Rentrée littéraire : L’odeur de la mangue à midi
Dany Laferrière, l’auteur du “Goût des jeunes filles” (1992) et de “Vers le Sud” (2006) continue dans la veine autobiographique et narre son retour à Haïti après la mort de son père. Un livre poétique et politique sur l’exil.
Part d’Haïti jeune, Dany Laferrière vit entre Montréal et Miami dans un exil nordique assumé. Son père a aussi quitté la famille pour s’installer à New-York. Le jour où il meurt, il laisse derrière lui, dans une banque une mystérieuse valise. Le fils qui ne l’a pas vu depuis des années fait le voyage à Brooklyn, avant de retourner à Port-au-Prince prévenir sa mère, qui n’a jamais vraiment cessé d’attendre l’homme qu’elle aime. Cette deuxième partie du voyage, recueil de Césaire en main, engage pour Dany Lafferière une réflexion profonde et nostalgique sur son être d’auteur exilé, sur ses rapports à sa mère, sa sœur, et son jeune neveu qui veut aussi devenir écrivain, et sur les eaux politiques stagnantes de ce qui demeure “son” pays.
Écrit en petits paragraphes tressés de métaphores et de réflexions touchant à l’aphorisme, “l’Enigme” du retour est à la limite du poème en prose. Par la forme même du texte étalé en chants, ce retour à Haïti se rapproche d’un voyage d’Ulysse. Mais comme l’écrivait Vladimir Jankélévitch dans son essai sur l'”Irréversible et la nostalgie : “On ne revient jamais ! Celui qui revient, comme le fils prodigue et comme Ulysse est déjà un autre“. Un autre qui est heureux à Montréal, qui est considéré comme un touriste bon à flouer car il vit à l’hôtel, et qui retrouve des nuances d’émotions inattendues dans une famille qu’il a ontinué à aimer et imaginer de loin. Néanmoins, Ulysse détient encore les codes de l’île et nous les fait partager, avec un réalisme qu’on pourrait qualifier de poétique, tant le désabusement de Lafferière sur l’avenir d’Haïti est plein de compréhension souriante. Et rien n’empêche certaines madeleines locales, comme les mangues fraîches à midi, de redonner jeunesse et folie à notre sage cicerone. Un très beau voyage.
Dany Lafferière, “L’énigme du retour”, Grasset, 1ier septembre, 18 euros.
“C’est là que j’ai compris
qu’il ne suffit pas de parler créole
pour se métamorphoser en Haïtien.
en fait c’est un trop vaste vocable
qui ne s’applique pas dans la réalité.
On ne peut être haïtien qu’hors d’Haïti.
En haïti, on cherche plutôt à savoir
si on est de la même ville
du même sexe
de la même génération
de la même religion
du même quartier que l’autre” p. 193-194
Tags: Haïti, nigme du retour, roman