourg découvre qu’il doit se détourner du crayon pour reprendre le piano de son père lorsqu’il rencontre son double. Ce fantôme est une figure fantasmatique de lui-même (nez crochu démesuré et oreilles paraboliques) qui est à la fois son guide, son inspiration de poète et son coup de pouce en cas de timidité touchante avec les femmes. Ce double qu’il appelle « ma gueule » est une sorte de dibouk hassidique qui s’efface quand Gainsbourg prend (trop ?) confiance en lui après l’affaire Bardot.

Dans ce dernier rôle, Laetitia Casta, génialement dirigée, est une parfaite Camille du mépris à l’énonciation toujours trainante. Puis lorsqu’il rencontre Jane Birkin (touchante Lucy Gordon) et renvoie son double, Gainsbourg semble commencer sa chute, sa « gueule » se retournant contre lui pour lui susurrer les impertinences et les excès de la fin de sa vie. Fort heureusement, Sfar n’épilogue pas longtemps sur Gainsbarre et son jeu pervers avec les médias, conservant de ces années deux chansons : « je t’aime, je t’aime » et « aux armes etc », et passant outre le billet brûlé ou les passages télé en état d’ébriété avancée. Pari réussi donc pour ce conte qui présente bien la face solaire et héroïque de Gainsbourg avec un grain de folie, et quelques épis de fantaisie.

Note : regardez bien, parmi les musiciens autour d’Eric Elmosnino, vous pourrez deviner : Gonzales, Mathias Malzieu, ou Thomas Fersen, et Sfar lui-même s’est grimé en Brassens.

« Gainsbourg, (Vie héroïque) », de Joann Sfar, avec Eric Elmosnino, Lucy Gordon, Lucy Gordon, Anna Mouglalis, Laetitia Casta, Mylène Jampanoï, Philippe Katerine, Deborah Grall, Razvan Vasilescu, Kacey Mottet, et Sara Forestier, , France, 2h10, sortie le 20 janvier.

Roman : Les poissons ne connaissent pas l’adultère, de Carl Adershold

Mercredi 20 janvier 2010

Après le succès de “Mort aux cons” (2007), Carl Adershold revient avec un roman drolatique sur la liberté, le désir et la peur de vieillir. “Les poissons ne connaissent pas l’adultère”(Lattès) met en scène une galerie de personnages qu’un trajet Paris-Toulouse va profondément transformer… Ou peut-être pas?

poissons-adultereUn matin, Julia prend le train, gare d’Austerlitz. Elle part sans bagages, à l’aventure, après 20 ans passés docilement aux côtés de son mari, de sa fille, et de la caisse où elle travaille, au supermarché. C’est un “relooking” offert par ses amies pour son quarantième anniversaire qui a rappelé à Julia qu’elle était belle, et a mis le feu aux poudres d’escampette. Dans le train, à mesure que les regards des hommes se posent sur elle, elle prend de plus en plus d’assurance. Elle rencontre deux universitaires en route pour un colloque, accompagnés de leurs femmes et un grossier dragueur, écoute toute la vie d’une vieille dame pleine de joie de vivre, partagée entre deux “amoureux” et encore très intéressée par ce qu’elle appelle la “gaudriole”, prend la défense d’un roumain muet, et transforme la  vision du monde du contrôleur . La liberté nouvelle de Julia est très contagieuse …

Génialement titré, d’après une citation de Pline l’Ancien, et parfaitement léger à l’exemple des plus grands contes moraux, “Les poissons ne connaissent pas l’adultère” est sociologiquement et psychologiquement juste. Même si la tentation est grande, dans les doux bercements du train, de sombrer dans les clichés érotiques et/ou romantiques, Adershold tient bien droit ses rails ironiques. Le roman est finalement un voyage agréable dans un tout petit monde aussi improvisé qu’improbable, mais ce monde nous est  finalement très proche.

Les poissons ne connaissent pas l’adultère“, de Carl Adershold, J.-C. Lattès, 280 p. , 18 euros, sortie le 20 janvier 2010.

Seule Julia, placée en face d’elle remarque la petite lueur espiègle dans les yeux de Colette, derrière ses lunettes aux verres épais. L’ironie passe souvent inaperçue chez les vieux, sans doute parce que, leurs traits affaissés ne manifestant plus que des expressions en demi-teinte, on les pense indifférents. peut-être aussi parce qu’au fil du temps leur ironie s’est émoussée jusqu’à ‘être plus qu’une tendresse malicieuse- semblables en cela aux spectateurs qui, connaissant la fin de la pièce, se prennent de sympathie pour les personnages.” p. 59-60

Adam Thirlwell : « Je veux toujours créer une tension entre deux vérités contradictoires »

Mercredi 20 janvier 2010

Près de 7 ans après le coup d’éclat de « Politique », l’écrivain britannique Adam Thirlwell est de retour avec un nouveau roman, « L’Évasion » (voir notre article). Fin psychologue, grand moraliste ironique, et pratiquant un exhibitionnisme qui vaut pour la sexualité de ses personnages aussi bien que pour la structure de ses romans, Thirlwell ne laisse personne indifférent. Dans un Français parfait, et avec une franchise aux antipodes de toute évasion, il a répondu à nos questions…

Il n’y a pas d’opinion moyenne sur vous. Soit la critique vous encense soit elle dit que vous êtes insupportables. Comment expliquez-vous que vous soyez un auteur tellement controversé ?

Je ne sais pas exactement. C’est vrai qu’il y a un côté de moi qui aime provoquer, c’est vrai que j’aime un ton avec un peu de désinvolture et je crois que quand on ne veut pas prendre, ou si on fait semblant de ne pas prendre au sérieux des choses assez importantes, ça peut énerver les gens. Il y a des lecteurs qui aiment ce ton, aiment voir des choses sérieuses traitées d’un ton léger. Mais il y a aussi un genre de lecteurs qui se sentent offensés, qui se sentent attaqués presque, ce que je ne comprends pas très bien. Mais en même temps, je pense aussi que c’est lié à l’utilisation que je fais du « je » dans mes livres. Si on met en scène le narrateur comme ça, la distance entre le lecteur et le narrateur disparaît un peu. Et donc chaque lecteur se sent obligé de réagir au narrateur. Quelquefois Je reçois des lettres de certains lecteurs qui me disent « Je ne sais pas pourquoi je t’écris cette lettre. C’est simplement parce que j’avais l’impression que tu me parlais pendant un mois, et maintenant je me sens obligé de répondre ». Alors peut-être que c’est cela ? Mais au fond je ne sais pas. C’est peut-être un signe de quelque chose, mais je ne sais pas exactement de quoi.

Le personnage du narrateur joue-t-il le même rôle dans « Politique » et dans «L’Évasion » ?
Le narrateur ne joue pas le même rôle. Ce qui est commun entre les deux, c’est que c’est une version de moi ; c’est une version du romancier, et ce n’est pas tout à fait un personnage, ce n’est pas tout à fait quelqu’un qui est absolument fictionnel dans le livre. Dans « Politique », ce personnage était beaucoup plus exhibitionniste. Je voulais exposer la structure du roman, je voulais jouer avec ça. Cela m’amusait de faire un roman qui était en même temps une mise en abyme du roman. Alors que dans  «L’Évasion », l’important pour moi était que le narrateur dise qu’il est l’ami du personnage principal. Le centre du livre tourne autour de l’idée du secret, de l’intimité, du privé. C’est à l’intérieur du récit, parce que Haffner a dans sa vie un grand secret à propos de sa femme. Et en même temps, du point de vue de la structure, je suis toujours intéressé par ce qu’un auteur peut faire avec un personnage. Comment peut-on parler d’un caractère de manière aussi autoritaire et de manière si omniscient ? Dès qu’on a ce narrateur, double de l’auteur, qui dit qu’il est l’ami du personnage, cela complique les choses. S’il est fictionnel, comment dans la fiction, comment connaît-il l’histoire très privée de Haffner ? Et en même temps si le narrateur c’est moi, et que je suis aussi l’auteur, comment Haffner peut-il m’échapper ? Je pense que l’évasion vraie c’est vers la fin du roman, quand le narrateur dit qu’il ne sait pas comment définir Haffner. Il y a tous les titres de chapitres avec les adjectifs de Haffner : « Haffner déchainé », « Haffner hors temps », « Haffner gastronomique »…. et j’ai émis l’idée que ça pourrait continuer à l’infini, on pourrait ajouter des centaines d’adjectifs contradictoires. Mais à la fin Haffner disparaît et pour moi c’est parce que le narrateur a décidé que c’était impossible de le définir. Voilà pour moi la grande évasion du personnage.

Le personnage du petit-fils est-il un double du narrateur ?
Dans la fiction le petit fils et le narrateur se sont connus. Ce sont des amis mais pas très proches. Il y a un certain dédoublement. Le narrateur évidemment est jeune comme le petit fils, mais son caractère est un peu différent. Il y a des moments où le narrateur dit : « Selon Benjamin, Haffner est comme ça, mais d’après moi, non ». Et ça c’est important. La grande différence c’est que le narrateur est beaucoup plus ironique et sarcastique que le petit fils qui est beaucoup plus agréable, qui est beaucoup plus mignon.

A 78 ans, Haffner peut-il  transmettre son expérience d’homme?
Selon Haffner non, parce qu’il refuse de jouer un rôle didactique, il ne veut pas être un modèle pour les jeunes. Ou alors qu’il veut être un modèle, c’est un modèle d’infidélité, de trahison, de désir, ce qui est l’inverse du modèle classique qui est plus moral. Haffner veut seulement être lui-même. Il veut échapper au rôle de quelqu’un lié à sa famille, qui est lié aux générations précédentes. Aussi il ne veut pas être le modèle de quelqu’un d’autre. Il veut être seulement libéré. Libéré du passé, de l’histoire, des volontés des autres. Ce que j’ai aimé c’est la comédie d’Haffner  : il  est tiraillé par le problème de vouloir être lui-même seulement, alors qu’en même temps, il dépend nécessairement du désir des autres. C’est ce va et vient qui m’a intéressé. Il veut échapper à quelque chose qui est peut-être imaginaire, je crois. Le genre d’évasion dont il rêve c’est un idéal impossible, ce n’est pas réel, c’est un fantasme.


Y-a-t-il quelque chose de vraiment anglais dans le judaïsme de Haffner ?

Oui, je crois, vraiment. C’est un thème qui m’a beaucoup intéressé depuis longtemps, parce que moi je suis juif, mais je suis mi-juif parce que ma mère l’est et mon père non. J’ai une relation spéciale avec le judaïsme anglais. Ma famille juive est comme Haffner, elle est très anglaise, d’abord anglaise et après juive. Et ça je pense que c’est très répandu parmi les juifs anglais. Ce n’est pas du tout comme en Europe ou en Amérique où je pense que l’identité juive est beaucoup plus forte. Je pense que cela est lié au fait qu’on a échappé un peu à l’Histoire en Angleterre, ce n’est pas la catastrophe, ce n’est pas la tragédie. Alors, il y a une relation un peu étrange, parce qu’on a été touché évidemment par la tragédie historique et en même temps c’était rien. Quand je construisais ce livre, je lisais le juif imaginaire d’Alain Finkielkraut. Et ce que décrit Finkielkraut dans son essai est encore vrai aujourd’hui pour beaucoup de juifs anglais. Beaucoup de juifs anglais sont des juifs imaginaires qui essaient de se revendiquer d’une histoire qu’ils ne possèdent pas vraiment. Dans l’évasion le personnage du petit fils, Benjamin, est vraiment un juif imaginaire. C’est un gamin complètement anglais, il a grandi dans la banlieue très bourgeoise, mais pour lui, il est touché par la tragédie de son peuple. Alors qu’Haffner, qui est beaucoup plus proche de la tragédie, veut la refuser. Oui je crois que c’est vraiment un paradoxe anglais.

De quoi faut-il avoir le plus peur, avoir du désir et ne pas pouvoir le réaliser ou ne plus avoir de désir ?
Il y a un moment dans le livre ou je dis que la comédie d’Haffner est de posséder des désirs qu’il ne peut réaliser, alors que pour Benjamin, c’est l’opposé, il n’a pas même de désirs, il ne peut même pas les manier. Je pense qu’il y a une tragédie dans ces deux cas de figure. Je ne sais pas ce qui est le plus triste. Je suis toujours intéressé quand les gens disent que quand on est vieux cela n’est pas digne d’avoir du désir, qu’à un certain point on doit cesser de désirer. Et cela me semble extrêmement puritain. Si on pense que le désir est une valeur dans la vie, pourquoi lorsqu’on a 50 ans 60 ans devrait-on commencer à le refuser. Mais en même temps c’est évident qu’un homme de 78 ans qui tente de chasser les filles de trente ans, il y a une comédie là-dedans, c’est risible. En même temps, je n’ai pas de réponse ; ça m’intéresse que quelque chose puisse-t-être à la fois louable et risible.

Votre conception du roman a-t-elle changé entre « Politique » et « L’Évasion » ?
C’est difficile, parce que dans ma tête j’ai une théorie du roman plutôt bricolée. Dans « Politique », je révélais cette théorie en montrant comment le livre était construit, dans la tradition de romanciers comme Laurence Sterne en Angleterre. Mais ce qui est difficile c’est que quand on est à l’intérieur du roman, quand on travaille sur quelque chose on ne pense pas théoriquement, pas du tout, on fait ce qu’on peut avec le sujet, avec le matériel. Je peux voir des différences stylistiques, le narrateur est utilisé différemment, et le visuel est utilisé différemment. Il y a beaucoup  plus de poids sur les détails prosaïques. Mais je pense que je veux toujours créer une tension entre deux vérités contradictoires, j’aime toujours cela. Cela n’a pas changé ; il y a quelque chose d’un peu plus long dans l’évasion. Dans « Politique » j’étais obsédé par l’idée de faire les choses aussi économiquement que possible. Alors que dans « L’Evasion », je pensais un peu plus à travers les scènes. Ça m’amusait d’écrire une scène avec une certaine lenteur dans la description. Ce n’était pas aussi important d’aller au centre de la scène. Je pouvais m’amuser un peu autour du centre. En même temps, il y a des correspondances, car l’art du roman pour moi revient toujours à l’art du collage, à juxtaposer des choses un peu bizarres ou plutôt différentes l’une de l’autre. C’est là dans « Politique » mais aussi dans « L’Évasion ». Et dans « L’Évasion » il y a aussi une inspiration du théâtre avec la farce de boulevard, et du cinéma muet ; j’aime beaucoup les films de Buster Keaton, de Chaplin. Surtout avec cette scène qui ouvre le roman, avec un homme caché dans une penderie me rappelle le cinéma muet, quelque chose de complètement risible. La comédie physique comme ça m’intéresse beaucoup, c’est peut-être pour ça que j’aime beaucoup humilier mes personnages sexuellement. Parce que c’est une version de la comédie qui me rappelle la comédie de boulevard et le cinéma muet. Quand quelqu’un qui veut exprimer ses désir, mais la réalité l’en empêche toujours.

Adam Thirlwell, “L’évasion”, L’Olivier, trad. Anne-Laure Tissut, 22 euros, Sortie le 7 janvier.

Martin Page déclare à nouveau sa flamme à Paris

Mercredi 20 janvier 2010

Dans son nouveau roman, l’auteur de « On s’habitue aux fins du monde » et « Peut-être une histoire d’amour » campe un fonctionnaire de la mairie de Paris se trouvant engagé dans une entreprise de destruction et de reconstruction d’un morceau de la Capitale, à la suite d’une bavure policière. A la fois naïf et profond, le livre « La disparition de Paris et sa renaissance en Afrique » contrecarre l’apocalypse à grand renforts de tendresse.

martin-pageA Barbès, un jeune policier commet une bavure : alors qu’elle refuse poliment de lui montrer ses papiers, il frappe à la tête la grande femme d’affaire malienne Fata Okumi. Parce qu’il a donné tous ses pantalons à repriser et qu’il arrive un peu tard au travail, l’ « homme de l’ombre » qui écrit les discours du porte-parole du maire, se retrouve ambassadeur de Paris auprès de Lady Okumi. Une mission qui transforme en quelques jours cet homme tranquille…

Dans un style simple, réaliste, et parfois à la limite du tableau naïf, Martin Page décrit la psychologie d’un homme simple comme un paysage urbain. Avec un amour infini de Paris, un humour très poétique, et sans oublier de constater qu’un monde où un jeune policier blanc frappe avec une matraque une personne parce qu’elle est femme ou noire ou âgée est un monde en perdition, l’auteur saisit avec lenteur le bouleversement que peut provoquer une rencontre. Avec talent, et sans jamais perdre l’attention de son lecteur, Martin Page fait vivre tout le petit monde de son personnage principal pour le confronter à l’esquisse du grand monde de la famille Okumi. Et le choc des cultures n’a pas lieu ; la surprise d’un dialogue en pointillé laisse toute la place à une profonde compréhension. Dans la loi du Talion revue par Page, œil pour œil est la règle ; mais pas sans qu’apparaisse ailleurs, à Paris ou en Afrique, un autre regard prometteur.

Martin Page, « La disparition de Paris et sa renaissance en Afrique », L’Olivier, 16,50 euros.

« Personne aujourd’hui ne croit plus que les hommes politiques écrivent eux-mêmes leurs discours. Ils ont mieux à faire. Des gens comme moi jouent les Cyrano de Bergerac, écrivant les mots qui permettront à des hommes populaires de conquérir les cœurs. Et nous restons sans amour. Mais avec la conviction que nous participons à la naissance de choses qui en valent la peine. »p. 43

La lettre d’amour à la Pinacothèque de Paris

Mercredi 20 janvier 2010

En complément de sa grande exposition sur l’ « Âge d’or hollandais » (jusqu’au 7 février, voir notre article), Luc Ferry s’est  inspiré du tableau « La lettre d’amour » de Vermeer, pour proposer aux visiteurs de la Pinacothèque de Paris de voir les manuscrits d’illustres correspondances amoureuses du XVIIe siècle à nos jours.

Ces lettres sont issues de la collection privée de Madame Anne-Marie Springer. Signées Napoléon, Chopin, Vigny, Berlioz, Apollinaire, Gary, Elvis Presley, Colette ou George Sand, elel ont retenu l’attention du philosophe Luc Ferry, à qui Marc Restellini, le directeur de la Pinacothèque a donné « carte blanche ». Pour Ferry, l’apparition de la lettre d’amour qu’a immortalisé Vermeer dans le quotidien bourgeois d’un foyer de la Hollande du XVII e siècle correspond à la naissance du mariage d’amour. Avant le mariage était une alliance, et les sentiments, extraconjugaux.

Luc Ferry, Anne-Marie Springer et Marc restellini présentant l'exposition "La lettre d'amour"

Luc Ferry, Anne-Marie Springer et Marc restellini présentant l'exposition "La lettre d'amour"

Avec son ami le philosophe Tzetan Todorov (« Eloge du quotidien, Essai sur la peinture hollandaise », Point Seuil), Ferry prévoit un conférence le 22 janvier sur “L’âge d’or hollandais ou la naissance de l’amour-passion”. L’évènement est à 19h, et l’entrée est libre, sans réservation, dans la limite des places disponibles.

luc-ferry

« La lettre d’amour 1606-1959 », jusqu’au 7 février, Pinacothèque de Paris, 28, place de la Madeleine, Paris 8e, m° madeleine, tljrs 10h30-18h, nocturnes tous les premiers mercredis du mois jusq

Rue des rosiers

Vendredi 15 janvier 2010

15 janvier, quatre heures et demie du matin, mes petits talons fatigués sur les pavés de la rue des rosiers vide. Un froid tel que même les fantômes étaient restés chez eux. Près de 700 pages de thèse validées par un jury que j’ai diverti trois quatre heures et  rien n’a changé. Dans mes cheveux lassés, l’odeur de Calèche, des collants noirs, le gros manteau du sentier à peine changé, un peu malade, et une grande liberté accordée à une grande nausée. Et puis soudain la fragilité. Le corps qui tremble. De frayeur et de froid. Ça fait tellement d’année que j’ai si froid dans la neige sale avec mes doigts bleuissants que je masque en rouge. Morsure jusqu’à l’os dans l’adolescence maigre, surtout mouillée, sortant de l’eau dans mon petit maillot jaune et noir qui ne masquait pas le manque de poitrine, ivresse des mètres de poudre sur la 53 e rue de Chicago où dans ma longue doudoune et l’armate de Vivaldi à l’oreille je faisais les cents pas profonds, en Juditha avide de se rendre à un autre cours calfeutrée derrière mes lunettes et mes larges jupes et calée dans le bois néo-gothique d’une salle intimiste. Et enfin, le vent mauvais gorgé de neige de New-York qui défie tout barrage de feutre et de plume et qui vous saisit comme un oiseau de proie, jusque dans votre lit au plafond trop haut où vous dormez comme à l’adolescence, couverte de mille pulls, pliée comme un foetus, les mains indigo entre les cuisses pour trembler moins. C’est la même solitude aussi, déclinaisons sur le même goût de fer qui mature sans vraiment rouiller. La barre logique de la volonté à  13 ans, la nostalgie minérale de ma langue maternelle et des cimetières de Paris à 19, et l’errance de sel des nuits new-yorkaises… J’ai eu tellement froid à New-York et j’ai été tellement seule que je ne supporte plus être en repos dans une chambre froide. Et donc, livre d’infertilité; impossible de retrouver la voix et d’écrire dans ce divertissement, cette soif, ce tumulte si bien organisés. Et toujours Barbara pour compagne, le plaisir de chanter par delà la nausée, de porter dans mon ventre tout un monde mort. Et toujours le mémorial de la Shoah, le judaïsme douleur, usurpation des vies de la rue des rosiers,  les dettes aux fantômes, même muets, l’angoisse, le sens du devoir, cette tendresse qui voudrait rendre les autres heureux. Mais peut-être que je commence à savoir que je ne peux pas ou quand je ne peux pas. L’après-thèse est une autre adolescence, pleine de la question “est-ce ainsi que les hommes vivent?”, pleine de conseils de ces messieurs, qui veulent que je me connaisse, mes limites, mon projet de vie sur 85 ans, et surtout quelle place une femme doit garder, bien attachée au lit ou aux casseroles. Je ne sais pas si c’est bien ou mal que tout soit pareil, et de me retrouver à écouter arvo pärt et à écrire des salades mal assaisonnées à la même sauce devant mon ordi (3 e survivant à la thèse du nom) avec les mêmes doutes, la petite fille terrorisée et laissée au supermarché sans plus l’ombre d’un bras rassurant à attendre, et ma liberté d’agréger les activités intacte. J’ai cru avoir laissé une partie de moi dans le don et la douleur de l’an passé, j’ai cru être une poupée brisée, j’aurais peut-être voulu devenir moins naïve, plus calculatrice. Je n’y arrive pas. Si je suis moi, ai-je besoin de mille psy pour connaître mes “limites”? Pourront-ils me libérer plus surement que celui que j’ai supplié de le faire ? Mes canevas sont mes chaînes et mes ancrages. Dommage qu’ils soient faits de tant de morts et de tant de peine.

Découvrez la playlist 15 janvier avec Pia Colombo

Disque de Diamant et fin de la Tournée « Kabaret » pour Patricia Kaas

Mercredi 13 janvier 2010

A l’affiche du Casino de Paris ce week-end, la chanteuse de l’est la plus populaire de France a reçu un disque de diamant pour plus de 800 000 ventes de son album « Kabaret » dans le monde (dont 150 000 en France qui lui valent aussi un disque d’or). Spectacle inspiré des années trente, sa tournée se termine en février par deux concerts à Athènes et à Minsk.

patricia-kaas-et Jacques Antoine Granjeon

En janvier dernier, Patricia Kaas avait fait le choix avant-gardiste et surprenant de vendre son disque « Kabaret » sur le site ventesprivées.com. Pendant un mois, les internautes ont pu commander le CD et le payer à prix coûtant (6 euros). L’objectif était pour la chanteuse populaire de proposer à son public ce bel objet pour un prix modeste. Ce qui n’a pas empêché « Kabaret » d’être aussi diffusé dans des bacs plus traditionnels. Grâce à cet évènement, le PDG de Vente Privée.com, Jacques-Antoine Granjeon , a reçu lui aussi un disque d’or, pour la distribution de « Kabaret ».

Après l’émouvante remise des récompenses au bar du casino de Paris, Kaas a enchaîné sur le premier de ses trois concerts dans cette chaleureuse salle. Inspiré du cabaret des années trente, mais poli et lissé par des instruments symphoniques et une sensualité épurée, « Kabaret » est un grand spectacle. En compagnie de ses musiciens et d’une danseuse, Patricia Kass y interprète tous ses tubes (à commencer par « Mon mec à moi » qui inaugure le concert)et certaines nouvelles chansons (« Et s’il fallait le faire » …). Ayant conservé la même puissance rauque dans la voix  à travers les années, Mademoiselle chante le blues avec plus d’émotion que jamais. Et joue la comédie, fait des moues, se change quatre fois, danse et remet en scène ses origines (« D’Allemagne », « Une fille de l’est »), ses désirs d’amour (« Les hommes qui passent »), et surtout son amour pour le public. Fidèle et chaleureux, ce public, reprend en chœur tous les refrains, est souvent venu voir le spectacle plusieurs fois, et a salué sa diva en une standing ovation après son troisième bis fait de medley des tubes. Très populaire également à l’étranger, Patricia Kass termine sa tournée à Athènes et à Minsk en février.


Patricia KAAS – “KABARET” video clip

PATRICIA KAAS | MySpace Music Videos

Pour ceux et celles qui ont raté Kabaret et veulent voir Patricia Kaas, rendez-vous sur le plateau de Michel Drucker, le 17 janvier, dans « Vivement Dimanche ».

Et pour en savoir plus sur 19, sa dernière compilation, allez lire notre article.

photo

Lebanon, la guerre depuis un tank

Mercredi 13 janvier 2010

Lion d’or à Venise cette année, le film autobiographique de l’israélien Samuel Maoz montre la première guerre du Liban depuis le viseur d’un tank. Fruit de vingt ans de maturation, « Lebanon » est visuellement superbe et moralement éprouvant. Avant première au forum des images le 12 janvier.

« Je n’avais jamais tué quelqu’un avant cette terrible journée. Je suis devenu une vraie machine à tuer. Sortir  ce tank de ma tête m’a pris plus de vingt ans. C’est mon histoire ».

S.M.

Après «Valse avec Bachir » d’Ari Folman, et « Beaufort », de Joseph Cedar, « Lebanon » est une autre évocation de l’invasion du Liban par un vétéran sur Grand écran. Samuel Maoz se rappelle ses dix-neuf ans, la peur et la fin de l’innocence lorsqu’il s’est retrouvé tireur dans un tank chargé de traverser la frontière libanaise. Aux côtés de trois hommes aussi jeunes que lui : Herzl, chargeant les obus,Ygal conduisant le tank et Assi commandant la troupe, Shmulik se retrouve dans des villes déjà bombardées du Sud du Liban, obligé d’obéir aux ordres de leur chef Jamil et de tuer des hommes, parfois des civils, sans quoi il expose sa vie et celle de ses camarades dans et hors du tank. Or, ce tank dévie de son chemin et se retrouve en région syrienne, là où Tsahal ne peut plus venir en aide à ses hommes…

En filmant « Lebanon », Samuel Maoz est finalement parvenu à surmonter un trauma. En plongeant son spectateur dans la réalité crue et aveugle de la guerre, il s’est lui-même libéré d’un poids qu’il partage avec de nombreux hommes de sa génération. Dur avec lui-même, ses acteurs (qu’il a enfermés pendant des heures dans un container pour leur faire ressentir la terreur qui a pu être la sienne en été 1982), et ses spectateurs à qui il n’épargne aucun détail du quotidien du soldat en guerre, Maoz a trouvé un angle visuel fantastique pour transmettre son expérience. La caméra est enfermée dans le tank, et le monde extérieur n’est visible que par le biais du viseur de  Shmulik. On entend les résultats des tirs, lorsque le commandant décrit par le canal de la radio militaire les blessés et les morts. Se réclamant de grands cinéastes ayant filmé la passivité dans la guerre comme Tarkovski dans l’ « Enfance d’Ivan » (1962), Maoz a su par ce procédé du viseur rompre la monotonie d’une réalité faite d’ordres, de saleté, de corps déchiquetés, et de terreur par des scènes poétiques mais néanmoins effrayantes comme la vision d’une femme libanaise qui survit à une grenade dans son appartement, recherchant sa fille morte dans les décombres, et ses vêtements prenant feu alors qu’elle se trouve devant le char. Même s’il a été parfois très critiqué en Israël, puisqu’il montre une « guerre sale », où les guerriers de Tsahal sont à la fois des victimes et des bourreaux, l’objectif du réalisateur n’est pas de dénoncer mais de partager son expérience et de la retranscrire avec exactitude. Ce voyage au bout de la nuit d’un jeune soldat israélien est un témoignage essentiel, et dont on ne peut que louer la force esthétique et historique.


Lebanon sur Comme Au Cinema

« Lebanon » de Samuel Maoz, avec Yoav Donat, Itay Tiray, Oshri Cohen, Michael Moshonov, Zohar Strauss, Israël, 93 min, sortie le 3 février, avant première au Forum des images le 12 janvier.

Christian Boltanski : Mausolée de chiffon et de feraille à Monumenta

Mercredi 13 janvier 2010

Scène étrange ce mardi matin au vernissage presse de Monumenta. Comme vous l’avez peut-être compris je me faisais une joie, mais journée très chargée, trop. Malade le lendemain. Je suis arrivée un peu trard au vernissage. Ai marché parmi les chiffons pour voir les trois installations. CB ne s’était pas trop foulé,; minimum syndical attendu. Mais je me sentais bien dans son univers. J’ai donc décidé de m’asseoir sur un banc, tranquille entre deux barbelé pour lire le dossier de presse, avant de filer écrire l’article au bureau pour enchaîner sur le reste de mes activités. D’après l’atriste on devait se sentir en enfer, oppressé, pressé de revenir à la vie dans ce décor. Et moi je m’y posais pour lire, presque chez moi… Troublant….

Du 13 au 21 février, Christian Boltanski prend la suite de Anselm Kiefer et Richard Serrat en organisant l’espace de la nef du Grand Palais pour Monumenta 2010. Installation spécialement réalisée pour l’occasion, “Personnes”  est une vanité contemporaine.  Sculptée à grands renforts de métal, de chiffons et de battements de cœur, la symphonie architecturale que propose Boltanski se veut oppressante pour mieux rendre le visiteur à la vie.

“Quand je travaille au Grand Palais, j’ai la sensation de réaliser un opéra, avec cette différence près que l’architecture remplace la musique. L’œuvre est une scénographie”. C.B.

monumenta Boltanski

A l’entrée de Monumenta, Christian Boltanski a mis un mur. Le visiteur tombe directement sur de longs casiers de métal rouillés portant des numéros et surmontés des fameuses lampes de bibliothèque que Boltanski utilise depuis si longtemps dans ses œuvres. Il faut donc contourner ce massif écrin d’archives pour entrer dans le vif de “Personnes”.

monumenta christian boltanski

Derrière, sur trois rangées et s’étalant sous toute la nef du grand Palais, des vêtements sont étalés, proprement rangés en 25 carrées délimités par des poteaux de fer livrant la mélodie mécanique des battements de cœur humains du monde entier. Ceux-ci font partie d’un ancien projet du plasticien : “Les archives du cœur”. Chacun des carrés de fripes est surmonté d’un néon tenu à à peine un mètre du sol par des barbelés. Ce vaste champ de tissus et de fer est très ambivalent puisqu’il peut dégager une sérénité de jardin japonais, mais aussi faire grincer les oreilles et les nerfs sans aucune transcendance possible, comme un spectacle de Buto.

monumenta christian Boltanski

Enfin, derrière ce champ impossible, Boltanski a placé une montagne de vêtements usagés, brassés par une grue qui descend sa pince pour en hisser une partie jusque sous la voute, laissant quelques pulls tomber en route, avant relâcher brusquement sa proie molle qui revient s’éparpiller au sommet de la montagne.

boltanski Monumenta

L’ensemble de ces trois installations constituant “Personnes” sent la mort. L’artiste évoque d’ailleurs l’entrée DANS son œuvre comme une marche dans les cercles de l’enfer. Aucun nom, aucun visage ne vient parler humainement aux visiteurs qui gravitent entre le mur, la montagne et les champs, comme une horde de fourmis sans mémoire. Il n’y a plus vraiment dans ce travail de Boltanski la vieille volonté de lier nombre et individus. Et il n’y a plus non plus de célébration des morts. Juste un bal de morts-vivants. Perdu dans la masse et donc dans le nombre, le promeneur est ramené à sa mort qui vient, et rejoint Christian Boltanski à ce point où “on a le sentiment de traverser en permanence un champ de mines, on voit les autres mourir autour de soi, alors que, sans raison, on reste, jusqu’au moment où l’on sautera à son tour”.

L’absurde sentiment de sursis n’empêche pas Boltanski de continuer son œuvre au sein même de Monumenta puisque, en coulisses, vous pouvez aller faire enregistrer les battements de votre cœur, à ce qui semble être l’infirmerie de l’exposition. Et laisser l’emprunte de votre vie parmi les milliers d’autres recueillies depuis 2005 par le plasticien et archivées sur l’île japonaise de Tashima. Le processus est bureaucratique, clinique : vous prenez un ticket, vous vous asseyez en lisant un magazine sur Boktanski ou vous retournez faire un tour dans le mausolée. Puis lorsque votre tour vient, vous pouvez récupérer une copie de votre battement de coeur.

Mais, si ni les vivants  ni les morts ne comptent plus, et si Boktanski sculpte son public même dans “Personnes” jusqu’à le rendre sans visage, survivant, on peut se demander à quoi sert   tout cet édifice de mémoire de souvenir et de lutte contre le temps et l’oubli.

Une autre scénographie de Boltanski, “Après”, est à voir à partir du 14 janvierb  au MAC/VAL, en parallèle de Monumenta. Plus d’informations ici.

Par ailleurs de nombreuses conférences et tables rondes sont organisées pendant toute la durée de Monumenta 2010. Mercredi 13 janvier, la commissaire de l’exposition Catherine Grenier participera à la table-ronde “Christian Boltanski vu par…”, et le 6 février, le compositeur Franck Krawczyk propose une création réalisée pour “Personnes”, “Polvere”. Cliquez-ici pour voir toute la programmation autour de Monumenta.

Enfin, Arte Video a sorti un documentaire,“Les vies possibles de Christian Boltanski”,qui passe le 18 janvier sur arte.

Pour en savoir plus sur Christian Boltanski, lire notre article.

Monumenta 2010, Christian Boltanski : Personnes”, du 13 janvier au 21  février, Nef du Grand Palais, Porte principale, Avenue Winston Churchill, Paris 8e, m° Champs-Elysées Clemenceau, tljs sauf mardi, lun, mer, 10h-19h, jeu, ven, sam, dim, 10h-22h, 4 euros (TR : 2 euros).