Maman
Plus je vieillis
Plus c’est toi que vois
Mes jambes qui s’allongent
Mes cheveux fins
Et la ligne impeccable des doigts.
…
Petite déjà j’étais marquée :
Un grain dit « de beauté »
A la cuisse, sous l’endroit
Où j’agglutine pain et chocolat.
…
Dans le bain je t’observais,
Fière de notre intimité
Deux amies, entre adultes déjà
Fière que tu répondes si vrai
A mes millions de pourquoi
Fière de ta beauté, de toi,
De ton odeur de fée :
Laque, divers laits et eau de Rochas.
…
Je voulais te ressembler :
Pouvoir conduire, choisir, aider.
Savoir tout ce que tu savais
Et qui dépassait le plan fade
De ma chambre mal rangée
Où les cahiers me servaient
D’évasion à ce qui ne se faisait pas :
Danser, jongler, rire fort et se cogner.
…
Vivre était dangereux,
Tout mouvement, un faux pas.
…
Je te cherchais dans les livres
Que tu laissais sur mon lit trop étroit.
Parfois, tu les posais sur ma tête
Pour m’apprendre à marcher
Comme une jeune-fille bien élevée.
…
Bien se tenir était l’alpha
Le reste de l’alphabet était caché
Derrière la peur de devoir tout quitter
Dans l’angoisse sanglée d’un confort bourgeois.
…
Et pendant longtemps, grâce à ta joie
Je ne me suis pas doutée
Combien être une femme est compliqué
Comme on est seule dans l’ombre
Comme il faut retenir sa voix
Combien les codes sont torturés
Et comme il faut mentir et gratter
Pour voler son bonheur en restant soi.
…
C’est-à-dire : une somme d’amour empilée
Un ver de terre qu’on peut briser,
Et qui ne doit pas aimer au-delà
De la limite fixée :
Vérifier dans son ventre l’inespéré,
« Je suis là ».
…
Mes frères sont des petits-fils de héros
Je devrais être un pilier en bas de soie.
…
Mais la mémoire s’est faite chair
Mon corps ne m’appartient pas.
Et plus je vieillis
Plus j’espère que c’est toi que je vois
Quand sur tes jambes effilées
Je repars livrer cet impossible combat :
…
Tenir le moral tout droit
Et achever ce qui leur a été enlevé
Dans la neige, la faim, et le froid.
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