Première claque à Broadway

Mardi soir, un ami retournait voir une pièce pour me la faire découvrir. L’ambiance était à la fête et a commencé par quelques shots dans le celtic pub où j’avais traîné mes guêtres à une très tardives soirée du saturday night show cet automne. Après, nous avons erré longtemps et j’ai décidé que nous finirions chez Joe Allen sur restaurant row (46e rue et 8e av). Je recommande, bie meilleur que celui de Paris où nous allons en général pour le vrai brunch américain.
Toujours est-il que je n’attendais pas énormément de la pièce. En face se donnait le mauvais “Dieu des Carnage” de Yasmina Reza et ma dernière expérience de Broadway a été Kristin Scott-Thomas massacrant Tchékhov. Mais là, j’ai été bluffée, touchée, déprimée, bouleversée et retournée. Je n’avais pas eu un choc théâtral comme ceci depuis l'”acte manqué” de Novarina à la Colline il y a un an et demie.
Le théâtre était charmant, moquette, et petite salle, mais décors chiadés sans économies de bouts de ficelles, et surtout, comme toujours l’incroyable enthousiasme du public américain que je bénis d’applaudir avec autant de joie entre chaque scène et après chaque grande tirade (le think positive et le rythme du jazz donnent un résultat absolument rieur).
Venons en à la pièce, signée Tracy Lett, jeune auteur qui s’est fait connaître par “Bug” (lu après le dîner dans la nuit) et qui a commencé au Steppenwolf de Chicago. Intitulée “August : Osage County”, elle met en scène une famille de l’Oklahoma réunie après la disparition probablement fatale du père. La mère – interprétée par l’immense Violet Parson- est présente, cancéreuse, junkie et pourtant mère monstrueuse d’une horde qu’elle assomme de vérités et de culpabilité vaches. En fait elle hait ses trois filles venues en renfort des quatre coins du pays, sous pretexte qu’elle n’ont pas connu -comme elle- la pauvreté la plus crasse. Cette faculté des aieux de détester leur progéniture car elle a moins souffert qu’eux m’a toujours bouleversée. C’était le cas par exemple dans “Rois et reines” de Arnaud desplechins. je crois que cela s’explique à la fois par l’étrangeté absolue que représente cette rancune pour moi, toujours entourée de parents et grands-parents prêts à tout sacrifier pour que leurs enfants aient plus, mieux et plus facile qu’eux (Yerushalmi a de très belles pages sur les familles juives viennoise et les pères juifs ravis de se faire piétiner par leurs enfants dans son livre sur le Moise de Freud). En même temps, quand je pense à mes fantômes, ceux morts pendant la deuxième guerre, leur colère a ce genre de teinte. Les trois filles sont venus avec leurs maris et/ou compagnons, et la soeur de la mère est aussi présente, vulgaire, maquillée, et castratrice accablant son fils. Pendant les trois heures de cette pièce à la Tennessee Williams qui rappelle “Le deuil sied à electre”, les cadavres sortent des placards, tout le monde en prend pour son grade, surtout la fille ainée, mère, professeur, en plein divorce car son mari la trompe avec une étudiante et ne veut pas revenir. On rit à certains mots, mais un malaise dans le ventre, et l’on sent la catastrophe venir du ventre de la mère où personne n’a la force de frapper. Le vieille dame cacochyme mais toujours aussi mauvaise se retrouve seule survivante du naufrage après avoir brisé une à une les vies de ses proches.
“Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?” (Giraudoux). Et l’aurore s’est levée pour moi sur une vraie question : à quoi cela sert-il d’être “fort” si c’est pour provoquer de tels désastre. Finalement, se laisser porter n’est peut-être pas plus simple, plus lâche et une démission, mais peut-être un passeport de survie (excuse moi Hannah, je parle dans l’oecumen, pas en politique)?

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Un commentaire pour “Première claque à Broadway”

  1. Anne Laure dit :

    Habituellement je ne signe pas dans les blogs mais votre blog m’a etonn

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