Archive pour 27 avril 2009

Mariage à Quimper

Lundi 27 avril 2009

5 heures de train aller, 5 heures retour, et il est trois heures du matin et il est grand temps que je quitte mes collants filés sur mes ongles parfaitement rouges. Arrivée en retard hier sous un soleil qui jouait à cache cache avec les nuages sur les vieilles pierres et l’eau de Quimper, j’ai trouvé la voie vers l’hôtel au bord d’un parking de supermarché, et puis celle du glorieux Château de Lanniron où ma meilleure amie de collège épousait l’homme qui la rend heureuse depuis maintenant deux ans.

Scène inaugurale impressioniste dans le jardin éclairé par un soleil baissant, dans une compétition joyeuse de convives élégants -nombreux venus des quatre coins du monde – de champagne, de grands chapeaux, et de chaussures hautes s’enfonçant dans une pelouse encore rehaussée par le miroir d’une rivière.  Adolescentes, L et moi étions indiscernables, lisant les mêmes livres côte à côte et écoutant un Nirvana qu’elle m’imposait. Nos voies ont bien divergé, même si je l’ai reconnue  dans les énormes bocaux de bonbons ornant l’apéritif, les noms musicaux des tables, et une danse commune sur un tube que nous adorions dans les années 1990 : “Freed from desire” de Gala. Après l’essec, L est devenue une talentueuse financière et a beaucoup d’amis dans le même cas. Si bien que je ne connaissais personne à la superbe fête de mariage dans le fief breton de son mari.

Personne sauf sa maman, une des plus belles personnes que je connaisse, iranienne politiquement engagée, que je me rappelle toujours étudiant le droit  dans un nuage de fumée de cigarette et les effluves capiteuses de “Femme” de Rochas. Retournée vivre en Iran où elle “continue le combat” comme elle dit -cette fois-ci pour la cause des femmes-, cette maman modèle n’a pas changé d’un iota. Son discours, qu’elle m’a soumis avant de le prononcer (j’étais très honorée) m’a beaucoup touchée. Court, incisif, poétique et plein d’amour et d’espoir ferme sur le futur. En un mot, parfait. J’ai aussi été très émue de voir le père de mon amie ouvrir le bal en dansant la valse avec elle, si gracieuse sous ses soyeux cheveux noirs en chignon. Ce père est une figure mythique de mon enfance où je ne l’ai pas croisé puisque, opposant politique majeur du régime, il ne pouvait sortir d’Iran.

Le Persan est aussi un souvenir d’enfance et après quelques discussions très sympathiques avec les amis traders et publicitaires qui étaient à ma table, j’ai passé le reste de la nuit à  danser et parler en anglais avec l’un des cousin iranien de mon amie. Nous sommes mêmes rentrés à pied à l’hôtel dans une jolie expédition nocturne d’un kilomètre sous une pluie battante et très couleur locale, moi souffrant du froid dans mon dos nu et des talons estivaux perçant la plante de mes pieds. Heureusement, les gens de Quimper sont adorables et deux petits gars croisés sous un pont d’autoroute ont joué les anges gardiens et nous ont ramené au bord de notre parking du  carrefour, vers l’hôtel.

Réveillée tôt, j’ai apprivoisé par les pieds la ville natale de Max Jacob. Jolie fanfare devant la cathédrale, à l’intérieur, messe d’une piété désormais rare en France et à côté le joli musée dédiait toute une salle à Max. Et montrait une très belle toile de Gauguin, désormais à Edimbourg, et jusque là inconnu de moi : la vision de femmes bretonnes lors du prêche sur la lutte de Jacob avec l’ange. Après une salade au café de la gare, j’ai sauté dans un train pour retrouver mon cher paris. Mais même “en province”, les plus petits détails m’enchantent : le petit cahoua sur le pouce, l’odeur des tilleuls en fleur, les pavés inégaux sous les pattes, Philippe Katerine ou Olivia Ruiz au bal ou au supermarché et le visage changeant du ciel printanier. Que toutes ces choses m’aient manqué montre bien à quel point je suis par chaque pore de ma peau et pas seulement de ma langue, une femme française.

Mon amie R est venue me chercher à la gare Montparnasse et nous sommes parties en virée de filles dans un Paris un peu endormi en ce dernier jour de vacances. Nous avons tellement discuté par téléphone entre New-York et Paris que nous avions l’impression de nous être quittées la veille. Nous avons cheminé sous la nef du Grand Palais, pour l’exposition triennale “la force de l’art” qui fait le point sur la création française contemporaine. Même si les artistes (Philippe Mayaux, Frabrice Hyber, Mircea  Cantor…) sont déjà quasiment “académique”, j’ai trouvé admirable ces commandes d’Etat d’installations et de projections simplement invendables, surtout en temps de crise. Enthouiasmée, au delà de l’aspect ludique, par la réflexion sur l’histoire que ces oeuvres opérent, j’ai enfin bien voulu croire que l’on continue de créer malgré tout, et que les images pops d’obama post-warholiennes disposées à qui mieux mieux dans les foires d’art où les galeries comptent vendre (aussi bien à la fiac qu’a l’armory) ne sont que la surface vaseuse d’un lac de recherche riche et vif. Reprenant la petite voitue rouge à l’envi, nous avons atterri à l’hôtel amour près de Montmartre, où R. a rencontré un fantôme (barbu) de son passé.

Dîner chez mes parents que j’ai enfin vus, avec ma grand-mère et c’était joyeux, animé et agréable. Ils sont ravis que j’aie maigri et s’inquiètent avec amour pour ma thèse. Passage au “cinquième” où mes frères plus petites amies et potes sushisaient devant une série; puis, enfin, verre de vin blanc sympathique place de la contre-escarpe avec un ami compositeur et extrêmement talentueux et une de ses amies cinéphile, belle, pleine de vie. En France, je retrouve mes repères, mon énergie, mon envie de faire d’écrire et de connaitre – plus les gens vivants et créatifs, que les vieux juifs morts ou les épais bouquins de philo sur la sécularisation. Et ça fait vraiment beaucoup, beaucoup de bien

gauguin

gauguin

Roman : Françoise Henry, Juste avant l’hiver

Lundi 27 avril 2009

Après avoir ressuscité la mère d’un héros de 77 ans dans « Le rêve de Martin » (Grasset, prix Marguerite Audoux), la comédienne et auteure Françoise Henry redonne vie à l’après printemps de Prague à travers les amours d’une serveuse racontés par sa patronne à la jalousie intuitive. Un univers résolument féminin plongé dans un hiver qui n’en finit pas.

Ivana est la patronne assez âgée d’un bar de Prague. En 1969, elle observe avec envie les amours clandestines de sa serveuse jeune, lumineuse et slovaque, Anna, avec un des clients. Pavel est un jeune étudiant résistant activement contre le régime. Il risque sa vie et met Anna en danger, dans un pays où tout est interdit sauf discrètement faire l’amour.

Raconter l’histoire simple de la belle Anna du point de vue d’une femme plus mûre, assez pythie et très jalouse est une jolie perspective. Simple et résolument intime, l’écriture de Françoise Henry déshabille de l’intérieur les mécanismes toujours humains qui se cachent derrière le rideau de fer d’un régime répressif. Féminin dans l’empathie, dans les jeux de doubles, et dans la description de la sensualité, « Juste avant l’hiver » est un joli conte de printemps.

Françoise Henry, « Juste avant l’hiver », Grasset, 189 p, 14,50 euros.

« Vous étiez vierge, Anna, si invraisemblable que cela paraisse dans ce pays où le sexe est un des seuls espaces de liberté. Où on fait l’amour tôt, le plus tôt possible, l’amour et la fête comme ces étudiants qui, l’autre soir, ont trouvé le moyen, avec l’aide de l’un d’entre eux placé comme un gardien de nuit, de s’introduire à l’intérieur du musée Folklorique de Prague, pour boire et chanter toute la nuit et s’amuser à revêtir les costumes d’époque poussiéreux dans lesquels ils se sont aimés jusqu’au petit matin… » p. 75-76

Policier : Pas de pitié pour Martin, de Karin Slaughter

Lundi 27 avril 2009

Auteure américaine de romans criminels traduits dans plus de vingt langues, Karin Slaughter joue avec les règles du genre. Traduit et publié chez Grasset comme tous ses autres livres « Pas de pitié pour Martin » (ou « Martin incompris », selon le titre original du livre) met en scène un homme américain moyen au physique et au social, castré par toutes une série de femmes. Il tient enfin son quart d’heure de célébrité quand il se trouve accusé d’être un tueur en série.

Martin est intelligent, il lit beaucoup. Déjà assez âgé, affublé d’un physique ingrat, d’une mère possessive chez qui il habite et d’une collaboratrice menteuse et étouffante, il n’a pas la côte auprès des femmes. Les hommes l’appellent « le bec », avec d’autant plus de camaraderie blessante depuis qu’il s’est fait opérer le nez. Sa vie bascule le joue où l’une de ses collègues est retrouvée assassinée, le sang de la victime étalé sur la carrosserie de sa voiture…

Jouant avec les codes des romans policiers « classiques » qu’elle n’hésite pas à citer puisqu’ils font partie du panthéon des lectures de Martin, Karin Slaughter dresse le portrait vif d’un sympathique looser. Le microcosme décalé qu’elle met en scène à Atlanta va à l’encontre du politiquement correct. Dans un monde où la secrétaire noire est habillée de vêtements vifs volés dans les magasins et où l’inspecteur est une femme mythomane qui s’invente une petite copine lesbienne et cancéreuse pour se faire quelques amis, Martin trône en roi moqué à grand renforts de godemichés collés sur son bureau. C’est seulement dans le couloir de la mort qu’on lui fout la paix et qu’il trouve l’amour. Délicieusement kitsch et léger.
Karin Slaughter, « Pas de pitié pour Martin », trad. Pierre Demarty, Grasset, 153 p, 11 euros.

Roman : Un moment d’oubli, d’Abdelkader Djemaï

Lundi 27 avril 2009

L’auteur du « Nez sur la vitre » et de « Camping » (Seuil) est de retour avec un roman fin et intimiste qui plonge dans la mémoire poreuse d’un homme en deuil. Où l’on apprend que l’immigration peut aussi être un phénomène intérieur pour ceux et celles qui ne peuvent plus vraiment vivre comme les autres.

Une voix intérieure parle depuis un corps décharné. Le laisser-aller est voulu. Jean-Jacques Serrano est un fils d’immigrés italiens bien intégré. Heureusement marié, père de famille, et flic garant du respect de la loi française, sa vie a été brisée, coupée en deux pour s’essouffler sans parvenir à repartir. D’ailleurs, il ne désire pas que le fil normal des jours reprenne. Il regarde ses dents tomber une à une, et il lui reste simplement la mémoire. Celle obsédante et bloquée de la rupture, et celle, plus heureuse des jours passés.

Court et écrit à bout de souffle comme un long chant désespéré, « Un moment d’oubli » marche en somnambule vers une explication nécessairement incomplète car incompréhensible. Pourquoi un homme décide-t-il de quitter un travail dont il est fier et une femme qu’il aime pour sombrer dans une passivité de mort-vivant ? Pourquoi l’histoire s’est-elle arrêtée pour laisser place à une mémoire aussi minérale qu’ogresse ? Comment entre-t-on dans un deuil sans fin ? Et comment choisit-on la dissimilation s ans renouer avec aucune tradition ? Si le lecteur a le fin mot de l’histoire, il ne comprend jamais vraiment cette obstination morbide. L’écriture mûre comme un fruit alcoolisé d’Abdelkader Djemaï travaille l’étrangeté de la voix qui se livre sans jamais se débarrasser ni de sa solitude, ni de son poids. Les images s’entrechoquent : les souvenirs d’une enfance dans une ville française des années 50 entre Tati et Fellini, le blues du policier à l’américaine et la déchéance présente, recréant le puzzle d’une âme morte qui reste toujours et encore étrangère.

Abdelkader Djemaï, « Un moment d’oubli », Seuil, 86 p, 13 euros

« Des couleurs, tu n’en as plus, et loin des tiens, de tes meubles, de ta ville, de ton climat et de tes habitudes, tu es devenu, là aussi, par la force des choses, un émigré, même si tu n’as pas l’accent ni le physique typé. Un émigré de l’intérieur, un naufragé du dedans, un Blanc de race européenne, de confession chrétienne, non pratiquant et né après la guerre, dans le quartier de la Bussatte, un mercredi 27 octobre à 15h30. Un errant aux cheveux gris et aux yeux marron, mesurant un mètre soixante-douze, pesant cinquante-deux kilos, et ayant comme signe particulier une cicatrice sur la mâchoire droite. Un clandestin usé comme ses semelles, enfermé en lui-même et dans les frontières de son propre pays. Mais à la différence de beaucoup de gens venus d’ailleurs, tu sais lire et écrire. Tu connais tous tes droits et tu as la force aussi de te foutre du regard des autres, de leurs paroles, des petits coups de canif qui laissent le cœur en sang » p. 53-54.

Yaël Hirsch