Archive pour 3 février 2009

CD : Pays sauvage, d’Emilie Loizeau

Mardi 3 février 2009

Persistant dans le monde baroque enfantin qui est le sien, Emilie Loizeau sort un nouvel album bilingue, aux accents folk, et aux collaborations futées (Moriarty, Thomas Fersen, David Ivar de Herman Dune …). Un eldorado musical pour nostalgiques joyeux.

Déjà dans l’ « Autre bout du monde », Emilie Loizeau avait tout compris et enchanté ses auditeurs avec son monde un peu magique et très décalé, où sa formation de musicienne classique était mise au service d’un existentialisme light (« Je suis jalouse », « Je ne sais pas choisir »…). Elle avait réussi à greffer cet univers au cœur d’une vraie tradition de chanson française.

Avec « pays sauvage » elle réitère : tout, y compris la couverture de l’album, parle à nos rêves d’enfants. Très « chanson réaliste », la « Femme à barbe » est entêtante. Quant au duo en Français et en Anglais avec Thomas Fersen « The Princess and the frog », il réactualise le conte menteur qui veut qu’un baiser puisse changer le visage du monde. Mais par-delà la féérie de vrais textes forts, et l’enchantement d’une voix bluezzy, Emilie Loizeau passe résolument du côté du Folk, privilégiant des instruments étranges, des duos avec de petits génies de la matière rétro comme les Moriarty (« Fais battre ton tambour », « Ma maison ») et des sons de cloches très CocoRosie. A cette jolie mixture, elle apporte encore une corde : celle de la musique World avec le duo « Dis moi que tu ne pleures » qu’elle interprète en Anglais avec David Ivar de Herman Dune et – complètement revu- en Français avec le chanteur réunionnais Danyel Waro. Ajoutez encore à cela des arrangements très travaillés et vous obtenez la recette d’un album aussi multiple que parfaitement travaillé.

Voici le premier single de l’album que vous avez peut-être déjà entendu sur les ondes : « Sister »



Emily Loizeau
sera du 3 au 5 mars à l’Alhambra et le 8 décembre sur la scène de l’Olympia qu’elle a l’habitude de remplir.

Emilie Loizau, “Pays sauvage”, Polydor, edition limitée collector 18,50 euros, édition “normale” 17 euros.

Cinéma: The Wrestler, de Darren Aronofsky

Mardi 3 février 2009

Après le fiasco de la grandiloquente “The Fountain”, le jeune réalisateur surdoué de « Pi » et de « Requiem for a dream » offre à ses fans un film à visage humain : celui buriné et solitaire de Mickey Rourke dans son propre rôle. Jackpot complet pour ce film tendre et fort qui a obtenu le lion d’or à la Mostra de Venise en 2008 et pour lequel Rourke a décroché le Golden globe 2009 du meilleur acteur. Sortie le 18 février.

Star du catch dans les années 1980, Randy (Mickey Rourke) vit seul dans un mobile home et fait des petits combats de quartiers dans des bleds du New-Jersey et largement grimés pour un public de plus en plus vieux et parsemé. Terriblement seul et incapable de s’adapter, il tente de renouer avec sa fille qu’il avait abandonné et de commencer une romance avec une strip-teaseuse au grand cœur. Lorsqu’on lui propose de refaire le plus important match de sa vie, vingt ans après, le catcheur est tenté, mais son état de santé est critique et son cœur risque à tout moment de le lâcher.

Après les débauches métaphysiques et budgétaires non abouties de « The Fountain » autour de la superbe Rachel Weisz, la simplicité de « The Wrestler » tourné en 35 jours ( !) a surpris et parfois déçu de nombreux fans d’Aronofsky. Et pourtant, le film est un vrai chef d’œuvre. Original, il s’intéresse aux sous-réseaux du monde catch, milieu bien moins fouillé par le cinéma que la boxe et pourtant terriblement vivant aux Etats-Unis où le show WWE Superstars (World Wrestling Entertainment) devrait revenir au printemps 2009.

Concentrée sur le visage marqué et la crinière teinte de Mikey Rourke, la caméra de Darrend Aronofsky offre à l’acteur terrible un come-back époustouflant (il est même sur la liste des Oscars 2009) dans un rôle plus vrai que nature de « has-been » touchant. Nominée elle aussi aux oscars pour son second rôle, Marisa Tomai (7h58 ce samedi-là, Factotum, In the Bedroom) apporte une touche de grâce et d’humanité à ce film brutal et renforce encore la fragilité du personnage principal.

L’économie des images est absolument fascinante et la manière dont Aronofsky coupe systématiquement les plans avant leur aboutissement donne un rythme lancinant à ce « Wrestler » qui échappe au documentaire pour devenir un grand film.

« The Wrestler », de Darren Aronowsky, avec Mickey Rourke, Marisa Tomei, USA, 2008, 1h45.

Cinéma : A l’aventure, de Jean-Claude Brisseau

Mardi 3 février 2009

Après s’être expliqué sur le procès qui lui a été fait sur ses relations ambigües qu’il a pu entretenir avec ses actrices dans les onirico-poétiques « Anges exterminateurs », le réalisateur de « Noce blanches » continue sa quête cinématographique sur le désir féminin.Sortie le 1ier  avril.

Ennuyée dans sa vie de couple avec un petit copain aussi plan-plan que parfait et lasse de sa vie trop bien rangée, une jeune femme quitte son travail pour se lancer dans une flânerie où elle enquête sur la vie. Les réponses passent par de longues discussions philosophiques sur un banc avec un vieil homme étrange, et par la recherche de plaisirs plus élaborés, ou le « plus que deux », le sado-masochisme soft et le flirt avec l’au-delà.

Moins abouti visuellement que « Les anges exterminateurs », et moins sociologique que « Choses secrètes » qui mesurait le pouvoir du sexe dans le monde de l’entreprise, « A l’aventure » vient clore le triptyque de Jean-Claude Brisseau sur les usages et les courbes du désir féminin. Touchante et pure dans sa quête du sens et des sens, l’héroïne (Carole Brana) même le spectateur aux limites du rationnel, en ce lieu étrange où le sexe sous hypnose révèle des forces surnaturelles. Bavard, mais avec fraicheur, ce dernier opus de Jean-Claude Brisseau renoue avec la simplicité sans tabous des années 1970.

Chaudes, nécessairement, mais filmées avec poésie, ses scènes libertines –voire libertaires- n’ont jamais rien de glauque et réalisent toujours le plus difficile : parvenir à garder le cap de l’érotisme sans sombrer dans le cru pornographique, ni le ridicule de la romance cul. Le sexe est une « experience intérieure » comme aurait dit Bataille, quelque chose de risqué mais vital où la femme fait à la fois l’ange et la bête. Voir l’héroïne s’y livrer sans qu’il y ait là rien de glauque, de sale ou de désabusé est à la fois touchant et libérateur.

“A l’aventure”, de Jean-Claude Brisseau, avec Carole Brana, Arnaud Binard, Nadia Chibani, Lise Bellynck, France, 2008, 1h44.

Cinéma : Harvey Milk, de Gus Van Sant

Mardi 3 février 2009

En lice pour l’oscar du meilleur acteur principal masculin 2009, Sean Penn repasse devant la caméra dans un biopic sur le premier homme politique ouvertement gay et défendant les droits des homosexuels élu.

Qui eut-dit que Gus Van Sant, le réalisateur griffé « indé » et fasciné par l’adolescence trouble (« Elephant », « Paranoid Park ») avait en tête depuis près de vingt ans le projet de tourner un film biographique sur le leader et « martyre » gay Harvey Milk ?

Délaissant les tons bleus glacés qui étaient son image de marque, le réalisateur plonge dans la minutie de l’exactitude historique d’un film long (plus de deux heures) et au budget de 15 millions de dollars. Retraçant chronologiquement la vie de l’homme politique, Van Sant le suit à la trace de sa vie d’homosexuel caché à New-York à son meurtre en passant par la libération du déménagement à San Fransisco, l’engagement politique, la difficulté des campagnes, et le triomphe de l’élection.L’objectif du film est presque documentaire, et « Harvey Milk » ressuscite avec une minutie parfois un peu étouffante chaque détail vestimentaire, psychologique et de comportement du candidat gay.

L’excellent Sean Penn se prête au jeu avec passion et semble complètement habité par son rôle, pour lequel il est encore une fois, totalement oscarisable. Grâce à un casting plus que parfait (notamment Emile Hirsch en directeur de campagne, le touchant Josh Brolin dans le rôle de l’assassin, Dan White, et Alison Pill en touche de féminité impertinente dans un film terriblement masculin), Gus Van Sant à éviter l’hagiographie pesante. Du moins jusqu’aux inévitables dix dernière minutes d’indignation populaire. Les nombreuses questions politiques de savoir s’il est possible de bâtir un programme de campagne sur les droits des minorités, et l’enchevêtrement de la vie privée et public du personnage historique sauvent l’œuvre du piège d’un maniérisme trop prononcé.

Le résultat est une fresque aux images chaudes, et peut-être encore plus profitable à un public non-américain puisqu’on y apprend beaucoup sur le climat politique du San Francisco des années 1970.

“Harvey Milk” de Gus Van Sant, avec Sean Penn, avec Sean Penn, Josh Brolin, Emile Hirsch, Alison Pill, USA, 2008, 2h07.

Cinéma : L’étrange cas de Benjamin Button, de David Fincher

Mardi 3 février 2009

Le réalisateur de « Seven » et« Fight club » s’inspire d’une nouvelle de Francis-Scott Fitzgérald et reconstitue le couple Brad Pitt/Cate Blanchett (Babel de Alejandro González Iñárritu ) dans un beau film de sensibilité légèrement surannée. Sortie ce mercredi

Dans la ville de la Nouvelle Orléans, où l’horloger construit la montre de la gare à l’envers pour que les morts à la guerre remontent le temps et reviennent voir leurs parents, Benjamin Button naît dans une famille aisée. Sa mère meurt en couches et son père prend peur en voyant la laideur du bébé. Il le pose sur les marches d’une vétuste maison de retraite où l’employée l’élève comme son fils. Il faut dire que Benjamin (Brad Pitt) est vraiment repoussant dans sa petite peau plissée de vieillard de 80 ans. Mais il s’entend assez bien avec les pensionnaires et plus il grandit et plus il récupère de la souplesse. La petite-fille d’une des retraitées, Daisy (Cate Blanchett) passe outre les apparences pour se lier d’amitié avec Benjamin. La rousse danseuse sera l’amour de la vie de Benjamin. Mais étant donné leurs cycles de vie opposés, l’un se dirigeant vers le berceau et l’autre vers la tombe, ils ne voleront que quelques années de vie commune, le temps d’avoir une fille.

Philosophique, magnifiquement filmé, porté par deux acteurs géniaux, et mis en scène dans un grand flash back qui actualise l’histoire Benjamin Button au temps de la menace de Katrina sur la Nouvelle-Orléans le dernier film de David Fincher est une réussite. L’émotion est solidement accrochée à l’effet des images et non à celui des mots, et la bonne vieille formule de l’amour impossible prend des résonances particulières dans le cadre d’un climat fantastique très XIX e siècle : l’inquiétante étrangeté d’un homme qui rajeunit. On ne voit pas les 2h35 du film passer. La nostalgie d’une Nouvelle Orléans engloutie apporte beaucoup au film qui semble détenir à la fois le secret d’un grand amour caché et celui de toute une page d’Histoire des Etats-Unis. A voir, de 7 à 77 ans, que vous vieillissiez ou perdiez vos rides.

« L’étrange cas de Benjamin Button », de David Fincher, avec Cate Blanchett, Brad Pitt, Julia Ormond, Tilda Swinton, 2008, USA, 2h35.

Manent

Mardi 3 février 2009

En ce moment je reçois des lettres bizarres où l’on rêve de moi. Moi-même, j’envoie des cartes culottées où j’invite un homme à coucher avec moi. Mais il y a une seule missive qui ne se lira pas : elle risquerait de découdre le fil barbelé sur lequel repose bien droite, l’amitié.

Cher Fred,
Je me suis bien comportée lors de ce déjeuner d’adultes où la gravité l’emportait sur l’émoi. Avant tout, dans la porte d’entrée, j’ai posé deux gros baisers sur tes joues pour sceller notre amitié. Puis, bien attablée, je t’ai écouté, et je me suis retenue de crier. Pendant que tu parlais, que tu disais que tu ne pouvais pas, pour t’encourager à nous condamner au raisonnable, et à éclater la possibilité d’un nous, j’ai entrelacé nos doigts avec fermeté. Puis te relayant très vite au créneau des banalités qu’on dit et que l’on croit, je t’ai confié que cette liaison n’était pas digne de nous, et qu’elle ne nous satisferait pas.

J’ai fait la femme raisonnable, éthique, appliquée et suffisamment éloignée pour que tu me croies un peu juge de nos comportements sans éclat. J’ai même été dure même avec toi, en déclarant que quand tu étais quasi-nu à mon côté j’avais peur que tu meures, et que je m’étais sentie vide et sale quand tu étais parti, ce jour là. Je t’ai aussi rassuré : je n’étais pas fâchée, juste un peu déçue par un comportement humain, trop humain, de la part d’un homme que j’admirais. Mais il y avait quelque chose à sauver : nos chastes repas d’autrefois, quand le pas n’avait pas été passé. Je t’ai laissé encore un peu t’exprimer, avec tous ces fantômes lourds dans ta voix, puis j’ai fait pour nous libérer un joli speech sur Maurice Sachs.

Mais en vérité, j’étais, comme la dernière fois, paralysée : engoncée dans une morale de bois, à nouveau incapable de manger quoi que ce soit, ayant vomi toute la nuit sur ce qui devait se passer, j’avais assez d’énergie pour faire semblant, paraître raisonner. Mais au fond, j’étais malade comme un chat dans la discrète solitude de ce combat. Nous avons marché, mentionné comme si de rien n’était poètes et hommes d’état. Je t’ai laissé filer sur une promesse de cinéma et la certitude fragile que rien n’était brisé, que nous revenions en arrière comme des magiciens béninois. J’ai encore fait quelques pas, et puis me suis écroulée sur le quai de métro, lâchant des ficelles d’eau salée sous mes yeux gondolés, sans craindre que l’on se moque de moi. Je n’avais pas eu de larmes depuis plus de six mois. Les dernières, c’est mon père qui a su les arracher.

Cela fait trois heures que je pleure sans discontinuer, assise sur un sol qui semble se dérober, sans plus aucun désir devant moi. Étranglée de peur et malade d’obscurité, je refuse en vain cet avenir de solitude qui se dégage bien droit. Petite fille au cœur brisé, je vois l’espérance s’envoler avec la foi. L’injustice me fait plier : je voudrais tellement que quelqu’un enfin s’occupe de moi. Mais muse sur l’étagère et infirmière en bas, je dois toujours être forte pour deux, voire pour trois.

Amitiés, donc,

Yaël

Il suffirait de presque rien ...