Archive pour 11 août 2009

Cinéma : Portés disparus

Mardi 11 août 2009

Avec « London River », Rachid Bouchareb (« Indigènes») s’intéresse à la petite histoire plutôt qu’à la grande. Réunissant à l’écran deux acteurs aussi divers et talentueux que l’anglaise Brenda Blethyn et le malien Sotigui Kouyaté, il signe un film poétique et prenant sur la tolérance. A voir d’urgence pour ceux qui ont raté la projection d’Arte, le 16 juin dernier.

Sortie le 23 septembre.

Elisabeth (Brenda Blethyn) est entrain de travailler la terre dans sa ferme de Guernesey quand elle apprend que les attentats du 7 juillet 2005 ont eu lieu, à Londres. Sans nouvelles de sa fille, étudiante dans la capitale britannique, elle décide de s’y rendre. Arrivée à l’appartement de celle-ci, elle découvre qu’elle vit dans un quartier musulman, et qu’elle a bien disparu. Dans sa quête angoissée, elle rencontre Ousmane (Sotigui Kouyaté, qui était déjà le personnage principal du film de Bouchareb, “Little Sénégal”), venu de France vérifier si son fils qu’il n’a pas vu depuis l’âge de six ans va bien. Or il s’avère que les deux enfants portés disparus vivaient ensemble et suivaient des cours d’Arabe… Les deux parents ont alors peur qu’ils n’aient fait partie des terroristes à l’origine des attentats…

Filmé en quinze jours, psychologiquement juste sur le désarroi de parents recherchant leurs enfants après un drame, et livrant au public un Londres multiculturel en état de choc, Rachid Bouchareb signe un petit bijou sur l’altérité et aussi sur la croyance.

Comme l’explique le réalisateur, la croyance « fait partie de l’identité » mais « ne définit pas » un individu. Reconnaissant l’importance de cette croyance en montrant les deux personnages du film entrain de prier chacun à leur manière et plaidant pour la tolérance en donnant la religion musulmane au policier en charge de l’enquête, Bouchareb nous apprend subtilement à ne pas mélanger islam et islamisme. Il suggère aussi que la spiritualité d’un chant de griot peut aussi consoler une vieille dame anglaise.

La rencontre du film est aussi celle des deux acteurs, la blanche et gironde Brenda Blethyn (« Secret and lies») qui baragouine le français avec charme et le sculptural Sotigui Kouyaté (Ours d’argent du meilleur acteur à Berlin) qui a la beauté résolue d’un arbre millénaire. Cette rencontre nous fait réaliser comme Elisabeth dans le film, que si beaucoup d’êtres humains nous sont étrangers, « finalement, nos vies ne sont pas si différentes ».


“London River”, de Rachid Bouchareb, avec Brenda Blethyn, Sotigui Kouyaté, Roschdy Zem, Samy Bouajila, 2009, 88 minutes.

Cinéma : Mère en sursis

Mardi 11 août 2009

A partir d’un fait divers rapporté par Emmanuel Carrère dans L’Evènement du jeudi en 1992, et reprenant un projet que Jacques Audiard devait porter à l’écran, les Miller père et fils filment l’amour meurtrier d’un jeune homme pour sa mère absente. « Je suis heureux que ma mère soit vivante » est un huis clos digne de Mauriac, la spiritualité en moins…

Sortie le 30 septembre.

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Thomas a quatre ans lorsque sa mère l’abandonne avec son petit frère, faute de moyens nécessaires pour les élever. Un couple aimant adopte les deux garçons, mais rien ni personne ne peut faire oublier à Thomas sa mère. Lorsqu’il sonne à sa porte, il a vingt ans, un travail dans un garage, et il passe beaucoup de temps avec elle et son tout jeune demi-frère. Mais la douleur et le ressentiment le poussent un jour à l’attaquer et à la blesser mortellement.

Sur une idée du producteur, Jean-Louis Livi, et parce que Jacques Audiard était trop occupé par d’autres projets, Claude Miller a confié la première caméra à son fils, Nathan, qui avait notamment participé au tournage d’ « Un Secret ». Sans souci de retracer la « vérité historique », et pour éviter les liens de causalité entre enfance malheureuse et devenir assassin, le tandem Miller minimise les flash backs et les filme en plan fixe.

Un érotisme larvé entre mère et fils vient encore compliquer leurs relations. Dans le rôle du fils, Vincent Rottiers est hypnotisant et, en face, Sophie Cattani est à la fois touchante et sensuelle en mère un peu paumée.

Malgré la force du sujet, la liste impressionnante de grands noms du cinéma Français qui se sont penchés sur le fait divers, le talent de tous les acteurs, et les efforts de pudeur des réalisateurs, le film ne touche pas. Les ellipses et les non-dits ne donnent pas envie d’imaginer plus que le quotidien triste d’êtres humains qui réagissent finalement comme des bêtes, mais sans aucune dimension monstrueuse ou mythique. Ca s’est passé, et c’est passé, mais cela ne dévoile rien des méandres de l’esprit humain, ni sur la complexité de l’amour filial.

A force de s’inspirer de David Fincher et de Martin Scorcese, Nathan Miller a peut-être oublié qu’il existe en France une longue tradition cinématographique de traitement génial du fait divers, de Chabrol pour l’atmosphère glauque ,à Téchiné qui évite les liens de causalités socio-politiques dans « La fille du RER », en passant par Duras pour l’usage du plan fixe, et Louis Malle pour les personnages « indignes ».


« Je suis heureux que ma mère soit vivante », de Nathan et Claude Miller, avec Sophie Cattani, Vincent Rottiers, Christine Citti, et Yves Verhoeven, 1h30, sortie le 30 septembre 2009.

Rentrée littéraire : Terreur blanche

Mardi 11 août 2009

Comme chaque année, la fin du mois d’août amène dans les valises du retour des vacances le nouvel Amélie Nothomb. Une cuvée 2009 brève et sans grande inspiration.

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Le héros du nouveau roman d’Amélie Nothomb tente de se remettre d’un chagrin d’amour en se rendant intéressant. Au simple suicide du romantique, il préfère, l’éclat postmoderne du terroriste au bord d’un avion. Une formule somme toute banale pour avoir son quart d’heure syndical de gloire.

Pas la moindre trace de jalousie shakespearienne, ni de deuil pèlerin schubertien dans ce voyage d’hiver contemporain. Juste un employé moyen qui sans conviction s’apprête à faire sauter un avion pour se rendre intéressant. Son désespoir est bien amoureux et sa belle frissonne dans un appartement mal chauffé aux côtés d’une auteure au physique ingrat. Mais le romantisme d’arrête là et tout le reste n’est que terrible vide. On reconnaît la patte de Nothomb dans la velléité de faire la psychologie sans drame du terroriste peu inspiré, dans de jolis prénoms à coucher dehors (Astrolabe et Zoïle), et aussi dans le couple décalé que forment la dulcinée et l’auteure peu attirante qu’elle a pris sous son elle. Avec son étalage navrant d’aphorismes faciles, l’opus 2009 manque sévèrement d’inspiration. Point positif : le roman ne fait que 133 pages écrites en très gros caractères. Cela vous prendra donc environ une heure et demie de temps pour pouvoir en parler en connaissance de cause lors de vos dîners de septembre.

Amélie Nothomb, “Le voyage d’hiver”, Albin Michel, 15 euros.

« Ca me rappelle ma nièce Alicia, quatorze ans. Cette gosse est installée devant MTV depuis sa naissance. Je lui ai dit que si elle mourrait, elle verrait défiler un vidéo clip qui commencerait par Take That et se terminerait par Coldplay. Elle a souri » p. 12

Rentrée littéraire : Lignes de femmes

Mardi 11 août 2009

Le nouveau roman de Véronique Ovaldé enchante et surprend. Jusqu’à toucher la corde sensible et délicate du mythe. Quatre générations de femmes indépendantes s’y succèdent, dans une Amérique latine imaginée. Sans conteste le plus beau livre de cette rentrée littéraire.

vera-candidaA quarante ans, après avoir longtemps vécu de ses charmes, Rose Bustamente se recycle dans la pêche et s’installe seule dans une petite maison au bord de la mer, à Vatapuna. Pauvre mais fière et heureuse, elle jouit d’une grande quiétude, jusqu’au jour où le milliardaire Jeronimo vient faire construire un palais dans le village et décrète que la maison de Rose lui bloque la vue. Avec infiniment de patience et malgré les rebuffades de Rose, il finit par la faire venir chez lui et l’enlève, comme dans un conte. Sauf que Jeronimo est loin d’être un prince : petit, mal foutu et mauvais amant, il se lasse petit à petit de Rose sans même avoir percé son mystère. Alors, elle rassemble les quelques robes qu’il lui a offertes, et retourne vivre dans sa cabane. Mais elle qui croyait être infertile se retrouve enceinte. Elle vit seule  avec sa fille, Violette, aussi jolie que sa mère mais très simple d’esprit, et qui couche très vite avec tout le village et se retrouve enceinte à l’adolescence. Malgré son amour, Violette est incapable de s’occuper de sa fille, Vera Candida, et Rose la matriarche vient chercher la petite et l’élève. Violette meurt très jeune, et Vera Candida apprend beaucoup de sa grand-mère. Lorsqu’elle aussi se retrouve enceinte à quinze ans, après avoir été violé, pour ne pas faire de peine à sa grand-mère, elle décide de quitter Vatapuna. Elle prend le bus pour la ville de Lhomeria, où elle survit comme ouvrière et culpabilise souvent de ne pas donner de nouvelles à Rose. Très bonne mère, elle vit presque en autarcie avec sa fille, Monica Rose, et se laisse très doucement séduire par un journaliste, Itxaga, qui prend la mère et la fille sous sa protection, après de longues années de patience. Mais il était écrit que c’est à Vatapuna que Vera Candida devait s’éteindre…

Fable enchanteresse évoluant autour de quatre figures de femmes fortes et mystérieuses, « Ce que je sais de Vera Candida » est un roman poétique, où Olvaldé invente tout un monde lointain. Les fidèles de Véronique Ovaldé retrouveront ses majuscules folles, et ces foules de détails si juste qui vont et viennent en ressac autour de ce mystère si troublant qu’est l’âme d’une femme. Contrairement à la défunte Irina de « Et mon cœur transparent » (L’olivier, 2008) les femmes sont bien présentes dans « Ce que je sais de Vera Candida », mais mues par un instinct de survie, elle agissent sans se révéler. Parfois elles se laissent envoûter par un homme, comme l’héroïne de « Les hommes en général me plaisent beaucoup » (Actes Sud 2003), mais quel que soit le degré de charme ou d’amour que les hommes peuvent leur procurer, elles se retrouvent toujours seules pour accomplir leur destin, en se recroquevillant sur une origine mythique. Le mythe est présent à chaque ligne, et sans qu’on puisse bien le saisir, on comprend comment à travers les forces et les faiblesses de quatre générations il participe à l’élaboration d’un monde éternel. Il y a du Garcia Marquez dans ce roman, et aussi du Duras, quand elle lit sa destinée à la lumière des origines indochinoises mythifiées. Son mythe, Ovaldé l’invente de A à Z. Il n’y a pas de comparaison possible, pas de piste biographique ou de référence érudite à saisir. Il suffit juste de se laisser porter par les légendes de Vatapuna pour retrouver ce qu’un roman réussi doit réaliser : nous parler par métaphores, le plus loin possible de nos nombrils.

Véronique Ovaldé, “Ce que je sais de Vera Candida”, L’Olivier, 2009, 19 euros.

« Vera Candida, un peu secouée de voir sa grand-mère se laisser aller à un apitoiement pâteux dont elle était si peu coutumière (mais comment Vera Candida aurait-elle pu deviner ce que ressentait une vieille femme qui perdait sa fille une nouvelle fois ?), obéit à celle-ci et grimpa la colline jusqu’à la Villa de ce grand père qu’elle n’avait jamais encore rencontré. Il vivait toujours dans sa maison en ruine et n’en sortait plus. Vera Candida portait une robe de coton rouge à bretelles, un châle crocheté noir et des tongs jaunes dont l’épaisseur de la semelle mesurait à peine plus de deux millimètres, ce qui lui permettait de sentir tous les infimes cailloux du chemin. Elle avait les cheveux nattés et arborait le même regard furieux que sa grand-mère. Avec le heurtoir, elle frappa à la porte au sommet des cent trente-deux marches (certaines manquaient, d’autres étaient recouvertes de lianes et dévorées par les intempéries, elle était tremblante mais tout de même un brin faraude, elle frappa une seconde fois la petite main de métal sur le support et entendit des loquets se décadenasser et des bobinettes choir. La vieille muette avait dû mourir depuis longtemps puisque ce fut Jeronimo en personne qui ouvrit, il avait les cheveux blancs et toujours les mêmes yeux verts d’iguane, il la vit et ne parut pas comprendre qui elle était » p. 79-80

Rentrée littéraire : les moires tissaient des cubes

Mardi 11 août 2009

Premier roman géométrique, « Cube » retrace le destin d’un jeune homme sans qualités à l’ombre ensorcelée de grands cubes de verres érigés par un milliardaire en son jardin. Quand l’amitié, l’amour et la carrière tiennent dans des boîtes translucides, la tragédie de la mise en bière n’est pas loin…

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Le narrateur a huit ans quand il fait intrusion avec son meilleur ami, Alexis dans le jardin bien gardé d’un milliardaire local, le Duke, pour percer le mystère des grands cubes translucides qui viennent décorer son jardin. Il se font prendre, vertement tancer par leurs parents, et la série des malheurs commence : la mère d’Alexis meurt peu après d’un cancer fulgurant, celui-ci déménage avec son père, et le narrateur se retrouve très seul. Mais les cubes magiques du Duke n’ont pas fini de le poursuivre… Aussi bien à vingt ans, alors qu’il rate deux fois médecine, qu’à quarante, quand il est devenu un financier à succès heureusement marié, les cubes continuent le lui dicter sa vie.

Un fantastique de province à la Alain Fournier vient épicer l’histoire d’un petit garçon aventurier devenu un homme bien banal. Artefacts de forme très humaine, oeuvres d’art, vivarium à serpents ou encore boules magique où l’on tourne en carré, les cubes de Yann Suty interpellent : plus l’on s’approche d’eux et du Duke, plus leur mystère échappe. Anti- peau de chagrin, ils s’étalent dans l’espace et dans la vie du narrateur qui frôle une folie toute géométrique et tombe dans l’indifférence des pires catastrophes de sa vie quotidienne.

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Yann Suty, Cubes, Stock, 18,50 euros.

« A vingt ans, je me présentais en effet sous la forme d’un grand tout mou dégingandé menaçant de s’envoler au premier coup de vent. Je ne savais que faire de mes mains. Les laisser pendre au bout de mes bras me paraissait tout sauf naturel. Aussi je les dissimulais dans les poches de mes pantalons ou mes manteaux. Tous mes vêtements s’en trouvaient du coup déformés. Sur le nez, j’avais chaussé des lunettes à lourde armature noire. La longue mèche graisseuse qui me couvrait le front donnait à croire que je portais un casque en permanence ; elle me faisait également ressembler à un Playmobil ; elle avait cependant le mérite de masquer une acné que les traitements les plus féroces ne parvenaient pas à éradiquer » p. 28