Archive pour 9 juillet 2009

Rentrée littéraire : Des diplomates de papier

Jeudi 9 juillet 2009

Auteur de plusieurs romans, historien et philosophe, Bruno Tessarech livre avec « Les sentinelles »(Grasset) une belle analyse de l’inaction des « alliés » face aux camps d’exterminations. Écriture classique, thème sensible, beaux personnages ayant pour la plupart réellement existé, le roman est certainement l’un des livres les plus marquants de cette rentrée 2009. Sortie le 1ier septembre.

Note: J’ai quand même raté ma station de métro à cause du bouquin, première bonne surprise de juillet.

Par ailleurs je n’ai pu m’empêcher de mettre une petite chanson satirique sur Wernher von Braun en illustration.

sentinellesTout commence à Evian, aux accords d’Evian, en 1938 où les nations plus très unies se renvoient de l’une à l’autre le problème de donner un sol aux réfugiés juifs allemands. Le seul personnage fictif du roman, Patrice, est un jeune diplômé de Sciences-po assistant avec une rage polie un vieux sénateur français du Quai d’Orsay si diplomate que les pourparlers ne mènent à rien. Un rien noyé dans les jolis principes des droits de l’Homme et des Lumières. Même le ministre des colonies -pourtant juif- George Mandel, refuse d’ouvrir les frontières de Madagascar. Suivent plusieurs anecdotes, à Paris, Berlin, Londres, Prague, ou La Havane, de témoins directs ou indirects de la destruction des juifs d’Europe. Pendant la guerre, à Londres, où Patrice a rejoint De Gaulle dès la première heures, les échos qui filtrent sur les camps de la mort, à partir de 1942, sont tellement soupesés, soupçonnés d’être de la contre-information ou simplement incroyables qu’aucune mesure n’est prise si ce n’est une vague déclaration des alliés contre les exactions nazies commises sur les populations civiles en général. Patrice se lie d’amitié avec Jan Karski, l’un des grands résistants d’un pays vraiment fantôme : la Pologne . Karski a tout vu à Vasrovie : le ghetto, les trains, les corps entassés, la chaux. Mais on ne veut le croire ni à Londres, ni à New-York. A Berlin, Kurt Gerstein devient fou dans sa tâche de responsable l’Institut d’hygiène de la Waffen SS, mais l’ambassadeur de Suède refuse de le croire quand il lui livre la vérité sur la nature de la Solution finale. Jugé à Paris en 1945, Gerstein de suicide, tandis-que son concitoyen, le célèbre ingénieur Wernher von Braun parvient à travailler sur ses fusées v2 dans le camp de Dora sans se douter de rien, et est accueilli à bras ouverts par les américains, pour qui il met au point des missiles balistiques. Le roman se prolonge jusqu’à la mort de Jan Karski, qui laisse derrière lui assez d’archives pour qu’après une carrière diplomatique aussi honorable qu’inutile, Patrice puisse témoigner qu’ils savaient et qu’ils ont laissé faire.

Jan Karski (1914-2000)

Se prolongeant dans le temps aussi loin que les « Lignes de failles » de Nancy Houston, le roman de Bruno Tessarech ne se tessarechgdpréoccupe pas de mémoire mais seulement de faits, d’Histoire, donc. « Les sentinelles » est en effet un concentré d’Histoire, sans autre concessions que celle du beau fil narratif de la langue. A travers diverses anecdotes pas toujours reliées entre elles, dont les personnages sont tous « historiques » (sauf Patrice), l’auteur montre dans un Français légèrement surannée, mais joliment saturée d’images que le monde savait et qu’il n’a rien fait. Si le texte de Tessarech se fait parfois moralisateur, c’est avec l’élégance d’un  discours d’Arsitide Briand à la SDN. Et il n’oublie pas de rappeler encore et toujours, notamment par la bouche de Roosevelt lui-même, cette question morale qui hantait les grands hommes de la Deucième Guerre mondiale: si une guerre est toujours « sale », à partir de quel moment doit-on tirer la sonnette d’alarme quand la violence semble dépasser toutes les limites de l’imaginable?

Un beau roman, fort, et qui se lit d’une seule traite.

Bruno Tessarech, « Les sentinelles », Grasset, 381 p., 19 euros.

« Patrice rédigea une note, qui partir aussitôt chez le général. Lequel convoqua deux jours plus tard son auteur pour lui tenir les propos suivants:

‘Il faudrait comprendre, monsieur Orvieto, que nul n’a encore inventé la guerre propre. Je vais vous choquer et je m’en excuse. Mais qu’après trois années de conflit nous comptions déjà les morts par millions, des soldats, des résistants, des Polonais, des Français des Juifs, eh bien moi, voyez-vous, ça ne me surprend pas trop. Sas doute parce que j’ai été moi-même sur le front, une expérience que peu d’entre vous connaissent. Ma réponse à votre note, elle tient en une phrase, que voici : commençons par gagner cette guerre, nous pleurerons nos morts ensuite’» p. 249-250.

“Once the rockets are up, who cares where they come down

That’s not my department,” says Wernher von Braun

Rentrée littéraire : Entre les tours

Jeudi 9 juillet 2009

Après le succès de son film, J’ai toujours rêvé d’être un gangster, Samuel Benchetrit reprend du stylo et livre pour la rentrée une journée bien particulière : celle d’un collégien de cité dont la maman a été arrêtée par la police au matin. Sortie le 18 août.

Charly est un jeune collégien. Il est né en France mais sa mère et son frère ont émigré du Mali. Le père a abandonné les siens, qui vivent tant bien que mal dans une cité ordinaire aux alentours de Paris. Le roman raconte une journée particulière dans la vie de Charly : celle où sa mère a été arrêtée par la police et où lui s’est caché pour ne pas être pris. Pas d’école, donc pour le pré-adolescent, mais une longue marche dans les dédales de la cité dont tous les bâtiments ont le noms d’artistes des XIXe et XXe siècle à la recherche de son frère, Henry, très intelligent, et très drogué, qui va peut-être pouvoir expliquer à Charly ce que les autorités reprochent à leur mère. Charly parle, parle, parle, dans une logorrhée réaliste d’enfant de dix ans bon en rédaction française. La vie qu’il décrit n’est pas affreuse: il y a l’amour que lui porte sa mère, et celui qu’il voue à Mélanie. Il y a de temps en temps un film, si possible de Charlie Chaplin, et ses bonnes notes à l’école.

Le Charly inventé par Samuel Benchetrit a l’élégance du polisson. Sympathique et affable, il décrit tout de son univers : des écharpes de Mélanie, aux dîners avec sa mère, en passant par ses trucs et astuces pour obtenir ce qu’il veut d’elle et les piles de livres de la bibliothèque municipale. Riche en détails, et lourdement « réaliste », la lecture déborde d’une « vie » un peu artificielle qui épuise le lecteur. A force de vouloir faire « vraisemblable », Benchetrit dégoûte le lecteur de vouloir connaître l’histoire de Charly. Arriver au bout des 297 pages est plus pénible que jouer quatre heures avec un véritable enfant de dix ans. Du coup l’on en oublie presque les conditions terribles dans lesquelles l’enfant babille : sa mère a disparu, il est à la rue, n’a pas un sou en poche et rien à manger. Quant à savoir si les voisins seront compatissants et serviables tous les jours, rien n’est moins sûr…

    Samuel Benchetritt, “Le coeur en dehors”, Grasset, 297p., 18 euros.

    « Au milieu du parc, il y a un manège pour les petits gamins. C’est souvent là qu’on se retrouve avec la bande. On s’assoit sur un banc, autour, et on regarde les mômes d’éclater à tourner dans leurs petites voitures. Oh je les adore les petits gamins. Quand j’en vois u qui se marre, je peux le regarder des heures. Et si j’en vois un qui pleure, ça me retourne le coeur, et je voudrais lui donner n’importe quoi pour qu’il arrête. Nous on n’a pas le droit de monter sur le manège. Rapport on est trop vieux et tout. Mais on en a pas envie de toute façon. Et puis le type qui s’en occupe est un sacré con .» p. 151

Expo : Enki Bilal chez Artcurial

Jeudi 9 juillet 2009

L’Hôtel Marcel Dassault expose depuis ce matin les 350 dessins originaux du nouvel album d’Enki Bilal, Animal’z (Casterman). Un rendez-vous qui se déguste planche par planche et que les fans du graphiste d’origine yougoslave ne manqueront pas.


Les panneaux de bois des très beaux salons de l’hôtel Marcel Dassaut sont un très bel écrin pour les tons gris rehaussés de sang rouges  imaginés par Bilal. Concentrée sur les planches elles-même plutôt que sur l’intrigue du western futuriste de Bilal, l’exposition donne chaque dessin à voir comme un objet en soi. Deux projections viennent apporter des informations supplémentaires : un entretien avec le dessinateur et “Cinémonstre”, un montage compressé en 1h07 des trois longs métrages réalisés par Enki Bilal, Bunker Palace Hotel, Tykho Moon, et Immortel.


Enki Bilal, “Animal’s”, jusqu’au 10 septembre,tljs 10h-19h,  Hôtel Marcel Dassault, 7 rond-point des Champs Elysées, Paris 8h, 5 euros (TR : 3euros).

Notez que le groupe Dassault reverse ue partie des revenus de l’exposition Bilal à l’association Cheer up,qui soutient les jeunes adultes  atteints de cancer.

Anselm Kiefer : Requiem pour un vieil artiste

Jeudi 9 juillet 2009

Pour fêter son départ et les 20 ans de l’opéra Bastille, Gérard Mortier a donné carte blanche à l’immense plasticien Anselm Kiefer. Celui-ci a donc engagé le compositeur Jörg Widman et planté le décor d’une fable germano-biblique : “Au commencement” (Am Anfang).

kiefer2Si pour son couronnement au Grand Palais lors de “Monumenta” en 2007, l’artiste allemand, avait montré toutes les gammes de son savoir-faire, ce “Commencement” musical est à la limite de l’irrespect pour un public qui a du mal à remplir la salle et encore plus de mal à ne pas en partir avant la fin des litanies.

Dès le début, la pièce tombe à plat sur une grande toile en premier plan qui ressemble à une parodie d’Anselm Kiefer et représentant une mappemonde jaune affligée d’un croissant fertile dessiné maladroitement.  Par dessus, la voix d’un Denis Podalydès – pour une fois pas convaincu du tout- lit un texte plus que médiocre (le seul non tiré de la Bible) sur Ninive, Babylone, …. Berlin!

Pour le décor, Kiefer n’a rien crée, reprenant ses grandes tours mi-Babel mi-Auschwitz  et les posant sur une scène qui ressemble à ses tableaux de constellations. La scène est vide, sauf quelques “Trümerfrauen”  aux allures de déportées (ces femmes qui reconstruisaient Berlin avec les main en 1945) faisant cliqueter inlassablement une heure et demie durant des pierres. Une pauvre comédienne  Geneviève Boivin (Dominique blanc s’est décommandée) est sensée représenter la Chekhina d’une voix d’autant plus grandiloquente qu’elle ne comprend pas trop le texte de l’Ancien Testament qu’elle énonce.  Absolument rien à signaler du côté de la musique post-Deuxième Guerre de Jörg Widman, sensée être dérangeante. On attendait du Zimmerman, on attendait du Zorn, et on écoute une vague soupe en déséquilibre.

kiefer1

Le texte même d’explication du projet d'”Am Anfang” ne tient pas la route. Kiefer a transformée la Chekhina, qui dans la tradition mystique juive, est la présence de Dieu dans le monde, en incarnation “du peuple juif élu et banni“, c’est-à-dire aussi en celle du peuple allemand maudit et condamné à entrechoquer des pierres.

“Au commencement dit l’accablement d’un monde, affairé à dénouer les drames pour mieux recréer un espace vide. Un espace constitué d’atomes, qui nous permet de juger avec sérénité de ce qui adviendra, de discerner l’horizon où nous réfugier, d’anticiper l’adieu”

Nous savons tous que c’est le choc de l’Allemagne détruite où il est né  et la conscience de ce qui s’est passé sous le Troisième Reich qui ont forcé Anselm Kiefer à créer. Mais dès le début, avec ses happenings où il faisait le salut hitlérien, Kiefer a toujours été ambigu. L’adhésion à une théologie négative lui a permis de conserver la force d’une transcendance, mais d’égaliser et donc d’anihiler tout ce qui existe.  Ainsi le texte n’est-il constitué que d’oxymore; l’espace scénique doit “être vide” parce qu’il est “constitué d’atomes”. On est d’autant mieux protégé qu’on est accablé etc… Cette manière de renvoyer le rien au tout, le tout au rien, et finalement les deux à un néant qui en vient à mystiquement nier Dieu n’a été que renforcée quand Kiefer  s’est tourné vers la kabbale. Il ne donne pas vraiment l’impression de vouloir étudier les textes de cette kabbale : il préfère se laisser envoûter par les mots et nous faire partager son envoûtement.

Esthétiquement, cette position est une impasse. Quand tout est dans tout et le rien aussi, rien ne se créée vraiment et probablement, Kiefer n’a vraiment rien créé depuis la fin des années 1990. Monumenta a peut-être été la dernière somme de ses inventions. Un peu dommage pour un artiste de 64 ans! Et éthiquement, ce qu’il nous montre est simplement inacceptable, si tout se vaut, le malheur comme le bonheur, le tout comme le rien et le mal, comme le bien alors à quoi bon se rappeler les Trümmerfrauen? On peut aussi bien continuer de crier “Ninive” dans le désert pour le restant de ses jours. Ce qui n’est pas la voie la plus sûre pour tenter d’agir de manière à ce que ni Auschwitz ni Dresde ne se reproduisent.

“Am Anfang” peut laisser l’impression que Kiefer se moque de son public, mais en réalité le fisco est bien plus profond : l’artiste est enfoncé trop loin dans sa mystique pour en rapporter aucun message à  ses contemporains.

Am Anfang“, jusqu’au 14 juillet, vendredi, samedi, lundi, 20h, mardi, 19h, Opéra Batille, 120 rue de Lyon, Paris 12e, m° Bastille, 5, 20 et 30 euros.