Archive pour février 2009

Chapitre 4 d’un roman dans lequel j’apparais sous mon propre nom

Samedi 28 février 2009

Il paraît que je prends trop de plaisir à visiter les abîmes, je me contente de répondre que je fais comme je sens, au moment où ça me chante. Or, un de mes amis new-yorkais qui se trouve être l’écrivain le plus génial que je connaisse m’a suggéré récemment de tout arrêter pour me faire faire des cartes de visite avec pour simple titre “Muse”.  Premier round de la muse amusée, avec ce texte de mon grand frère adoré, Pascal Szulc. Le rockeur au grand coeur a fait mon portrait dans son premier roman (en écriture). Je me permets une minute de narcissisme bien méritée. Mais c’est pour la bonne cause : j’aime beaucoup son écriture rock’n’roll avec BO intégrée.La scène est évidemment totalement vécue.

J’en profite pour illustrer le texte de Pascal par un lien vers un dessin qu’il m’a offert lors de mon dernier passage à paris et inspiré du roman qui a déchiré mes 17 ans : Belle du Seigneur.

“Pascal Szulc, Chapitre IV, La nuit du verseau

Six mois plus tôt. Fin de Yom Kippour. J’ai eu du mal à jeuner, pourtant je ne mange pas le reste du temps. Mais ici, il fallait faire face à un interdit, aller au-delà de la volonté de mauvaise haleine. Une rescousse intuitive en quelque sorte. Yaël sonna à l’interphone.
– Qui est-ce ?
– Ya chéri !
Ya débarquait de New York. Tout le monde l’appelle Ya, notre Salomé géniale à la recherche de l’homme plus intelligent qu’elle. Nous, Laurent, Eric, Le chat, moi et quelques autres l’adorons, la vénérons, ne la touchons pas – c’est Ya qui touche. Ya est un esprit dans une pulpe réalité ; une Pitie exaltée sur un dancefloor mondialement culturel. Tellement de choses à dire sur ma sœur, sa poitrine généreuse, ses lèvres rouges, son rayonnement intellectuel et sa générosité de fée sans clochette, son appétit de la vie et des petits vieux « enfants cachés » et convertis qui nourrissent sa thèse et sa tolérance. Ya peut parcourir seule Israël, de kiboutz en kiboutz, appareil photo et magnétophone au poing, du nord au sud, de bus en bus, pour saisir une vérité, une émotion. Vanessa a de quoi en être jalouse .
Il se retient de ne pas envoyer un sms, se retient. [Garde l’esprit, coupe-toi la main, elle repoussera.] Il rampe et déambule comme un crabe.
– Je ne vais pas bien chérie .
– Oups ! Pourquoi est-elle partie ? Le jour de Kippour, c’est pas gai.
– Ok pour le symbole petite sœur, mais il n’y a pas de jour pour ça.

[Yaël est un mélange d’Hannah Arendt et de Simone de Beauvoir, la pure intelligentzia du second sexe, la volonté de l’esprit et l’insouciance de BB dans le mépris. Ya va droit au but avec hauteur d’esprit et bas noirs, vélib et Ferrari, Verdi et Benjamin Biolay . Yaël est juste merveilleuse et juste. Sans préjugé, convertie à l’humanisme chrétien, un tourbillon chaud doué de la plume, une communicante de la prochaine génération, à cheval sur les hommes, la modernité et la tradition. Ya est une Barbara qui aurait été guérie de l’anorexie, avec l’amour d’un père pur et savant, goûtant autant les cocktails inconnus que les dernières productions cinématographiques japonaises. Ya est un blog à part sur les réseaux nets. C’est ainsi que nous nous sommes connus. J’écrivais compliqué, intelligent, reconnu, mais compliqué, pas assez Inrockuptible, éloigné de mon Henri Miller de base. Un an de journalisme avec son allure virevoltante de Reine de la nuit, et je fis naître mon écriture d’ashkénaze pop romantique.]

Orphée – (Monteverdi 1610)

– Je ne suis pas rassurant, je crains. J’entends matériellement rassurant. Regard, je fonctionne encore avec une carte téléphonique. Ce n’est pas rassurant ça, une carte téléphonique. C’est Vanessa qui me rappelait. Et puis ma voiture, sans chevron apparent, sans lecteur cd. Et les vacances ? pas foutu de l’emmener en week-end dans un hôtel classe pour faire l’amour dans un jacuzzi.
– Si chéri, tu es une âme pure, un coeur sans fond. Que peut-on vouloir de plus qu’une bonne relation de cul et une communication de chaque instant ? Quelle femme n’aimerait pas qu’on lui écrive tous les jours des lettres comme les tiennes ?
– Les béquilles, mon cœur, les béquilles. Elles ont besoin de béquilles pour se retrouver. Le réflexe normal sécuritaire. Tu sais bien, il figure dans les droits de l’homme, enfin je devrais dire dans les droits de la femme.
– Quelles béquilles BB ? lexomile ? Sécurité matérielle ?
– Yes. Lexomile-Deauville, Hôtel Royal, Matis Paris 8éme, la vie des parents, l’avenir des enfants . . . la carte gold, la fin des angoisses des pensions alimentaires jamais payées par un schmoK (un imbécile en Yiddish) … no risk et no future pour moi.
– Eh, oh, positif Aaron le Bain Chaud. Pas de critique hâtive de la nécessité d’être « opportuniste ». C’est tout aussi moral que le reste. D’un côté je comprends son attitude, et de l’autre je suis furieuse de voir dans quel état tu te trouves. Tu vas voir quelqu’un ? Un psy ?
– Non. Ni médoc, ni psy. Je m’endors tous les soirs comme Jacob dans le désert, la tête posée sur une pierre en disant « Bonne nuit chérie , sois heureuse. »
– Pas même un sms, un mail ?
– Combien ?
– Combien de quoi ?
– Combien de kilos j’ai perdus ?
– Cinq ou sept, mais c’est plutôt le côté positif, not ? Bon, couche-toi je descends chez Pho chercher des nouilles sautées et un « tout saumon » .
Ya prend son sac Gucci, me sourit. « Moi, je l’aime bien ta bagnole pourrie ! ».
I heard it thru the grappewines . (Marvin Gaye reprenant Creedence Clearwater revival)

BB de la nuit se penche à la fenêtre comme un romantique aspiré par le vide. Pas besoin de petite mort. Croire, croire comme il l’a toujours fait avec ce sentiment optimiste qui le caractérise. Il danse comme un dervish tourneur sur le lit, referme la fenêtre, hurle VANESSA. Sur son bureau, une pile de serviettes en papier blanc. Il écoute les musiques de film de Nino Rota, la Strada plusieurs fois. Il étale une nappe de ces essuie-bouches jetables, prend son tempo fétiche noir, s’assoit sur l’escabeau bas que Vanessa lui a légué, efface les traces de lichen sur sa peau, frotte avec les ongles, se lève brutalement direction la douche, le sanex, la crème pour les cheveux, déodorant, rasoir, anti-rides, la main le tient au cou, il se sentirait presque en érection. Il revient trempé à sa table comme une urgence et trace sur la nappe improvisée.
Ecriture surréaliste, automatique ? Peut-être. Pourquoi pas. Il écrit sur cette nappe devenant les draps d’un amour inachevé, son empreinte opportuniste.
Je ne peux me protéger de la nuit. Je veux sentir le parfum de ton sexe, le remplir, l’éclairer, le boire, l’anoblir de maturité. Aucune leçon de l’expérience ne vaut un nouveau dessein. Roll over Beethoven, je bouge des hanches, je donne des coups de hache sur le piano du Little Richard boy. Je suis proche d’un rien, le vide creuse mes chakras. Je vois l’aura de Weissman sainte Vanessa dans le ciel avec des diamants et je m’effondre chaque matin qui commence la face noire fondant au blanc sous mes yeux verts en chuchotant ton Nom. Je suis perdu en translation. Face noire de moi même, il est plus facile de t’écrire que de te dire, la distance me blesse et j’aime ça à en mourir. Je sens la vague du désespoir de Rimbaud me saisir au cou et la femme aux bijoux roses me manque tant. « Pourquoi n’ai je jamais été méchant » demandai-je à Dieu ? Mais dieu n’épelle aucun nom, ne me donne rien. Ce que Dieu ne me donne pas, j’irai la chercher moi-même. Mon héroïne me gagne et je rame l’air de battements d’ailes enfantins. Mon héroïne est une ingénue comme Lucy dans son ciel avec des diamants, une aura de Gustave Moreau sur laquelle je n’ai su tatouer de mes mains de créateur le frisson qui m’empoisonne sur le divan vide. I feel like a rolling stone, border line, dark side of the sun. Sa lumière me taillade les veines à coups d’écriture. Mon bassin est plus lourd que jamais. Un serpent vert grimpe le long de ma jambe. J’attends la morsure du temps et vieillir me hante plus que jamais. Moi, qui pensais être le plu initié, j’en meurs. Méchant et léger, solution basique jamais acceptée – Ashkénaze pensif énamouré, des lambeaux de chair m’ont rendu carnivore, en vrac. V.W. flotte dans l’air car le cœur n’est pas à sa place. Alors, je dors et la laisse flotter attendant qu’elle monte au milieu de ce dessein qui m’augmente. Chandelier à sept branches et plume d’une sublime ingénue noyée de cheveux blonds, relevez mon visage que j’y vois plus que ma mort. J’aimerais tant avoir l’âge de mon désir. Tu es ma correspondance. J’écrirai : J’entends Haïr aucune nuit.
– Tu as pris la clé, tu as bien fait.
– Viens chéri, je vais te donner la becquée.
Ya, au pseudo si positif, de vingt-cinq ans sa cadette devient sa mère, s’allonge sur les matelas à même le sol après avoir disposé le « Tout saumon », fait chauffer le saké et le thé. Certains pourraient croire qu’il s’agisse d’homéopathie sentimentale. Aaron, se droguait au patchouli. Le patchouli ! Les Marines inondaient les champs vietnamiens pour masquer l’odeur du napalm de patchouli aussi. Dans sa bibliothèque aux étagères sans nombre, sorte d’installation à la Buren jouxtant une lithographie sur le béton ciré, de 12 m2 d’Uriel Goldberg, siégeait ce petit fétiche en peluche, le seul à côté d’une menora à neuf branches.
Elle prend la tête de son frère dans les mains, le caresse, capture sa douleur à bras le corps. Il ne dit rien mais consent à s’abandonner, un temps juste un temps. Ses yeux se ferment. Il s’endort, un ours en peluche parfumé de patchouli lui fait face sur la cheminée. Il y a des pansements qu’on ne devrait pas garder plus qu’il n’est nécessaire, au risque de l’auto-infection. Aaron murmure à Ya « merci chérie » et « Bonne nuit Vanessa, sois heureuse. »
You’re my sister (Antony and the Johnstons)”

http://www.facebook.com/note.php?note_id=53130833774#/photo.php?pid=1062376&id=539299823

Conjuration vespérale

Vendredi 27 février 2009

Les anges ont les cheveux sales
Ils ont longtemps hésité
A changer leurs ailes d’opale
Pour de gluantes banalités

Je sais que tu vas me faire mal
En douceur, et Dieu de ton côté
Le miracle passé s’empale
Aux miettes de confiance écroulée

Condamnée par la morale
La raison ronfle sans oreiller
Je vais trop loin, je le sais
Entre mes draps bien pâles
Paralysée.
Il est bancal
Ce corps que tu vas écraser

Utile car utilisée ?
La tendresse est une excuse plissée
Mon baroque sentimental
Etale à nu l’océan des perversités

Est-il bien normal
De se mépriser d’aimer
De vouloir aller jusqu’au fond du râle
Où vomissent la vie et l’humanité ?

Masochiste magistrale
Je gratte la plaie
Mais survivre est mon chapelet
Et je reprendrai le carnet de bal
Sans jamais laisser aller

A l’encre-givre du canal
Encore une fois, j’oublierai
Que les anges ont les cheveux sales
Et que je ne peux pas tant donner.

Première claque à Broadway

Vendredi 27 février 2009

Mardi soir, un ami retournait voir une pièce pour me la faire découvrir. L’ambiance était à la fête et a commencé par quelques shots dans le celtic pub où j’avais traîné mes guêtres à une très tardives soirée du saturday night show cet automne. Après, nous avons erré longtemps et j’ai décidé que nous finirions chez Joe Allen sur restaurant row (46e rue et 8e av). Je recommande, bie meilleur que celui de Paris où nous allons en général pour le vrai brunch américain.
Toujours est-il que je n’attendais pas énormément de la pièce. En face se donnait le mauvais “Dieu des Carnage” de Yasmina Reza et ma dernière expérience de Broadway a été Kristin Scott-Thomas massacrant Tchékhov. Mais là, j’ai été bluffée, touchée, déprimée, bouleversée et retournée. Je n’avais pas eu un choc théâtral comme ceci depuis l'”acte manqué” de Novarina à la Colline il y a un an et demie.
Le théâtre était charmant, moquette, et petite salle, mais décors chiadés sans économies de bouts de ficelles, et surtout, comme toujours l’incroyable enthousiasme du public américain que je bénis d’applaudir avec autant de joie entre chaque scène et après chaque grande tirade (le think positive et le rythme du jazz donnent un résultat absolument rieur).
Venons en à la pièce, signée Tracy Lett, jeune auteur qui s’est fait connaître par “Bug” (lu après le dîner dans la nuit) et qui a commencé au Steppenwolf de Chicago. Intitulée “August : Osage County”, elle met en scène une famille de l’Oklahoma réunie après la disparition probablement fatale du père. La mère – interprétée par l’immense Violet Parson- est présente, cancéreuse, junkie et pourtant mère monstrueuse d’une horde qu’elle assomme de vérités et de culpabilité vaches. En fait elle hait ses trois filles venues en renfort des quatre coins du pays, sous pretexte qu’elle n’ont pas connu -comme elle- la pauvreté la plus crasse. Cette faculté des aieux de détester leur progéniture car elle a moins souffert qu’eux m’a toujours bouleversée. C’était le cas par exemple dans “Rois et reines” de Arnaud desplechins. je crois que cela s’explique à la fois par l’étrangeté absolue que représente cette rancune pour moi, toujours entourée de parents et grands-parents prêts à tout sacrifier pour que leurs enfants aient plus, mieux et plus facile qu’eux (Yerushalmi a de très belles pages sur les familles juives viennoise et les pères juifs ravis de se faire piétiner par leurs enfants dans son livre sur le Moise de Freud). En même temps, quand je pense à mes fantômes, ceux morts pendant la deuxième guerre, leur colère a ce genre de teinte. Les trois filles sont venus avec leurs maris et/ou compagnons, et la soeur de la mère est aussi présente, vulgaire, maquillée, et castratrice accablant son fils. Pendant les trois heures de cette pièce à la Tennessee Williams qui rappelle “Le deuil sied à electre”, les cadavres sortent des placards, tout le monde en prend pour son grade, surtout la fille ainée, mère, professeur, en plein divorce car son mari la trompe avec une étudiante et ne veut pas revenir. On rit à certains mots, mais un malaise dans le ventre, et l’on sent la catastrophe venir du ventre de la mère où personne n’a la force de frapper. Le vieille dame cacochyme mais toujours aussi mauvaise se retrouve seule survivante du naufrage après avoir brisé une à une les vies de ses proches.
“Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?” (Giraudoux). Et l’aurore s’est levée pour moi sur une vraie question : à quoi cela sert-il d’être “fort” si c’est pour provoquer de tels désastre. Finalement, se laisser porter n’est peut-être pas plus simple, plus lâche et une démission, mais peut-être un passeport de survie (excuse moi Hannah, je parle dans l’oecumen, pas en politique)?

Ma vie de quartier

Mardi 24 février 2009

Joli rayon de soleil sur Broadway aujourd’hui malgré une longue insomnie. Après l’opéra hier, ce sera théâtre ce soir, avec un ami qui a été fiancé à une actrice locale.

Il a donc bien fallu m’occuper un peu de contingences matérielles (je déforme souvent en disant ‘maternelles”) aujourd’hui, ce que je déteste faire, comme la plupart de mes amis qui passent des heures devant leur écran d’ordinateur à écrire des essais.
Problème majeur : je n’avais plus de chèques pour payer le gaz et l’électricité et pour une fois la géniale interface Internet qui me permettait de régler mes factures à deux heures du matin ne marche pas avec ConEdison. Je suis donc passée à ma banque que j’aime de plus en plus. La très jolie caissière au prénom à faire rêver n’a pas eu l’air enchantée que je redemande un chéquier. Mais à la fin, après avoir scruté mon passeport, elle a fini par en commander un et m’a demandé avec un grand sourire si j’avais besoin immédiatement d’un de ces petits papiers si pratiques. Et elle l’a produit sur le champ! Je bénis chaque jour ce pays où je peux faire mes courses en rentrant de l’opéra à une heure du matin, où je livre mon linge en paquet pour un “wash and fold” qui ne me coûte presque rien et où je me fais faire les ongles pour pas beaucoup plus toutes les semaines. J’ai rapporté une tonne de coca light, trois semaines de linge, des saucisses à zéro calories, et de la glace “non-fat”, dans mon cher appartement où j’ai déjà l’impression de moins tourner en rond. Plus que la vaisselle à faire. Du coup, mon petit quartier du 7e autour de la rue Cler me manque un peu moins, et je sens déjà que je vais être nostalgique de tout cet esprit bien pratique. Entretemps j’ai écrit un article sur la dive Ute pour un journal d’expats ici et je me prépare à aller heideggerer à mon cours d’herméneutique.

Playlist du moment

Mardi 24 février 2009

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Découvrez Nadine Conner, Cesare Siepi, Victoria De Los Angeles, Guiseppe Valdengo, Sa!

Un nouveau baptême d’opéra

Mardi 24 février 2009

Un de mes sports préférés dans cette grande ville froide est d’initier certains amis à l’opéra. Non que le Met me semble déjà mon territoire, mais juste, je m’y sens bien, et le caractère classique voire conservateur des spectacles donne un bon aperçu – quoiqu’un peu amidonné- de mon art préféré.
Ce soir j’ai donc emmené un ami d’ami découvrir la Rondine de Puccini (que soit dit en passant je découvrais avec lui). Il est arrivé très élégant, sourire au lèvres et n’a pas eu trop l’air de s’ennuyer malgré un petit malaise claustrophobique. Gheorghiu était parfaite, même de loin, et certains arias valaient vraiment le déplacement malgré le caractère engoncé du décor art déco. L’opéra me calme, je me sens chez moi dans ce flot un peu futile de chants XIX e (car ne nous leurrrons pas, Puccini s’est souvent attardé au XIX e siècle). Au Met’, cependant, il est difficile de prouver que l’opéra n’est pas qu’un art très bourgeois. Je m’en fous un peu, cela fait partie de moi, comme mes vacances à St Moritz, mon goût pour les bars des grands hôtels, et le plaisir de faire partager tout cela avec des hommes bien élevés qui savent galamment me raccompagner en bas de chez moi. Et tant pis si mon image de féministe libérée en prend un coup dans l’aile; j’ai passé une excellente soirée. Légèrement épicée par une sortie par une voie de service du grand bâtiment qui nous a amenés vers une reception trallala où j’ai gagné en passant un joli parapluie burburry avec un manche en cuir…
Luxe, musique, et volupté…

Eh ouais, elle est belle quand même la Gluglu, et sa voix n’est pas mal non plus.

La grâce d’Ute Lemper

Dimanche 22 février 2009

Ciel bas et lourd et grand froid à New-York, malgré un très beau concert de blues hier soir. Baptême américain en Nouvelle Orléans avec le Dr John et les traditionnels et funk Neville Brothers au Terminal five. Ce matin, réveillée à l’aube (6h40) par mon matinal et jetlagged ami universitaire, je me suis adonnée à 7 heures pétantes à un cours subtil sur pièce sans mannequin d’ouverture de soutien-gorge. Après un déjeuner exotique confectionné par mes soins (tartare de saumon et kasha), c’est l’un et l’autre l’estomac serré d’une angoisse inexplicable que nous avons arpenté les collections permanentes du MOMA. J’ai salué les 100 ans du manifeste du futurisme d’une grande révérence devant un joli Balla que j’avais auparavant zappé. Le soir, alors que nous devions juste dîner dans un excellent restaurant grec, l’attachée de presse de Ute Lemper a envoyé un mail d’invitation à mon père adoptif pour un concert de la chanteuse allemande à mon bar préféré de New-York. Légèrement ivre de cabernet grec, c’est en sautillant et très excitée que j’ai suivi mes amis sur le chemin du concert. J’avais en même temps un peu peur de trouver Ute vieillie et de la voir pour la première fois sur scène après avoir écouté avec passion ses cds, notamment moins connus comme ses interprétations des poèmes de Paul Celan mis en musique par Michael Nyman. Aux premières loges et en tout petit comité, nous avons bu les mots en quatre langues et les histoires nostalgiques de Berlin, Paris, Buenos-Aires et New-York que la diva mettait en scène entre son pianiste et son accordéoniste. La cinquantaine passée, elle conserve néanmoins la paire de jambes la plus hallucinante que je n’ai jamais vue, une grâce un peu ployante d’oiseau blond et un charisme qui m’a fait penser que les cds ne lui rendent vraiment pas justice. J’ai littéralement été transportée pendant plus d’une heure, dans l’oblivion de Piazzola, l’opéra de quatre sous revu à la sauce Madoff de Weil, Bilbao et les feuilles mortes auf Französich largement inspirées de Montand et qui m’ont faite trembler.  En chaque idiome, les mots résonnaient fort, et juste et l’on pouvait tout comprendre. Et boire le lait gris de la nostalgie.  Je crois que même Hannah Schygulla ou Ingrid Caven ne m’avaient pas fait autant d’effet. Il faut dire que ce monde des exilés juifs berlinois entre Paris, Los Angeles et Buenos Aires est ma vraie patrie et que, le coeur serré je me demandais qui reprendrait le flambeau de cette tradition qui a été si vivante et qui s’est un peu amidonnée dans le folklore du “bon vieux temps” où l’underground regorgeait de putes joyeuses et de whiskys interdits. A la fin, cerise sur le gâteau, nous sommes allés saluer Ute Lemper, qui nous a parlé poliment en Français. Après deux concerts d’affilée, elle était vraiment épuisée.

Or la salle était quasi-vide, faute de publicité, ce qui est UN CRIME.

A tout hazard : Ute Lemper se donne au bar du Carlyle jusqu’au 7 mars, mar-jeu 20h45, ven et sam 20h45 et 22h45. Courez-y, l’entrée ne coûte que le prix de votre consommation.

De mon côté je compte bien y retourner, car les mots des chansons coulent juste là où l’angoisse me fait mal et viennent la dorer comme une carresse. C’est moins efficace que du bon savon, mais c’est bien meilleur.

Roman : Le livre de Rachel, d’Esther David

Vendredi 20 février 2009

Après « La ville entre ses murs » (1998), l’artiste et auteure indienne Esther David publie « Le livre de Rachel » aux éditions Héloïse d’Ormesson. A grands renforts de recettes traditionnelles, Rachel tente de sauver la synagogue désormais vide de son village de Danda, près de Bombay. Un combat aussi noble que vivant.

Alors que ses enfants sont partis vivre en Israël, Rachel n’a pas pu se résoudre à quitter le village de Danda où elle a été si heureuse avec son mari Aaron entre la mer, les tamariniers, sa cuisine et la vieille synagogue. Veuve d’âge honorable, mais toujours aussi alerte et fine cuisinière, Rachel a désormais les clés de la synagogue et l’entretien. Celle-ci est toujours vide puisqu’il n’y a plus dix hommes juifs dans le village pour constituer « minian », le petit groupe nécessaire pour prier. Mais le jour où un homme d’affaire veut racheter le terrain de la synagogue pour créer une station balnéaire, Rachel panique et parvient à réunir autour de ses bons petits plats un jeune avocat pour la défendre et l’une de ses filles. Le combat semble perdu d’avance, mais heureusement, le prophète Elie veille.

Restée à mi-chemin entre tradition et modernité, Rachel est une vestale indienne et juive touchante. Femme forte mais restant le plus souvent à la cuisine, encore habitée par un vieil esprit de marieuse, même si elle accepte les shorts en jean de sa fille, elle ouvre au lecteur tout un monde lointain. Celui des “Bné-Israël”, ces rares juifs indiens en voie de disparition ( La plupart des juifs indiens ont à l’heure actuelle émigré en Israël). Sa manière de nous faire découvrir cette tradition est très instinctive et sensuelle. Cela passe par les odeurs, les sentiments filiaux, la mémoire évidemment, et le plaisir évident que Rachel prend à suivre et perpétrer des rites, même seule. Le roman peut aussi se poser sur l’étagère de la cuisine, comme livre de recettes à la fois “casheres” et indiennes. Ainsi l’on apprend que les « Pouranpoli » sortes de gâteaux de pois-chiches peuvent faire office de philtres d’amour, et à la lecture du livre, on a une seule envie c’est de goûter les « Bombil » (poisson traditionnel) de Rachel. L’eau à la bouche et l’esprit en voyage, que demander de plus à un livre ?

Esther David, « Le livre de Rachel », Trad. Sonja Terangle, Eho, 300 p., 21 euros.

« Normalement, Rachel ne faisait des Pouranpoli qu’une seule fois par an, à l’occasion de Pourim. Quand elle était seule, elle en préparait juste deux, un pour le déjeuner et l’autre pour le dîner, mais quand il y avait de la famille, elle en faisait d’avantage. Exceptionnellement, elle en cuisinait lorsqu’elle était particulièrement heureuse, par exemple, à la naissance d’un petit-enfant » p. 175

Pour en savoir plus sur les Juifs d’Inde, cliquez ici.

Roman : Le coiffeur, la maîtresse et son mari gay

Vendredi 20 février 2009

Le traducteur lusophone d’Antonio Lobo Antunes publie son deuxième roman en Français chez Albin Michel. Après avoir ausculté le parcours difficile d’une fille d’immigrés portugais dans « Poulailler » (2005), il enquête à plusieurs voix sur le ménage à trois atypique. Sortie le 5 mars.

Léo est coiffeur, jeune, et hétérosexuel. Séduit par les cheveux et l’allure de Mona, une de ses clientes plus âgée que lui et qui demande invariablement une fois par mois la même coupe de cheveux classique sans y mettre de chichis, il est incroyablement heureux le jour où elle s’offre résolument à lui. Mais malgré leurs prouesses sexuelles, il n’y a rien de maternel ou d’attaché chez Mona qui traite son amant comme un domestique, alors qu’elle est profondément amoureuse de son mari. Or celui-ci est homosexuel et profondément incapable de lui rendre son amour. Après un bref moment d’euphorie, l’adultère accepté par le mari (qui se son côté s’envoie en l’air avec le poissonnier) tourne au glauque. Et la victime de ce drame banal et répétitif n’est peut-être pas celle que l’on croit.

Dans le roman de Carlos Batista, les trois protagonistes de l’adultère s’expriment : d’abord Léo, puis Mona, et enfin, Pierre, le mari. A la légèreté faussement ingénue du jeune coiffeur, s’opposent le désordre amoureux de la femme repoussée et le cynisme malheureux de l’homme mur, encore et toujours incapable d’assumer ses désirs en société. Faire sonner juste ses trois voix divergentes et intriquées est une prouesse en soi, encore relevée par l’intime compréhension du personnage central et touchant qu’est Mona. Rien de très nouveau sous le soleil du trio éternellement bourgeois, mais la douleur de la femme est profonde et émouvante.

Carlos Batista, L’envers amoureux, Albin Michel, 240 p., 15, 20 euros.

« Peut-être est-il dans mon destin de ne me réaliser qu’à demi. Tout est tronqué en moi : ma façon d’être aussi bien que ma façon d’écrire. Une femme en fragments. Au fond, je crains d’être faite pour ne réussir rien, ni pour progresser dans ma carrière professionnelle, ni pour fonder une famille. Tout me paraît vaciller, et l’indécis m’envelopper jusqu’à l’indécis. Je suis sans racines, sans énergie vitale ; je n’ai pas trouvé mon point d’équilibre, et je ne m’inspire aucune confiance. L’aigreur que j’éprouve quelquefois est comme une rancune contre la vie, que je sens m’échapper et qui ne m’apportera pas ce qu’elle apporte à d’autres.» pp. 103-104.

Poche : Une tête coupée, d’Iris Murdoch

Vendredi 20 février 2009

L’imaginaire Gallimard vient de (re) publier la traduction d’un grand roman de la fine écrivaine irlandaise Iris Murdoch. Datant de 1961, donc d’avant « Le prince noir » (1973) et « La mer, la mer » (Booker prize 1978) (Tous deux également disponibles dans la collection l’Imaginaire), « Une tête coupée » contient déjà tous les thèmes qui font la force de l’écriture d’Iris Murdoch : l’érotisme glauque, les dessous peu reluisants de la haute bourgeoisie londonienne, une finesse psychologique qui opère comme un bistouri et un cynisme irrésistible. Un plaisir délicat dont on aurait tort de se priver.

Négociant en vin d’une quarantaine d’années, historien à ses heures, et aisément installé dans la haute bourgeoisie londonienne, Martin Lynch-Gibbon a une vie bien rangée. Il a Antonia, sa jolie femme blonde et fantasque entrain de se faner avec élégance, et Georgie, sa jeune maîtresse universitaire, qui accepte tout de lui y compris le secret bourgeois qui entoure un adultère de longue haleine. Jusqu’au jour où sa femme lui annonce qu’elle le quitte pour vivre avec son psy (qui s’avère être aussi un des meilleurs amis de Martin). Martin est forcé de jouer les grands seigneurs alors qu’il ne comprend pas pourquoi après dix ans de mariage heureux sa femme ne se contente pas de prendre un amant plutôt que de le quitter. Il réalise alors qu’il est un objet manipulé par tous ses proches. Et un objet très violent, qui plus est, malgré les kilogrammes de savoir vivre civilisé dont il s’est empesé. Une série de drames le confrontent alors avec tout ce qu’il déteste : les sentiments criards, les crises de larmes et d’hystérie, les batailles de coqs à poings nus, et les chantages au suicide. Dans la bataille il s’amourache de la sœur de son rival, une étrange anthropologue juive, pas si jolie, dénuée d’empathie pour la souffrance humaine et néanmoins fascinante de franchise.

Mettant en scène une femme fatale pas banale, et un grand mou plutôt très sympathique de lucidité, Iris Murdoch déballe avec autant de brusquerie que de tact le linge sale de la famille Lynch-Gibbon. Et c’est avec un plaisir pervers mais pas si coupable que le lecteur apprend comment, dans les familles où l’on appelle sa sœur un peu pesante « ma fleur », et où l’on a le luxe de se passionner pour des batailles historiques, en buvant un peu trop de bon whisky, les liens du sang et de la chair sont maculés de triviale violence. On y couche avec sa sœur, ou le frère de son mari, on y fait avorter sa maîtresse, alors que par ailleurs on se fait remarquer en tranchant des serviettes de table brodées avec un sabre japonais selon l’antique coutume des samouraïs.

Chez Murdoch la finesse psychologique est une arme, et la cruauté fait rire, sans gratuité. « Une tête coupée » est une belle leçon de psychanalyse qui sort des sentiers battus sans pourtant éviter les grandes lumières des autoroutes œdipiennes. Un grand roman, jouissif de part en part.

Iris Murdoch, « Une tête coupée », Trad. Yvonne Davet, Gallimard, Collection « L’Imaginaire », 317 p., 8,50 euros.

« Honor laissa pendre le sabre vers le sol. Elle dit : ‘Etant chrétien, vous associez âme avec amour. Eux, là-bas, l’associent avec maîtrise de soi, avec puissance.
– Et vous, avec quoi l’associez-vous ?’
Elle haussa les épaules. ‘Je suis juive.
– Mais vous croyez aux dieux ténébreux, dis-je.
– Je crois aux gens’, dit Honor Klein. C’était là une réponse assez inattendue.
Je dis ‘Vous avez passablement l’air d’un renard qu’il dit qu’il croit aux oies’ ». p. 150