Une enfant du Cipriani

Je découvre encore tous les jours de nouveaux lieux. Sympathiques (café Verlaine, samedi dans le Lower east side), délicieux (le prix du meilleur Porterhouse steack revient à Smith and Wollensky at 797 3rd Ave), branchés (La boîte du Cipriani’s club hyper privé de Soho, en mode Karaoké et célébrités turques dimanche soir… ne vaut pas un bellini dans le jardin de l’hôtel de la Giudecca, mais quand même, de très belles personnes) et juste Classe, avec le restaurant 4 seasons, dans le Seagram Building,dessiné par Mies van der Rohe, aujourd’hui.
Hier, j’ai aussi revu pour la millième fois les “Enfants du Paradis”, que j’ai faits découvrir à un vieil ami de Chicago. Je connais presque tous les dialogues par coeur, mais à chaque fois, je sors terriblement bouleversée du film. Peut-être encore plus cette fois-ci, après les turbulences amoureuses des derniers mois, qui ne semblent pas vouloir cesser, alors même que je m’astreins au plus grand calme et à un repli sur mes grandes amitiés, quand je ne ponds pas pour ma thèse.
Grande angoisse cependant et grande solitude ce soir, avec un moi non plus en tension mais juste amputé. Je ne dors pas ou mal, me réveillant toutes les demi-heures dans un sursaut d’angoisse, tous les muscles tendus, les dents douloureuses d’avoir grincé, et en nage d’avoir fait des cauchemars.
Je ne sais pas si c’est le départ, la crainte de faillir à finir ma thèse avant octobre, ou juste les heures et les heures d’aveuglement à écrire devant mon écran, mais j’ai peur. Après mon enfance sur-protégée, je m’étais juré de ne plus vivre dans la peur et je n’y arrive pas. Je fais tout pour la tromper, ou lui trouver un exutoire comme marcher dans Harlem la nuit (pas très intelligent mais c’était une erreur de métro) ou m’intéresser aux projets de mes amis, mais dès que je passe le perron, elle est là qui m’attend, et me porte à côté de moi-même. C’est peut-être génétique, mais après tant d’années, je n’arrive ni à m’en débarrasser, ni à vraiment vivre avec. Mes déceptions, et la difficulté de trouver quelqu’un qui saurait juste me prendre dans ses bras pour me dire “ça va aller” ne font que renforcer cette lutte sourde avec une pieuvre aux heures de plus en plus nombreuses où de grandes bouffées de nostalgies viennent ronger mes reins. Ça taillade, ça épuise et ça vide. Je vieillis, et je me demande si parfois cette face là ne va pas gagner, et si je ne vais pas rester à nu et à vif, saisie d’angoisse et définitivement abîmée par les petits espoirs trahis. Cette fous-ci, j’espère que Paris me fera du bien, mais New-York va me manquer, et les vertus du déplacement ne cachent pas vraiment cette terreur structurelle, et le manque de confiance dans les gens, qui se trouve toujours vérifié a posteriori dans un lâché de guillotine résigné : “je le savais”. Je n’ai pas comme Baptiste le sommeil plus dur que ces coups de déception annoncée, j’ai besoin de voir des films pour rêver, et je ne suis pas vraiment vivante…De plus en plus me dis-je à cause des autres vivants et non sous le coup de la colère des morts.

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Un commentaire pour “Une enfant du Cipriani”

  1. un lecteur (vagabond, mais fidèle) dit :

    “… quelqu’un qui saurait juste me prendre dans ses bras pour me dire “ça va aller”…”…
    Oh mais la tentation est grande, de vous soutenir ainsi. Sachez-le. Puis tenez, sans même le recours à cet enlacement très chaste, et cependant très affectueux, j’ai bien envie de vous le dire (doucement, infiniment doucement), que “ça va aller”… Vous avez tant de talents pour la vie. Et toutes ces ‘choses’, autour, que vous savez si bien dire et aimer…
    Emportez-le avec vous: “CA VA ALLER”.

    “Emportez-(le) dans une caravelle,
    Dans une vieille et douce caravelle,
    Dans l’étrave, ou si l’on veut dans l’écume.
    Et perdez-(le), au loin, au loin.

    Dans l’attelage d’un autre âge.
    Dans le velours trompeur de la neige.
    Dans l’haleine de quelques chiens réunis.
    Dans la troupe exténuée des feuilles mortes.

    Emportez-(le) sans (le) briser, dans les baisers,
    Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent,
    Sur les tapis des paumes et leur sourire,
    Dans les corridors des os longs et des articulations.

    Emportez-(le), ou plutôt enfouissez-(le).”

    (Michaux me pardonnera, d’avoir changé ses mots. C’est pour vous, voyez, on a si grande envie de vous voir marcher sans peine que pour vous offrir ces bras qui vous manquent on en froisserait quelques grands défunts…)
    Mais ces mots d’encouragement auront peu d’effets, je le crains; ils viennent d’un coeur, et d’une âme, qui avancent encore bien plus douloureusement que vous.
    Cordialement.

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