Princeton
Vendredi 13 février 2009Ma calme vie new-yorkaise a commencé comme il se doit par un yoga à la sortie de l’avion hier. Ce matin, dans les rues du upper east-side, cela sentait tellement le printemps, que j’ai été prise d’une fièvre acheteuse. Nouveaux vêtements donc, et sac très chic H&M pour sauter dans le train qui me menait à Princeton. J’allais y écouter la classieuse Martha Nussbaum sur le mariage gay. Blonde, maigre, élégamment liftée, avec un débit de mitraillette de la guerre froide, le professeur Nussbaum est à la hauteur de sa réputation. Sa démonstration a été efficace : aucun des arguments contre le mariage gay ne tient si ce n’est un vieux fantasme de contamination basé sur le sentiment de dégoût, pareil à celui que provoquait un couple d’ethnies mixtes dans les années 1950. L’amie qui m’a conduite à cette conférence fait son M2 sur le sujet et a retrouvé sur place trois camarades normaliens. La discussion à table dans une pizzeria classique du New-Jersey m’a ramenée huit ans en arrière. Agrégés et à l’étranger, ces jeunes esprits surdoués n’ont pas changé depuis mon expérience de l’hypokhâgne : des ayatollah de la philosophie. Il y a ce qui est intéressant et ce qui est “nul”. L’intéressant est parfaitement partagé entre des agencements glacés de pensées froides et fortes et des blagues de potaches. Le reste – dont le dialogue même -n’est “que” littérature. Et donc méprisable. Et c’est toujours aussi frustrant de rencontrer tant d’intelligence concentrée sous de si métalliques œillères. De mon côté, j’ai enfin un peu grandi et ne me sens pas forcément conne sous prétexte que je n’appartiens pas à leur monde. Je n’ai même pas tenté ce concours des grands dieux et je crois que, finalement, j’en suis remise, même si pendant longtemps passer devant le 45 rue d’Ulm me glaçait le coeur. Mais je suis toujours surprise et peinée de me heurter à un tel manque de générosité intellectuelle et de ne pouvoir vraiment entrer en conversation avec des gens brillants. Qui plus est Princeton m’a aussi rappelé une autre couche de mon passé, puisque c’est Théo qui avait été mon Cicerone sur le campus lors de ma première visite et de nos premières retrouvailles après 3 ans de rupture. Mais la pizza était délicieuse, le fond de l’air frais et campagnard, et j’étais bien contente de rentrer avec mon gros Gallimard dans le train en écoutant l’excellent dernier album de Lily Allen. A 23 ans, la petite a tout compris, et c’est un bonheur que de l’entendre avec son accent vulgaire et british raconter comment elle méprise un ami raciste (“Fuck you”), comment elle quitte un homme qu’elle ne veut plus revoir (“Never gonna happen”) et surtout comment elle découvre que les hommes de 30 ans peuvent être de très mauvais coups (“It’s not fair”). Il y a là-dedans une vitalité et une envie de bonheur simple qui me ravissent. J’ai du interrompre le fil sur le quai du métro qui ne vient jamais après 10 heures du soir pour engager une conversation passionnante avec un jeune-homme qui a pris le même train que moi et qui enseigne l'”écriture” à Princeton. Dans un premier temps, j’ai demandé à le lire; ensuite, je compte bien lui demander comment on peut enseigner « l’écriture créative”.