Roman : Le coiffeur, la maîtresse et son mari gay
Le traducteur lusophone d’Antonio Lobo Antunes publie son deuxième roman en Français chez Albin Michel. Après avoir ausculté le parcours difficile d’une fille d’immigrés portugais dans « Poulailler » (2005), il enquête à plusieurs voix sur le ménage à trois atypique. Sortie le 5 mars.
Léo est coiffeur, jeune, et hétérosexuel. Séduit par les cheveux et l’allure de Mona, une de ses clientes plus âgée que lui et qui demande invariablement une fois par mois la même coupe de cheveux classique sans y mettre de chichis, il est incroyablement heureux le jour où elle s’offre résolument à lui. Mais malgré leurs prouesses sexuelles, il n’y a rien de maternel ou d’attaché chez Mona qui traite son amant comme un domestique, alors qu’elle est profondément amoureuse de son mari. Or celui-ci est homosexuel et profondément incapable de lui rendre son amour. Après un bref moment d’euphorie, l’adultère accepté par le mari (qui se son côté s’envoie en l’air avec le poissonnier) tourne au glauque. Et la victime de ce drame banal et répétitif n’est peut-être pas celle que l’on croit.
Dans le roman de Carlos Batista, les trois protagonistes de l’adultère s’expriment : d’abord Léo, puis Mona, et enfin, Pierre, le mari. A la légèreté faussement ingénue du jeune coiffeur, s’opposent le désordre amoureux de la femme repoussée et le cynisme malheureux de l’homme mur, encore et toujours incapable d’assumer ses désirs en société. Faire sonner juste ses trois voix divergentes et intriquées est une prouesse en soi, encore relevée par l’intime compréhension du personnage central et touchant qu’est Mona. Rien de très nouveau sous le soleil du trio éternellement bourgeois, mais la douleur de la femme est profonde et émouvante.
Carlos Batista, L’envers amoureux, Albin Michel, 240 p., 15, 20 euros.
« Peut-être est-il dans mon destin de ne me réaliser qu’à demi. Tout est tronqué en moi : ma façon d’être aussi bien que ma façon d’écrire. Une femme en fragments. Au fond, je crains d’être faite pour ne réussir rien, ni pour progresser dans ma carrière professionnelle, ni pour fonder une famille. Tout me paraît vaciller, et l’indécis m’envelopper jusqu’à l’indécis. Je suis sans racines, sans énergie vitale ; je n’ai pas trouvé mon point d’équilibre, et je ne m’inspire aucune confiance. L’aigreur que j’éprouve quelquefois est comme une rancune contre la vie, que je sens m’échapper et qui ne m’apportera pas ce qu’elle apporte à d’autres.» pp. 103-104.
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