Archive pour mai 2009

LA, 2 e partie

Dimanche 31 mai 2009

Longues journées, où mes deux petits cousins nous épuisent de babillage et de foot le matin. J’ai bien essayé de travailler, mais c’est vraiment trop difficile…
Hier malgré le temps brumeux, direction la plage, en commençant par Santa Monica, l’élégant “Shutters on the beach”, jolie maison de bois blanche avec clim et feu de cheminée, leading hotel of the world, qui apporte un peu d’esprit “Biarritz” au bord du pacifique. Utilisant anneaux et agrès pour faire les animaux de cirque, nous avons digéré toujours en acrobates agiles, avant de nous rendre à Vanice beach. Si la promenade le long de la mer est pire que le pire cauchemard d’Eilat, elle contient quand même une mignonne librairie et dans une rue adjacente un café végétalien. Le sable est blanc et fin, la mer froide.

Un peu plus “dans les terres”, Abbot Kinney Bd, a un petit côté Williamsburg avec des habitants plus sympathiques. Deas anciens hippies devenus bobos, à grand coups de café presque new-yorkais, de magasins d’herbes médicinales et de boutiques ethniques et design. Achats obligés.
Hier avait lieu la “museum walk” à LA, où le LACMA (Los Angeles County Museum of Art) et les galeries des rues adjacentes ouvrent leurs portes et organisent des évènements. Je me suis toujours sentie bien au LACMA, qui a deux beaux Kirchner, une architecture intéressante, où les bâtiments coulissent par de sponts recouverts… de moquette (vive le beau temps de la californie), et où les expos plus contemporaines ont enfin un poil d’impertinence. J’ai un peu montré tout cela à mon ami, et en sortant nous sommes tombés sur un spectacle aussi beau que kitsch : la 1iere école de danse “Bollywood ” de Hollywood montrait ses membres, adultes et enfants, sur des sons très “slumdog millionaire”.
Après une douche, et une petite beauté, nous avons dîné dans un Nobu presque vide et toujours aussi délicieux, avant de finir comme chaque soir dans un club de West-Hollywood. Hier, il s ‘appelait en toute simplicité “here”; avec un bar dehors, de belles personnes homosexuelles des deux sexes, les inévitables go-go danseurs en slips rouge, et un DJ Drag queen assez féroce.
Je n’arrive pas à croire que j’arrive à écrire tranquillement au milieu de la cuisine ce matin, et combien les cris perçants de mes cousins sont lointains. Ils vont me manquer. Reste à rendre la voiture à à rentrer à Manhattan.

Poker Face : long week-end à LA

Samedi 30 mai 2009

Quoi de plus approprié que le soleil de Californie et la musique pop du bonheur obligé dans un luxe d’espace pour oublier la grisaille compacte de New-York? Depuis trois jours, je suis dans la maison “hacienda style” de mon oncle et la tante à Berverly Hills. Je n’étais pas venue depuis cinq bonnes années et je suis ravie de trouver de beaux changements. L’arrivée de mes cousins, Rémi, 6 ans, et Margot, 5, a transformé le côté jet-set de l’expérience en chaleureuse réunion familiale. Les petits ont l’âge de papoter et nous louons longuement les vertus de notre grand-mère commune. Ils vont au lycée Français et la maison se réveille à 6h, quand ils quittent leurs petits pyjamas pour enfiler l’uniforme, après avoir copieusement et sainement petit-déjeuné. Il parlent un peu ma langue maternelle, qui de leur côté, vient du père. Les deux chiens sont toujours dans la place, bloquant le passage dans les escaliers et salissant matelas et polos blancs dès que l’on s’approche de la piscine. Au début je me disais que l’obsession des enfants me paraîtrait bien justifiée, après avoir vu combien les new-yorkais sont fous de leurs chiens (3 soirées, 3 conversations uniquement sur les chiots, leurs promenades et leurs habitudes, à Manhattan, la semaine dernière). Mais Taxi et Otto, sont encore rois à Beverly Hills. Et c’est tant mieux. Ma peur des chiens est passée, et malgré leurs débordements, j’aime de mieux en mieux ce deux gros benêts.

Nous avons loué une voiture, avec un ami. Je fais la copilote avec passion, et de grands coups de pouce de mon i-phone. Malgré les heures perdues sur la route, et les trois même chansons popeuses et R’n’b passées en boucle à la radio (“Poker face” de Lady Gaga, “Beautiful” de Akon, et “If you seek amy” de B. Spears), quelle incroyable sensation de liberté de pouvoir aller et venir. Surtout, LA est une ville qu’on apprivoise par les roues, c’est un lieu commun, mais vraiment, marcher est impossible.

Le programme culturel a compris jusque là un retour au précieux musée de Pasadena : le Norton Simon, qui – avec le Courtault Institut de Londres, la Frick de NYC, le Isabella Stewart museum de Boston, et la fondation Beyeler de Bâle, fait partie de ces lieux bénis où l’espace petit et minutieux est parfaitement aménagé et livre des oeuvres à couper le souffle. Or, j’ai toujours plaisir à retrouver les Degas, les Boucher du Norton Simon. Cette fois-ci j’ai aussi découvert quelques illustrations tardives de Ronsard par Matisse. Et à Pasadena, je me suis rendue pour la première fois dans les foisonnants jardins de la Huntington Library, qui contient aussi une Bible de Gutenberg et une galerie remplie de Joshua Reynolds et de Gainsborough, comme on n’en trouve ailleurs au monde qu’à la Wallace collection. Le petit pont du jardin japonais et le bac zen ou des gosses chinois vont faire des pâtés de sable valent largement les folles arabesques en boutons des roseraies.

Nous avons également décidé de prendre d’assaut Downtown, qui est ma foi bien sympathique. Lors de mon dernier séjour, le Walt Dinsney Symphony Center dessiné par Frank Ghery venait d’ouvrir et c’était LA grande visite obligée. Cette fois-ci, nous avons passé sa fière allure pour nous perdre dans Little Japan. Un rêve de petite fille rempli de figurines Hello Kitty.

Question restaurants, LA n’a rien à envier à NYC. Les fruits et légumes sont frais. Heureusement, car mon ami est végétalien (Vegan). Nous avons donc essayé “Real food daily” sur La Cienega Bd (je me suis abstenue de manger et ai siroté du maté froid) et “M” Café (où j’ai juste regardé les couples d’amoureux manger des algues comme la Belle et le Clochard leurs spaghettis). Mon oncle nous a amené à un restaurant Français joli comme une brasserie de Deauville mais décevant : “Petit four”.
A Pasadena, nous sommes arrivés trop tard pour goûter les créations de l’école culinaire de Californie: 561. Mais le café érait encore ouvert, et en dégustant une salade fraîche et simple, j’ai pu suivre un cours donné par un chef asiatique à une horde de jeunes cuisiniers en toque. En fin d’après-midi, après avoir fait du shopping sur Robertson Bd, nous avons bu une coupe de fin d’aprem à l'”Ivy“, terrasse chic et camp, aux couleurs bariolées de l’idée qu’on peut se faire d’une terrasse méditerranéenne au bord du pacifique. Très agréable. Enfin, le soir, nous avons joué la carte du branché : côté Italien hier, avec Ago, où le vieux maître d’O faisait du charme, et français ce soir, avec le XIV de Philippe Starck et Michel Mina : ambiance kitsch-Coste, menu plus brossé que chez Coste, bon bourgogne blanc (il pouvait). Starck a caché ses lustres derrière le bar, et collé entre deux références au roi soleil des tableaux style Fernand léger, sur une moquette rouge, et le tout engoncé dans des rayonnages de bibliothèque. Joli bar et fumoir étrange au bord d’un boulevard qui paraît avoir la taille d’une autoroute pour le Français moyen.

Mais ce que j’ai vraiment vu – pour l’instant- à LA, c’est la scène gay de West-Hollywood. Hier soir, nous avons fait la tournée des bars, encore un peu vides vers 22h30. Fubar avait l’air cosi, mais sentait si mauvais qu’on imaginait bien 15 ans de coucheries en backroom, O-Bar était design, et comme j’étais la seule femme, ce fut un plaisir de NE PAS faire la queue aux toilettes, mais la population était assez âgée (quelle horreur! au-dessus de 30 ans!) et donc paraît-il assez peu attrayante. Ils avaient aussi un peu l’air d’avoir trop faim à mon goût. Hésitant entre une soirée orientale cucul et un thème strip tease chez Micky, nous avons choisi avec maladresse la deuxième option. Les danseurs portent des slips (!!!!???!!!), et la scène était encore plus vulgaire que la fameuse douche de “Rape” dans le Marais. Ce soir, j’ai trouvé la foule bigarrée et surtout latino de “Circus” très sympathique. La taille n’était pas la même : 2 étages, 4 scènes, dont une avec des shows oscillant entre le travelo à la Amoldovar et le mauvais pastiche de Justin Timberlake, une pop, une danse des années 90 et une salsa caliente. Et bonheur, même si les gens étaient dans l’ensemble violemment laids, il y avait d’autres filles dans le club, qui appréciaient tout autant que moi la libre danse, le salut du bouddha ventru à l’entrée et celui du gros hod-dog sur le stand de tacos dans la cour. Le petit plus : accueil raccord au son du titre éponyme du dernier album de Britney.

Demain devrait être enfin une journée de plage où je pourrai peaufiner un hâle déjà bien engagé au bord de la piscine.

“Poker Face” – Official Video – Lady GaGa

Petite sortie estivale

Mardi 26 mai 2009

Très beaux jours de soleil de plomb sur un New-York transfiguré par l’été. La foule nocturne déambule bras et jambes nus dans les rues, et jeudi je dansais de joir d’avoir visité le studio d’un artiste talentueux,Serge Strosberg, sur les trottoirs de Midtown avec une jolie troupe russe. Après de longues tergiversations (Hamptons ou pas Hamptons) j’ai passé la plus grande partie du week-end en ville. Très beau pot d’adieu pour R sous le pont de Williamsburg dans un bar brésilien où les Français étaient nombreux. Soirée musique avec pas mal de comédiens reconvertis, samedi, à Washington Heights, et hier, gym, ballade dans Chelsea, puis “The girlfriend experience” de Soderbergh. Le film – qui suit la call-girl Chelsea chez ses clients inquiets avant l’élection d’Obama- m’a beaucoup touchée, décrivant le New-York du début de la crise que j’ai bien connu et me faisant ressentir avec force là très banale question de savoir si nous sommes tous et tous des objets à vendre, corps et âmes compris. Auquel cas, il faudrait se résigner à fixer un prix. Ce matin, grande virée à dix sur les collines escarpées de Cold Spring. Il s’agissait plus d’escalade que de marche, à une heure de train depuis Grand Central. Epuisée et bronzée, je vais me délecter d’un bon bain…

Retour au baroque

Dimanche 24 mai 2009

Le premier jeu de mots qu’on m’a appris en anglais est : “If it ain’t baroque don’t fix it” (Si ce n’est pas cassé/baroque, ne répare pas). J’avais choisi d’aller vivre à Chicago. Non pas en faisant tourner une des vieilles planètes rondes de bois de la grande Bibliothèque de Prague, mais déjà sur Internet. Parce qu’à Chicago, il y avait un opéra. Avec des productions de qualité mineure et des mises en scènes vieillottes, ai-je vite réalisé pour me “mettre” à la musique symphonique, qui était là-bas d’excellente exécution. C’est vrai, j’ai tendance à vouloir réparer. Pour justifier un peu mon existence. Et cela me joue des tours de manèges entiers. Mais la seule chose parfaite et impossible à retoucher pour moi est la musique baroque. Parce que c’est de la musique d’abord, une sorte de magie pour moi, qui a sauvé mon père pendant la guerre et dont je ne peux pas apprécier la fabrication puisque je ne lis pas les notes. Et Baroque ensuite, parce que la forme est fière et pure. Particulièrement l’aria da capo. Perfection de la colère flamboyante du “Armate” (en latin, encore mieux) de la Juditha triumphans de Vivaldi, écouté jusqu’à la corde, neige jusqu’aux genoux devant les affreux bâtiments néo-gothiques de l’Université de Chicago. Et visage lisse et océanique du désespoir de Ariodante quand il apprend que sa douce et tendre l’a trompé. 11 minutes de lamento où chaque seconde et chaque strophe répétée vient alourdir le poids de peine dans le “Scherza infida” de Handel, découvert cette fois à Salzbourg la magnifique, de la voix menue et impeccable de Anne-Sophie von Otter. 11 minutes de calvaire sec, à des kilomètres du miel romantique de la complaisance à souffrir. L’adieu déchirant mais noble d’Ottavia à Rome dans l’indépassable “Couronnement de Popée” de Monteverdi. Le baroque ne se sent pas vivant dans la souffrance, il y est parfaitement minéral et mort. Pendant des années, mini-disc puis i-pod sur les oreilles, cette petite mort-là je l’ai appelée ma “dialyse cérébrale”. S’arrêter de penser enfin, mais pas forcément pour ressentir, juste pour se laisser bercer vers l’intemporel. Et pourtant, il y a la vie aussi : le refus de la mort de Sénèque toujours dans Poppée que je suis allée écouter tous les soirs au TCE pendant deux semaines ; le visage terriblement mobile de La Bartoli quand elle vrille de tout son corps empaqueté de soie rouge les vagues du “Anch’il Mar” de Bazajet (Vivaldi encore). Et les jeux drôles de la Sémélé de Haendel, quand j’entonnais le “morning lurke” pour fêter dignement mes premières amours. Enfin, et surtout, le retour à la vie de vieilles partitions défraîchies pendant les belles années où les XVII et XVIII siècles étaient revenus à la mode. Avec le souci d’un authentique pré-rousseauien à jouer tout cela sur des instruments anciens qui grésillent métalliquement, du clavecin à la guitare. Les contre-ténors rivalisaient au Mozarteum, et les divas de chef d’orchestres très symphoniques s’y mettaient aussi. Belles années passées et dépassées. Le baroque n’est plus vraiment à la mode. Alors on fait avec ce qu’il y a : cette année, beaucoup de Bel Canto au Metropolitan Opera, et aussi de l’opéra français XIXe qui connaît une certaine vogue charmante. C’est charmant en effet et cela me fait sourire. Mais cela m’éloigne du roc de mes dix-sept ans, que je recherche en cet après-midi ensoleillé dans les enregistrements déjà vieux que me prodigue un ordinateur fatigué au son moyen. Avant de travailler sur la conversion, j’avais converti moi-même tous mes amis au baroque. Réveil obligé en torrents de Monteverdi et de Gluck, à Rome aussi bien qu’à Venise. La première fois que j’ai entendu le “Stabat mater” de Pergolèse, j’ai eu la nausée. C’est toujours un très bon signe. Et cela fait longtemps qu’aucune nausée métaphysique n’est venue réveiller les belles certitudes culturelles d’une journaliste bien dans sa peau de temps contemporain. Et ça me manque. On revient toujours aux vieux lieux où l’on a été surpris et l’on joue le jeu de se laisser ravir. Répétition en trompe l’oeil qui me retient sans perspective mais avec force dans ma chambre, alors qu’il fait beau dehors et que New-York vibre au rythme d’un soleil vert écrasant. Rameau à pleins poumons dans les forêts alpines, à rêver de la grandeur Française des Indes Galantes semblait un soleil plus rayonnant que la nudité de masse à Central Park ou les défilés de mode austères des Hamptons. Était-ce cela la jeunesse? Je pensais être vieille déjà…
Il y a huit jours, j’ai tranché une partie de moi-même pour mieux laisser vivre le reste du corps. Il est bon de savoir qu’il y a un tronc survivant vers lequel je peux toujours revenir, même si j’en connais tous les contours : la voix solitaire du si sérieux James Bowman quand il chante la Pieta sans transcendance de Vivaldi.

New-York, the way I like it

Jeudi 21 mai 2009

Deux verres m’ont suffi pour être un peu grisée ce soir. Ces derniers jours à New-York m’ont semblé plus équilibrés qu’avant et pleins de belles rencontres. Lundi, après avoir écrit le matin, j’ai rejoint mon amie R après le déjeuner (enfin j’ai mangé une salade sur les marches de la grande public library) et nous avons repris notre frénétique activité de shoppeuses ce qui a été utile plus tard… Un autre ami avait une toile en vente chez Sotheby’s, à quatre blocs du Presbytarian hospital et le champagne m’ayant aidée à vaincre la fatigue, j’ai pleinement profité du show d’une vente aux enchères de charité financée par ces jolies dames de Dubaï. Je suis même tombée amoureuse d’une toile que je croyais dans mes moyens mais qui en fait (erreur d’impression) ne l’était pas. Damned! Chez Sotheby’s comme chez H&M je choisis toujours les objets les plus chers. Après quelques pilons de poulet grâcieusement offerts, nous nous sommes retrouvés entre artistes et galeristes (sauf moi) dans un restaurant turc du upper east side. Très sympathique et je suis toujours étonnée de l’intérêt que peut susciter Sarkozy chez les américains qui lisent un peu la presse internationale. Comme j’étais invitée à passer la nuit à Brooklyn chez R., j’ai accepté de grand coeur. R. habite encore pour une semaine à Brooklyn Heights et c’est toujours un plaisir de quitter Manhattan pour se retrouver dans l’atmosphère enfin décontractée de son quartier. C’est vraiment à Brooklyn que je réalise combien Manhattan me fatigue, en fait. Soirée entre filles à revoir la fin de l’Enfer de Chabrol, à se faire les mains et à discuter assez crûment de sexe. J’adore non seulement le grand coeur et la tête extrêmement bien faite de R., mais aussi son parler franc, toujours au bord du vulgaire. Au matin, une grande douche, et une cigarette dans son jardin en plein soleil ont fini de me ressourcer. Comme je n’avais rien à me mettre, j’ai du utiliser les collants de dentelles mauves offerts par Dubaï la veille sous une nouvelle microrobe, pour déambuler aux côtés de R dans Park Slope et boire un excellent cappuccino au café regular. Une heure et demie de métro plus tard je suis arrivée habillée en “pute russe” (copyright R) chez ma psy toujours un peu mutique (c’est le job qui veut ça) avant de filer à la générale de la spéciale Balanchine au Metropolitan Opera. Classique et un peu cucu sur du Tchaikovsky, mais l’american ballet theater vaut son pesant de cacahouètes, notamment pour les jolis culs des danseurs, et pour le plaisir de revenir à ma deuxième maison à NYC (ok, je suis une philistine). Encore un peu de shopping et j’étais assez fatiguée et affamée pour rejoindre mes vieux démons at home. Soirée de lecture. cette semaine, j’ai fini Roth, ses voyages auprès des juifs de l’est, et un étrange roman de Isaac Bashevis Singer, où un survivant de la Shoah se retrouve trois fois marié à New-York. Il vit à Coney Island avec la servante polonaise qui l’a caché, a une maîtresse rescapée des camps dans le Bronx et voit sa femme revenir d’entre les morts, alors que leurs deux enfants y sont restés. Ses trois douces moitiés passent leur temps à le menacer de suicider et disent que les camps, c’était finalement moins infernal que New-York. Et lui est un grand lâche, terriblement et médiocrement humain. Comme quoi on n’apprend rien dans la survie, pas même la dignité. J’ai aussi commencé un excellent TC Boyle sur les fantômes hollandais du passé hier soir, mais je risque de changer pour le Elizabeth George que R m’a offert aujourd’hui pour me “changer les idées”. En fait, j’ai un peu choisi de broyer du noir hier soir, deux de mes amies m’ayant très très gentiment invitée à passer la nuit chez elles pour ne pas être seule. Ce matin, dans le lit, j’ai enfin senti que j’avais un peu progressé depuis mon master et ai mis sur papier ma première idée intéressante et nouvelle en cents pages. Normalement, c’est quand j’écris que les idées fusent, mais cette thèse me semble vraiment prémachée pour la ruminante pas nietzschéenne que je suis. Liberté donc, vers les 13h, alors que par mail, mon futur professionnel se dessine. Déjeuner avec R sous un soleil radieux et trimballage de barda jusqu’à ma gym, non sans me faire faire les ongles entretemps, en couleur rouge pétante plutôt que le bordeaux chic Chanel que j’affectionne. Je me suis dit qu’il était temps d’être un peu non-élégante. 18 heures, rendez-vous dans le west-village avec une jeune-femme rencontrée à Boston. A ce stade de ma vie, mes quasi blind dates avec des femmes sont bien plus excitants que ceux avec des hommes. J. est une vraie new-yorkaise de Californie, dents très blanches, chien dont elle est folle, robe vintage bleue à fleurs et chaussures assorties et encore plus ouverte que moi aux nouvelles rencontres. Juive, intelligente, avec ce brin de folie dans lequel je me reconnais. Je peux dire que je l’aime déjà. Après un café et la promenade du chien “Inky”, nous sommes allées à un vernissage à Chelsea. Des clous, sauf la galerie elle-même dépendant d’une superbe et ancienne revue de photographie: Aperture. Alors que nous apprêtions à dîner, coup de fil, et nous nous sommes retrouvées dans un de mes bars préférés du west-village, “employees only”, pour boire un verre avec deux financiers assez frisés (expression de mon père pour dire : intelligents). C’est la première fois qu’on me dit que j’ai l’air “animale” pour me faire un compliment et aussi que j’ai l’air toute simple. Il faut dire que je n’ai pas pris le soin de me maquiller en sortant du sauna, et que dans ma jupette de ballerine, j’ai l’air d’avoir douze ans. Bref, J et A et R sont entrain de me réconcilier avec New-York, et moi je vais essayer d’aller dormir sans trop penser, ni pleurer.

Fais-moi valser…

Mercredi 20 mai 2009

Une tâche éhontée s’entiche
D’un fauteuil en tendresse damassée
Le désert porte postiche :
Un deuil aux tons verts dépecés
***

J’aimerais compter les feuilles
Les fêtes et les défaites à tes côtés
Prêter patte rose aux écureuils
Pour oublier la fine crêpe : r-é-a-l-i-t-é.
***

Corail des jours tressés
Le train déraille le long du seuil
Où l’orgueil représaille le passé
Est-ce assez pour un recueil ?
***

Vieillir, c’est apprendre à éviter
Les visages effacés des fantômes
Qui nous ont vraiment escortés
Et heurtés sans montrer l’hématome
***

Brûlée, je saigne des atomes
Bleus et mauves, et retroussés
Fausse couche d’homme
Aux revers de marbre affaissé
***

A notes sèches et encres écossées,
L’élégance chante la femme de cendres
Cassandre qui a vu la peine se tendre
Et n’a pas su la repousser
***

Lunettes au ventre et dogme au palais
Je m’en vais pour mieux attendre
En bouvreuil j’ai bu la pomme
En biche toujours, je raie mon retrait
***

Mais, Péléas sans scaphandre
Je ne peux cacher mes regrets
– Bleus, et mauves, et cendres-
Dans l’hiver trop tendre du mois du mai.

Russian collage

Dimanche 17 mai 2009

Pendant que j’essaie de clore le dossier “j’ai les yeux gonflés et je pleure des litres d’eau salée en jouant ma drama queen de pacotille”, mes amis m’entourent. Hier soir, très sympathique verre avec G. dans le parc devant le coucher du soleil, dîner dans le West village et tandis que je tentais de faire passer la vodka qui elle même devait faire passer l’amertume des amandes déjà périmées, j’ai évidemment fondu de douleur dans le taxi. Ca tombe bien : A New-York, les taxis s’en foutent de trimballer une jeune-femme en pleurs. Mais de retour chez moi, c’était bien moins drôle. J’avais juste besoin d’entendre une voix : mais qui appeler à 1:30 du matin? Paris dort encore et New-York dort déjà… Heureusement mon cher D. m’a entendue dans la nuit, coup de fil messianique de lui : “j’arrive” et nous voici dans mon lit à écouter la BO des “chansons d’amour”, à babiller, et lui de me dire, quand je suis morte de honte de cette douleur débile et provoquée, qu’il est fier de ce que j’ai fait. Ce matin, réveil les yeux gonflés et cette vieille impression si familière qu’on m’a frappée toute la nuit à coups de batte de base-ball… Ne pas réfléchir. J’ai filé à la gym, après avoir rassuré toute la famille : oui je survivrai encore à mes erreurs répétées, parmi lesquelles mon élégance (je peux bien m’envoyer une toute petite fleur dans cet océan de regrets et de mea-culpas).

Saynète cocasse à ma gym gay. Je lis tranquillement Carson Mc Cullers dans le sauna, avec toujours des yeux de poisson rouge, et après quelques abdos difficilement extirpés à mon corps fracassé, quand un beau gars, genre Obama en jeune, vient me voir pour me demander ce que je pense des cours. Très sûre de moi (après tout, si je suis à moitié à poil dans le sauna mixte, c’est bien parce que TOUS les hommes qui y viennent pâlissent à la vue d’une paire de seins), je lui vante avec un sourire et mon accent le plus français (je suis fatiguée hein) les mérites des cours de yoga. Bref, le monsieur insiste pour avoir mon numéro que je vais lui chercher en bonne joueuse. Quand je reviens, le troisième larron sur les bancs de bois surchauffés me déclare goguenard : “Vous n’auriez jamais cru que cela pouvait arriver ici hein?”. Je réponds par un rire poli, et je pense en moi-même que non, pas dans ma gym de Chelsea. Et aussi : Qu’est ce que je fous d’accepter un café avec un inconnu 10 heures après avoir écrit une lettre de rupture?

Bref on verra demain… si le verre a bien lieu… mais je passe vite à autre chose. Un après-midi entre filles s’impose dans ce monde terrible où les hommes sont des menteurs, des lâches et des briseurs de coeurs (et en plus des dragueurs de sauna). Ouais je sais et en plus je l’ai écrit en status fb, je suis d’humeur Sophie Calle, même si je n’ai pas son carnet d’adresses. D’ailleurs, son drolatique “Prenez soin de vous” est actuellement à la Paula Cooper Gallery de NYC.Tiens pourquoi pas relire mon article sur l’expo quand elle avait lieu en BNF?

Entre filles, donc, A. m’emmène dans cette terre promise : Coney Island. Heureusement que nous avons les histoires respectives de nos familles juives à nous raconter pendant les deux heures du trajet aller. Avoir une guide ukrainienne à Brighton Beach est un luxe que je sais apprécier. Nous commençons par déjeuner – mais là pas besoin de traduction : j’ai une grand mère russe quand même et je sais quels pirojski et quelles boulettes de viandes au chou (mes madeleines à moi) je veux. Petit tour par une pâtisserie où je dois renoncer à un gâteau au pavot sous peine d’implosion et nous marchons le long de la mer, dans la brume, pour aller chercher des antibiotiques chez l’oncle de A. L’appartement est dans un quartier juif de Coney Island, et on sent encore la présence de la défunte tante de A. La voisine qui a les clés est une babouchka comme je l’ai rêvée, qui collectionnes les paires d’animaux-salière et poivrière en porcelaine et nous offre des cerises. J’échange avec elle mes deux mots de Russe, A ayant grandement agrandi mon vocabulaire lors de la promenade en bord de mer (ben oui 2 mots + 2 mots ça fait 4).

Au retour, il faut jouer contre la montre, et avec les métros qui se traînent. J’arrive donc considérablement en retard pour dîner avec mes parents adoptifs dans un bar chic du Upper east side. La déco change toutes les saisons, la nourriture y est excellente (Je commence à me sentir gavée comme une oie, alors que l’amooooour déçu me coupe plutôt l’appétit, donc je n’insiste pas trop ni même sur le délicieux brunello di montalcino). Je note avec un sourire aux lèvres que tous les convives du restaurants sont d’une laideur dérangeante malgré leurs habits de créateurs et leurs brushings parfaits. Enfin, je peux toujours parler : j’ai des trous dans mes collants, les cheveux en bataille, du sable dans les chaussures et pas une once de maquillage. Et ben oui, je ne fais que des bêtises, quand t’es pas là. Conclusion joyeuse de cette soirée autour d’un café chez mes parents adoptifs à découvrir deux voix déchirantes, et une autre, un peu moins:
Cynthia gooding, que je ne peux malheureusement pas “coller” ici. Le timbre rauque d’une Zarah Leander et un répertoire de vieilles chansons anglaises tels “les aveux d’Eleonore d’Aquitaine”. J’apprends sur le net que la chanteuse est morte il y a vingt ans et qu’elle recevait sur son émission de radio la hype de la hype dans les années 1960. Mais pour des questions de droits d’auteurs, il n’existe que des 33 tours de son répertoire. 33 tour qui a fait toute ma joie, avec ses grésillements “comme avant dans les rêves d’enfants” et Larry chantant en mesure

Paul Robeson, basse noire américaine, diplômé de droit à Columbia (sisi déjà dans les années 20) et qui a commencé sa carrière en improvisant un negro spiritual car il ne savait pas siffler sur un plateau de O’Neill. Là, j’ai la came, donc je colle (j’avais prévenu dans le titre) :

– N°3 est un ténor juif allemand, Joseph Schmidt, apparemment mort en essayant de quitter le pays à nage sous le IIIe reich. Bon Larry nous a passé sa musique de fils de kantor, avec la liturgie allemande d’époque, ce qui n’était pas terrible. Mais je suspends mes vols pour lui laisser place:

Quant à moi, mon humeur était à passer ceci… ce qui a fait trembler Beth d’émotion. Je ne suis pas la seule vieille cloche à aimer Piaf

Je suis repartie avec plein de cds, de livres et le baume au coeur, bien sûr. Merci les amis.
Et aussi : merci les amis lecteurs, Silvère vous avez eu le temps de lire mon honteux article repassé en privé depuis hier. Ne vous inquiétez pas, j’ai déjà un premier roman en tiroirs, et en suis à écrire le deuxième, pour lequel j’ai réuni plein d’infos ces 4 derniers mois, et que je vais finir… mais après la thèse.

Petit bilan du 15 mai

Vendredi 15 mai 2009

Pour des raisons assez personnelles, cette année, le 15 mai est un peu une date test, une date butoir, le temps de faire le bilan de ma vie new-yorkaise, un mois et demi avant de quitter l’autre capitale du monde.

Si au niveau humain, les derniers mois n’ont pas été des plus tendres, et si la thèse n’a pas avancé assez (mais est-ce jamais assez?), il flotte quand même en ce chaleureux vendredi un air de liberté retrouvée et d’amitié fêtée.

En chiffres donc, 1 an de plus de vie volée, 4 amitiés fondées ou renforcées, des parents et un grand-père adoptés, plusieurs kilos en moins sur la balance, une progression du niveau 0 au niveau 0,5 en Tango, 90 pages de thèse, quelques dizaines de bouquins importants ingurgités, une vingtaine d’opéras au Met, autant de poèmes douloureux sortis des tripes, des milliers de “blocs” promenés, un lectorat sur mon nouveau blog qui atteint le niveau de feu myspace, et une rupture enfin rondement menée.


1970 – Joe Dassin – L'Amerique
envoyé par exprofesso. – Clip, interview et concert.

Je vais aller fêter tout ça  dignement ce soir, à la manière russe ,en allant danser et boire de la vodka…

Attaque ad feminam

Vendredi 15 mai 2009

Bien étrange monde que celui des blogueurs et du net. Il a fallu qu’un ami me prévienne pour que je me rende compte

1) Que mon intreview d’Harold a été repris sur le Blog des éditions Eho.

Gilles, avec une touchante maladresse, a  intitulé son post restituant l’itw : “Très bel article de la non moins belle   Yaël”. Je prends ça pour un compliment de galant homme, ma féminité ou ma beauté n’ayant rien à voir avec l’article.

2) Qu’une de mes anciennes camarades d’hypokhâgne au stylo très amer me dénigre comme “une jolie femme a(yant) la bonne idée d’écrire un article de complaisance sur un livre récemment sorti chez Eho”.

J’ai longuement hésité à traiter par le mépris. Finalement je réponds chez moi à cet article, assez rigolo en fait, parce qu’il met complètement à côté de la plaque.

Chère  Lise-Marie, alias Wrath,

1) Merci de décorer ainsi ton blog d’une vieille photo de moi (aux côtés de Mandor). Mais celle-ci a été prise il y a plus d’un an à l’avant-dernier anniversaire de la maison d’édition Eho, qui est, je ne le cache pas, une de mes préférées à Paris. Cette année, je suis bien loin des milieux journalistiques et de l’édition. Je vis à New-York où j’enseigne et  écris tranquillement ma thèse de sciences-politiques  dans une solitude monacale, à mille lieues des intrigues et condescendances que tu imagines

2) Il se trouve que j’ai été très émue par le livre d’Harold. Que le livre a été longtemps sans éditeur malgré ses qualités et les liens qui pouvaient attacher Harold à d’autres maisons d’édition. Et que j’ai été à la fois soulagée et admirative de savoir qu’une maison comme eho avait su reconnaître la beauté simple et forte de ce texte, et décidé de l’éditer et de se battre pour qu’il soit lu.

Harold est un très cher ami. Je  l’ai découvert comme auteur et comme être humain avec son premie roman. Et je sais quelles richesses il a en lui. Ce qui fait que si son texte avait été mauvais, j’aurais été encore plus sévère car  déçue dans de grandes attentes. Or “Un hiver avec Baudelaire” m’a émue, ravie et aussi étonnée : je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi grave aussi vite chez mon libertin du XXIe siècle préféré. Je crois que je rends bien compte de cette suprise heureuse dans l’entretien, tel que nous l’avons publié dans la boîte à sortie.

3) Je crois profondément que mon travail, en tant qu’enseignante et en tant que journaliste, repond à un impératif d’enthousiasme. Je refuse de perdre du temps à rendre compte de livres qui n’en valent pas la peine. Je refuse ton amertume paralysée et paralysante.

La colère face à une deception oui! mille fois oui! et cela m’arrive. Mais descendre pour le plaisir un livre d’un jeune auteur me semble obscène.

Je préfère “regarder ce qu’il y a de beau”, comme le chantait Barbara, d’après un texte de Brel. Et heureusement, félicitons-nous!, nos contemporains nous donnent à lire et à voir du beau. Le roman de Harold est l’une de ces belles choses qui m’ont emerveillées. En tant que courroie de transmission j’ai voulu partager cette beauté avec mes lecteurs.

Dans l’attente de pouvoir écrire complaisamment quelque chose de positif sur ta prose, si elle est bonne,

Bien à toi,

Yaël

Nefercolie

Jeudi 14 mai 2009

Dans l’étau

Bien en dessous

Malgré les plis, les oripeaux

Je monte les grands chevaux

Et tends encore la paume-joue

***

J’entends mon corps qui trempe

Clapotis de marais acajou

Marabou des années trente

J’ai bien tout léché, et à genoux.

***

-Ressuscité une faim violente

Espérant en venir à bout-

***

Dans l’attente

Aux demeurantes

J’ai des bleus partout

Une milonga de mort lente

Pour un dessin un peu voyou.

***

La menthe effeuille la cendre

Qui m’a frappée de saindoux ?

Une peau blanche et sans entente

Un silencieux scieur de trous

***

Ma poitrine-tiroir tente

D’étrangler les vieux verrous…

***

Dans le tempo

D’une ville battante

Je sombre seule et sans époux

La table tombe une nue tremblante

Et je lève une main prise sans goût

***

Salie et salamandre

Je me faufile dans le château

De celle qui sait donner sans prendre

Éternelle seconde des égouts.

***

L’ombre étend son sourd ventre

Dans la douleur du jamais nous.

***